Diner-Débat :
Modèle
de développement, quel modèle ?
Jeudi 31 janvier
2019
Programme
La Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales
organise, en partenariat avec la Fondation Hanns Seidel, un dîner débat sur le
thème :
Le modèle de
développement, Quel modèle ?
18 h : Accueil
18 h 15 : Mots de bienvenue
Pr. Abdelmoughit BENMESSAOUD TREDANO
Directeur de la Revue
Marocaine des Sciences Politiques et Sociales
Dr. Jochen LOBAH,
Délégué Régional
Maroc/Mauritanie de la Fondation Hanns
Seidel
Intervenants :
De 18 h 30 à 19 H 20
Pr.Najib AKESBI , Economiste
Pr. Mohamed said SAADI, Economiste et ancien
ministre
19 H 20 à 20 h 45 :
Débat
20 h 45 :
Dîner
Dîner-Débat :
Modèle de développement, quel modèle ?Jeudi 31 janvier 2019
Synthèse des contributions en vue de la publication d’un deuxième volume sur l’économie politique du Maroc
Synthèse des notes, le texte intégral des 8 notes et ébauche d’appel à contribution[1]
1.
Aux
origines de l’idée du projet relatif au modèle de développement
Depuis la publication de l’économie politique en
2017[2], le groupe de chercheurs [3] qui a assuré sa coordination
a décidé de donner une suite à cet ouvrage.
D’où l’idée d’un volume 2 qui, après le
diagnostic, va s’atteler sur une ébauche de construction de pistes
alternatives pour un nouveau modèle de développement au Maroc.
En effet, depuis quelques mois, nous avons
commencé à organiser des ateliers (fermés) : deux portant sur un débat
général et 3 autres portants sur des thématiques spécialisées.
2. Les 3 ateliers thématiques
1- Un
cadrage général portant sur : Histoire, culture et Etat-Nation
2-Définitions des modèles de développement et analyse
de différentes expériences
3- Propositions concrètes en matière de politique
publiques alternatives
3.
Appel :
N'hésitez pas à nous tenir au courant si vous
souhaitez intervenir dans ce nouveau volume. Nous sommes d'ailleurs en train de
l'ouvrir à de nouveaux contributeurs ; mais nous souhaiterions que le
volume ait, plus ou moins, une certaine cohérence interne.
I- Synthèse
Pour le moment, les propositions d’articles qui composeront le
deuxième volume portant sur l’Economie Politique du Maroc se proposent de
questionner la notion de développement. Dans un contexte, où le Maroc observe
un creusement des inégalités sociales, une crise du système éducatif et plus
globalement une crise de gouvernance au niveau politique, ces contributions
poursuivent l’objectif d’apporter un éclairage critique sur le modèle de
développement au Maroc en proposant des mesures alternatives concrètes
permettant de concevoir une éventuelle sortie de crise.
Les contributions se classent
principalement en trois catégories :
La première porte sur une analyse critique globale du modèle de
développement au Maroc :
Une contribution de Saidi propose une lecture hétérodoxe de la
notion de développement à travers une analyse de la crise multiforme que
traverse actuellement le Maroc. En prenant appui sur les principales
revendications portées par les mouvements de protestations en 2011, il esquisse
un modèle de développement fondé sur deux principales valeurs : la liberté
et la dignité.
Une contribution de Tredano Benmassaoud, replace l’analyse critique
dans un cadre international dans l’objectif de mettre en perspective le local
avec le global. En particulier, il propose une analyse fine du potentiel rôle
d’injonction des puissances internationales et des institutions financières sur
un pays en développement comme le Maroc.
Une contribution de Akesbi poursuit l’objectif de construire des
visions alternatives de développement au Maroc en vue de bâtir une économie au
service des citoyens, au sein d’une société démocratique et solidaire. Ces
alternatives seront bâties à travers l’élaboration de cinq réformes
principales.
La deuxième développe une analyse
critique du modèle économique :
Une proposition de Akaaboune ambitionne une analyse du système
monétaire marocain à partir d’une analyse de la crise financière de 2007 qui
sera mise en perspective avec la crise de la politique monétaire au Maroc.
Une proposition de Zeroual analyse ce que l’auteur nomme le
« capitalisme de connivence » au Maroc. Cette analyse trace des
pistes pour une réinvention du développementalisme
au 21e siècle en se basant sur les trois propositions de Samir Amin
(la démocratisation, le progrès social et la souveraineté nationale).
Une proposition de Oubenal esquisse une alternative au modèle
de développement actuel à partir la conception d’un nouveau rapport entre
l’économique et le politique. Cette réflexion est menée à travers une analyse
critique de la politique industrielle du Maroc.
La contribution de Tamsamani questionne le système économique
marocain à travers une analyse des performances macroéconomiques de son
appareil productif. Cette analyse est mise au service d’une construction de
politiques publiques alternatives à même de remédier à la crise.
La troisième propose une lecture
critique du développement inégal au Maroc à travers des analyses
thématiques :
Une contribution de Mizbar questionne les méthodologies
d’analyse du développement. En particulier cette contribution se focalise sur le domaine
socio-culturel pour proposer la construction d’un modèle de développement
socio-économique alternatif basé sur des « réalités sociales
possibles ».
Une contribution de Azirar analyse les alternatives crédibles
à l’échec économique en se focalisant sur le rôle du patronat marocain, en tant
que potentiel acteur de changement, dans le projet de développement économique
et social.
Une contribution de ElKahlaoui étudie les reconfigurations
politiques au Maroc post 2011 à travers une analyse des conflits qui ont
émergés dans l’espace et propose une nouvelle conception de gouvernement de
l’espace, incluant une réforme juridique des statuts fonciers et du code de l’urbanisme.
Dans le
cadre des propositions alternatives, la contribution de Sadok se base sur l’éclosion
technologique du XXI ème siècle pour envisager une refonte du système monétaire
avec des prospectives de mutation socioéconomique du Maroc. L’objectif de cette
contribution est de concevoir une réflexion autour d’un système monétaire qui pense d’une manière procédurale et sur
une période longitudinale la suppression de la monnaie- papiers au Maroc. Or cette conception est encore floue en
dépit de son importance, d’où l’intérêt d’y contribuer pour mettre de l’ordre
dans les esquisses de quelques travaux dispersés dans une littérature morcelée
entre plusieurs champs disciplinaires. L’unique circulation de la monnaie numérique et virtuelle permet une
certaine approche du développement en assurant une transparence économique et la
moralisation sociétale en permettant l’évulsion de l’économie souterraine et la
fraude fiscale, la traçabilité des revenus et dépenses pour estimer les ayants
droits pouvant bénéficier des prestations sociales, subventions et
compensations, le déracinement de la corruption et les crimes dont le mobile
est l’argent papier…
II- Appel à contribution
Dans le cadre du processus d’élaboration du deuxième volume, un
colloque international portant sur « Etat-Nation, Modèles de
développement, Mondialisation » sera organisé.
L’objectif de ce colloque est d’analyser les fondements, dimensions
et conséquences politiques, historiques, économiques et sociaux des politiques
publiques dans la conception et la mise en place d’un processus
développementaliste. Il s’inscrit profondément dans une démarche
pluridisciplinaire puisqu’elle se situe à la jonction de la science politique,
du droit, de l’économie, de la sociologie, de la psychologie, de la gestion et
de l’histoire. A une époque où on oppose les biais privés aux biais publics, la
richesse des entreprises à l’Etat-providence, la compétitivité des agents
économiques à la solidarité nationale, et à une époque où les comportements
publics et privés sont de plus en plus interdépendants, il est important de
s’interroger sur les raisons, les modalités et l’ampleur de l’intervention des
agents dans la genèse du développement. De nombreux
éléments conditionnent cette réalisation, notamment le rôle des différents
acteurs et intervenants, les contraintes institutionnelles et environnementales
ainsi que la rationalité des choix politiques et socioéconomiques.
Pour
comprendre les politiques publiques et la problématique des modèles de
développement, il faut s’interroger sur la rationalité qui guide la prise de
décision publique ou sur l’absence d’une telle rationalité. Pour élaborer ses
politiques, une organisation aussi complexe qu’un État moderne doit tenir
compte d’intérêts multiples, de logiques contradictoires et d’impératifs
légaux, administratifs, politiques et environnementaux difficilement
conciliables. Ceux et celles qui décident ne peuvent guère prendre en
considération toutes les variables. Ils
optent naturellement pour un modèle, selon leur façon de voir les choses, et
très souvent en présumant la rationalité de la décision eu égard aux
expériences développementalistes réalisées sous d’autres cieux.
La question politique, la problématique du
système éducatif et le choix d’une véritable stratégie de développement
autonome constituent les préalables sine qua none à tout choix modèle de
développent permettant ainsi une véritable sortie de crise et un réel dépassement
des situations de déliquescence dans lesquelles se débat la société Marocaine.
Ce colloque est l’occasion de débattre et
de formuler les pistes d’un modèle adéquat à différentes approches explicatives
du développement. Pour comprendre le rôle des politiques publiques dans
l’aboutissement du développement, quatre axes, faisant l’objet de nombreuses
controverses, constitueront la quintessence de cet appel à communication :
Axe 1 : Quelle est la rationalité développementaliste qui
guide les politiques publiques ?
Axe 2 : Qui sont les acteurs participant au jeu qui entoure
une politique publique pour le développement et comment sont-ils reliés entre
eux afin de créer la synergie menant au développement ?
Axe 3 : Quelles sont les particularités des différents
modèles et processus du développement à franchir pour qu’une politique publique
du développement existe et puisse aboutir ?
Axe 4 : Quels sont les facteurs structurants qui conditionnent
les intérêts des acteurs, teintent la rationalité des gouvernements et encadrent
les processus qui se déroulent pour aboutir à un paradigme historique du développement
?
Ce colloque est donc l’occasion d’ouvrir un débat à la fois
pluridisciplinaire et ouvert sur les expériences internationales pour esquisser
un projet, des pistes, ou des mesures politico-économiques pouvant répondre au
développement, à la liberté, la dignité et la justice social.
III – Texte intégral des 8 notes
Classement des notes par ordre thématique
1) Analyse critique globale du modèle de développement au Maroc
1-1 M. Said SAIDI
1.
Remarques
méthodologiques.
Ø Je considère que notre recherche d’alternatives gagnerait á être
inscrite dans le prolongement de notre ouvrage collectif sur “’Économie
politique du Maroc”.Ceci revient á privilégier une démarche d’économie
politique hétérodoxe-a-d une démarche pluridisciplinaire qui revalorise le
Politique, prend en considération des conflits de répartition que cela entraine
et souligne les blocages induits par les problèmes de rentes de situation des
classes dominantes.
Ø Notre démarche mériterait de prendre acte de la crise multiforme
que le Maroc traverse, et qui est á la fois politique, économique, sociale,
culturelle et écologique.
Ø Rompre avec l’expertise technocratique et démocratiser/politiser le
processus de décision économique.
Ø L’audace est nécessaire pour rompre avec le « modèle » néolibéral
qui a marqué les 35 dernières années du Maroc indépendant.
2.
Quelques
axes d’articulation de nos propositions d’alternatives.
Inscrire les propositions de développement alternatives dans le
cadre plus large du projet de société auquel nous aspirons. A cet effet, il est
important de prendre comme point de repères les revendications et les mots
d’ordre du Mouvement du 20 février, á savoir “Liberté, Dignité humaine, Justice
sociale”. C’est dire l’importance de proposer une vision pour le Maroc de demain,
non seulement en termes économiques, mais également en termes de valeurs
civilisationnelles (démocratie, modernité, égalité des sexes, tolérance…).
Sur un plan strictement socio-économique, les axes suivants
pourraient aider á mieux structurer les solutions que nous proposons :
· Les acteurs : État, grands groupes, petit et moyen capital.
· Les choix en matière de commerce, d’investissement, de concurrence
et de propriété intellectuelle.
· Les choix sectoriels : industrie, agriculture, services.
· Les choix macroéconomiques : politique monétaire, politique fiscale
et dépenses publiques, politique de taux de change…
· Les politiques sociales et culturelles : droits des travailleurs,
éducation, santé et protection sociale.
· Les rapports sociaux de genre au cœur des politiques hétérodoxes de
développement.
3.
Retour á
la méthodologie !
Je propose que notre ouvrage prenne la forme d’UN APPEL des 15/20
(??) ÉCONOMISTES MAROCAINS.
Les axes susmentionnés seront composés de notes succinctes (1500
mots max.) où chaque auteur présentera un diagnostic succinct de la question
traitée suivie de propositions.
1-2 A. BENMASSAOUD TREDANO
1.
Les necessaires
préalables
On ne peut pas imaginer aujourd’hui, un développement dans un pays
donné en ignorant la donne nationale et les contraintes résultant du rôle des
puissances et des institutions financières internationales ;
Ø En effet, le lien entre l’interne et l’international s’affirme de
plus de plus notamment depuis 1989 (La chute du mur, de l’empire soviétique et
de l’URSS).
Ø L’ingérence des puissances occidentales devient plus envahissante
et contraignante (devoir d’ingérence pour non-respect de la démocratie et des droits
de l’Homme depuis la conférence franco-africaine de La Baule de juin 1990 et la
consécration de « la responsabilité de protéger » par l’ONU en 2001[4]
Ø Les recommandations des institutions financières internationales
limitent la liberté de choix et la souveraineté au niveau de la stratégie de
développement (exemple Mémorandum économique : le Maroc à l’horizon 2040 de la
Banque mondiale 2017)
Ø Rappelons que le développement de l’Europe (du 14 ème au 19 eme siècle
s’est fait dans un système de protection douanière et surtout qu’il s’est fait dans le cadre de rapport de forces intra-européen ;
il n’y avait pas de puissance étrangère qui
pouvait entraver son développement (l’Empire ottoman était dans une
phase déclinante depuis le double échec du siège de Vienne en 1529 et 1683))
Ø Depuis, au moins 1951/53,
date de nationalisation du pétrole iranien et le
coup d’Etat contre Mossadegh [5],
même avec la présence d’une élite politique engagée en faveur de son peuple, l’ingérence des puissances
occidentales empêche et rend difficile la réussite de toute politique de développement autonome.
Ø La donne écologique est devenue déterminante dans toute politique
de développement ; elle ne peut être que globale (la Convention de l’ONU
sur le climat de 1992 et les COP qui ont suivi).
- Déjà en 1931 : Paul Valery avait attiré l’attention sur les
limites de la planète ; « Le temps du monde fini commence »[6]
- En 1972 : les membres du club de Rome dans le rapport « Halte
à la croissance » avertissaient déjà des dangers d’une croissance économique
effrénée pour la planète »
- Aujourd’hui la question de développement, dans sa version productiviste,
se pose en termes d’extinction ou de survie de l’humain (Les deux thèses in « La
Terre est bleue », sous la direction de Cyrille P. Coutansais ; les
mers et les océans comme issue salvatrice).
D’où
la nécessité de penser le développement autrement
2.
Conception
« économiste » et « productiviste »
Ø La réforme par les politiques publiques sectorielles ne suffit pas
pour produire un développement durable ;
Exemple : un système fiscal plus
performant ne conduit pas forcément à la croissance et au développement si elle
ne s’inscrit pas dans une stratégie globale
Ø L’option ne peut être que globale ; elle est d’abord politico
-culturelle et religieuse (la théorie des instances) ; aujourd’hui c’est
elle qui détermine tout le reste pour le cas du Maroc.
Cette politique globale peut être déclinée dans les propositions
suivantes :
Avec un projet de société et une volonté politique préalable (il ne
s’agit pas là de dire « il n’y a qu’à… » et « il faut que… », mais d’une
véritable stratégie conçue et décidée par le politique et prête à la mise en
œuvre).
Une mesure préalable pour la sphère
politique :
Le rétablissement de la
confiance [7]
, vaste programme comme disait De Gaule.
Mais commençons par crédibiliser le politique avec des mesures
choc !
- Donc, une réforme profonde du politique, du judiciaire et de
l’administration
- Un système éducatif performant est une condition incontournable
- Avec un projet de société et une volonté politique préalable (il ne
s’agit pas là de dire « il n’y a qu’à… » et « il faut que… », mais d’une
véritable stratégie conçue et décidée par le politique et prête à la mise en
œuvre).
- Une politique industrielle globale et autonome, répondant aux
besoins de la population, et non dictée par la nouvelle division internationale
du travail et le nouveau déploiement du capital international nés d’un système
ultra-libéral destructeur qui induit des injustices flagrantes depuis les
années 80 et aggravés par la mondialisation rampante (il faut créer un
rapport de force pour sortir de l’enfermement). Elle doit éviter les erreurs
commises par le monde industrialisé depuis fin 19e.
Dans ce même esprit, un économiste sénégalais FelwineSarr (« Afrotopia »,
2016) estime que l’Afrique n’a rien à rattraper : son développent doit
être endogène en prenant en considération son histoire, sa culture et les
besoins de ses peuples.
1-3 N.AKESBI
L’alternative s’organise autour de
la question majeure suivante :
Quel
développement pour quel projet sociétal ?
Les réponses se déclinent à
travers l’expression d’une ambition, et pour l’économie en particulier, d’une
vision d’ensemble. Vient ensuite le projet et ses réformes, à commencer par
celle préalable à toutes les autres, et qui n’est pas économique mais
politique. Les réformes économiques proprement dites s’articulent autour de
cinq axes, ordonnés en actions à court, moyen et long terme.
Ambition :
Bâtir une économie nationale au service
du Citoyen, au sein d’une Société démocratique et solidaire…
Vision :
Pour une économie…
·
Forte et productive
·
Mixte et inclusive
·
Ouverte et compétitive
·
Respectueuse des équilibres écologiques
·
Soucieuse des droits et de la dignité des
citoyens…
Le projet et
ses Réformes
(L’incontournable préalable politique)
·
La première des réformes économiques n’est
pas économique mais politique…
·
Une réforme Constitutionnelle instituant
l’Etat de Droit, la séparation des pouvoirs, et liant Légitimité des urnes,
responsabilité dans l’exercice du pouvoir et reddition des comptes.
Des réformes articulées autour de 5 axes
:
1. Arrêter l’hémorragie
2. Mettre les bases d’une économie
mixte, productive et solidaire
3. Repenser le processus d’ouverture
sur l’extérieur
4. Soumettre les équilibres
macro-économiques aux exigences des équilibres sociaux et environnementaux
5. Réformer les systèmes de
financement de l’économie
1. Arrêter
l’hémorragie (Action à court terme)
·
Mettre en cohérence les plans
sectoriels
- Revoir les priorités des investissements
publics, notamment dans le sens d’une meilleure adéquation avec les
besoins du plus grand nombre, de l’emploi…
- ALE: Déployer les « clauses de
sauvegarde »…
- Assainir l’ensemble du dispositif des
« dépenses fiscales » et repenser les politiques
d’incitation…
- En finir avec les sources de rentes
(agréments), les monopoles et les ententes (Conseil de la Concurrence), la
corruption et les multiples pratiques de détournements des fonds publics…
2. Mettre
les bases d’une économie mixte, productive et solidaire (A moyen terme)
- Un Plan de développement
national global, porteur d’une vision stratégique de long terme, élaboré à
travers des processus participatifs, et fondé sur des choix sectoriels,
territoriaux et sociétaux clairs…
- Réhabiliter le secteur –et le
service- public, productif et au service des besoins de la
population
- Elargir le marché intérieur
et la classemoyenne : politique des revenus (y c revenu direct),
logement, crédit…
- Promouvoir les conditions d’une
vraie économie de marché et de « l’entreprise citoyenne »…
- PME, auto-entreprenariat…
3. Repenser
le processus d’ouverture sur l’extérieur (M<)
· Engager un processus de remise en cause et de renégociation des
Accords de Libre-échange existants, sur la base d’une ouverture plus
sélective et mieux réfléchie
· Examiner la situation des secteurs ayant besoin d’une « protection
contractuelle », de ceux ayant besoin de mise à niveau, de ceux
pouvant être libéralisés.
· Moduler les dispositifs de protection en fonction d’une vision stratégique
de l’économie nationale dans la mondialisation et des intérêts des producteurs
et des consommateurs…
· Construire une « offre », diversifiée et
compétitive
· Renforcer les compétences nationales en matière de
négociations commerciales internationales…
4. Soumettre
les équilibres macro-économiques aux exigences des équilibres sociaux et
environnementaux(M<)
- Inscrire dans la nouvelle Constitution une
nouvelle « règle d’or »: celle de la souveraineté sur les
politiques publiques nationales et leur « indépendance » à l’égard des
Institutions financières internationales…
- Redéfinir le contenu et les conditions de
réduction du déficit budgétaire et de lutte contre l’inflation
- Dans tout projet d’investissement, et à
côté des critères économiques et financiers, ériger en déterminants les critères
sociaux, territoriaux et environnementaux.
5. Réformer
les systèmes de financement de l’économie (M<)
·
Redéfinir les conditions de
« l’indépendance » de Bank Al Maghrib et de la politique
monétaire
- Réformer
le secteur bancaire pour y créer de meilleures conditions de concurrence,
et donc de crédit
- Réexaminer
les politiques et les choix nécessaires à une réforme globale des dépenses
publiques: statut de la fonction publique, marchés publics,
rationalisation des dépenses…
- Elaboration
d’un plan de reconversion de la dette publique intérieure en
investissements
5b.
Une réforme fiscale d’équité et d’efficacité
·
Elargir l’assiette fiscale et améliorer la
progressivité du système
- Fiscaliser (réellement) l’agriculture
- Harmoniser l’imposition des revenus
du travail et du capital, et accroître la progressivité de l’Impôt sur le
revenu
- Revoir le
système des incitations fiscales : cibler et contractualiser les
avantages fiscaux éventuels
- Mettre à contribution le Capital,
lors de sa détention et sa transmission : Impôt sur les grandes fortunes
(IGF), Impôt sur les successions…
- Développer
une fiscalité régionale et une fiscalité écologique…
- Engager
une politique globale de lutte contre la fraude et l’évasion
fiscales…
2) Analyse critique du modèle économique
2-1 KAABOUNE
La politique monétaire constitue l’ensemble des actions qu'une
banque centrale met en œuvre en vue d'influencer les variables monétaires et financières
comme les taux d’intérêt, la monnaie et le crédit dans le but d’affecter les comportements
de dépense et de placement des agents économiques. Traditionnellement, en théorie économique, on distingue en gros deux
types de politiques monétaires
-
Les politiques actives, ayant pour objectif final la croissance et
l’emploi ainsi que la stabilité des prix : on rappelle ici le carré
magique de Kaldor. Cette politique s’inscrit dans le schéma d’inspiration
keynésienne et qui agit dans le cadre du policy mix.
-
Les politiques monétaires passives d’inspiration monétaristes et
qui ont pour but unique la stabilité des prix. Cette politique vise
essentiellement la régulation de la liquidité bancaire de façon neutre en ayant
comme corolaire le principe de neutralité de la monnaie. Ce type de politique –
appliqué un peu partout, a évolué d’une politique de règle monétaire à une
politique de ciblage implicite ou explicite de l’inflation appliqué par une
banque centrale « indépendante ».
Avant la crise financière de 2007, et sous l’influence
du monétarisme, les politiques monétaires se sont spécialisées dans la
recherche de la stabilité des prix à travers le ciblage explicite ou implicite
de l’inflation. La conception de l’Ecole
des Anticipations Rationnelles a conditionné la réussite de la politique
monétaire par sa crédibilité ce qui implique la responsabilité et
l’indépendance de la banque centrale. Cependant, la crise financière a montré
les limites de ces modèles comme l’affirme Michel Aglietta[8] :
« Dans le quart de
siècle précédent la grande crise financière, une doctrine monétaire unilatérale
s’est imposée : le ciblage d’inflation. Elle se résume dans la formule
lapidaire : (un objectif unique : la stabilité des prix ; un
seul instrument : le taux d’intérêt monétaire.) Cette doctrine n’a de sens
que si l’on peut postuler que la stabilité des prix est la condition nécessaire
et suffisante de la stabilité macroéconomique. Il s’ensuit qu’une crise
systémique de la violence, de l’étendue et de la durée de celle que nous avons
connue depuis 2007 dans un contexte de « grande modération » des prix,
invalide l’hypothèse. A moins de la considérer comme un dogme, la politique
monétaire doit être fondée sur un autre paradigme ».
En effet, la crise financière a nécessité l’adoption de
politiques monétaires non conventionnelles. La stabilité des prix comme
objectif prioritaire est délaissée, la politique monétaire cherche à soutenir à la fois l’activité économique et à
renforcer la stabilité financière. Ainsi, la FED avait décidé de maintenir les
mesures de politique non conventionnelle tant que le taux de chômage dépassait
6,5% et tant que l’inflation était inférieure à 2,5%. La cible devient alors la
relance de l’inflation et de la croissance. La crise a montré que la politique
monétaire dans les pays les plus libéraux n’est pas orthodoxe, elle est très
éclectique et pragmatique. Cependant, dans les PED c’est plutôt l’orthodoxie
qui prévaut toujours. Bank Al Maghrib, par exemple, pratique toujours une
politique monétaire de régulation de la liquidité bancaire dans le très court
terme même si les indicateurs macroéconomiques montrent que le taux de chômage
est de l’ordre de 9% et que le taux d’inflation est très faible (0.4% en 2014).
La phobie de l’inflation reste la caractéristique de cette politique alors que
la conjoncture requiert d’autres mesures aussi bien au niveau des objectifs
qu’au niveau des instruments.
Au Maroc quelle que soit la portée de cette politique
monétaire actuelle, divers facteurs plaident pour un changement de sa nature,
nous pouvons en citer 4 raisons majeures :
-
La conjoncture de crise actuelle qui nécessite une action du central
banking. Au Maroc c’est le taux de chômage : 10,2 % et 2017 et la
faiblesse de la croissance qui constitue les problèmes économiques majeurs
contre lesquels il faut agir. L’inflation est déjà faible et c’est le spectre
de la déflation qui menace et qu’il faut contrecarrer par des politiques de
relance.
-
Le passage dans un futur proche au régime de change
flexible ; En effet, un régime flexible libère la politique monétaire et
lui confère plus d’autonomie pour se retourner vers les objectifs internes car
elle n’est plus dédiée à la réalisation de l’objectif de change fixe et la
banque centrale n’est plus tenue d’intervenir pour soutenir la parité de la
monnaie.
- Les caractéristiques de l’économie marocaine qui reste encore une
économie d’endettement qui nécessite la relance des crédits bancaires et donc
une autre politique monétaire, active, éclectique et ciblant la croissance et
l’emploi au Maroc.
- Le lancement des banques participatives qui nécessitent des
modalités de refinancement appropriées. Aussi bien le refinancement via la
banque centrale que via les marchés de capitaux ne correspond pas aux exigences
de ces banques qui commencent à avoir des problèmes de refinancement.
En conclusion, la révision de la politique monétaire
s’impose laquelle révision doit concerner toute la stratégie c'est-à-dire, les
fondements, les objectifs et les instruments.
2-2 A. ZEROUAL
Briser le capitalisme de connivence
dépendant, réinventer un développementalisme du 21 siècle
Un capitalisme de connivence dépendant :
Deux traits structurels ressortent de l’analyse de l’économie
politique du Maroc :
1- La dépendance : Elle se matérialise par le poids important
du capital étranger, le rôle déterminant des institutions financières
internationales (à travers elles les grandes puissances) dans la définition des
orientations et politiques économiques, une insertion dans le système
économique mondiale qui cantonne le pays dans un rôle de sous-traitant ou
d’exportateur agro-minier, endettement, dépendance alimentaire et technologique…
2- Le cronyism ou la connivence : Elle se matérialise par le
poids important de la holding royale, l’importance de la proximité à la cour
dans l’accès aux ressources nécessaires pour grandir et accumuler…
Ces deux traits structurels sont derrière le l’indéveloppement
(selon l’expression de Samir Amin) que connait le pays : économie
désintégrée, chômage de masse, importance des activités rentières ou axés sur
des produits à faible valeur ajoutée…
Penser les deux à la fois passe par la rupture avec la pensée
néolibérale qui voit dans le marché et la concurrence libre la seule solution
aux problèmes du développement et qui voit dans la connivence ou le
cronyism un obstacle à cela tout en prônant un approfondissement de la
dépendance.
Réinventer un développementalisme du 21
siècle
Sortir du l’indéveloppement ne peut se faire sans briser ce
« capitalisme dépendant de connivence ». Elle passe par la
réinvention d’un développementalisme du 21 siècle. Ce développementalisme sera
différent des expériences du 20ème siècle tout en reformulant en
partie les objectifs et aspirations de celles-ci à savoir (Samir Amin) :
- La démocratisation : qu’on ne saurait réduire aux élections
et au pluralisme politique mais qui doit pénétrer toute la société : des
quartiers aux institutions politiques en passant par l’école et l’entreprise.
Il est évident que cela ne peut se réaliser d’un seul coup. C’est un processus
qui nécessite un approfondissement continu. Cette transformation passe surtout
par l’arrivée au pouvoir d’un bloc national populaire.
- Le progrès social : qui se matérialise par la lutte contre
les inégalités, le respect des droits sociaux et économiques (droit au travail,
à l’éducation, la santé…) et l’invention d’autres droits sociaux.
- La souveraineté nationale : Elle nécessite la reprise en
main du processus de décision économique contre les prêteurs et les
institutions financières internationales et la reconstitution d’une expertise
économique nationale. Elle se matérialise aussi par la conquête de la souveraineté
alimentaire et la constitution d’un système industriel national intégré (et non
pas des enclaves liées au capital étranger et aux stratégies des
multinationales) axé sur les besoins fondamentaux de la majorité. Il s’agit
aussi soumettre les échanges extérieurs à cet impératif de conquête de
souveraineté. Une coopération Sud qui, du fait du déclin de l’hégémonie
occidentale notamment américaine et de l’émergence d’un monde multipolaire,
permettrait d’élargir les marges de manœuvre.
A ces trois objectifs, il faut ajouter la préservation de
l’environnement et l’invention d’une modernité endogène.
Au Maroc, le bloc social qui portera ses aspirations doit au
préalable rompre avec les politiques néocoloniales du bloc dominant :
1- Audit de la dette extérieure publique ;
2- Gel des accords de libre échange et de la coopération avec les institutions
financières internationales ;
3- Reprise en main par l’Etat et les communes des services publics
privatisés (sous la forme de la gestion déléguée ou autres) et des entreprises
stratégiques.
Ces mesures sont un préalable à l’application des « mesures »
structurelles nécessaires pour briser le « capitalisme de connivence
dépendant » :
1- Politique agraire s’appuyant sur une réforme agraire et visant à
conquérir la souveraineté alimentaire ;
2- Politique industrielle visant à construire un système industriel
intégré axé sur les besoins fondamentaux de la majorité et respectueux de
l’environnement (importance de la green technology) ;
3- Révolution fiscale visant à établir une fiscalité juste et
équitable ;
4- Développement de services publics de qualité ;
5- Reconstitution d’un secteur public étendu, fortement présent
dans les secteurs stratégiques, efficient, qui serait sous contrôle
démocratique et jouerait le rôle de locomotive du développement ;
6- Recours à une planification qui déterminerait d’une manière
démocratique les objectifs de développement à réaliser ;
7- Encouragement du secteur coopératif et de l’économie
solidaire ;
8- Amorce d’un processus de démocratisation de l’entreprise à
travers l’établissement d’un droit de regard des salariés sur la gestion des
entreprises ;
9- Priorité à la Coopération Sud-Sud (Chine, Amérique du Sud,
Afrique…).
2-3 M. OUBENAL
Vers une démocratisation de l’économique et une industrialisation
ancrée localement
Proposer une esquisse d’alternative au modèle de développement
actuel suppose de concevoir un nouveau rapport entre l’économique et le
politique dans une réflexion qui prend en compte à la fois la question de la
justice sociale et territoriale ainsi que de la soutenabilité du développement.
Les travaux que je mène conjointement, avec Abdellatif Zeroual, sur
les élites économiques au Maroc et leur rapport au pouvoir visent également à
pouvoir cerner les perspectives d’une transformation politique du monde
économique. La désindustrialisation du pays et l’importance du capital étranger
ainsi que la concentration du patronat marocain dans certains secteurs rentiers
nécessite une refonte de la politique industrielle de l’Etat et de ses régions.
Celle-ci peut être fondée sur trois piliers :
1- Il s’agit d’envisager une démocratisation du monde économique en
favorisant la participation des cadres, techniciens et salariés des entreprises
dans la décision ainsi que les reprsentants des territoires où agissent ces
entreprises [élus locaux ou représentants nationaux lorsqu’une entreprise a une
dimension nationale]. Pour arriver à ce modèle de démocratisation de
l’entreprise il faudrait équiper les
salariés et les élus par une expertise fournie par des instances d’évaluation.
Celle-ci serait sous forme d’une cour des comptes qui pourrait à la fois les
conseiller et assurer un audit des entreprises privées et des coopératives.
2- La mise en place d’une instance d’évaluation de la prédation économique
et de restitution des biens et ressources mal acquis. Cette instance pourra
s’assurer que les ressources et les biens accumulés durant les dernières
décennies n’ont pas été extorqués de différentes manières : ententes entre
entreprises, cessions d’entreprises grâce à la proximité au pouvoir, privatisations
n’ayant pas respecté les engagements pris, etc.
3- L’encouragement de l’industrialisation graduelle de secteurs
stratégiques non transférables à l’étranger comme l’agro-alimentaire, la pêche,
l’artisanat et la production culturelle tout en encourageant les acteurs à se
regrouper dans des structures juridiques comme les coopératives. La politique
industrielle devrait avoir un ancrage culturel marqué puisqu’il s’agira de
valoriser les produits du terroir ainsi que la connaissance locale et les
structures qui permettent de les produire (agriculture familiale, coopérative
des douars, etc.)[9].
Les politiques publiques nécessitent donc de valoriser le savoir-faire local et
les cultures nationales dans l’école, les médias et les différents discours
institutionnels.
2-4 Y.TAMSAMANI
Capitalisme marocain : questions d’efficacité et de justice
L’objectif de ma contribution est de questionner le système
économique marocain en remontant au paradigme qui lui sert de référentiel
théorique. Dans un premier temps, il sera question d’analyser les performances
macroéconomiques de son appareil productif en se référant à des objectifs
alternatifs à atteindre qui s’éloignent de la notion de l’équilibre et de la
contrainte de la production potentielle inappropriées au cas des pays en
développement. Aussi, l’accent sera mis sur les répercussions sociales et en
termes de justice (au sens de Rawls) du capitalisme marocain.
Après avoir mis en exergue les aspects d’inefficacité et
d’injustice du système économique actuel au Maroc, un premier essai sur les
politiques publiques qui sont en mesure d’en remédier fera l’objet de la
deuxième partie. Pour le court terme, un argumentaire sera développé pour
montrer l’opportunité d’une politique budgétaire expansionniste, portée par des
investissements publics dits « utiles ». Au niveau structurel, ce
sont les règles du jeu du capitalisme rentier marocain qu’il faudrait revisiter
(une réflexion sur un New Deal marocain)
afin d’élever le rendement des investissements, de faire sauter les verrous qui
pèsent sur l’efficacité et l’équité du système en place et de booster in fine le régime de croissance actuel[10].
Bibliographie
Acemoglu, D. et J. A. Robinson. (2002). The Political Economy of the Kuznets Curve. Review
of Development Economics, 6 (2).
Kuznets,
S. (1955). Economic Growth and Income Inequality. American Economic Review
(45).
Piketty,
T. (2013). Le Capital au xxie siècle. Collection « Les Livres du
nouveau monde », Le Seuil.
3) Lecture critique du développement inégal au Maroc à
travers des analyses thématiques
Acemoglu, D. et J. A. Robinson. (2002). The Political Economy of the Kuznets Curve. Review
of Development Economics, 6 (2).
Kuznets,
S. (1955). Economic Growth and Income Inequality. American Economic Review
(45).
Piketty,
T. (2013). Le Capital au xxie siècle. Collection « Les Livres du
nouveau monde », Le Seuil.
3) Lecture critique du développement inégal au Maroc à travers des analyses thématiques
3-1 S.MIZBAR
Cinq éléments permettent de caractériser
les modèles de développement :
·
Le système de production (les formes de
l’organisation du travail, les rapports entre les entreprises, les politiques
industrielles et économiques) ;
·
Les acteurs sociaux et le paradigme
sociétal qui leur donne sens ;
·
Le mode de régulation et les formes de
gouvernance (autrement dit la place du marché, de l’État et de la société
civile) ;
·
Le système des services publics, la
redistribution et l’organisation des services,
·
Les politiques d’insertion dans l’économie
mondiale.
Se pencher sur le deuxième point est
essentiel tant les changements qui affectent les acteurs sociaux sont rapides
et forts. Les thématiques liées sont nombreuses : les jeunes, les femmes,
les personnes âgées, la famille, la solidarité sociale, mais aussi l’éducation
et la culture, les loisirs, les modes de consommation, la liste est longue. La
discipline prospective serait d’une grande aide pour débrayer le terrain.
L’idée serait d’analyser le domaine socio-culturel pour en balayer le champ des
scénarios possibles d’évolution. Ceci permettrait en outre de poser le modèle
de développement socio-économique sur des « réalités sociales
possibles ».
Les modèles de développement devraient, à
travers les décisions qu'ils permettent de prendre dans le cadre d'une
stratégie de développement, faciliter la résolution des problèmes posés par le
sous-développement. Il me semble que c’est la raison d’être même de la
construction intellectuelle qu’est un modèle de développement. Il faudrait
d’ailleurs distinguer modèle de développement de modèle de croissance. Il serait
plus question dans cet exercice de réfléchir à l’ensemble du système Maroc que
d’établir des scénarios de croissance en prenant comme prisme principal le
secteur économique. C’est dans ce sens que négliger les évolutions sociétales
pourrait fausser toute analyse d’évolution économique (en biaisant les
hypothèses du modèle notamment).
Le danger des analyses économiques en
matière de développement est d’être réalisées à partir d'instruments et de
concepts testés sur des économies développées. Par exemple, les comportements
des agents économiques, mais également des individus, dans les pays
sous-développés semblent irrationnels si on les compare à ceux des pays
industrialisés, mais ils sont rationnels si l'on se réfère au système de
valeurs des individus, ou des groupes, qui constituent les sociétés des pays
sous-développés et qui ont des objectifs cohérents par rapport à ce système de
valeurs en utilisant des moyens appropriés pour les atteindre. L'organisation
économique et sociale des pays sous-développés résulte de la juxtaposition de
structures et de systèmes dont l'origine et la finalité sont différentes. En
même temps, les changements en cours, résultats des heurts entre la
civilisation industrielle et/ou moderne et les sociétés traditionnelles, se traduisent
par la présence concomitante à l'intérieur de l'économie de systèmes aussi
différents que l'économie de subsistance et l'économie de marché, l'économie
féodale et l'économie industrielle/de services.
Pour le Maroc, l’analyse des évolutions
possibles de la société dans ses différentes composantes est importante pour
comprendre comment évolue et pourrait évoluer le système Maroc. Les
informations liées à la société sont généralement écartées lors des analyses
économétriques de modélisation. Or, ces informations sont essentielles si on
souhaite un développement durable, harmonieux et inclusif.
3-2 A.AZIRAR
Quel rôle pour le patronat
marocain dans le projet de développement économique et social ?
Cette note tente de préciser, d’abord, le prisme par lequel des
alternatives crédibles à l’échec économique avéré pourraient être avancées,
pour se focaliser, ensuite, sur le rôle possible pour le patronat marocain,
représenté par la CGEM, dans le projet de développement économique et social
rénové escompté.
1/
Des alternatives efficaces dépendent d’un diagnostic précis du régime
économique
Malgré une profusion des indices, études et rapports, le diagnostic
du Maroc, contrairement à ce qu’on pense, reste à faire. Nous avons jusqu’à
présent droit, soit à des évaluations idéologiquement orientées, qu’elles
soient d’un bord ou de l’autre, soit à des plans d’actions techniques, globaux
ou sectoriels, établis à priori et adossés à des « diagnostics »
justificatifs dressés à posteriori.
Or, sans diagnostic complet et juste, point d’alternatives
crédibles.
Pour cela le point de départ consiste à clarifier les concepts.
Ainsi, les notions d’Emergence, convergence, progrès, rattrapage, croissance ou
développement, sont utilisées indistinctement, si ce n’est littéralement, du
moins en ne précisant pas de manière concise leurs contenus respectifs. Pour
faire court dans cette note, il convient de préciser que le développement
économique et social transcende toutes les autres notions, dont la création
revient, pour beaucoup d’entre elles, à des organismes financiers multilatéraux
et popularisés par la presse généraliste ou la simple propagande.
Par ailleurs, si la frontière entre les concepts de modèle, système
et régime, paraît ténue, il nous parait que pour analyser correctement les cas
de pays, en l’occurrence le Maroc qui nous concerne, il est plus approprié de
parler de régime plutôt que de modèle, même si le deuxième terme est plus
« moderne » que le premier.
Le concept « modèle » renvoie soit à l’outil
méthodologique d’analyse adopté par les économistes –économètres pour réduire
les réalités complexes afin de mieux les comprendre (Modèle HOS…), soit à des
expériences spatiales à succès distinctif qui font école et qui méritent d’être
suivies (Modèle Coréen…).
Ce n’est pas ce qui nous préoccupe ici. L’analyse du cas Marocain
nécessite de mettre la lumière sur son régime économique.
De
fait, un « régime économique » est l'incarnation concrète dans
l'espace et dans le temps d'un « système économique », qui en est le
modèle abstrait de référence. Cette incarnation donne lieu à la création d'une
variante particulière qui tient compte des spécificités du contexte dans lequel
elle s'implante.
Il s’agit donc, dans notre recherche, de répondre à trois
questions au moins :
- Quel est le système économique appliqué actuellement au
Maroc ?
- Quels sont les écarts par rapport au système de référence et qui
sont justifiés par les caractéristiques locales spécifiques à observer ?
- Qui sont les acteurs actifs de ce régime et quelles relations
entretiennent-ils entre eux ?
Concrètement, comprendre ce régime revient à élucider les divers
niveaux politiques, sociaux et économiques qui le constituent, et qui sont
intimement liés, à savoir :
1/La Propriété des Moyens de
production :
La propriété privée domine à la base, surtout que depuis que le
protectorat a introduit la pratique de l’immatriculation. Mais subsistent à
côté, des modes ancestraux de régimes divers (collectif, domanial, guich, privé
étatique notamment). Aussi, depuis que l’Etat colonial a structuré son mode
d’action dès les premières années de son implantation, il a développé des
services publics nombreux et entretenu un secteur public agissant qui a permis
d’asseoir son système d’exploitation.
La multiplicité persistante des statuts de propriété donne lieu à
des pratiques diverses d’accaparement, d’enrichissement illégal, de rente,
d’accumulation primitive du capital hors de la sphère productive. Ceci crée
aussi des distorsions dans la concurrence, l’allocation des ressources et donne
à l’administration coloniale d’abord, et postcoloniale ensuite, des moyens de
pression, d’incitation ou d’arbitrage selon les cas.
Un des aspects les plus névralgiques pour le développement
économique et social du pays réside dans le mode de répartition des moyens de
production, le taux tolérable d’inégalité à ce niveau et l’évolution que l’Etat
voudrait donner aux divers régimes de propriété et à la mobilisation
rationnelle du fonds foncier national. Le mètre carré étant la ressource
presque exclusive du pays, le mode de sa mobilisation conditionnera la nature
et le rythme du processus du développement, sa durabilité, son inclusivité et
son équilibré sur l’ensemble du territoire.
2/ Le mode de régulation :
Alors que dans le système capitaliste pur, c’est le marché qui
détermine les prix dans leur quasi-totalité, et que l’Etat se limite à son rôle
de gendarme, la réalité marocaine montre l’existence d’un secteur public fort,
de secteurs à prix tarifés ou subventionnés, ainsi qu’un Etat providence,
certes en recul, et une forme de planification de secteurs jugés prioritaires
(après l’abandon de la planification même indicative) . La multiplicité des
agences de régulation, de développement et autres démembrements administratifs,
aux niveaux national, régional ou sectoriel, donne à la gestion de la chose
publique une complexité et éclate les responsabilités. La montée en puissance
lente de la régionalisation avancée, avec la publication de plans régionaux de
développement par les douze régions, ouvre de nouvelles perspectives non encore
étayés par des moyens matériels et humains suffisants. En définitive, le mode
de régulation semble en mutation, en rapport avec l’ambition démocratique
affichée.
Pour l’heure, des réalités méritent analyse : « l’aubaine
démographique » non exploitée ; l’allocation des ressources non
rationnelle ; le saut forcé du Maroc vers le néo-libéralisme sans avoir vécu un
réel libéralisme ; et le risque de désindustrialisation précoce.
3/ Les rôles du capital, du travail
et de la technologie et la qualité de leurs relations :
3.1. En
capitalisme, normalement, l’entrepreneur est libre de ses choix économiques, et
le profit est son objectif, dans le cadre d’une concurrence loyale avec les
autres entreprises. En pratique, la
connivence entre l’Etat et les privés dominants fait que la concentration
s’organise dans les secteurs les plus juteux, donnant lieu à l’émergence
d’oligopoles réels ou de fait. Cette connivence a pris forme au Maroc dans
divers secteurs (agriculture, mines, finance, commerce, immobilier, industries)
à travers les politiques de récupération des terres coloniales, de
marocanisation, de privatisation, et d’incitations diverses (Codes des
investissements…). Une pratique de concurrence loyale a du mal à s’implanter.
Le paysage entrepreneurial offre alors une physionomie
difforme : des PME, plus en fait TPME, représentant plus de 94% du tissu
productif et une part de grandes entreprises privées marocaines, étrangères ou
mixtes, qui même limitées en part, dominent largement les indicateurs
économiques et financiers nationaux (VA, Commerce extérieur, profits…). Le lot
des inscrites en bourse, très réduites en nombre (une cinquantaine !),
constitue ce qu’on pourrait appeler le secteur organisé transparent, en
différence avec le reste à dominante familiale, déclaré ou vivant dans un
informel très vivace et pesant lourd dans le PIB.
La représentation politique officielle récente des entreprises
(Constitution de 2011), semble vouloir signifier que le législateur veut faire
jouer au patronat son rôle social de manière plus responsable face aux
représentants des salariés, sous l’arbitrage de l’Administration.
La question se pose alors sur l’aptitude du représentant déclaré du
patronat, la CGEM, à jouer son rôle socio-économique dans un mode de
développement rénové.
3.2. Il convient
par ailleurs de s’interroger sur le rôle des travailleurs, dans la diversité de
leurs statuts, leurs représentations, la qualité de leurs relations avec le
capital (travail indécent…).
3.3. La
technologie en relation notamment avec la productivité globale des facteurs et
en perspective de la révolution industrielle et technique 4.0 en cours, devrait
également retenir l’attention. Pour l’heure, le niveau technologique des
produits « made in Morocco » et exportés reste bas et les stratégies
RD et d’innovation ne prennent pas.
4/Structures sociales :
Face à une couche sociale nantie minoritaire, composée de quelques
familles dominantes, traditionnelles ou nouvellement enrichies dans le sillage
de l’administration ou des affaires, se dresse une mosaïque de couches sociales
allant des classes moyennes aux couches les plus défavorisées. Le PAS a été le
point de départ d’une paupérisation accrue à un moment où la poussée
démographique était à son paroxysme, d’une exacerbation des inégalités de
revenus, qui se sont davantage accentuées ces dernières années. L’exclusion et
la marginalisation sont plus visibles et s’expriment fortement de plus en plus
à travers les diverses revendications et manifestations dans les régions du
Pays et à travers les réseaux sociaux (le boycott comme exemple).
5/ Structures politiques :
Dans le cadre du régime de Royauté constitutionnelle, régnante et
gouvernante, dirigée par le Roi, Commandeur des croyants, la Démocratie
constitue une visée déclarée. La réalité de l’exercice du pouvoir, montre des
pratiques qui donnent lieu à des gouvernements constitués de majorités non
harmonieuses et se traduisant par des politiques publiques manquant
d’efficacité, teintées de clientélisme et de pratiques non toujours
rationnelles. L’interpénétration entre forces économiques et politiques, le
flou en matière de séparation des pouvoirs, le non-respect systématique des
institutions, dont certaines le méritent étant donné leur inefficience,
caractérisent le paysage politique, marqué par des partis politiques et des
syndicats non représentatifs, en tout cas, de plus en plus déphasées par
rapport à la démographie du Pays et décriés par la rue et par une société
civile plus présente à travers les réseaux sociaux et la presse.
2/
La CGEM, incarnation économique, politique et sociale du patronat
marocain ?
Le régime économique marocain, c’est-à-dire le système appliqué dans
l’environnement national, a été historiquement bâti sur les bases établies par
l’économie coloniale introduite de manière forcée par la France au début du 20
ème siècle.
Le capitalisme périphérique (satellitaire) incrusté sur des
structures socio-économiques ancestrales a continué à se développer après
l’indépendance sur les mêmes fondements globaux, adaptés néanmoins au
nouveau contexte. La création de structures de gestion nationales, et l’abandon
rapide de la stratégie de développement autocentrée, a orienté le Pays vers une
voie libérale de non rupture avec l’ex métropole et de collaboration avec les
organismes financiers multilatéraux. Le secteur économique moderne, privé ou
d’Etat, domine le marché local et l’exportation et côtoie un secteur traditionnel
désorganisé et de plus faible valeur ajoutée, agissant dans les domaines
agricoles, artisanaux, de commerce et de service.
Dès l’indépendance, la marocanisation et la privatisation ont
constitué les bases d’une accumulation primitive accélérée du capital qui a
donné lieu à une caste sociale possédante. Parallèlement, un secteur public
agissant a continué à se développer malgré les privatisations dont le PAS
appliqué durant la décennie 1980 a fait une de ses politiques centrales de
« réforme ». Laquelle réforme s’est cristallisée autour de la
déréglementation-dérégulation et l’ouverture des frontières.
Le patronat marocain, dont l’acte de naissance a été signé dans les
années du protectorat qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale, a
marocanisé en douceur ses instances dirigeantes en 1969 et a continué depuis à
naviguer dans le giron du pouvoir, malgré des tentatives limitées d’affirmation
d’une autonomie timide sous certaines présidences.
L’accès officiel du patronat à la Chambre des Conseillers sous la
Constitution de 2011, constitue un changement majeur qui lui donne un statut
nouveau qui mérite d’être analysé.
Quel poids représente ce patronat dans la structure socio-politique
du Pays ? Quelle est sa représentativité réelle Quelles ambitions
peut-il nourrir ? Quelle place peut-il jouer dans le processus de
développement économique et social à l’étape actuelle des rapides mutations de
l’environnement interne, régional et mondial ?
Ce sera l’objet de la contribution que nous proposons. Nous serons
bien entendu preneurs de toute proposition de collaboration avec des collègues
sur ce sujet, qui du reste peut être amendé.
3-3 S. EL KAHLAOUI
Décoloniser les formes de gouvernement de l’espace.
Pour la construction d’une nouvelle citoyenneté
Direction générale : Analyser les reconfigurations politiques au
Maroc post 2011 à travers une analyse les conflits qui ont émergés dans
l’espace afin de tracer les lignes de clivages entre les modalités de
gouvernement populaire de l’espace et l’Etat, et proposer à travers cette
analyse une nouvelle conception de gouvernement de l’espace, incluant une
réforme juridique des statuts fonciers et du code de l’urbanisme.
Contexte :
Le processus démocratique amorcé en 2011 sera donc étudié à travers
une analyse du processus de reconquête de l’espace public. Ses formes de
réappropriation de l’espace public seront mises en perspectives avec deux
luttes urbaines : lutte pour le droit à l’auto-construction dans un
quartier d’habitation informelle dans le contexte post-révolutionnaire
(2012-2013) qui a fait suite à l’élection du PJD, et la résistance des
habitants de GuichOudaya expulsés des terres collectives sur lesquelles ils
vivaient depuis 1838 (2014-2015). Les données extraites de ces deux enquêtes
ethnographiques seront complétées d’exemples plus éparses extraits de
différents suivis de dossiers d’expulsés durant l’année 2014-2015.
La méthodologie oscillera entre un cadrage général par une analyse
des structures politiques et des analyses micro pour spécifier et matérialiser
les façons dont se façonne le politique, tant dans les temps de luttes que dans
les temps de résistance. Pour pouvoir appréhender les façons dont le politique
se constitue, il est essentiel d’insérer les rapports de force au niveau micro
dans une analyse structurelle des rapports de forces politiques en tensions.
Rompre avec une vision verticale du politique, c’est aussi être minutieux dans
l’explication des processus d’exclusion mis en place dans le contexte d’un Etat
autoritaire.
Comment
revendique-t-on ?
Ebauche
de plan
I. (Re)mettre de l’ordre
dans le désordre : la modernité l’arme politique du pouvoir
1.
Contextualisation :
stabilisation du pouvoir politique et déstabilisation de l’espace contestataire
2.
Modernisation
de l’espace et les mécanismes de renforcement des structures de pouvoir
II. Résister à la modernité : les formes de luttes des
expulsés
1. S’accaparer le droit de propriété par l’auto-construction :
processus de légitimation en situation d’illégalité
2. Revendiquer le droit à la
possession : lutte des habitants expulsés du douar ouleddlim
III. Du continuum colonial à la question de la citoyenneté
1. Vues du Sud : Espace, reconfigurations néocoloniales et
résistances des subalternes
2. Décolonisation du foncier et émancipations citoyennes.
IV-Contribution du Samira Mizbar
(l’atelier N° 4 sur : Définitions des modèles de développement et analyse de différentes expériences)
Les préceptes économiques que les
institutions internationales imposent aux pays en développement traduisent une
certaine prise de position et, par la même, ne sont pas neutres. Autrement dit,
ce n’est pas seulement l’absence explicite d’analyse sociopolitique qui
explique le décalage entre le discours de ces institutions et les réalités mais
avant tout la construction économique normative des réformes à entreprendre
conséquentes de ces préceptes.
Ces institutions prétendent proposer une
doctrine générale sur le développement qu’ils s’empressent de reproduire
systématiquement. Or, à étudier de plus près les rapports produits, plusieurs
remarques sont à faire.[11]
Les corpus auxquels appartiennent les
soubassements théoriques des réformes préconisées sont en règle générale, et à
peu d’exceptions près, la théorie économique du bien-être en équilibre partiel
dans le cadre d’économies dépendantes et l’économie politique libérale. Sauf
que
1/ les théories mentionnées sont utilisées
partiellement,
2/ seules certaines conclusions sont
retenues,
3/ il est sans cesse fait appel à des évidences
empiriques pour trancher entre diverses solutions possibles sans usage de
soubassements théoriques. De fait, on se retrouve avec un récit construit de
toutes pièces, éventuellement agrémenté de savoir scientifique, pourvu qu’il
porte l’estampe d’une organisation internationale.
Dans la mesure où les
interventions publiques constituent des conditionnalités fortes à l’accès aux
financements, il est fondamental de comprendre le discours d’économie politique
transmis dans et par les politiques d’ajustement. Toutes les institutions
suivent à la lettre le discours proposé par les institutions de Bretton Woods, construit
autour de trois principes plus ou moins implicites :
•
L’introduction de la norme libérale de
l’Etat minimum, notamment de la norme libre-échangiste,
•
La recherche de la simplicité à tout prix,
•
Et la volonté de circonscrire le politique.
La norme libérale
Le discours des bailleurs de fonds est
hautement normatif (libre-échangisme, idéologie de l’Etat minimum et absence de
considérations politiques et sociales au cœur de l’analyse économique).
Cette construction se fait par au moins quatre procédés :
•
Le choix de certains modèles. Le modèle de Meade-Salter-Swan est le
plus souvent utilisé par la Banque Mondiale. Les hypothèses de croissance parfaite,
de plein emploi, de flexibilité totale des prix et des salaires, de rendements
décroissants, de capital fixe et immobile à court terme permettent d’expliquer
le déséquilibre de la balance commerciale comme déséquilibre entre revenu
interne et dépense interne et/ou déséquilibre entre demande et offre de biens
non échangés. En outre, ce modèle suppose le plein emploi, assuré de façon
totale et permanente, par la flexibilité des prix et des salaires.
• L’oubli de
certaines instructions des modèles choisis. Le modèle traditionnel d’équilibre partiel
en concurrence parfaite a une conclusion qui n’est jamais prise en compte : la
libéralisation ne bénéficie pas à tous les agents économiques, c’est-à-dire que
l’effet principal d’une politique commerciale extérieure est avant tout un
effet de redistribution entre producteurs, consommateurs et Etat, et non pas un
effet global sur le niveau de bien-être. Or, la situation ne peut effectivement
s’améliorer pour tous que s’il y a redistribution ou compensation.
• La sélection
des hypothèses pour aboutir à une solution qui semblera évidente. Le modèle d’économie dépendante propose
une infinité d’ajustements possibles face à un déficit de la balance
commerciale. Du coup, la conclusion de la supériorité de la dévaluation sur la
politique protectionniste n’est pas une conclusion du modèle théorique mais le
résultat d’une combinaison entre le modèle d’économie dépendante, la norme
libre-échangiste et des hypothèses sur les élasticités (par exemple,
l’élasticité d’offre d’exportation considérée comme supérieure à l’élasticité de
la demande d’importation).
• Le rejet,
explicite ou non, de certaines théories. D’autres développements théoriques ne
sont pas mêmes mentionnés par les promoteurs des réformes alors qu’ils sont des
éléments importants du débat dans les pays industrialisés : les mesures
compensatoires, la politique économique extérieure comme politique étrangère,
etc.
Simplifier le discours d’économie politique
La recherche de la simplicité à tout prix
fait que certains raisonnements apparaissent évidents. Par exemple, l’analyse
combinée en termes d’équilibre partiel, d’économie dépendante et de recherche
de rentes aboutit, étant donné les hypothèses choisies, à une adhésion
incontestable à la libéralisation du commerce extérieur et à la remise en cause
de la protection. Dans le texte, le rejet de toute mesure apparemment complexe
s’explique par l’échec des politiques passées (ou plutôt la perception déclarée
d’un tel échec), par les incohérences des systèmes de protection, par
l’existence avérée de gaspillages, de comportements de recherche de rentes ou
de niches de corruption.
Pour garder une apparence de cohérence
entre théorie économique et mesures de politique, le discours opère une
confusion entre simplicité des mesures préconisées et simplicité des éléments
théoriques auxquels adhérer selon plusieurs méthodes :
•
Prendre les versions les plus simples de
modèles théoriques pour « structurer » le raisonnement et ne pas
donner trop d’importance à une complexité jugée négligeable au regard du niveau
de développement d’un pays.
•
Adjoindre des explications ad hoc pour
trancher entre diverses solutions. Par exemple, l’offre d’exportation est
particulièrement peu élastique au Maroc mais au lieu d’intégrer cette rigidité
dans le modèle, les analyses restent fondées sur les mêmes modèles de base et
les politiques commerciales extérieures préconisées ne sont pas ou sont peu
modifiées. De fait, les problèmes de réponse de l’offre sont analysés
séparément du modèle économique.
•
Abuser de l’argument des effets pervers et
latéraux des réformes affinées et contextualisées pour rejeter des solutions élaborées
et complexes. Par exemple, le principe de précaution de l’industrie est reconnu
par la Banque Mondiale mais rejeté parce que la protection aurait le plus
souvent été détournée par certains gouvernements de son objectif initial.
•
Simplifier l’évaluation de la situation. Du
coup, certaines hypothèses sont imposées (par exemple, le refus d’admettre que
certains marchés sont non concurrentiels). Idem, la conception de la politique
commerciale extérieure doit être simple tout comme la mise en œuvre des
réformes (rejet de mesures sélectives, préférence pour la dévaluation sur toute
autre politique économique extérieure).
•
Jouer sur les mots. Si des mesures sont
sélectives et non globales, elles sont inefficaces et sources de rentes. Le
caractère discrétionnaire des mesures de politique économique est assimilé à de
l’inefficacité et à de la non productivité, voire à du gaspillage et même à
long terme à de la corruption.
La volonté de circonscrire le politique
Le politique est neutralisé en faisant
appel aux courants d’économie politique qui tendent à dépolitiser les
perceptions et les interprétations, et en particulier trois courants
idéologiques appartenant à l’économie politique libérale :
•
La nouvelle économie politique avec la théorie
de la recherche de rentes (rent seeking theory).
•
L’analyse néo-institutionnaliste.
•
1/ L’inefficacité économique est attribuée
au pouvoir des coalitions qui créent des rigidités au sein de l’économie (Bates).
•
2/ Le rôle des coûts de transaction et des
institutions dans le développement est emprunté à North et à la nouvelle
histoire économique. Les coûts de transaction façonnent, en interaction avec
l’Etat, la structure des droits de propriété (Coase), et par conséquent les
performances de l’économie. Les développements sur la good governance et sur la
capacity building sont les fruits de cette logique d’analyse.
•
Les théories autour de la société civile.
La Banque Mondiale s’est, au départ, inspirée du travail de De Soto, pour qui
l’informel et l’organisation spontanée de la société civile sont des formes de
résistance à l’Etat et des réponses créatives à son incapacité en mettant
l’accent sur la force, le dynamisme et l’indépendance des acteurs situés en dehors
de l’Etat. Ce qui est en général retenu, c’est l’opposition entre l’Etat et les
acteurs privés, entre l’Etat et le marché, la dichotomie des sphères publique
et privée, des secteurs formel et informel. En vidant le politique de sa
substance, les acteurs politiques sont analysés comme des acteurs économiques
motivés par l’individualisme méthodologique, tout comme toute forme
d’organisation ou d’institution, dont l’Etat, est mue par le postulat
individualiste.
Conclusions
En tant que banquiers/bailleurs de fonds,
la logique d’action des institutions est mue par l’objectif de maximisation du
nombre de projets engagés, par la volonté de décaisser toujours plus de fonds,
et par la nécessité, surtout, de prouver le caractère indispensable de son
intervention qui grâce à son expertise peut se substituer à l’Etat de manière
plus ou moins affirmée.
On constate l’épanouissement de deux
tendances de long terme depuis le PAS: la pratique du double langage et surtout
le dédoublement, vire la dispersion des structures de pouvoir (clairement le
cas au Maroc).
Or, les significations et les conséquences
des réformes de libéralisation sont moins économiques que sociales et
politiques (pied de nez à l’histoire économique) puisque les modifications de
politique économique remettent moins en cause les mécanismes économiques, les
modes de production ou la qualité des interventions économiques de l’Etat que
les conditions dans lesquelles la recherche des ressources économiques et
financières, mais également politiques et sociales, a lieu. De fait, les
privatisations se révèlent moins être une modification des modalités de gestion
vers une exploitation des opportunités des marchés qu’une modification des
modalités de l’économie de la prédation, tout comme la libéralisation commerciale
est moins une modification de la stratégie de développement qu’un élargissement
des modalités d’accès aux ressources aux rentiers.
Ces travaux participent à la perte de
légitimité des pouvoirs publics, voire leur disparition et à la privatisation
de l’Etat et des modes de gouvernement et ce à travers,
‒
L’usage de l’expertise et de
l’externalisation systématique des réflexions sur la gestion de la chose
publique,
‒
La contribution à l’éclatement des lieux de
décision de l’Etat,
‒
Le renforcement informel des régimes politiques
en place,
La légitimité politique et sociale des réformes
engagées est reléguée au second rang. Rapidement, la dérégulation économique s’accompagne
d’une dérégulation politique. C’est précisément ce que le Maroc vit
actuellement.
[1]
Outre les auteurs des différentes notes et de la synthèse assurée par Soraya El
Kahlaoui, Mohamed Oubenal , Hicham Sadok, Lotfi Chawki et Abdelmoughit Benmessaoud Tredano ont
contribué dans la rédaction et l’élaboration de ce document .(La mise en
page assurée par Karim Aiche)
[2]
Dans le cadre des publications de la
Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales.
[3] Les
professeurs Najib Akesbi ,Abdelkader Berrada,
Mohamed Said Saadi et Mohamed Oubenal.
[4]
« Introduit par la résolution 43/131 de l’Assemblée générale de l’ONU en 1988
puis par plus de 300 résolutions du Conseil de sécurité dans une vingtaine de
conflits, le droit d’ingérence a été consacré par le sommet mondial des chefs
d’État et de gouvernement. Le 16 septembre 2005, sous une nouvelle
dénomination : « la responsabilité de protéger ». Ils
affirmaient : (…) Nous sommes prêts à mener en temps voulu une
action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément
à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le
cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque ces moyens
pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent
manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les
crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité3. ;
https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2007-3-page-381.htm
[5] On tue toutes les velléité d’autonomie depuis
Mossadegh en Passant par Nasser patrice Lumumba, l’Amérique Latine (
année 60 , 70 et 80 ) Cuba , Chili et Aujourd’hui : Hugo Chaves
et Nicolàs Maduro, et Evon Morales
[6]Paul VALÉRY (1871-1945), Regards sur
le monde actuel (1931)
[7] Alain
Peyrefitte. La société de confiance. Essai sur les origines et la nature du
développement ; Ed. Odile Jacob, 1995; seules les sociétés de confiance
réussissent.
[8] -Michel Aglietta – Repenser la Politique monétaire- Problème
économique N° 3126
[9]
Il s’agit, par exemple, de réfléchir au développement de la chaîne de l’argan
de la cueillette au développement d’une industrie de biotechnologie en passant
par l’encouragement des consommateurs marocains à intégrer l’huile d’argan dans
leurs habitudes alimentaires. Un autre exemple consisterait à développer l’industrie
des musiques des différentes cultures marocaines en allant des artisans qui
confectionnent les instruments locaux à l’encouragement de la pratique musicale
dans les espaces publics et les cafés/restaurants ainsi que l’intégration des
musiques locales dans les conservatoires et l’éducation nationale.
[10] La courbe de Kuznets(1955) étant réfutée par de
nombreux travaux académiques(Acemoglu, D. et J. A. Robinson, 2002; Piketty, 2013) , le processus de
création de la richesse ne peut désormais être conçu indépendamment de la manière dont
cette richesse est distribuée et redistribuée. L’efficacité économique va alors
de pair avec la justice sociale.
[11]
Rapports utilisés comme base d’analyse :
- BAD, Diagnostic
de croissance du Maroc. Analyse des contraintes à une croissance large et
inclusive, 2015.
- Banque Mondiale, Mémorandum économique
: le Maroc à l’horizon 2040. Investir dans le capital immatériel pour accélérer
l’émergence économique, 2017.
- Banque Mondiale et HCP, Pauvreté et
prospérité partagée au Maroc du troisième millénaire, 2017.
- OCDE, Examen multidimensionnel du
Maroc, 2018.
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