Le MAROC EN CRISE : POUR EN SORTIR
L’école, la société de confiance et la réforme du politique
Pr. Abdelmoughit B. TREDANO
“L’art de
gouverner est plus difficile que l’art de la politique. Tant qu’on n’a pas de
responsabilité, on peut multiplier les discours et théoriser. Mais à l’heure de
gouverner, il faut le faire en fonction de l’argent disponible, des
possibilités concrètes".
Luis Ignacio Da
Silva dit Lula (ancien président brésilien)
“Sous toutes les
formes de gouvernement, un Etat peut prospérer s’il est bien administré. On a
vu des nations s’enrichir sous des monarchies absolues, on en a vu se ruiner
sous des conseils populaires"
Jean-Baptiste
Say, économiste français (1767-1832)
Entre la realpolitik et l’audace, entre
la nécessité de changer la nature d’un régime et l’impatience résultant de l’absence d’évolution
au bénéfice de la multitude, le choix n’est pas facile.
« La politique est l’art du
possible », disait l’homme politique français Léon GAMBETTA (1838-1882); à ceux qui
s’apprêtaient à le taxer d’opportuniste, Cambetta répondit : « Vous
allez peut-être m’accuser d’opportunisme ! Je sais que le mot est odieux.
Pourtant je pousse encore l’audace jusqu’à affirmer que ce barbarisme cache une
vraie politique. »[1]
Au-delà de l’histoire, de ses références
et ses modèles, que peut-on dire de la situation qui prévaut actuellement au
Maroc ; il y a 26 ans, j’avais écrit une chronique intitulée : la
crise maroco-marocaine [2]. Rien
n’a changé depuis, sauf l’intensité et la généralisation des problèmes.
Un court extrait de cette chronique donne
le ton : « Seul l’argent compte. La
corruption érigée presque en règle de droit. Et l’exclusion qui rampe et se
popularise. Puis, la confiance est devenue denrée rare et l’abattement qui
gagne les plus optimistes et les plus réfractaires à l’ordre règnent. Le savoir
est l’apanage d’une élite. L’ignorance et l’obscurantisme sont le lot de la
multitude. Enfin, le politique, discrédité et déliquescent, est impuissant
devant l’immensité et la complexité de la tâche et de l’œuvre à accomplir. Tels
sont les points saillants d’une crise qui persiste et s’approfondit. Au-delà
des problèmes liés à l’adversité externe, la crise est aussi interne :
Maroco-Marocaine ».
A-t-on besoin de pérorer encore sur l’état
des lieux de notre pays ?
Partout, dans les espaces, en long et en
large, on n’arrête pas d’en dresser un tableau sombre.
Pour faire court, quelques mots pour la
peindre: absence de confiance, abattement, résignation. Beaucoup de monde
dans l’antichambre du départ !
Pire encore, on a l’impression que
rien ne se passe au Maroc. Sa situation ressemble à un électrocardiogramme
quasi plat ; la crise cardiaque dont parlait le défunt roi Hassan II ne
tardera pas intervenir dans un corps déjà en pleine décomposition.
Que faire ? Fameuse question de Lénine
!
Vaste programme comme disait l’homme du
18 juin 1940, le Général de Gaulle.
Les erreurs à éviter et les sources
d’inspiration
Il n’y a qu’à ; il faut que ! …
Plus facile à dire qu’à faire.
Présenter la situation au Moyen-Orient
comme l’épouvantail dissuasif, c’est condamner un peuple, un pays à l’immobilisme
suicidaire et lui enlever toute volonté et velléité d’ambition.
"Les grandes nations le sont parce
qu’elles l’ont voulu" (Charles de Gaulle)
La Corée du Sud était au même niveau que
l’Afrique en 1960 ; actuellement elle se classe 11ème des pays
les plus riches ; elle aspirait il y a quelque temps à réaliser le "747" :
7% de croissance (difficile à réaliser aujourd’hui depuis la crise de
2008) $40000 par tête, 7ème
rang mondial !!
1. « Il n’est de richesse que
d’homme » : l’école.
Présenter la multiplication de
chantiers comme la preuve du changement, c’est faire montre d’une naïveté ou d’une
hypocrisie assassine.
Que peut-on faire des chantiers lorsqu’on
pas les hommes et les femmes formés pour bien gérer les entreprises nées de ces
projets.
D’où la question de l’école. La bonne.
« Il n’est de richesse que d’homme »
disait déjà au 16ème siècle Jean Bodin, philosophe et théoricien politique français.
Tout récemment (1979), c’était aussi le titre
d’un ouvrage du prix Nobel de l’économie, l’Américain Theodore Schultz.
Par
rapport à cette urgence, pendant 30 ans, les pouvoirs publics ont tout fait
pour détruire l’école !!
Arabisation au rabais, islamisation des
programmes et des enseignements, marginalisation et humiliation de l’enseignant.
Bref, avec comme toile de fond une absence manifeste d’une politique publique
de l’école.
Le fondateur de Singapour, Lee Kuan
Yew (mort en 2015) disait à propos du miracle de son pays : « ce n’est pas moi qui ai fait
le miracle, je n’ai fait, en réalité, que rehausser le statut de l’instituteur.
C’est ce dernier qui a fait le miracle ».
L’école, la bonne, en plus de l’apprentissage,
permet la mobilité sociale, la convivialité, la cohésion sociale, la réduction
de la violence, la possibilité du vécu ensemble, la paix sociale ... et enfin
le bonheur et le bien- être. Cela n’est pas un rêve puisque ça existe ailleurs.
Et c’est possible.
Toujours sur de l’école et le savoir, le
philosophe Miche Serres souligne leur importance dans toute politique de
croissance et de développement : « Le savoir est par conséquent un
échange extraordinaire : il croit à chaque fois –bien plus que l’argent. C’est
pour cela que l’enseignement est de loin supérieur à l’économie.
L’enseignement, c’est la pierre philosophale qui change tout en or, puisqu’à
chaque échange, au lieu de parvenir à l’équilibre, on obtient de la croissance
».[3]
Pour rétablir la confiance, réduire la violence
dans la société, intéresser les investisseurs et provoquer le déclic, il faut donc
tout investir dans la bonne école.
Ce n’est pas un slogan. C’est une
urgence.
2. Société de confiance
Dans un ouvrage très intéressant,
l’ancien ministre de De Gaulle, Alain Peyrefitte donne une recette et pose la
condition nécessaire au développement.
« Depuis Adam Smith et Karl Marx jusqu’à Max Weber et
Fernand Braudel, on n’a cessé de s’interroger sur les causes de la « richesse
des nations » ou de leur pauvreté. La plupart des penseurs ont privilégié les
explications matérielles : capital, travail, ressources naturelles, climat. Et
si les mentalités et les comportements constituaient le principal facteur du
développement - ou du sous-développement ? »[4]
En comparant les sociétés latines
catholiques et les sociétés protestantes majoritairement protestantes, une
grande différence ressort : en plus de leur attitude toute particulière
vis-à-vis de l’argent, de la finance et de la réussite, chez ces dernières, la
confiance est une règle cardinale.
La justice et la pédagogie de l’exemple,
des outils indispensables pour permettre à chacun de retrouver confiance.
3. Le politique, autrement…
« Les rapports
ayant marqué la politique, plus de 4 décennies durant, doivent être repensés et
redéfinis. Ce qui a prévalu jusqu’à présent relève désormais de l’archéologie
politique. Le monde a changé d’une manière abyssale. La société marocaine s’est
aussi profondément métamorphosée. C’est commettre une grave erreur d’appréciation
que de continuer à ignorer son temps ».[5]
La monarchie est un
ciment nécessaire à la stabilité du pays, elle ne devrait pas, à cause de
conflits entre les différents centres de pouvoir et les services, passer comme
un obstacle au développement.
4. Un triptyque
vertueux
Les rapports
entre le Centre et « les périphéries », entre le Maroc
« utile » et le Maroc « inutile » doivent être repensés
dans le sens de la prise en compte des besoins fondamentaux et la
reconnaissance de la plénitude de la citoyenneté.
Il faut également
une politique globale de développement (une réelle industrialisation en totale
déconnexion avec les prescriptions de la BM – le mémorandum récent qui
constitue une véritable insulte et une volonté de cantonner le Maroc comme pays
prestataire de services – et du FMI) et une option radicale pour un système
éducatif performant.
Enfin et non le
moindre, l’affrontement entre les différents centres du pouvoir qui en se
neutralisant paralyse le pays et empêche toute avancée doit prendre fin pour un
meilleur agencement des appareils de l’État.
Au temps du net,
de l’image et de la communication, cela ne peut continuer indéfiniment.
Entre ceux qui ne
veulent rien changer et ceux qui veulent tout bousculer, le chemin de la
réforme existe. Il faut tout simplement le vouloir.
Entre la
stabilité et la réforme, il ne faut pas choisir, mais les réaliser toutes
les deux ; la tâche est immense, mais possible et réalisable, si la volonté
politique existe.
Tout cela est plus facile à dire qu’à
faire et pourtant, c’est ce qu’il faudrait faire si on veut éviter le chaos.
[1] L’Histoire
en citation https://www.histoire-en-citations.fr/citations/gambetta-la-politique-est-l-art-du-possible
[2] Voir le site de notre revue : www.sciencepo.ma
(il s’agit d’un extrait d’un article qui a été publié le 18 février 1992; Al Bayane.)
[4] Sur la quatrième de couverture de La
société de Confiance, Essai sur les origines et la nature du développement
de Alain Peyrefitte, Éditions Odile Jacob
[5] Extrait de ma chronique datant de 1992
Enregistrer un commentaire