Politique, Démocratie et Symbolique :
Ou Comment faire et défaire le politique au Maroc
Par Abdelmoughit B. TREDANO
Qu'est-
ce que le politique ?
Vaste
question, vaste programme comme aimait dire le général De Gaulle.
Ecrire
sur le politique, le définir n'est pas une mince affaire. Notre ambition n'est
pas de faire un manuel de science politique. Les classiques en la matière font
autorité au point de rendre superfétatoires les ambitions de tout prétendant
téméraire.
Nous
nous assignerons donc comme modeste objectif d'expliquer le politique, ses
fonctions et son rôle dans toute communauté humaine en général et au Maroc en
particulier.
Ce
projet nous habitait depuis quelques années. Les raisons peuvent être résumées
dans les considérations suivantes :
La
dépolitisation de plus en plus croissante de la population en général et de nos
jeunes en particulier, la crise sidérante du politique[1] aussi bien dans les pays
démocratiques que dans ceux qui aspirent à une forme de représentation
pluraliste expliquent la nécessité de traiter d'une telle thématique.
Expliquer
ce qu'est le politique, ses fonctions dans toute société, la démocratie telle
qu'elle fonctionne dans les pays développés et la crise de la représentation et
les possibilités de sa transposition dans les pays du Sud - qui ne l'ont pas
vue naître - constituent le premier volet de cet ouvrage[2].
La
situation au Maroc, l'évolution du politique, son rôle et les rapports de force
ayant animé les différents acteurs politiques depuis l'indépendance en
constituent la deuxième partie.
Comment
peut-on qualifier, sur le plan politique, la période historique que connaît le
Maroc depuis l’indépendance ?
Quelles
sont les étapes qui ont marqué cette histoire politique ?
Le
Maroc évolue-t-il vers un système pluraliste ou non ?
D'aucuns
soutiennent que le système politique marocain se reproduit et qu'aucun
changement majeur quant à sa nature et son essence n'est intervenu depuis des
lustres. Comment et pourquoi ?
Cette
thèse n’est pas sans fondement ce malgré les réformes intervenues dans la
constitution de 2011. En effet, le climat observé pendant tout le mandat du Chef
du gouvernement de l’Islamiste Abdelilah Benkirane, marqué, entre autres, par
l’affrontement entre ce dernier et son parti d’une part et le PAM d’autre part.
En outre, les tensions précédant les élections
législatives du 7 octobre 2016 et le blocage ayant marqué la constitution du
gouvernement montrent[3],si besoin est, que les
sentiers de la réforme sont tortueux et que le cap du changement n’est pas
encore pris.
D’autres,
en revanche, estiment que le Maroc qui a adopté un système libéral et
pluraliste depuis son indépendance, connaît des mutations politiques réelles.
Que
peut-on dire d'une telle assertion ?
Par
ailleurs, la déliquescence du politique et la désaffection des citoyens à
l'égard de la chose publique, aussi bien au nord qu'au sud de la Méditerranée,
seront mises en exergue comme matrice dominante. La crise du politique et du
système de représentation, mouvements concomitants, est le fait dominant depuis
plus d'une vingtaine d'années. Expliquer les causes de cette déliquescence peut
contribuer à envisager les possibilités de dépassement et ce pour que le
politique retrouve sa superbe; la parole publique a besoin d’être réhabilitée
d'une manière profonde et déterminante.
A
crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles. L'émergence de la société civile
face à la crise du politique est une manifestation parmi d'autres. Cependant,
la société civile ne peut constituer une alternative au rôle, parait–il,
incontournable du politique. En effet, une réflexion sur de nouvelles formes
d’engagement politique doit être conduite.
Autre
aspect non moins important c’est le lien entre la question interne et la donne
internationale ; en effet depuis, la chute du mur de Berlin (8 novembre 1989)
et la conférence franco-africaine de La Baule (juin 1990), l’imbrication entre
la dimension interne et l’influence des puissances sur l’évolution politique
des pays du Tiers Monde est devenue dominante. L’exemple du Moyen-Orient,
marqué par l’intervention occidentale, surtout depuis1990, est largement
édifiant. En effet, ingérence et guerres déstabilisatrices sous prétexte de
guerre contre le terrorisme et l’application de la démocratie sont devenues
règle commune.
Monarchie, pouvoir, symbolique et
reproduction
Le
politique s’installe par la force et il se maintient par la force ; mais
il peut, outre la force, utiliser d’autres moyens pour se maintenir à travers
un processus de légitimation. La symbolique politique en est le moyen le plus
utilisé et le plus efficace[4].
De
tout temps, le politique pour se maintenir a consommé du symbolique, du
religieux, du mythe, de la tradition. La finalité étant de susciter de la
crainte, le respect, voire l’admiration (pour les personnages charismatiques)
et ce, objectif ultime, pour susciter la croyance, voire la confiance et
l’adhésion ; les régimes autoritaires et dictatoriaux cherchant plutôt la
crainte que l’adhésion.
Au
Maroc, la monarchie ne procède pas autrement ; plus que d’autres, elle use
voire abuse des éléments fondés sur la dimension psychologique et mentale.
De la
force montrée mais non utilisée -surtout pendant la période récente- , de la
crainte suggérée, du grand cérémonial créé autour de la personne du roi ou de
l’avènement qui le met en scène, de l’attente interminable avant chaque activité
royale ,du mythe, de la Baraka et de la Hiba…, que la personne du roi est
supposée avoir et dégager, constituent les quelques ingrédients du cocktail de
la gestion du politique au Maroc. Evidemment avec les accessoires juridiques
(Constitution, élections …) qui constituent le décorum.
Outre
la position dominante qui est la sienne au niveau de l’exécutif, le Roi occupe,
par divers moyens, tout l’espace religieux (Article 19 décliné en deux
dispositions 41 et 42 dans l’actuelle constitution), en l’occurrence les
Zaouïas, les conseils des Oulémas, le contrôle des mosquées, le discours du
vendredi….) ; de nombreux actes et instruments relevant du même registre
(symbolique, religieux, tradition..) sont sollicités et utilisés et , tous, ont
comme objectif la domination des citoyens par une forme soft du pouvoir et de
sa reproduction.
Il est
vrai que personne ne peut prétendre que la démocratie à l’occidentale sera
demain une réalité au Maroc .Toutefois, la question qui se pose c’est celle de
savoir si le cap de la réforme a été pris. Toute la question est là.
L’épisode
de la constitution du gouvernement, durant plus de trois mois, et sa conclusion
formelle par l’élection de M. Habib El Malki ,un des dirigeants de l’USFP, le
16 janvier 2017 aurait porté le coup de grâce à la formation d’un gouvernement
issu des vrais résultats du 7 octobre 2016.
Que le
Chef de gouvernement désigné A. Benkirane parvienne ou non à le constituer, la
question de la crédibilité du processus politique est largement entamé.
Par ailleurs,
on ne doit pas oublier que le syndrome 2011 n’est pas loin surtout lorsque l’on
prend en considération le contexte particulier du pays et les conditions
générales de son évolution ou de sa stagnation ; en effet, la situation
socio-économique, éducative et du développement global n’autorisent pas
l’atermoiement dans la réforme. Le social et la perception des choses par les
citoyens évoluent vite surtout à l’ère de l’image, de la communication et du
net.
La
question démocratique et politique en général et leur fonctionnement dans les
pays développés et au Maroc, tels sont les parties qui constituent l’ossature
de cet ouvrage. La question de la réforme traverse, comme une matrice, le cœur
de ce texte.
L’approche
retenue dans le cadre de cet essai constitue un juste milieu entre la
vulgarisation sommaire et l'académisme austère, et ce, précisément pour en
faire un outil utile et accessible pour nos jeunes, nos étudiants et toute
personne que la chose publique n'indiffère pas.
Harhoura, 20 février 2017
[1]
Le terme crise est souvent contesté pour le cas des pays non-démocratiques dans la mesure où le politique n'était pas « prospère » pour pouvoir parler de crise. Qualification qui reste
valable dans le cas des pays démocratiques. Sur les manifestations de la crise, un développement
important sera présenté dans le
chapitre 1, §5
de cet essai.
[3]
Voir l’introduction
de notre dernier ouvrage « Les élections au Maroc -2007 et 2015-Ebauche d’une
sociologie électorale »,
Cahiers libre, N °
5, octobre/ septembre 2016, 136 pages (Collection éditée par la Revue Marocaine des Sciences politiques et
Sociales).
[4]Sur
ces aspects on peut consulter utilement quelques pages pertinentes et concises
de Michel Hasting, Aborder la science politique, Seuil, Memo, 1996, op.cit.,pp.12-21.
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