LA
FIN DES IDÉOLOGIES ? OU LE RETOUR DU BALANCIER
Pr. Abdelmoughit Benmessaoud Tredano
Professeur de science politique et de géopolitique
A
l’occasion du 30ème anniversaire de la chute du mur de Berlin, nous publiions
cet article écrit en octobre 1989. Il reste d’actualité, et ce, malgré la
disparition de la littérature politique et intellectuelle de tous les concepts,
notions et terminologie ayant un rapport avec le marxisme.
Avec
la crise du néolibéralisme, en dépit de sa domination actuelle, il n’est pas
exclu que les idées socialistes, alternatives et de partage reviennent au
centre des débats.
C’est
l’idée qui prévaut dans cet article.
Ce
texte est précédé d’une petite introduction, intégrant quelques éléments
récents allant dans le sens de la remise en cause du système ultra-libéral et
ses conséquences néfastes sur les États et les sociétés, source de leur
déstabilisation de plus en plus établie.
LE
RETOUR DU BALANCIER
LE
RÔLE DE L’IDÉOLOGIE ET LA BATAILLE DES IDÉES
Imaginez
que durant 40 ans, le discours marxiste a disparu de la littérature politique
et économique.
Depuis
40 ans, la structure de l'économie mondiale détermine l'idéologie et la culture
dominantes.
Et
ce, depuis l’arrivée au pouvoir de R. Reagan M. Thatcher.
Le
discours managérial, méritocratique et de l'efficacité économique a dominé et
domine encore.
Mais
la contestation de cette idéologie commence à prendre forme.
On
est, en effet, à la veille d'un retour du balancier…
Les
inégalités au sein de chaque nation et entre les nations sont devenues trop
criantes, voire explosives... Ça ne peut continuer de la sorte.
LES
PREMIERES CRITIQUES
Celles
du sérail du monde capitaliste : 3 types de critiques
Il
s’agit de la critique de la gestion des biens, des hommes et des finances
Ø Frédéric Beigbeder dans son
ouvrage "99 F ", publié en 2000 déjà, a mis à nu la cuisine interne
du marketing et de la gestion des biens.
Ø Jordan Belfort, quant à lui,
dans son "Le loup de Wall Street" , sur la gestion des finances et
des banques, s’est appliqué à dénoncer ce monde devenu fou: « Ils se croyaient
devenus maîtres de l’univers » disait-i !!! (p.11)
La crise des subprimes de 2007/2008 a montré les limites du système néolibéral.
Et malgré cette crise, les décideurs du monde s’entêtent à faire la même chose,
sur la même voie. Jusqu’à quand ?
Ø La 3ème critique porte sur la
gestion des hommes.
Une
ancienne lauréate de HEC Paris, Florence Noiville a descendu en flamme le type
d’enseignement dispensé dans les écoles de commerce. Elle l’a fait dans un
opuscule intitulé (2009) : "J’ai fait HEC et je m’en excuse". Tout un
programme ! Tout est dit. Sa critique principale est déclinée en deux questions
clefs :
"1.
Quelle est la part de responsabilité des grandes écoles de commerce dans les
désordres actuels de l’économie ?
2.
Comment ont-elles pu ne pas percevoir les nombreux signes annonciateurs d’un
modèle capitaliste en plein déraillement ?"
Ses
auteurs ne sont pas les seuls à critiquer un système devenu aveugle, mais ils
ont au moins l’intérêt de l’illustration.
Il
faut attendre 2018 pour que l’auteur de la « Fin de l’histoire » revienne à une
position plus nuancée par rapport à son idée relative au caractère indépassable
du capitalisme !! Bien plus, il a été jusqu’à dire que Marx avant raison.
La
dernière critique vient d’un économiste dont les 2 derniers ouvrages ont eu une
grande résonnance.
THOMAS PIKETTY : LES INEGALITES FONDEES SUR DE L’IDEOLOGIE
L'ouvrage
de Thomas Piketty, "Capital et idéologie" tombe à point nommé
Sa
recherche porte sur les inégalités dans l'histoire des sociétés et comment en
sortir, et propose aussi des alternatives
Lui
aussi, même s'il critique le marxisme et le livre le capital qu'il trouve
confus, remet en cause le capitalisme néolibéral.
Et
cela à travers 3 idées clefs :
1.
"les inégalités ne sont pas une fatalité, elles doivent être combattues
sur les plans idéologique et politique"
2.
"Les inégalités sont le fruit d’une construction idéologique qui les
maintient dans la durée"
3.
Et pour réduire les inégalités, il importe, entre autres, de réformer le
système éducatif.
Selon
T. Piketty en effet," la variable la plus déterminante pour comprendre les
écarts de prospérité entre les nations est l’égalité éducative"
Elle
est le moteur du développement.
30
octobre 2019
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Ci-après
ledit article tel qu’il a été publié en octobre 1989
La " FIN DE L’HISTOIRE " (1) ? … LA FIN DES
IDÉOLOGIES ?
Pr.
Abdelmoughit Benmessaoud Tredano
Professeur
de science politique et de géopolitique
On
soutenant dans les milieux occidentaux depuis des années déjà la thèse de la
fin des idéologies et cela par l’affaiblissement de celle qui en constituait
l’instigatrice principale à savoir « l’idéologie socialo-communiste ».
Après
la victoire fulgurante des différents mouvements de libération nationale à
travers le monde et leur arrivée au pouvoir, leurs peuples n’ont pas attendu
longtemps pour déchanter ; les espérances entretenues se sont, en effet,
tragiquement effondrées.
Dans
ce contexte précis, il a été affirmé que ces mouvements et partis d’inspiration
communiste savaient faire la guerre mais étaient incapables de gérer la paix et
d’initier une politique de développement socio-économique réussie.
Politiquement, cette période a correspondu à l’événement du Reaganisme
(c'est-à-dire vers la fin de la décennie 70 début des années 80) :
L’état
du monde était résumé par une phrase lapidaire du Président américain. Il
disait, en effet, dans son discours d’adieu qu’il était venu changer les
Etats-Unis, mais il s’est aperçu qu’il était en train de changer le monde !
La
déconfiture de ces mouvements dans l’exercice du pouvoir, l’état de blocage des
sociétés de la communauté socialiste ne pouvaient qu’enclencher un processus de
désidéologisation des rapports internationaux et par conséquent de la gestion
des pouvoirs nationaux. Ceci est d’autant plus probable, soutient-on, que face
à la crise de ces derniers le capitalisme, malgré la persistance de la crise,
s’est revigoré et aguerri.
Si cette interprétation n’est pas sans fondements, elle n’est pas toute
l’explication des faits et dates ayant marqué la 2ème moitié de ce siècle.
LA
FIN DU COMMUNISME
Dans
une livraison récente de « l’événement du jeudi », son directeur Jean François
Khan disait : objectivement, la RDA n’est pas à proprement parler un enfer. On
n’y meurt pas de faim ; l’économie n’y est pas complètement en faillite : les
ethnies rivales ne s’y étripent pas ; les magasins n’y sont pas totalement
vides…Et cependant, même ce communisme-là ne fait décidément pas recette. Quand
on peut, on le quitte… » :
Au
vu de ces scènes montrant des Allemands de l’Est quittant leur pays, on serait
tenté, comme le claironnent déjà les média occidentaux, d’affirmer qu’il
s’agit-là d’une preuve manifeste de « l’échec du communisme» et par conséquent,
du triomphe du capitalisme.
Notre
propos paraitra peut être comme un combat d’arrière-garde et notre attitude comme
celle d’un individu s’accrochant à un bateau en dérive, mais certaines vérités
méritent d’être rappelées et explicitées, sachant pertinemment qu’explication
ne veut pas justification.
Le
socialisme a soixante-douze ans en URSS et une quarantaine d’années dans les
pays socialistes d’Europe. Mais le plus important c’est qu’il est né dans un
contexte historique foncièrement hostile. En effet, depuis 1917 une lutte
politique, économique et militaire, par les Etats interposés, l’opposait aux
tenants du capitalisme.
Autrement
dit il a fonctionné avec une psychose de menace et d’étouffement. C’est au nom
de sa sécurité et de sa défense que tout était permis. Un conservatisme et une
bureaucratie s’y installent. Et, au lieu « de servir, le système se sert». L’individu
apparait écrasé par une sorte d’Etat mastodonte.
Ainsi,
durant cette période, on a assisté non pas à l’application du socialisme et des
principes pour lesquels il est venu mais d’un système sans âme, bureaucratique
et personnalisé, sans grande prise sur la société civile.
Dans
ces conditions, on ne doit pas s’étonner de se trouver devant un système
bloqué, entretenu et maintenu en vie d’une manière artificielle.
N’empêche,
malgré cette crise de fonctionnement, le système socialiste a apporté des acquis
considérables en matière de grands équipements, de besoins sociaux-culturels et
sportifs. Mais l’homme ne vit pas que de cela : la question du pouvoir,
c'est-à-dire le rapport gouvernant-gouvernés n’était pas traitée et résolue
d’une façon satisfaisante. C’est là la grande faille du système. Il s’agit
maintenant de mener une réflexion sérieuse et d’entreprendre des actions devant
apporter une réponse à cette grande question.
L’état
actuel des pays socialistes a fait dire a certains que la question qui se pose
n’est pas celle de sa réforme, mais de sa succession.
DU
CAPITALISME AU SOCIALISME.
En
regardant ce qui se passe au sein du système capitaliste et des types de
rapports qu’il instaure entre les Etats et les dangers qui leur sont inhérents,
il parait impératif la mise en œuvre de réformes portant sur les modalités de
son fonctionnement et ses finalités.
Cette
appréciation n’est nullement exagérée car elle est soutenue par des idéologies
patentées du capitalisme.
La
terre a ses limites mais le capitalisme n’en a pas. Sa propension à
l’expansion, à la domination et l’exclusion constitue le principal défi auquel
l’humanité est déjà confrontée.
En examinant de près la situation au sein des sociétés capitalistes, on serait
rapidement fixé sur ce que le système fait de l’homme et de l’environnement.
Dans
un compte rendu portant sur l’ouvrage de Pierre Chevènement, « Le Pari sur
l’intelligence», le directeur du « Monde Diplomatiques» lui reprochait d’avoir
commis : « …la double erreur de tout miser sur la raison et sur l’idéal. Deux
termes dévalorisés dans une société qui cultive l’hédonisme, s’entiche des
modes intellectuelles les plus fugaces, professe un prétendu réalisme qui ne
saurait cacher l’absence de principes et, pour tout dire, de pensée».
Si
on peut s’accorder avec Claude Julien sur le diagnostic qu’il fait de la
société capitaliste, on ne peut souscrire à la critique de l’approche et de
l’esprit adoptés par le leader du courant « Socialisme et République». (ex
CERES) au sein du PS français.
Justement parce que ces sociétés modernes, notamment capitalistes, commencent à
manquer de références, de principes directeurs, il faut développer le sens de
l’idéal, l’idée du bien-être collectif partagé.
DES
SOCIETES DE PARTAGE
C’est
l’idée que développent ces derniers temps les socialistes français : créer des
sociétés de partage.
Aussi,
la crise du système socialiste et l’impasse à laquelle mènerait inéluctablement
le maintien du capitalisme dans sa version intégrale inciteraient l’homme à
imaginer d’autres formes d’organisation et de gestion des sociétés nationales
et de l’ordre international en s’accordant avec ses besoins et en tenant compte
des contraintes de l’environnement et des possibilités de la planète.
Et
dans ces conditions, on peut réfléchir avec l’auteur qui soutient que : « nous
allons changer, non pas d’époque mais de civilisation. Nos économies ne seront
plus capitalistes, socialistes, communistes, elles seront de plus en plus
mixtes et intégrées dans un système mondial qui devra trouver les voies de son
organisation et les moyens de son autorité ». (André Chambraud).
S’il
est encore difficile d’imaginer ces formes d’organisation, une chose est
certaine, c’est l’ordre international tend vers ce scénario.
Avec
la détente, le désarmement, la crise des systèmes et la prise en considération
d’une manière constante des besoins de l’homme, les références et les enjeux
idéologiques ne seront plus ce qu’ils étaient depuis le début de ce siècle. Une
ère nouvelle s’annonce. Il importe de se préparer pour la vivre autrement.
LA
« FIN DE L’HISTOIRE» :
La
«fin de l’histoire » : Cette expression un peu provocante est empruntée à un
intellectuel américain. C’est à la lumière des événements qui continuent à
intervenir dans les pays socialistes qu’un magazine parisien y revient en
rendant compte d’un article fort original et qui semble avoir fait un tabac
durant cet été aux Etats-Unis. Il s’agit d’un texte signé par le philosophe et
l’économiste du nom de Francis FUKUYAMA.
Ce
débat est nécessaire et utile parce que les changements que connait
actuellement la communauté socialiste, auront sans aucun doute, des
répercussions sur l’idée de l’Europe et nécessairement sur l’ordre
international.
L'intellectuel
américain soutient en effet : « ce que nous sommes peut-être en train de vivre
ce n’est pas seulement la fin de la guerre froide, ou le passage d’une période
particulière de l’histoire d’après-guerre, mais la fin de l’Histoire, comprise
en ce sens particulier : le point final de l’évolution idéologique du genre
humain et l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que
forme ultime de gouvernement humain ».
Autrement
dit, l’auteur affirme, outre l’idée développée dans les lignes qui précèdent à
savoir la fin des idéologies dans un sens réduit, mais aussi que le système de
gouvernement et la gestion économique pratiqués en occident sont appelés à
devenir universels.
Autre
idée développée par les média occidentaux et qui appelle notre réflexion est
celle relative à l’avenir du communisme. On y soutient en effet que dans l’état
actuel des choses, il ne s’agit pas de réformer ce système mais de lui trouver
un successeur.
Le philosophe français André GLUCKSMAN va plus loin dans la condamnation du
communisme. Dans un hommage rendu à l’écrivain tchécoslovaque VACLAC HAVEL, il
y soutient que : « Le citoyen socialiste vit la fin de l’histoire dans tous les
sens du terme. La grande histoire est close, les petites histoires forcloses.
Sortir du communisme c’est rentrer dans l’histoire et non sauter d’un système à
l’autre ».
C’est
autour de ces idées et de ces interrogations qu’il importe d’orienter le débat.
D’abord,
il n’est peut-être pas inutile de préciser davantage ce que nous entendions par
la fin des idéologies. Le sens que nous lui avons accordé plus haut est précis
: il ne s’agit nullement de la fin de la lutte des idées car celle-ci ne fait,
peut-être, que commencer. Le sens retenu est en rapport direct avec l’histoire
en particulier au moment où deux systèmes politico-économiques se disputaient
la domination du monde.
Revenons
donc à l’histoire.
Depuis
1917, la révolution soviétique est entrée en conflit permanent avec le
capitalisme mondial. Son alliance avec les partis communistes de l’Occident et
des mouvements de libération dans le Tiers-Monde n’avait comme objectif que
d’en saper la base. Si celle-là a été pour quelque chose dans la
décolonisation, elle n’a rien pu faire quant à la destruction inéluctable du
capitalisme. La guerre froide, en fin de parcours, a montré l’impossibilité
d’une telle option pour la simple raison que chaque bloc possédait sa bombe. La
coexistence pacifique qui s’en suivit a permis d’éviter le conflit final mais
n’a pas pour autant arrêter la lutte entre les deux systèmes qui se la
livraient par Etats interposés dans le Tiers-Monde.
Aujourd’hui,
même cette petite guerre est jugée couteuse et pétrie de risques et l’option
est déjà faite pour pacification du monde. (Soulignons que cette voie se
heurtera inexorablement aux propensions expansionnistes du capitalisme).
C’est
cette lutte, à fondements historico-idéologiques qui semble, pour des raisons
nombreuses et diverses, tendre vers sa fin.
Cependant,
une question essentielle demeure posée. A la lumière des réformes politiques et
économiques introduites dans les pays de l’Est, on soutient globalement et sont
en train d’introduire le capitalisme chez eux.
LE
PECHE ORIGINEL
Il
importe d’abord d’apporter quelques précisions sur la démocratisation du
système politiques des pays de l’Est. Y introduire la démocratie pluraliste ne
contredit nullement l’idéal du socialisme. C’est la version léniniste du parti
unique fondée sur certains principes (centralisme démocratique, soumission de
la minorité à la majorité..), contribuant ainsi à évacuer la démocratie pour
n’appliquer que le centralisme qui a été à l’origine de la version. Il est vrai
que la formule était utile et efficace pendant la période de la clandestinité
jusqu’ à l’accession du pouvoir et même durant son exercice pour les situations
exceptionnelles (situation de guerre par exemple..). En dehors de ces cas, le
parti unique tel qu’il était conçu et pratiqué ne pouvait permettre
l’association de l’ensemble des citoyens à la chose publique. C’est d’ailleurs
là la grande faille du système politique socialiste et qui a constitué la cause
première de son blocage.
Aussi
introduire la démocratie dans ces régimes ne devrai pas passer comme faisant
œuvre nouvelle et encore moins constituer une contradiction avec l’idéal
démocratique socialiste mais uniquement un rejet d’une forme de pouvoir qui lui
est totalement étrangère.
SOCIALISME
ET ECONOMIE DE MARCHE : LA RESTAURATION ?
En
matière économique on soutient également que le principal reproche qu’on
pouvait faire aux doctrinaires du socialisme, c’est d’avoir cru que le plan
pouvait remplacer le marché.
Il
est vrai que la planification aidait certaines économies retardataires à
écourter certaines étapes de leur développement mais appliquée d’une manière
outrancière, elle ne pouvait que conduire à des monstruosités et des inepties.
En
revanche, introduire le marché dans les économies socialistes ne signifie pas
automatiquement la mise en œuvre des règles du capitalisme. Affirmer cela,
c’est une absurdité, car considérer que le marché est né avec le capitalisme
alors que celui-là se pratiquait depuis que l’homme a commencé à accorder une
certaine valeur à ses produits et les échanger pour satisfaire certains de ses
besoins.
D’ailleurs,
la situation contre laquelle s’est élevé le marxisme du vivant de Marx c’est
l’exploitation. Le marché tel qu’il était conçu et pratiqué durant le 19ème
siècle, en plus de la propriété des moyens de production et des modalités de
répartition des richesses et des revenus, aidait à cette exploitation.
Aujourd’hui,
il est possible d’encadrer et le marché et la répartition, ce qui ne peut que
conforter une application réformée du socialisme.
LA
VOIE SALVATRICE
S’il
est encore difficile d’imaginer l’évolution future des Etats socialistes en
matière de gestion économique, une chose est certaine, c’est qu’il serait naïf
de penser un seul instant qu’ils sont en train d’instaurer le capitalisme. Nous
n’apprenons rien à personne en affirmant que le capitalisme est le fruit d’une
évolution historique et d’un milieu culturel bien déterminé et en tant que
système d’ensemble, il ne semble pas être voué à une quelconque universalité.
Si certains de ses piliers (le marché dans sa forme actuelle, la motivation
matérielle…) risquant de constituer des références universelles, on ne peut
soutenir valablement qu’il sera greffé dans sa version intégrale sur les
sociétés socialistes. S’il advient que dans certaines parmi ces dernières, on
serait tenté d’en faire une doctrine totale, le choc et le cout social ne
peuvent qu’être traumatisants et donnant lieu à des situations difficilement
métrisables.
Interrogé
sur cette éventualité, c'est-à-dire le passage des sociétés socialistes au
capitalisme, le sociologue soviétique Boris kagarlitski ne va pas par quatre
chemins : « les conséquences en seraient épouvantables. Dans la meilleure des
hypothèses, on connaitrait un capitalisme tiers-mondiste, corrompu, implacable
et lié au pouvoir. Très vite cela se transformerait en « stalinisme de marché »
de type « chinois ».
D’ailleurs,
contrairement à ce que dit un proverbe arabe, on ne refait pas l’histoire deux
fois de la même manière.
Ne
l’oublions pas, le capitalisme dans ses différentes variantes, malgré quelques
embellies ici et là, n’est pas encore sorti de sa crise. Pour ce faire, il
semble qu’un vaste redéploiement planétaire est en train de s’opérer pour lui
permettre, dans cette phase informatique et bureaucratique, de mieux s’adapter
et se positionner. Cela nécessite de l’espace. L’Afrique, du moins pour
l’Europe communautaire n’en constitue pas un de crédible et de porteur.
L’Europe de l’Est, surtout son maillon faible risque, si elle ne gère pas cette
période de transition d’une manière perspicace, de ne constituer pour le
capitalisme ouest-européen qu’un Tiers Monde corvéable et exploitable à
proximité de la porte.
LA
NATURE A PEUR DU VIDE.
Au-delà
des considérations théoriques, économiques et géostratégiques, il existe un
aspect autrement plus déterminant dans l’évolution future des sociétés
socialistes.
Depuis l’avènement, de ce système, les populations de ces pays nourrissaient un
espoir dans la réalisation de l’idéal promis. Avec la période de blocage que
celui-là a vécu et le démantèlement qu’il subit présentement, on serait enclin
d’avancer que tout cela s’est irrémédiablement effondré. Rien n’est moins sur.
La conviction en la possibilité et surtout sur les chances de réussir les
réformes demeure vivace. En témoigne la situation en RDA.
En
effet, malgré le départ de plusieurs dizaines de milliers, d’autres infiniment
plus nombreux restent et manifestent pour prôner les réformes. Cette conviction
et cet état d’esprit sont exprimés d’une manière éloquente par une militante de
l’opposition constituée autour du Nouveau forum. A une question sur l’objectif
de son mouvement, elle répond qu’il s’agit : « d’améliorer le socialisme en RDA
parce que le spécificité de ce pays réside dans un système autre
fondamentalement meilleur pour l’homme et pour la nature, que le capitalisme.
Mais, ce système, aujourd’hui ne fonctionne pas. Je suis allé en Allemagne
fédérale et j’en suis revenue avec la conviction que là-bas, le système social
se heurte à des problèmes intrinsèques, insurmontables. Si la RDA réussit sur
la voie des réformes, la vie ici sera meilleure que de l’autre coté... »
Ces
propos, outre leur intérêt comparatif, renferment une profonde conviction.
Celle de croire encore fermement dans l’idéal socialiste. Sans quoi, la
situation serait pire que pendant la période de blocage, car la nature a peur
du vide et du chaos.
COMMUNISME
ET PERSPECTIVE HISTORIQUE.
Enfin,
une dernière observation porte sur le communisme et l’histoire. Le philosophe
A. Glucksman affirme que sortir du communisme, c’est rentrer dans l’histoire
comme si celui-ci est ahistorique.
aLe
socialisme n’est pas né du néant ; il est issu des entrailles du capitalisme.
Il est venu pour répondre à un idéal. Il voulait faire aux peuples, l’ayant
appliqué, l’économie de l’étape sanglante _qu’on oublie souvent_ qu’a connue le
capitalisme durant le 19ème siècle. Mais une application dégénérée a donné un
résultat peu enviable. Il s’agit aujourd’hui, d’apporter les réformes qui
s’imposent. La conviction est déjà faite sur cette nécessité dans les sphères
de pouvoirs dans la majorité des pays socialistes.
Les
divergences portent sur le rythme à suivre entre les tenants du changement de
Tous Et Maintenant et ceux qui appellent à la prudence pour éviter les
dérapages.
Tout
le monde doit se convaincre que les évolutions de société ne peuvent être le
fait de décrets et de décisions administratives. L’envie et l’aspiration au
changement ne doivent pas faire oublier le temps qu’il exige. Les impatients
risquent de rater le coche et les conservateurs de regretter d’avoir ignoré une
vérité universelle : on ne peut continuer à verrouiller indéfiniment des
situations par la force dans un carcan supposé hermétique et indestructible. La
loi de la nature est le changement ; ceux qui s’attachent aux situations
acquises ne peuvent l’empêcher.
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(1)
(NDRL) Nous publions dans notre «tribune de discussion» la contribution de notre
camarade Abdelmoughit Benmassaoud Tredano, enseignant à la faculté de droit de
Casablanca et collaborateur du journal « Al Bayane ».Le point de vue du
camarade Trédano, tel qu’il est publié aujourd’hui, est en fait, la réunion de
deux articles adressés au journal en octobre 1989 et dont la parution avait été
différée, avec l’accord de l’auteur lui-même. Réunis, ces deux textes invitent
le lecteur à réfléchir sur l’évolution qui affecte et affectera le champ des
relations internationales, du fait des profondes mutations en cours dans les
pays de l’Est européen.
Ecrit
et envoyé au journal Al Bayane le 04/10/1989.