DE LA NECESSITE DE METTRE DE L’ART DANS
LES UNIVERSITES MAROCAINES :
Nulle ETHIQUE SANS ESTHETIQUE.
Par Pr. Mohamed EL ABDAIMI.
(Professeur
émérite, et plasticien à ses heures).
A l’heure où toutes les universités du
monde sont à portée d’un clic, où les meilleurs spécialistes en toutes sciences
s’invitent à votre domicile en quasi gratuité, l’acquisition et la transmission des savoirs semblent relever désormais de l’art
et de la manière plutôt qu’affaire de gros budgets routiniers et inefficients,
prisonniers de conceptions rudimentaires, et producteur de malaises chez
l’étudiant comme chez l’enseignant. Michel Serre (1) disait que le temps où le
professeur rentrait dans son amphithéâtre en étant sûr du monopole du savoir
sur sa discipline est bel et bien révolu, car la somme des savoirs partiels de
chaque étudiant est nécessairement supérieure au savoir du professeur. La
pédagogie moderne voudrait donc plutôt privilégier le professeur animateur qui
ferait canaliser les diverses recherches et contributions de ses groupes
d’étudiants vers des objectifs ciblés. Quels soulagements, quels gains de
productivités et quelles économies de moyens ! Mais aussi quelles disponibilités
en temps pour les étudiants comme pour leurs encadrants ! La question n’est plus
de disposer des plus grands détenteurs de savoirs les plus pointus mais des
fins stratèges qui savent canaliser les savoirs disponibles quasi-gratuits, vers
les objectifs ambitieux et hiérarchisés, s’attaquant prioritairement aux
difficultés du quotidien. Et c’est là que l’art dans toutes ses facettes
pourrait entrer en jeu pour stimuler les efforts, et ouvrir les horizons
nouveaux, dans une ouverture à la multidisciplinarité. La question n’est pas
tant ce que l’art peut apporter ou ajouter aux sciences extérieurement parlant,
ou inversement des sciences vers l’art. La question est d’introduire les arts
comme esprit de travail, comme âme et comme environnement au cœur des
apprentissages, afin d’en capter l’essence et la mettre au service des
comportements individuels et collectifs, au présent et surtout au devenir d’une
culture, d’une société ! Ce que le philosophe Nuccio Ordine (2) désignait
par l’utilité de l’inutile, prend de nos jours des dimensions économiques aux
proportions considérables dès lors que la révolution industrielle que nous
vivons nous expose aux pires dérives comme aux plus exaltants espoirs par la
simple maitrise des secrets du savoir, la plus noble et la plus utile des
richesses.
Mais privilégions l’optimisme et
gageons que le Maroc, fort de son potentiel de pays émergent (3) à forte
stabilité politique, puissant de son histoire impériale, et doué d’un volontarisme
continental séculaire, se trouve aujourd’hui interpellé à s’ériger en nouveau
modèle de développement d’un type nouveau, comme le furent des pays comme le
Japon et plus tard la Corée du Sud, à des moments précis des révolutions
industrielles passées, et en des zones géographiques déterminées. Le Maroc doit
savoir se servir de ce qu’offre la révolution industrielle actuelle, mettre la
science au service de sa culture appréciée de par le monde, et s’en servir
comme pilier principal de ses atouts, en tant que levier structurel, et non pas
comme un simple apparat qu’on s’offre en loisir, si ce n’est une quantité
négligeable, folklorique, souvent froissée dès lors que le moindre
‘’modernisme’’ essoufflé ailleurs, s’invite à nos portes à grand renfort de
communications polluantes et malsaines.
1.
LES ARTS SONT POUR LES SCIENCES CE QUE SONT LES SPORTS POUR LES
ATHLETES !
La première des sciences qu’une société
devrait privilégier aujourd’hui est celle de son art de vivre sa propre culture
parmi les cultures du monde. En pleines turbulences de la nouvelle révolution
industrielle, dans un monde déboussolé, où les modes de production ont muté, où
les classes sociales ne cadrent plus avec les schémas du passé, où presque tous
les anciens repères sont perdus, il reste cependant un exploit que l’humanité
n’a jamais réussi à une échelle aussi importante : le partage du savoir
planétaire. Il s’agit donc juste de savoir l’utiliser dans le bon sens, savoir
l’appliquer à bon escient, car il est déjà acquis ou presque. La question de la
méthodologie est donc fondamentale et l’esthétique le nerf de la science.
Or tant qu’on continue à voir déambuler
chez nous, sous les lampadaires, à la veille des examens, des étudiants hurlant
et gesticulant tels des personnages bannies, échappés juste de la ‘’divine
comédie’’ de Dante, c’est que l’université marocaine est toujours empêtrée dans
ses chaines psychiatriques à la ‘’Bouya Omar’’. On croirait que ces
universitaires, apprenant par cœur en péripatéticiens, ont juste peur que
toutes les encyclopédies d’internet disparaissent le lendemain.
Dire qu’on ait oublié qu’aux premiers
gouvernements de l’indépendance le département en charge du savoir portait
l’appellation de ‘’ministère de l’éducation nationale et des beaux-arts’’ !
Dire qu’en dehors des deux écoles des beaux-arts héritées de la France et de
l’Espagne, le Maroc n’a ajouté aucune université dédiée aux métiers
artistiques. Constater qu’aucune faculté de lettres de la place ne dispose encore
de nos jours d’une vraie chaire de l’histoire de l’art. Tout cela témoigne d’anomalies lourdes de
conséquences. Car on ne sort pas indemne d’une situation où l’on feint
d’oublier simplement de mettre l’esprit et la sensibilité artistique d’une
nation en éveil.
Mais arrêtons-nous là, car peindre un
mur de lamentations entier en graffitis de Banksy (4), ne suffirait pas à
exprimer la médiocrité qui découle du manque cruel de sensibilité artistique et
l’étendu des Sahara culturels. Y aurait-il une vie intellectuelle locale dans
nos villes et villages en dehors des folklores en perdition ? Avons-nous des
leaders du spectacle qui honorent nôtre culture à l’universel ? Y aurait-il de nos jours des hommes politiques
qui brilleraient à l’international par quelques discours qui émeuvent la
sensibilité des autres nations ? Et dans la vie quotidienne
saurait-on distinguer une quelconque noblesse dans l’attitude d’un lauréat de
l’université, comparée à celle d’un vulgaire ‘’khobzataire’’ des temps modernes ?
Bref, quitter le gouffre des immobilismes et percevoir les lumières, ériger la
beauté comme préalable à toute science, n’est- ce pas déjà suffisant comme
argumentaire pour mettre le maniement des arts au cœur même de l’urgence qu’est
la mission éducative ?
L’université, en tant que pourvoyeur de
savoirs de qualité et inventeur de
nouveaux procédés répondant aux préoccupations du quotidien a le devoir, et les
moyens suffisants, de niveler par le haut, les attitudes et les comportements
du citoyen. Chaque université de sa petite région, forte de son environnement
plastique naturel, de son passé culturel ancestral et de son statut de plaque tournante planétaire au vue de sa forte
connexion virtuelle, possèderait sans nul doute les atouts nécessaires pour jouer
pleinement son rôle d’avant- garde en matière de formation et de
qualifications multiples aux métiers nouveaux et anciens, si elle met les sciences,
les arts et la culture au cœur d’une dynamique de multidisciplinarité et de
passerelles entre les formations!
2.
QUI SEME L’ART RECOLTE LA BEAUTE.
Considérez une âme juvénile qui sort
tout droit de son lycée, qu’elle vénèrera pour toujours puisqu’elle y a décroché
le bachot, ce passeport pour l’univers ! Et imaginez cette âme qui arrive
le jour de la rentrée dans un campus de sa région qui l’accueille avec des
installations artistiques, œuvres des promotions estudiantines précédentes.
Réalisations artistiques déjà bien visibles au milieu de verdures d’un jardin
de cactus et d’arbustes sahariens qui trônent dans leur résistance à la sècheresse
et qui fruitent, grâce au savoir scientifique que cette même université a su
agencer et ériger en véritables œuvres d’art en inscrivant l’origine de l’espèce,
ses vertus thérapeutiques ou autres, ses capacités de résistance et ses
fragilités ! Imaginez ce même étudiant poursuivant son état des lieu qui
débouche dans le hall de sa faculté, et qu’il voit une installation utilisant
de vulgaires jarres en terre cuite associées avec d’autres objets non moins
courants dans la vie quotidienne des campagnes environnantes, mais agencés de
telle façon que cela lui évoque une sensation, une sensibilité, peut-être des
aspirations, des idées nouvelles ou tout simplement des interrogations ! Imaginez
qu’il s’avance pour lire l’écriteau de présentation de la dite installation
artistique et qu’il y lit « réalisé par untel ….En hommage au regretté
professeur untel…, pour ses travaux sur la désertification… » !
Imaginez notre nouvel étudiant s’acheminant vers la grande médiathèque interuniversitaire
et qui rencontre des étudiants déjà à la découverte des ateliers de théâtre, de
cinéma, de peinture, de sculptures, ….etc. Et j’arrête le descriptif pour m’interroger
si un tel étudiant qui aurait eu cet accueil, pourrait se transformer un jour
en casseur ? Voire en tueur ? Il comprendrait plutôt tout de suite si
sa place est là ou si elle est ailleurs ! Il est certain que la beauté ne
peut engendrer que la beauté et que les arts ne peuvent faire qu’adoucir
les mœurs ! Dès lors que le système
d’évaluation prend en compte les travaux artistiques des étudiants, et que les
cours et les travaux dirigés se réfèrent aux réalisations artistiques, aux
divers stades de la réflexion, de la production, de la réalisation, puis aux
stades des débats sur le spectacle et ses extrapolations, c’est que
l’implication esthétique des individus et des groupes devient partie intégrante,
très motivante, de la vie d’un campus
multidisciplinaire aux multiples passerelles entre les compétences. La beauté,
la créativité et la souplesse s’installent dans les cerveaux et deviennent
locomotive des apprentissages et des comportements ! Souvenons-nous que
c’est dans le jeu des compétitions ludiques aux coulisses de l’université que les
Bill Gates et les Mark Zuckerberg ont donné naissance à leurs nouvelles
inventions révolutionnaires.
Pendant ce temps nous persistons
sciemment à ignorer, dans nos universités, qu’un banal film d’une heure et demi
suivi d’un débat, épargnerait des semaines de dictées à monsieur le professeur
de chaire comme à ses pauvres suppliciés. Une simple toile de maître commentée
et interprétée permettra de se rappeler à jamais de faits historiques dans
leurs multiples détails et rebondissements. Et que dirait-on d’une pièce de
théâtre de deux heures, jouée devant les étudiants, par des étudiants, et
simulant un procès au tribunal, avec ses magistrats debout et ses magistrats
assis ? Ne permettrait-elle pas de comprendre les plus fines subtilités du
droit et ne libérerait-elle pas des trimestres entiers pour d’autres
approfondissements et d’autres applications plus concrètes des sciences les
plus ardues. Considérez l’effet cumulatif que ces archives audiovisualisés
produiront sur les enseignements ultérieurs qui ne cesseront de s’améliorer.
Mais au delà de cette activité ludique et
hautement formatrice qu’est la préparation d’un certain nombre de pièces de
théâtre ou autres spectacles, sur des thématiques scientifiques, touchant aux inventeurs , ou penseurs ou hommes d’action
dans n’importe quel domaine, ou encore des vidéos réalisées sur des sujets
divers à problèmes par quelques groupes d’étudiants, ou encore un certain
nombre de toiles, sur des thématiques
sociales, historiques, ou scientifiques,
toiles de peintures réalisées en ateliers en présence d’artistes associés, on
aura compris que derrière ces diverses activités artistiques, des concurrences et des compétitions vont
dominer la scène, et on aura compris que
tous les ingrédients préalables à l’initiation à la vie active, à la prise de
décision, à la pluridisciplinarité, à la souplesse des conceptualisations et au
passages de la théorie aux mises en pratiques, bref, à la rupture avec la
passivité et les cloisonnements qui gangrènent jusque-là l’enseignement
rudimentaire, auront imprégné le milieu et auront installé un climat de créativité,
de compétitions pour la beauté et dans la beauté.
Considérez l’impact de cette production
artistique universitaire, au bout d’une simple promotion de quatre ans d’université,
transposée au grand public à travers les premiers milliers de pollinisateurs
que sont les étudiants, et aussi à travers les vidéos consultables sur la toile.
Considérez aussi les collections d’œuvres d’arts que chaque université serait
en mesure de posséder et aurait la fierté de montrer à ses visiteurs et à ses
futures étudiants(5). Considérez la richesse en documentation renouvelée que la
télévision nationale pourrait emprunter et diffuser au large public dont les
étudiants d’autres universités seraient les premiers friands.
3.
L’UNIVERSITE COMME STRATEGIE DE RAYONNEMENT ARTISTIQUE NATIONALE !
C’est une conception complètement fausse
sur laquelle nous continuons de nous illusionner, lourdement chargée de conséquences
néfastes, que de croire que le savoir est strictement livresque ou il ne l’est
pas. Aujourd’hui plus que jamais l’image, le spectacle, l’animation, deviennent
le véhicule direct, facile, explicite, qui va à l’essentiel, et qui est accessible
au commun des mortels.
Le drame est qu’on ne comprend pas que
l’incitation à la lecture ne tombe pas du ciel, encore moins une affaire de
coercition, conduisant aux tortures des apprentissages par cœur. Non, pour lire
il faut d’abord intéresser un candidat potentiel à la lecture, introduire son esprit
aux intrigues que suscite un sujet donné. Et c’est là que les arts exercent
tous leurs pouvoirs d’initiation, d’attraction, de sensibilisation, de
vulgarisation, et deviennent de puissants leviers pour les apprentissages, les
spécialisations et les recherches approfondis.
Nous ne sommes pas, à fortiori, dans un
pays de pluies ou de froids qui nous inciteraient naturellement à rester cloués
devant une cheminée et à utiliser le livre comme moyen de confort ou de
divertissement. Nos conditions climatiques faites de lumières et de chaleurs
humaines nous conduisent à chercher naturellement le spectacle. Et nous devons
nous conformer à ce fait et en tirer les meilleurs conséquences. Aller du
spectacle vers le livre est le sens de la relation qui nous interpelle;
pas l’inverse.
Une autre idée fausse, lourdement
couteuse économiquement et socialement : Considérer la culture comme un fardeau qui ne peut
fonctionner qu’au dépend des subsides du budget de l’Etat. Autrement dit pour
un économiste, ne pourrait-on pas imaginer une production artistique viable,
commercialisable, qui puisse produire ses effets pleinement économiques,
matériellement parlant, en plus des
richesses immatérielles communément liées à
la production artistique? En toute logique, la réponse passe
nécessairement par l’université. C’est là que l’essentiel de la production
artistique devrait se situer. C’est par l’université que toute la politique
culturelle doit se jouer. Vu le public disponible, par le nombre, la diversité,
les divers niveaux de cultures et de
sensibilités, vue la force de la
critique directe et savante, vues les capacités scientifiques à apporter les
corrections nécessaires, et vus les effets de traits d’union que représentent
les étudiants vis-à-vis de leurs familles et leurs environnements sociaux, l’université,
l’enseignement d’une manière plus large, devrait être le berceau privilégié des
activités artistiques. Dès lors que quelques pièces de théâtre, quelques
expositions de peintures ou de sculptures, quelques vidéos amateurs, voire
quelques films auraient attiré suffisamment d’attention, ils ne manqueront pas
de produire tous leurs effets en dehors de l’université. C’est par ce biais que
le grand public va commencer à être touché, que l’art expérimental commencera à
devenir un produit économique, que les professions multiples du spectacle et du
divertissement puis tout ce qui leur est lié, vont créer des emplois, de la
valeur ajoutée et donc des contributions au budget de l’Etat au lieu d’en être
le fardeau. C’est ainsi que la dynamique de l’industrie culturelle commencera à
trouver quelques sens de l’orientation, à tirer progressivement le niveau de la
culture nationale vers le beau, et à tenir la comparaison avec d’autres
nations plus avancées dans les productions de l’esprit.
Continuer à croire que la télévision
est le lieu privilégié de la production artistique et culturelle, avec les
vices et les dégâts qui s’y sont installés au cours des temps, est un leurre
qui se confirme chaque jour davantage. Croire que l’on puisse faire et défaire
les opinions et les goûts à partir d’une tour d’ivoire est complètement dépassé
par la mondialisation médiatique. Aujourd’hui on a la culture qu’on mérite, et
on se choisit les programmes et émissions de son niveau intellectuel. Les élites
n’ont donc a priori plus de problème, elles peuvent s’abreuver aux sources
qu’elles se choisissent. Mais le problème se pose pour ceux qui n’ont pas le
luxe de pouvoir choisir et qui risquent d’aller pêcher dans les eaux troubles.
Ceux là nécessitent assistance à personne en danger et imposent le devoir de
filtrage pour leur assurer une eau potable. Sans pouvoir maitriser leurs goûts
à l’avance, ceux là même qui portent le qualificatif de masses écrasantes,
nécessitent un travail de nivellement à l’amont, de mise à niveau en
profondeur, et il n’y a pas mieux que l’université pour accomplir en toute logique
ce long travail d’éducation des goûts, par les masses et pour les masses.
4.
DE L’INDUSTRIE DE LA CULTURE ET
DE LA CREATIVITE (‘’i.c.c.’’) A LA SAUVEGARDE
DU ‘’PATRIMOINE GENETIQUE EN VALEURS CULTURELLES ‘’ (‘’p.g.v.c.’’).
Parler d’industrie en matière d’art et
de culture est déjà une injure à l’éthique en la matière. Mais par commodité du
langage économique et ses approximations comptables, on évoquera l’exemple d’un
pays sinistré industriellement, et particulièrement conscient de l’importance
de ses ‘’i.c.c.’’, la France, qui a enregistré un impact direct et indirect important
de ces activités culturelles, supérieur selon L’I.N.S.E.E., à celui de toute
l’industrie automobile de l’hexagone(6).C’est dire que le soutien à de telles
activités artistiques, fleuron du
rayonnement culturel français, offrent certainement une alternative et un
espoir pour les pays sinistrés. Il s’agit d’autant plus d’activités non délocalisables,
non dépendantes des importations et fortement pourvoyeuses de devises au vu de leur
fort attrait quand au tourisme international. Serait-il donc possible d’en
tirer quelques enseignements pour un pays émergent comme le nôtre, sachant pertinemment
que les métiers de l’art ne s’improvisent pas, mais sont plutôt affaire de
goûts qui s’éduquent avant d’être une banale production répétitive ?
Comment peut-on dépasser le statut actuel
de pays purement importateur, consommateur boulimique de séries télévisées étrangères,
destructurantes de nos valeurs culturelles ? Et comment espérer se hisser
au rang de nation productrice et exportatrice d’art (cinéma, peinture,
sculpture, architecture, musique, danse, théâtre, séries documentaires), tous
pourvoyeurs de devises et d’emplois et tous producteurs de richesses matérielles
et immatérielles immenses, si on ne dispose pas d’un profond ancrage, d’un
socle, de toutes ces disciplines ? Sachant qu’elles s’imbriquent et
s’entretiennent en se nourrissant mutuellement, selon l’adage qui veut que
‘’l’art se nourrit de l’art’’.
En conséquence, force est de craindre que
les délocalisations et d’autres turbulences de l’économie mondiales, qui nous ont
avantagé industriellement dans un
certain sens jusqu’à présent, ne finissent par nous faire aggraver des dégâts
déjà considérables en matière de valeurs aussi primordiales que celles qui touchent
à notre culture, ce ‘’patrimoine génétique’’ qui jusqu’à présent, aussi fragile
qu’il est, nous a préservé de bien des
catastrophes et turbulences sociétales.
Fragile en effet est notre patrimoine génétique en valeurs culturelles, (‘’p.g.v.c.’’), face aux agressions qu’il subit, aux déficits
de savoir faire, aux défauts de débats d’idées, et aux carences en politiques
pertinentes pour le protéger.
Notre patrimoine culturel, vue son
importance primordiale, ne doit pas en effet continuer à être conçue comme une
entité moribonde de notre passé, dont on se contente de célébrer épisodiquement
et à coup de budgets, la disparition à jamais. Le patrimoine culturel ne se réduit
pas non plus à ces ‘’monuments historiques’’ de diverses catégories et diverses
consistances dont il s’agit de colmater les façades afin de les rendre potables
à la curiosité du touriste superficiel. Le patrimoine culturel devrait plutôt se
concevoir comme un corps vivant en permanence, une entité généreuse en valeurs
humaines ancestrales, susceptibles d’être partagées et appréciées par d’autres
civilisations de par le monde, et qu’il s’agit de régénérer par le savoir
scientifique, de renouveler dans un environnement de beauté, donc d’entretenir
et faire fructifier dans le cerveau d’une nation aux valeurs séculaires.
5.
Mais quoi de plus apte à qualifier de cerveau d’une nation si ce n’est d’abord
son université ?
C’est donc au niveau de l’université de
chaque région que nos valeurs ancestrales, celles matérielles ou immatérielles,
celles relatives à nos cultures citadines et paysannes, ‘’affreusement’’ belles
par leurs générosités rurales, par leurs ‘’insolentes’’ désinvoltures, par
leurs innocences humanistes, doivent être hautement revalorisées. C’est là
qu’elles devront aussi trouver leur chemin vers leurs renouvellements et
embellissements au quotidien. Fortes de leurs potentiels d’étudiants dévoués à
apprendre le meilleur et à le répercuter dans leurs villages, dans leurs
quartiers ou dans les métiers de leurs parents ou leurs proches, les universités
comme expliqué précédemment sont le terreau, la pépinière, des futurs acteurs
des meilleures goûts et comportements.
La fragilité de notre patrimoine
culturel est en effet depuis longtemps inquiétante. L’exode rural massif vers
les villes posait depuis longtemps le problème de la bidonvilisation et toute
la déculturation de masse qui l’accompagnait. Mais cette désertification
culturelle touche désormais ce qui reste de notre population paysanne. Une
paysannerie transformée en banale main d’œuvre salariale paupérisée et avilie,
à la merci d’une ‘’politique agricole’’ aveuglément et faussement productiviste,
dilapidatrice de nos réserves aquatiques, horriblement polluante, terriblement
asséchante de nos oasis sous prétexte de se vouloir exportatrice de ce qu’un
pays saharien peut avoir de plus précieux, l’eau, et enfin honteusement ignorante
de ce que fut la charge en valeurs humaines d’une culture paysanne ancestrale(7).
Outre l’exode, l’architecture rurale ne ressemble plus à rien sauf au pire,
lorsque les vallées aux milles casbahs ne subsisteront bientôt que dans les
documentaires étrangers. On aura compris que ce qui est recherché par l’art
dans l’université dépasse le simple alimentaire primaire qui nourrit le
khobzataire, mais se place désormais sur une sphère de valeurs plus nobles.
Le cavalier de la paix, au burnous si
noir pour contraster avec le blanc de son turban, haut perché sur son barbe gris-
bleuâtre reluisant, et qui portait sur lui-même toute la charge que signifiait
l’honneur et la sagesse d’une esthétique
marocaine singulière, voilà une posture à laquelle aucun commun des mortels dans
l’univers des vivants, ne peut manquer de respect et d’admiration.
Il s’agit là d’un simple exemple, parmi
tant d’autres qu’il est désormais nécessaire de ressusciter, c’est là le vrai
patrimoine qui intéressera le touriste non superficiel et qui fera de l’exercice
des arts dans l’université et au-delà, des activités aux rendements multidimensionnels.
6.
DIEU EST BEAU ET IL AIME LA BEAUTE
Ce hadit du prophète s’ajoute aux
beautés dont regorge le Livre saint, non seulement par son texte poétique
inégalable, mais aussi par ses allégories, ses métaphores, ses finesses d’interprétations
et ses subtilités dans l’élévation des esprits et des âmes. L’islam n’interdit
nullement, et à aucun verset, la pratique des arts. Rappelons-nous plutôt les versets qui célèbrent
les beautés de l’univers, et ils sont nombreux.
Ceux qui décrivent le roi Souleymane fils de David, dans son art de
vivre, sont on ne peut plus éloquent. Ce prophète, partageant le haut niveau de
culture et de sensibilité auquel son peuple avait accédé à son époque : ‘’Oh
hommes, on nous a appris le langage des oiseaux
et on nous a donné part de toute chose. C’est là vraiment la grâce évidente’’ (8).
Ce roi prophète donc, qualifié de sage par le Texte sacré, se faisait installer
des statues, des poteries et d’autres objets d’art dans son palais (9), non pas
seulement pour la beauté, la satisfaction et l’inspiration que le spectateur
pouvait en retirer, mais c’est parce que son peuple, doté du savoir des modes
d’expression, dont la symbolique des arts est le noble couronnement, en
percevait aisément les sens et les significations.
Le Texte coranique m’enseigne
personnellement que l’histoire ancienne des civilisations avait connu, pendant
une période de sagesse, un épisode de
vie artistique qui avait conduit des humains à s’intéresser jusqu’au langage
des oiseaux, et pas seulement puisque ce peuple comprenait les langages
d’infimes autres créatures que sont les fourmis pris comme illustration. Les
arts ont pour ainsi dire une faculté d’élever les âmes vers des hauteurs
spirituelles qui devraient rapprocher du Divin et non l’inverse(10). Ce peuple
est d’ailleurs présenté dans le Texte sacré comme recourant massivement aux
arbitrages de la justice que rendait David puis ensuite Souleymane dès sa
jeunesse (11). Delà à établir un lien de causalité entre ces divers constats que
sont l’aversion pour la paix, la passion pour l’environnement dans ses minuscules
détails, et l’affection pour l’art, il n’y a qu’un pas que je n’hésiterai pas à
franchir allégrement en tant que fervent croyant pratiquant.
Toute cette question nous ramène donc
aux capacités de l’être humain à pouvoir choisir son chemin vers la paix divine.
S’élever vers le meilleur de soi même, c’est ce à quoi toutes les spiritualités
nous invitent. Quand les textes sacrés s’insurgent contre les idolâtries, ce
n’est pas contre les objets qu’elles s’insurgent, c’est contre les ignorances
profondes des humains. La spiritualité n’est pas une liste de rituels et
d’interdits, pas plus qu’une série de gestuelles et d’apparences. C’est avant tout une question de rapports,
d’abord à soi même, aux autres tous les autres, et au Divin Créateur de
l’univers.
Cette brève mise au point sur la
relation des arts aux spiritualités me parait nécessaire par les temps qui
courent. Et comme c’est étrange que cela nous rétrograde sur huit cent ans
d’histoire, pour nous rappeler une question toujours d’actualité : les
peines d’Averroès à expliquer au monde fermé des ‘’foukahas’’ de son époque,
l’importance de la philosophie comme outil et comme tremplin pour comprendre et
pour vivre pleinement les délices d’une religion ! On connait la suite (12).
CONCLUSION
‘’Mieux vaut une tête bien faite qu’une
tête bien pleine’’ dirait Montaigne. Les richesses des nations incluent depuis
des décennies déjà les aspects immatériels. Et se hisser parmi les nations les
plus riches est désormais une affaire de savoir vivre, dans sa culture et par
sa culture. L’alphabétisation ne se conçoit pas uniquement par l’apprentissage
de la lecture, loin de là. L’alphabétisation la vraie est celle qui aboutit à
améliorer l’homme dans ce qu’il a de plus profond, de plus intime, de plus
beau, son humanité. Et c’est là que la symbolique des arts est incontournable
en la matière. La sagesse n’est pas de reprendre les échecs des révolutions
industrielles passées qu’on nous exporte à coup de gros marchés, que ce soit en
politique de la ville, ou en désertification des campagnes. La sagesse est
d’aborder la nouvelle révolution du savoir qui s’offre à nous, avec l’esprit de
jeunesse d’un pays libre des carcans et séquelles des industrialisations passées.
L’université, en tant que cerveau d’une
nation, est le lieu d’élaboration, de réinvention, de ces valeurs. Par une multidisciplinarité
et une facilitation des passerelles, qu’elle doit mettre en place au moins pour
les quatres premières années (13), elle devrait assurer le filtre et la
courroie de transmission, entre les flots du savoir universel, ce tsunami de
l’information pourrait-on dire, et les besoins locaux et territoriaux en
valeurs saines et intelligentes.
Mettre le cerveau universitaire en état
d’éveil, mêlant les sciences et les techniques aux exercices ludiques pour en
faciliter les apprentissages et en aborder les applications, dans la recherche de créations permanentes, de
procédés et de configurations nouvelles, de dépassements des difficultés
réelles, de recherches pertinentes de nouvelles solutions aux problèmes du
quotidien, dans le but de tester les goûts et les raffiner dans les divers
domaines, voilà qui justifierait toutes les exaltations à mettre l’esprit
artistique , et donc la beauté, au cœur de la pédagogie des apprentissages et
des recherches. Il n’y a pas que nécessité, il y a urgence, car ‘’Point de religion ni de science sans
esthétique’’ écrivait Khalil Gibran(14).
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(1) cf. vidéo sur youtube, savoir
gratuit
(2) Nuccio Ordine : L’utilité de
l’inutile ; les Belles lettres ; 2012
(3) Mohamed El ABDAIMI ‘’Maroc :
Pays émergent ?’’ Imprimerie Najah El
Jadida, Casablanca,1994.
(4) cf les arts de banksy sur le net…
savoir gratuit
(5) cf le musée de l’université de
Harvard sur wikipedia à titre d’exemple, en possession d’une collection de plus
de 250.000 objets.
(6) cf Panorama des industries
culturelles et créatives, au cœur du rayonnement et de la compétitivité de la
France, données de 2011 de l’insee . cf
cite web www.ey.com.
(7) reposant sur ses institutions de la j’maa, de
la tuiza, de l’institution de ‘’amazal’’ ou ‘’qaid al maa’’, l’aguadier, sans
remonter aux ‘’agadir’’pour les céréales et aux ‘’taddart’’pour l’apiculture. Cf.
les travaux de Paul Pascon et Najib Bouderbala, ‘’La question agraire au
Maroc’’ ; Bulletin économique et social du Maroc, 1974.
(8)
Saint Coran, sourate ‘’les Fourmies’’ ; verset n°16 .cf. aussi
toile de Abdaimi intitulée ‘’Attar’’ du nom du poète souffi, gouache sur
carton, 107/ 77cm. Exposition permanente sur le web.
(9) Saint Coran : sourate Saba 34,
verset 13.
(10) On comprendrait pourquoi certains
pourraient craindre des déviations, au point que des interprétations n’aillent
explorer exactement le contraire.
(11) cf. tableau de peinture ‘’Salomon
jugement’’ de M. Abdaimi huile/toile,
125/150cm.
(12) cf. ‘’détroit d’Averroès’’, roman
de Driss Ksikess, 2017. Voir aussi les toiles de Abdaimi sur Averroès, plus
particulièrement deux huiles : une titrée ‘’pintura y ceremonia de té
entre filosofos’’ avec Averroès, Aristote et Platon, en présence des peintres
Diego Velasquez et Tiziano ; huile sur toile 125/104cm sur youtube,
savoir gratuit. L’autre inspirée de Giorgionne, et célèbre la paix sous le
regard des trois philosophes, huile sur toile 125/103cm.
(13) On considère aujourd’hui qu’au cours
d’une vie active, une personne est appelée à changer de métier au moins quatre
fois en moyenne.
(14) Khalil Gibran ‘’le sable et
l’écume’’ 1926.
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