Réduire les inégalités? Oui c’est possible!
Pr. Abdeslam SEDDIKI
Professeur Universitaire et ancien Ministre de
l’Emploi et des Affaires Sociales
Les inégalités sociales au Maroc sont d’une telle intensité qu’elles
sont visibles à l’œil nu. Dès lors, il
n’est nul besoin de recourir aux
statistiques qui restent d’ailleurs biaisées et partielles, tant elles
n’intègrent pas tous les paramètres qui
déterminent les inégalités. Les données en la matière se limitent aux seules enquêtes
sur la consommation et fournissent très peu d’indications quant aux revenus et
aux patrimoines.
Ces inégalités sociales sont dues
pour l’essentiel au modèle de développement à l’œuvre depuis l’indépendance
nonobstant quelques inflexions qu’il a connues au cours des dernières décennies
d’une part, et aux dysfonctionnements des politiques publiques en matière de
redistribution d’autre part. Par conséquent, toute politique qui vise à réduire
ces inégalités se doit d’agir sur ces
deux leviers : revoir le système de répartition primaire des revenus et
mettre en place une redistribution efficiente des richesses à travers des
politiques sociales actives et inclusives.
Au niveau de la répartition primaire,
on relève que les revenus du capital constituent la part de lion du revenu
national : ils représentent plus de la moitié du « gâteau
national » quand un petit tiers va aux travailleurs qui constituent la
force vive du pays. Le reste, autour de 20%, constitue le revenu de l’administration
sous forme de recettes fiscales. Cette
répartition primaire, on ne peut plus injuste, est doublement
pénalisante : pour le pouvoir d’achat de la population et pour le
développement du pays. L’objectif serait dans un premier temps de parvenir à un
partage du gâteau selon au moins la
règle des trois tiers. Cela permettrait à l’Etat de disposer de plus de
ressources pour conduire une politique sociale ambitieuse et corriger les
imperfections nées de la répartition primaire. Pour ce faire, il n’y a d’autre voie que celle
de la fiscalité à travers une réforme fiscale basée sur les principes d’équité
et de transparence : lutter sans merci contre la fraude et l’évasion fiscales en
intégrant le secteur informel.
Comme la répartition primaire n’est
jamais totalement juste, les pouvoirs publics
doivent procéder à une répartition secondaire à travers une
redistribution des revenus.
Il s’agit tout d’abord de la généralisation du
système de couverture médicale et sociale en visant, à terme, la mise en place
du « socle de couverture universelle » englobant la
couverture médicale, la retraite, les allocations familiales, l’assurance
contre les accidents de travail et les maladies professionnelles, l’assurance contre le chômage. C’est un vaste
chantier sur lequel il faut travailler d’arrache-pied car le rythme actuel ne
nous permet pas d’aller aussi vite qu’on l’aurait souhaité. En effet, le projet
en cours consistant à généraliser la couverture sociale aux professions indépendantes
(artisans, agriculteurs, commerçants, professions libérales) suscite quelques
inquiétudes.
Il y a ensuite les services publics
dont la population a besoin et qui couvrent toute une série de domaines comme
l’éducation, la santé, les transports, la culture et les loisirs... Ainsi, un enseignement public de qualité épargnerait
aux ménages modestes des dépenses qui pèsent lourdement sur leur budget. Il en est de même pour la santé et les autres secteurs.
Enfin, dans le cadre de la solidarité
nationale et du raffermissement du sentiment d’appartenance à la Nation, des
filets de sécurité doivent être mis en place à destination des populations
vulnérables aux besoins spécifiques. Ce ciblage, par définition limité, doit
concerner les personnes exclues, pour une raison ou une autre, du marché du
travail. A cet égard, il faut procéder à une remise à plat des politiques
sociales à l’œuvre, avec la mise en place d’une nouvelle gouvernance assurant la convergence et l’efficience
des programmes concernés.
Pour les autres personnes, il
faut « faire feu de tout bois »
en vue de leur assurer un emploi stable et rémunérateur à travers une politique
visant le plein emploi des ressources
humaines disponibles. Cet objectif ne relève pas de l’utopie. Il est à notre portée à condition de faire
travailler notre intelligence collective, de mobiliser l’ensemble des acteurs
autour de la lutte contre le chômage et de mettre la question de l’emploi au
centre des politiques macro-économiques. La Stratégie Nationale pour l’Emploi
indique les mesures précises à mettre en œuvre mais le gouvernement actuel,
comme le précédent, n’y accordent que peu d’égards.
En somme, si nouveau modèle de
croissance (de développement) il y aura, ce sont là à mon sens les leviers principaux
qui devraient en constituer l’ossature de base. Les Marocains ont trop
patienté, on ne peut pas leur demander plus. Ils veulent un partage équitable
des fruits de la croissance. Ici et maintenant.
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