Le commerce international 2018 Pr. Ahmed AZIRAR
Le commerce international 2018
entre incertitude et risque de guerre.
Pr. Ahmed AZIRAR Docteur d’Etat ès sciences économiques,
expert en commerce international et intelligence économique.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le volume du commerce mondial
des marchandises a crû d’environ 1,5 fois plus rapidement que le PIB mondial.
Dans les années 1990, sa croissance a même été plus de deux fois plus rapide. Les
produits manufacturés ont pris leur envol. Et le monde en développement a vu sa
participation croitre. Mais, au lendemain de la crise financière mondiale de
2008, le ratio de la croissance du commerce à celle du PIB est tombé à environ
1,1[1]. En
2016, pour la première fois depuis 2001, ce ratio est passé en dessous de 1,
tombant à 0,6. La remontée relative enregistrée en 2017, semblait se poursuivre
début 2018. Mais pas pour longtemps, car l’annonce d’une guerre commerciale a
vite fait de projeter de sérieuses incertitudes sur l’avenir.
Cette évolution rappelle que le commerce international a toujours
été au centre de la chose politique. Et le libre-échange, un vœu pieu.
Aujourd’hui plus que par le passé. La période d’entre les deux élections
américaines, celle de 1992 et celle de 2016, a levé une partie du voile
mystificateur.
Lors de la campagne pour les présidentielles américaines 1992, qui
s’est déroulée en plein essor mondialiste, et qui a amené Clinton aux
commandes, Ross Perot, milliardaire conservateur populiste et candidat
malheureux, avait pourtant fait feu de tout bois, autour de la dénonciation de
l’ALENA[2] et de la
dette publique. Il n’a pas été entendu, mais avait réussi, tout de même, à
attirer l’attention sur le fait percutant que « le problème des Etats
Unis n’est pas tant la faiblesse des coûts de main d’oeuvre en Chine, que le
risque de rattrapage technologique par les ingénieurs et les chercheurs
chinois »[3].
Cette alerte, Paul Samuelson[4] l’a modélisée
dans une de ses ultimes contributions à la théorie du commerce international[5]. Interpellé
par l’apologie excessive faite à la
globalisation par les économistes « mainstream », il a élaboré un
scenario en deux actes qui démontre la défaite commerciale inévitable des Etats
Unis face à une Chine devenant technologiquement performante. Samuelson ne s’était
pas laissé berner par la mondialisation galopante, sa structure productive
organisée en chaines de valeur mondiales et par les adeptes nombreux, chercheurs
et institutionnels, de la globalisation (OMC créée en 1995).
Il fallait attendre les élections de
2016 pour assister au succès des idées de Perrot, vigoureusement reprises et
gonflées par Tramp.
Se posent alors quelques
questions :
* Pourquoi ce qui a fait échouer
l’un a-t-il fait élire le second ?
Deux évolutions majeures ont eu lieu
entre temps. Un, la Chine a émergé comme on s’y attendait, et ne se contente
plus de copier les technologies pour en créer de plus en plus. Deux, le paradigme du libre-échange a été « paradoxalement
exalté et mis en difficulté par la mondialisation[6] »,
ce que la crise mondiale de 2008 a mis en exergue.
Pour gagner, Trump a non seulement politisé
à outrance le commerce international, mais il a en plus agité le spectre de multiples
peurs. Selon lui, la Chine défie avec succès les USA d’abord économiquement,
en utilisant des moyens peu loyaux ; elle les défie ensuite géo-stratégiquement ;
et met, enfin, la sécurité nationale des USA en danger.
Fort de l’antécédent Perrot, Trump a
fait des promesses populistes fortes et s’est mis à les appliquer pour que
« America (soit) great again ». Bien plus, le péché originel
d'intelligence avec les russes, qui lui colle à la peau, suspend une épée de
Damoclès sur sa tête, et le pousse à toujours plus de surenchères et plus de
provocations.Pendant ce temps, la Chine ex communiste se présente
aux yeux du monde comme le défenseur du libre-échange, poursuit sa montée en
gamme et trace sa route de la soie à rebours.
On serait tenté de répondre par l’affirmative. Car le président US a déjà quitté entre autres l'UNESCO, l'Accord de Paris sur l'environnement, l'accord nucléaire avec l'Iran... Il semble convaincu qu’il a tout à perdre intérieurement s'il lâche prise !
A l’inverse, les USA ont déjà menacé avant lui de quitter l'ONU sans suite. De plus, les liens entre les USA et la Chine sont trop forts, y compris financièrement, pour pouvoir les dénouer rapidement. Sans oublier que la pression anti Chine/ mondialisation date bien avant Trump. Elle remonte à Bush et s'est poursuivie avec Obama.
L’OMC, accord multilatéral devrait selon toute vraisemblance continuer d’exister, avec difficulté certes, si les USA viennent à claquer la porte.
Il reste entendu que le toilettage du système mondial, commence par le retour des pays à de bonnes pratiques internes en résolvant leurs propres problèmes de compétitivité. Et arrêter de rejeter leurs difficultés sur le reste du monde !
A moins que tout cela ne soit que de la pure diversion et que les USA préparent le lancement imminent d'une nouvelle génération de technologies qui les remettraient en scelle.
On serait tenté de répondre par l’affirmative. Car le président US a déjà quitté entre autres l'UNESCO, l'Accord de Paris sur l'environnement, l'accord nucléaire avec l'Iran... Il semble convaincu qu’il a tout à perdre intérieurement s'il lâche prise !
A l’inverse, les USA ont déjà menacé avant lui de quitter l'ONU sans suite. De plus, les liens entre les USA et la Chine sont trop forts, y compris financièrement, pour pouvoir les dénouer rapidement. Sans oublier que la pression anti Chine/ mondialisation date bien avant Trump. Elle remonte à Bush et s'est poursuivie avec Obama.
L’OMC, accord multilatéral devrait selon toute vraisemblance continuer d’exister, avec difficulté certes, si les USA viennent à claquer la porte.
Il reste entendu que le toilettage du système mondial, commence par le retour des pays à de bonnes pratiques internes en résolvant leurs propres problèmes de compétitivité. Et arrêter de rejeter leurs difficultés sur le reste du monde !
A moins que tout cela ne soit que de la pure diversion et que les USA préparent le lancement imminent d'une nouvelle génération de technologies qui les remettraient en scelle.
* le commerce international et l'économie
mondiale sont-ils en danger, du fait que Tramp menace de quitter l'OMC ?
La vraie question reste celle des
pays les moins avancés. Au moment où les USA exigent un traitement spécifique
et veulent que l'OMC revienne sous leur coupe exclusive, le traitement spécifique
promis aux PMA[7] attend de
longue date !
Le Doha Round en souffrance depuis 2001,
personne n'en parle plus. La Chine a encore compris : elle s'engage dans la brèche
et exécute son Africa Round à coup de soixantaines de milliards $ sans
condition aucune (à comparer avec les 3 MM promis par Macron pour son
nouvel engagement Afrique, dont à peine 1.5MM d'argent frais !).
* Quelles perspectives alors ?
La crise multiforme de 2008 laisse
une empreinte forte sur les relations internationales. Aux divers niveaux
économique, militaire, énergétique, écologique et humain. Le commerce
international devrait en principe rapprocher les gaps entre les nations. A
condition qu’il soit équitable. Et pour ce faire, les instances internationales
de régulation ont un rôle urgent à jouer.
L’OMC, en ce qui la concerne, nécessite
des réformes urgentes. Son système de règlement des différends, son manque de différenciation
entre pays face aux exigences multilatérales et le statut spécifique des
petites économies qui attend d’être appliqué.
L’Union Européenne, première
puissance commerciale mondiale, devrait jouer un rôle efficace de médiation. Faible
acteur politico-militaire, l'UE a tout à perdre, si le système commercial
mondial venait à péricliter. En accélérant sa propre cadence d’ouverture pour
contrecarrer le blocage du TTIP[8]
par Trump, en signant avec le Canada, le Japon, la Chine, elle ne résout que
partiellement le problème. Elle est appelée à une mission plus difficile : la médiation
entre la Chine et les USA. A-t-elle les dirigeants capables pour réussir, est
une autre question.
Ceci étant, le "capitalisme
sans capital" (G.A.F.A[9])
continue de prospérer ! La Russie se refait une santé, malgré les sanctions de
Trump et consolide ses relations avec la Chine (encore elle !). Quant aux pays
du MENA, ils restent embourbés dans leur malédiction du pétrole, que leur
manque de démocratie accentue et fait perdurer.
AA/05-09-2018.
[1] OMC
(2017), L’examen statistique du commerce mondial 2017.
[2] Accord
de Libre-échange nord-américain (NAFTA, en anglais).
[3] Azirar
A(2008), Exportation industrielle et croissance économique, Thèse
d’Etat-Université Hassan II Casablanca.
[4] Prix
Nobel d’économie ayant donné son nom à une théorie devenue classique du
commerce international.
[5]
Samuelson.PA(2004), Where Ricardo and Mill rebut and confirm arguments of
mainstream economists supporting globalization, The JEP, Vol. 18 N°3 - Eté
2004.
[6]
Bourguinat.H (2005), le libre-échange : un paradigme en situation
d’inconfort, Revue d’économie politique, N°115, pp. 513-543.
[7] Pays
moins avancés.
[8] Ou
TAFTA, projet d’ALE en négociation depuis 2013 entre l’UE et les EU.
[9] Google,
Amazon, Facebook, Alibaba.