Pourquoi le
Moyen -Orient et le monde arabe ne parviennent pas à sortir de cet engrenage de
sous- développement, de l’instabilité et des guerres fratricides ?
Sans
sous-estimer l’attitude négative et défaillante des élites arabes, l’ingérence
occidentale au moins depuis Seys-Picot en 1916, a joué un rôle certain dans
l’encerclement de ce monde ; certains vont crier au complot ! Il n’y a qu’à
lire Robert Fisk, entres autres , (Une guerre de civilisation), un journaliste
anglais , fin connaisseur du Moyen -Orient, pour s’en convaincre.
A 3 dates
différentes, j'ai mis en exergue cet acharnement occidental à vouloir coûte que
coûte dominer cette région ; en 1992 (l'Occident et le monde arabo-musulman :
de Hegel à Revel ; la même litanie voir mon livre intitulé « Irak, l’ONU et USA
: de la mer des batailles à la guerre des Faucons » ), en 1998 ( Une fable
cousue au fil blanc -même référence- ) et en 2015 (in Daech , le Barbare et le
civilisé : Charlie, Daech , l’islamisme …et le reste : l’explication qui manque
et une responsabilité non- déterminée… !!??).
15 avril 2018
L'OCCIDENT ET LE MONDE
ARABO-MUSULMAN : de Hegel à Revel ; la même litanie
Ecrit le 12 mars 1992
Au moment
fort de la crise et la guerre du Golfe, nombreux sont les observateurs qui y ont
relevé, abstraction faite de la cause immédiate de son déclenchement,
l'illustration d'un cri profond contre l'iniquité de l'ordre international. Ils
n'ont pas hésité à y voir une confrontation Nord-Sud ou du moins une certaine
attitude arrêtée de l'Occident vis-à-vis du monde arabo-musulman. Et ce n'est
pas un hasard si celui-ci par le biais de nombreuses mesures s'est évertué à «
l'arabiser et la deslamiser ». Ceux-là étaient catalogués d'hystériques et de
fanatiques... Il est vrai que d'aucuns, prenant leurs rêves pour une réalité,
voyaient dans le conflit des croisés nouvelle manière... Il n'empêche que
celui-ci était le début d'une certaine attitude de l'Occident vis-à-vis du
monde arabo-musulman.
Ainsi, plus de temps passe plus ce qui n'était qu'une appréhension à peine
perceptible commence à prendre forme. Il y a un an dans un essai sur les leçons
d'une guerre, le directeur du "Monde", Jacques Lesourne, faisait un
constat édifiant: "Par la répercussion qu'elle a eue dans le monde arabe.
; dit-il, la crise a illustré l'unité stratégique de l'immense région qui
s'étend du Maroc à l'extrémité orientale des républiques musulmanes
soviétiques. Une région diverse, partagée entre les populations arabophones,
turcophones ou iranophones, mais secouées par des courants communs: l'explosion
démographique, la croissance accélérée des villes, le choc de l'alphabétisation
récente d'une part. Mais aussi, ajoute-t-il, l'inégalité dans la distribution
des ressources, les vicissitudes du développement, la fascination et le rejet
de l'Occident, le lien entre des aspirations démocratiques et un intégrisme qui
est moins une spécificité de l'Islam qu'une réponse à des traumatismes
individuels et sociaux". Constat lucide et objectif.
LA DIVISION DU MONDE ARABE: UN FACTEUR DE PAIX ?
Mais à
l'occasion du premier anniversaire du déclenchement de la guerre du Golfe,
peut-être, plus par réalisme que par cynisme le directeur du quotidien parisien
en fait un constat différent.
A une question relative au refus de l'Occident de l'unification du monde arabe
il donne une réponse simple mais tragique et lourde de conséquences: "tant
que les pays arabes ne seront pas des démocraties stables et pourront engendrer
des régimes autoritaires ou totalitaires prêts à toutes les aventures, la division
de la région sera la solution la moins dangereuse pour la paix du
monde..." Justification? : "La montée du national-socialisme en
Allemagne et celle du communisme en URSS sont une leçon que l'Occident n'est
pas prêt d'oublier".
En fait, l'unification du monde arabe est combattue non pas parce qu'elle
serait source d'instabilité mais, eu égard à la richesse et à la dimension
stratégique de cet ensemble, elle serait à l'origine de sa puissance et un
facteur de remise en cause de l'ordre international régnant.
On se
rappelle, en effet, que durant cette même crise et guerre du Golfe toute une
pléiade d'écrivains et de philosophes refusaient à ce même monde arabe son
aspiration à l'unité sous prétexte que cela n'est qu'un slogan et que l'arabité
n'est qu'un mythe. Ceux-là qui contestent à celui-ci son aspiration à l'unité
en raison, d'absences de facteurs objectifs et des ingrédients nécessaires à
toute entreprise d'unification, peuvent-ils soutenir l'existence de facteurs
convergents et unificateurs entre les entités portugaise et danoise. Si on
exclut leur appartenance au même continent, la pratique du même système
capitaliste et un niveau de développement plus ou moins identique qu'y a-t-il
de commun entre le Portugais et le Danois au niveau de leur culture de la
conscience et de la mémoire collectives? Rien ou presque.
Chez un autre auteur de l'élite française, la perception qu'il a du monde
arabo-musulman frise une certaine conception des capacités des races humaines.
Elle rappelle à bien des égards des propos d'Hegel sur le contient noir et son
rôle dans l'histoire. En effet dans un compte rendu du dernier ouvrage de
Jean-François Revel (Le regain démocratique) on relève un discours qui confirme
l'exclusion de l'ordre humain civilisé. Pour le chroniqueur du magazine « Le
point » l'Islam est "une réalité politico-religieuse jusqu'à présent
foncièrement totalitaire..." pour enfin se demander si "... la
résistance à la démocratie et au développement ne est-elle pas une maladie
arabe au moins autant qu'islamique".
Peut-on soutenir des propos plus antagonistes et plus exclusivistes.
Moins nuancé que le Français, le philosophe allemand Hegel disait en 1830 à
propos du continent noir: "L'Afrique ne fait pas partie du monde
historique, elle ne montre ni mouvement, ni développement et ce qui s'est
passé, c'est-à-dire au Nord, relève du monde asiatique et européen.. Carthage
fut là un élément important et passager. Mais elle appartient à l'Asie autant
que la colonie phénicienne. L'Egypte sera examinée au passage de l'esprit
humain de l'Est à l'Occident, mais ne relève pas de l'esprit africain, ce que
nous comprenons en somme sous le nom de l'Afrique, c'est un monde anhistorique
non développé, entièrement prisonnier de l'esprit naturel et dont sa place se
trouve encore au seuil de l'histoire universelle".
LA BOMBE "ISLAMIQUE": UNE HANTISE ET UN CONTAINMENT
Dans le même
chapitre mais sur un autre registre, l'Occident pratique une politique de
containment technologique vis-à-vis du monde arabo-musulman.
La guerre du Golfe n'est pas seulement une réplique à une agression mais
surtout un coup d'arrêt à une ambition. Le comportement de l'Occident vis-à-vis
des ambitions irakiennes, jugées démesurées et agressives, l'a bien
montré.
A l'époque, le Président F. Mitterrand disait à peu près ceci: les coalisés
avaient raison de désarmer l'Irak, en détruisant son potentiel
militaro-industriel, faute de quoi en l'espace de deux ans ils devraient avoir
affaire à une puissance nucléaire difficilement maîtrisable...
Une année plus tard, un analyste des affaires internationales tient à peu près
le même raisonnement: M. François Heisbourg directeur international d'Etudes
stratégiques, dont le siège est à Londres, estime qu'en arrêtant le programme
nucléaire irakien comme cela a été fait, je pense que l'on a envoyé un signal
(sic) assez fort à d'autres "proliférations" potentielles, qui sont
obligés de réfléchir à ce qui est arrivé à l'Irak... je crois enfin que Saddam
Hussein aura beaucoup du mal à relancer son programme ».
Ce qui explique le discours inquisiteur tenu et entretenu par le même Occident
autour de pays potentiellement nucléaires ; en effet, après le précédent
irakien, on ne peut ne pas déceler, à travers d'autres exemples une attitude
sélective en cette matière vis-à-vis du monde arabo-musulman. La campagne menée
contre une supposée coopération nucléaire algéro-chinoise et l'exigence que les
Américains formulent à l'encontre du Pakistan lui enjoignant d'abandonner son
programme nucléaire avant l'octroi de toute aide sont là pour s'en faire une
idée.
Comment peut-on tolérer que l'Occident admette sans rechigner qu'Israël soit
une puissance atomique et le refuse à son voisinage arabe ? La justification,
selon le directeur dudit institut: "le plus simple serait de reconnaître à
Israël à posteriori un statut nucléaire, la bombe israélienne étant entendue
antérieure au traité de non- prolifération".
Comme si le nucléaire était seulement une question de texte et
de règle de droit !!
Sachant que l'Inde est, depuis des années, une puissance atomique, le même
Occident s'obstine à refuser cette prétention au Pakistan. D'aucuns n'hésitent
pas à affirmer que le spectre d'une "bombe atomique islamique" hante
l'esprit de la hiérarchie militaire occidentale.
Sinon, comment expliquer aussi qu'après l'effondrement de l'URSS les Américains
s'évertuent à récupérer les savants soviétiques en matière nucléaire qui
seraient tentés d'offrir leurs services à des pays jugés "dangereux"
ou "terroristes". Dans ce contexte précis la Libye a été accusée
d'avoir fait des démarches dans ce sens.
Et comme c'était le cas dans ses rapports avec les pays ex-socialistes, le
monde occidental s'apprête à mettre, si ce n'est déjà fait, une sorte de
"COCOM", organisme qui serait chargé de contrôler le commerce de
produits et le transfert de technologies sensibles et à usage double (civile et
militaire): tout récemment la Commission de Bruxelles s'est prononcée dans ce
sens en appelant les Etats membres à une harmonisation de leur législation.
L'objectif premier d'une telle politique serait de limiter le transfert de
technologie aux pays qui en feraient un "mauvais usage".
Il est vrai que l'attitude occidentale vise tout le sud, jugé désormais source
de menaces après l'effondrement de l'Est. Il n'en demeure pas moins que si on
exclut le cas de la Corée du Nord à qui les Américains enjoignent l'abandon de
leur programme nucléaire et l'acceptation du contrôle de l'Agence
Internationale pour l'énergie Atomique, la quasi-totalité des cas qui se
trouvent dans le collimateur occidental sont des pays arabo-musulmans.
Décidément, comme si ce monde devait payer le fait qu'à une période donnée de
l'histoire de l'humanité il exerçait sa domination, il reconvertissait à sa
religion et il enseignait sa culture et sa civilisation. En réalité, on ne
devrait pas s'étonner car l'Histoire est écrite par ceux qui la font. Le reste
devrait soit se résigner à la subir soit faire en sorte, en relevant les défis,
pour pouvoir ainsi y laisser son empreinte et par conséquent en faire partie.
Faute de quoi, l'oubli est là pour s'en charger.
10 mars 1992