Pr. Ahmed
AZIRAR, économiste, PES à l’ISCAE.
Le Mémorandum économique du Maroc 2017, rendu
public, par la Banque Mondiale, le 16 décembre 2016, sous le titre, « Le Maroc à l’Horizon 2040 : Capital
Immatériel et les voies de l’émergence économique », donne l’impression de n’être qu’une version
grand-public, qui serait sous tendue par
une autre version, restée confidentielle
celle-là. Le nombre important de personnes ressources consultées et toute une
équipe de rédaction, laissent dubitatif sur le sort réservé au tas important
d’informations glanées qui ne transparaissent pas finalement à travers la
matrice des propositions présentée par
le mémorandum.
En tout cas, la grille de propositions présentée est loin
de charpenter le paradigme de
développement nouveau et les fondements de l’économie politique rénovée annoncés
par ledit mémorandum. Elle fait plutôt apparaitre un diagnostic, lucide certes,
mais surtout les points de vue
subjectifs de représentants de certaines couches sociales, interrogées sur tel
ou tel aspect. L’évaluation excessivement sévère de l’école publique est un
exemple parmi d’autres.
Aussi, la publication de ce document au moment
où le nouveau gouvernement, formé dans la douleur, était en période de
préparation de sa « Déclaration », si ce n’est une pure coïncidence,
laisse-t-elle penser que les cadres
de la Banque ont voulu servir au
nouvel exécutif marocain un cours d’économie politique, version New Banque
mondiale. Une économie politique non du « que faire », mais du
«comment faire ». Le déficit d’exécution
étant, ainsi, pointé comme problème majeur, autant que « les règles du
jeu », à changer absolument, et à populariser, selon les rédacteurs du mémorandum.
Le diagnostic
établi, un énième est-on tenté de dire, est l’occasion de pointer directement
le « capitalisme de connivence », les « cercles d’influence
économique », le capital privé courtermiste, le système bancaire frileux,
l’économie de rente, les entraves à la concurrence, le faible esprit
d’entreprise, le système éducatif défaillant… Tout y passe ! De quoi
confirmer le virage en matière de stratégie et de langage, opéré par la Banque,
comme par le FMI, depuis les évènements
de 2011 qui continuent à marquer
certains pays de la région du Moyen Orient et d’Afrique du nord. La Banque
Mondiale découvre l’économie politique, elle qui ne jurait naguère que
d’«Economics », de « science économique », cette
« économie pure », rendue conventionnelle.
Cela ne suffit pas
à notre sens d’élaguer l’impression de
lire à travers ce mémorandum une mixture synthétique de précédentes études de
la Banque et de rapports d’organismes divers, nationaux (RD50, CESE, HCP, IRES, OCP Center
…) et étrangers (OCDE, BAD, COFACE…). Une mixture, assaisonnée avec des notions
en vogue, comme l’émergence et l’immatériel, et servie dans un langage relevé,
même s’il reste diplomatique.
De fait, si « Le
passé ressemble à l'avenir plus qu’une goutte d'eau ressemble à une autre » selon Ibn
Khaldoun, mis en exergue en partie 1 du mémorandum, il n’est pas exagéré de
constater que le mémorandum est truffé de redites, et de propositions déjà en
application (Remboursement de la TVA…). A moins qu’il faille comprendre que la
répétition est pédagogie - ce à quoi renvoie, d’ailleurs, le titre de « mémorandum »
retenu.
Méthodologiquement, le rapport ne justifie
pas, scientifiquement parlant, son choix du scénario « de rupture ».
On a l’impression que 2040 sera la simple accumulation quantitative de ce qui
se passe ces dernières décennies. N’est-ce pas là la faille majeure du document ?
Le document apporte, néanmoins, une nouveauté.
Les cas romancés de quatre jeunes marocains, présentés comme étant des modèles, constituent la trame de fond du
mémorandum, et servent pour annoncer la couleur pour le Maroc et pour l’Europe,
et ce, dès le début du mémorandum.
Danger politique pour le Maroc, d’abord :
« Compte tenu de leur origine socio-économique et de leur histoire
personnelle et familiale, Amine, Nisrine, Kawtar et Réda connaitront sans doute
des destins différents. Leurs parcours est représentatif de celui de nombreux jeunes
de leur groupe et illustrent les disparités sociales dans un Maroc à plusieurs
vitesses », p.28.
Risque élevé d’exacerbation de l’émigration
vers l’Europe, ensuite : « Une grande partie de la jeunesse marocaine
risque de ne pas se reconnaitre dans le contrat social qui lui est proposé et
elle est traversée par un malaise qui s’exprime notamment par la volonté de
quitter le pays pour tenter sa chance à l’étranger », p.29.
Concrètement, ces risques existent à cause du « blocage du modèle de
développement » et d’enlisement irrémédiable dans la « trappe
des pays intermédiaires », si le Maroc ne change pas les règles du jeu.
Doit-on voir dans ce genre d’affirmations un remake actualisé
des anciennes idées du genre
« cercle vicieux de la pauvreté »,
« d’obstacles au développement », ou d’«état stationnaire » … ?
Techniquement, la banque propose le scénario de convergence
accélérée, scénario présenté comme étant de rupture : «le Maroc
traverse une période exceptionnelle marquée par une transformation
démographique porteuse d’un potentiel de croissance élevé. Si des réformes
structurelles appropriées étaient menées pour saisir cette opportunité
historique, le Maroc pourrait rééquilibrer son modèle de croissance en
accélérant ses gains de productivité et en améliorant le taux d’emploi de la
population. Des changements ambitieux mais réalistes sont
simulés dans le cadre de ce troisième scénario, lequel fait l’hypothèse d’une
amélioration de la PTF de l’ordre de 2% par an (contre 1,2%
historiquement) », p.121.
Mais les rédacteurs
du rapport précisent, de suite, que le
doublement de la productivité est un défi difficile. A moins de mobiliser
sérieusement le capital immatériel. Car, soulignent-ils, même si c’est le
capital industriel qui crée d’ordinaire l’emploi décent, pour le Maroc, « la désindustrialisation précoce »
est une réalité incontournable. Le Maroc ne devant pas faire exception,
« Après une phase généralement encourageante de développement rapide et de
modernisation des infrastructures de base, de nombreux pays en développement se
retrouvent confrontés à un plafond de verre dans leur expansion—c’est-à-dire à
des limites au développement largement invisibles et de l’ordre de
l’immatériel », p.23.
« Le « plafond de verre »
qui entrave le progrès des nations serait principalement constitué d’éléments
immatériels, largement invisibles et difficilement quantifiables tels la
gouvernance, la connaissance, ou la confiance », p.25.
Le scénario
accéléré s’appuie sur les notions d’émergence/convergence et de capital
immatériel qui charpentent les propositions, et constituent le nouveau
paradigme soutenu : « …Les 11 voies de réforme prioritaires proposées
… sont essentielles pour placer
l’économie marocaine sur un sentier de plus grande prospérité partagée. Ces 11
voies puisent dans les quatre dimensions du capital immatériel … : (1) le
capital institutionnel d’appui au marché, c’est-à-dire les institutions
permettant de faciliter l’allocation la plus efficiente possible du capital et
du travail dans l’économie et de faciliter l’insertion du Maroc dans l’économie
internationale ; (2) le capital institutionnel public qui vise à promouvoir
l’état de droit et la justice, à augmenter l’efficacité et la productivité de
l’administration et à améliorer la qualité des services publics ; (3) le
capital humain qui suppose l’accès de tous à de meilleurs systèmes d’éducation,
de santé et de protection de la petite enfance ; et (4) le capital social, en
tant que capital immatériel qui sous-tend le progrès dans tous les autres
domaines, y compris l’égalité réelle entre les sexes et la confiance
interpersonnelle au sein de la société3,
p.137.
Important assurément. Mais qu’y a-t-il de plus par
rapport aux recommandations soutenues en 2005 déjà par le Rapport du
Cinquantenaire de l’indépendance du Maroc, RD50? A moins, encore une fois, que l’appel à la
mémoire soit le but.
Ceci étant, la recommandation mère du
Mémorandum s’énonce comme suite: « La mise en oeuvre rapide et complète de
l’esprit et des principes de la Constitution de 2011 et la mise en oeuvre non
moins rapide et complète d’un accord de libre-échange complet et approfondi
(ALECA) ambitieux avec l’Union européenne ».
En outre, il faudrait « Replacer les institutions qui sont à la source de la
croissance et de la richesse au cœur de la stratégie de développement, donner
la priorité aux investissements dans le capital immatériel, notamment
l’éducation, mieux informer et impliquer l’ensemble des acteurs économiques
dans les choix et la conduite des politiques publiques et faire évoluer les «
règles du jeu » pour favoriser l’émergence d’une société plus ouverte : telles
sont les conditions indispensables sans lesquelles le scénario souhaitable de
la convergence économique accélérée du Maroc a peu de chance de se
réaliser », p.136.
Ainsi, l’approfondissement de la démocratie et de
l’intégration à l’Europe, constituent la synthèse des onze voies de réforme
prioritaires proposées par la Banque
au Maroc à l’horizon 2040 comme
solution au « blocage du modèle
marocain ».
Soit ! Mais, n’est-il pas intriguant ce rattachement de la Constitution
2011 au projet de l’ALECA ! Surtout
à un moment où le Maroc constate l’hémorragie de devises que lui causent les
Accords de libre-échange signés, et où
ses partenaires développés, Europe, Grande Bretagne et Etats Unis, ne jurent que de protectionnisme et même de
dé mondialisation. A un moment aussi où
le Maroc s’applique à renforcer son orientation vers ses partenaires du Sud
(Afrique subsaharienne et Golfe).
Bien plus,
elle est déroutante cette panoplie d’arguments des plus dissuasifs des
investissements étrangers dans notre pays que sert (de bonne foi) ce document. AA- Mai 2017.
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