La Banque mondiale, entre idéologie et business
Salaheddine Lemaizi,
co-secrétaire général d’ATTAC Maroc
L’élite économique marocaine a été absorbée
mentalement durant des semaines par la sortie du nouveau mémorandum de la
Banque mondiale. Ce document intitulé : « Le Maroc à l’horizon 2040 : Investir dans le capital immatériel pour
accélérer l’émergence économique », a été rendu public le
15 mai. Ce nouveau rapport politique a monopolisé une grande partie des débats
économiques et médiatiques ce dernier mois, à tel point que la discussion
autour du Projet de loi de finances 2017 (présenté tardivement après la
formation du nouveau gouvernement) est passé en dernier plan.
Les représentants des
classes dominantes composés de capitalistes, politiques, experts économiques,
patrons de médias n’ont qu’un seul mot : « Le Mémo ». Ces discussions
font l’impasse sur deux piliers de cette banque : l’aveuglante idéologie
néolibérale de cette institution couplée à un machine de transfert de cash du
Sud vers le Nord par l’intermédiaire du mécanisme de la dette. Au sein du
Groupe la Banque mondiale, idéologie et business font bon ménage.
Via leurs tribunes
médiatiques et leurs conférences, cette élite veut nous faire croire que ce
rapport présente des mesures « nouvelles » ou
« historiques ». Pourtant, le contenu de ce document reprend
l’essentiel du diagnostic de la BM depuis deux décennies, ainsi que les mêmes
solutions-problèmes de cette institution en vigueur depuis trois décennies. Ce mémorandum
reprend d’anciennes recettes. Les réactions médiatiques et les réponses
politiques qui l’ont suivi, me pousse en tant qu’altermondialiste opposé à
cette institution et ses politiques à présenter les cinq remarques suivantes.
1. Une opération de com’
Le quotidien marocain L’Economiste
a publié dans son édition du 21 avril un résumé du « Mémo ». Ce que
ce journal a qualifié de « scoop » n’est en réalité qu’une opération
de communication. Ce média porte-parole des patrons, a joué le rôle de chargé
de relations publiques dans cette mission. D’ailleurs, ce groupe de presse a
été le partenaire exclusif lors de la présentation officielle du rapport le 15
mai dernier. On va me rétorquer que ces détails importent peu, or le diable est
dans les détails. Pour comprendre ce rapport, il me semble essentiel de saisir
le making of dont il a fait l’objet visant à construire une opinion
publique encore plus acquise aux thèses de la Banque mondiale.
2. Les Fatwas
de la Banque mondiale
Une des plus graves maladies des régimes autoritaires
est l’amnésie. La BM et l’élite libérale dirigeante au Maroc veulent réécrire
l’histoire en utilisant le même scénario. L’Etat a échoué économiquement et
socialement. Les diverses politiques publiques mises en œuvres par les
gouvernants depuis l’Indépendance en 1956, n’ont pas atteint leurs objectifs.
Et pourtant la BM se présente une énième fois comme le conseiller critique du
« Prince » pour lancer « des réformes ». En 1964, la BM
avait présenté son premier Mémo, conseillant le Maroc d’opter pour
l’agriculture d’exportation et un modèle économique libéral. Trois décennies
après, fait de moult crises économiques et un ajustement structurel socialement
douloureux, la BM était de retour en 1995 pour distiller ces recettes
dangereuses. Trente ans passées à payer une dette coloniale odieuse n’auraient pas suffi. En 1995, le roi
Hassan II s’adressait au parlement pour les avertir que le Maroc serait au bord
de la crise cardiaque. Un diagnostic
basé uniquement sur le Mémo décennal de la BM.
Depuis cette période, les Marocains subissent les
affres de remèdes faits de la trinité :
«Privatisation-Libéralisation-Austérité ». Au passage, les Syndicats ont
enterré toute ambition de lutte contre le Capital se contentant d’un dialogue
social défensif. Après tant de sacrifices du peuple marocain, la Banque
mondiale et les dominants viennent nous faire la leçon sur les réformes à
(re)faire pour l’école, les services publics, le modèle économique, l’export,
etc.
3. Prêts de la
Banque mondiale, Du jamais vu depuis le PAS !
Ce « Mémorandum » est une nouvelle preuve du
mépris réservé à notre peuple et à notre intelligence collective. Qui a
conseillé les gouvernements précédents dans les secteurs économiques et
sociaux ? Qui a financé d’importants projets, sans un retour social ?
Qui a été le conseiller du chef de l’Etat dans divers thèmes au point que le
concept de « Capital immatériel » popularisé par la BM devient une
solution magique à tous nos problèmes ? Prenons l’exemple de la période du
dernier gouvernement. Entre 2012 et 2016, les prêts accordés par l’institution
de Washington ont atteint des records historiques. Le gouvernement a reçu plus
d’un milliard de dollars en 2015. L’année d’avant, l’Exécutif a reçu sous forme
de prêts, 1,095 milliard de dollars, soit les plus importants volumes depuis
1964 (voir graphique ci-dessous)
En nombre de projets, la BM en a soutenu six en
2015 et sept l’année d’avant. Pour retrouver un niveau d’engagement similaire,
il faut remonter à la période du Programme d’ajustement structurel (PAS).
Concernant les projets en cours, l’institution finance ou assiste techniquement
13 projets répartis sur 99 localités. De facto, la Banque internationale pour
la reconstruction et le développement (BIRD), filiale de la BM, est devenue
depuis 2014 le 2e créancier extérieur du Trésor avec 13,3% de l’encours de la
dette extérieure publique, juste après la France (13,5%). Parmi les créanciers
multilatéraux, la BM occupe la première place avec un encours de 37MMDH, soit
29% du total de la dette multilatérale du Trésor. Avec tous ces projets
financés, s’il y a un échec il est à imputer au gouvernement mais aussi à la
Banque mondiale.
4. Le business
de la Banque mondiale au Maroc
Une actualité du Groupe de la Banque mondiale au Maroc
a moins attiré l’attention des médias et de l’élite. Et pourtant, la cession
des parts de la Société financière internationale (SFI), filiale du Groupe de
la Banque mondiale en charge du financement du secteur privé, dans le capital
de Banque centrale populaire, mérite qu’on s’y arrêter. Petit rappel : En
aout 2012, la SFI acquiert 5% du capital de la principale banque publique (BCP).
Cette privatisation passe comme une lettre à la poste, sans avis du gouvernement.
Cinq ans plus tard, la SFI quitte le tour de table au profit des fonds
marocains MAMDA-MCMA. De cette opération la filiale de Banque mondiale tire une
plus-value conséquente de 750 millions de DH, sans parler des dividendes perçus
tout au long de cette période. Cette facette d’une institution cherchant à
maximiser ses bénéfices devrait être rappelée pour ceux qui doutent encore de
la nature de la Banque mondiale.
5. Un silence
gênant de la « société civile »
Alors que « Mémo » est devenu l’alpha et l’oméga
dans les discussions des dominants, nous remarquons un silence gêné de la «
société civile » et des « syndicats ». Ni de communiqués, Ni
d’analyses, un mutisme qui renvoie en premier à ce vide idéologique que vit un
secteur associatif, devenu prestataire de services. Ce silence indique que
d’une certaine manière ces institutions se conforment aux préconisations de la
Banque mondiale. L’utilité de lectures critiques de ce rapport qui se veut la
feuille de route du Maroc pour les trente prochaines années est pressante[1]. A
suivre.
Salaheddine Lemaizi, co-secrétaire général d’ATTAC Maroc, association membre du réseau CADTM www.attacmaroc.org
[1] Retrouvez une
première lecture critique avec N. Akesbi dans cette interview reprise par notre
site.
Enregistrer un commentaire