L’émigration potentielle
Pr. Mohamed Khachani
Combien de
Marocains ont l’intention d ‘émigrer ? une question à laquelle les
seules réponses qui existaient sont celles avancées par des médias ,
évaluations souvent fantaisistes parce que basées sur des sondages sans
fondement scientifique. Certes , la question est complexe parce que la réponse
reflexe quand on interroge un jeune sur son intention d’émigrer est de répondre
assez souvent par l’affirmative et d’autre part , il fallait distinguer dans
ces réponses positives entre ceux qui ont réellement l’intention et la volonté
de passer à l’acte et ceux dont l’attitude se réduit à une simple intention.
Afin de distinguer entre les deux catégories, une grande enquête ( un
échantillon de 2604 personnes âgées de 18 à 50 ans) a été menée par l’Association
Marocaine d’Études et de Recherches sur les Migrations (AMERM) en partenariat
avec l’European Training Foundation(ETF).
Deux
conclusions fondamentales ressortent de cette enquête:
-58% des
personnes enquêtées ne souhaitent pas émigrer. Parmi eux, 50% déclarent ne pas
vouloir partir à l’étranger pour des raisons familiales (55% des femmes et 45%
des hommes). 31% évoquent des raisons liées à l’attachement des personnes
enquêtées à leur pays d’origine. D’autres raisons expliquent cette attitude des
enquêtés:
- Les mesures de
contrôle prises de part et d’autre de la Méditerranée.
- La crise qui a
sévi dans certains pays d’accueil et notamment en Espagne, devenue la
principale destination récente des flux migratoires marocains. Dans ce pays, le taux de chômage des Marocains
a atteint 47% en 2010 et se maintient pour les étrangers à 23,4% en 2017.
-42% des
personnes déclarent avoir l’intention de partir travailler à l’étranger.
Plusieurs paramètres ont permis de distinguer ceux qui ont vraiment la volonté
d’émigrer: avoir un passeport, un visa, un contrat de travail, les moyens
financiers, la famille ou les amis dans le pays ciblé pour émigrer, une
connaissance suffisante de ce pays,…Dans ce lot de 42% de l’échantillon et sur
la base de ces paramètres, on a relevé que seuls 22% ont un fort potentiel
d’émigration et 78% ont un faible potentiel d’émigration.
- En d’autres
termes, sur l’ensemble de l’échantillon (2.604 personnes):
-42% des
personnes déclarent qu’elles ont l’intention de migrer dont:
-33% ont un
faible potentiel d’émigration
-9% ont un
fort potentiel d’émigration. En fait , moins de 10% des Marocains ont une ferme
volonté d’émigrer.
Cette tendance
à la baisse de la propension à émigrer est confortée par l’évolution récente
des flux migratoires et par les prévisions du Haut Commissariat au Plan. D’après
le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger, entre 2000 et 2005 ,755.000
personnes ont émigré à l’étranger, ce chiffre a baissé à 450.000 entre 2010 et
2015, soit moins de 60.000 personnes en moyenne chaque année au cours de la
dernière période. Même constat pour les prévisions du HCP qui indiquent une
tendance à la baisse de l’émigration nette. Celle-ci tomberait de 65.000 en
2020 à 40.000 en 2025.
Pour ces
migrants potentiels, l’Europe demeure la principale destination. Pour plus de
70% de l’échantillon, le continent européen arrive en tête comme destination
probable. Quelque soit le niveau des études des répondants et leur statut
professionnel, la France, l’Espagne et l’Italie restent les destinations
préférées confortant la position qu’occupent ces pays comme terre d’immigration
des Marocains.
Pour ce qui
est de la durée du séjour, 72% des migrants potentiels interrogés pensent ne
pas rester plus de 10 ans; plus de 36% déclarent vouloir rester à l’étranger
moins de deux ans, et environ 36% ont l’intention d’y rester entre trois et dix
ans. Quelque 16% envisagent de rester plus de 10 ans mais pas pour toujours, et
seuls 10% des migrants potentiels prévoient de rester à l’étranger pour toujours.
L’analyse en fonction du sexe et du niveau d’études montre que, comparées aux
hommes, les femmes en général et les femmes les plus instruites sont davantage
intéressées par un projet migratoire de plus courte durée.
Les principaux
déterminants de l’intention d’émigrer sont d’ordre économique. Plus de 30% des
personnes interrogées déclarent vouloir partir afin d’améliorer leur situation
économique (29% des hommes et 34% sont des femmes), 23% sont sans emploi (25%
des hommes et 19% des femmes).
En ce qui concerne
l’appui pour partir travailler à l’étranger, les personnes interrogées ayant
l’intention d’émigrer envisagent de demander de l’aide à leur famille et à
leurs amis, soit au Maroc pour 49% des répondants, soit à l’étranger, avec le
même pourcentage de 49%.
Quelque 66%
des répondants pensent avoir besoin d’aide pour trouver un emploi à l’étranger
(70% des hommes et 61% des femmes); 10% des répondants pensent avoir besoin
d’aide pour trouver un logement (8% des hommes et 13% des femmes); 9% des
répondants pensent avoir besoin d’aide pour financer leur voyage vers le pays
de destination (9% des hommes et 8% des femmes).
Pour les
personnes connaissant déjà leur destination probable, 58% pensent avoir
suffisamment d’informations sur cette dernière, avec la répartition suivante:
50% pour les personnes à faible potentiel migratoire et 88% pour les personnes
à fort potentiel migratoire. Quelque 42% des personnes ayant l’intention
d’émigrer considèrent leur famille et leurs amis présents dans le pays
d’accueil comme la principale source d’information, les autres sources
mentionnées étant la famille et les amis vivant au Maroc, la télévision et
l’internet.
En termes
d’attentes en matière d’emploi dans le pays d’accueil et des secteurs dans
lesquels les personnes qui ont l’intention d’émigrer pensent travailler, il
s’agit entre autres de l’hôtellerie et de la restauration, du secteur agricole,
des services domestiques, du commerce et de la construction. Une analyse selon
le sexe montre que le secteur des services (notamment les services domestiques
et l’hôtellerie) intéresse davantage les femmes que les hommes, avec un
pourcentage de 43% pour les femmes et de 15% pour les hommes. Le secteur
agricole intéresse plus les hommes que les femmes, avec un pourcentage de 19%
pour les hommes et de 9% pour les femmes. C’est aussi le cas du secteur du
bâtiment, avec un pourcentage de 13% pour les hommes et de 1% pour les femmes.
Un élément
important qui ressort de l’analyse descriptive, est que plus de 37% des
personnes interrogées qui travaillent ou qui ont travaillé, pensent changer
leur secteur d’activité actuel dans le cas d’une installation à l’étranger,
La répartition
géographique de ces migrants potentiels au Maroc révèle quelques petites
différences entre les 8 régions couvertes par l’étude ETF/AMERM. La région
d’Agadir arrive en tête avec 58% des personnes enquêtées ayant l’intention d’émigrer,
en deuxième position vient la région de Marrakech (49%), la région d’Oujda
arrive en troisième position (45%), en quatrième position la région de
Fès/Meknès avec 44. %, en cinquième position la région de Casablanca avec 40%
et, puis viennent successivement, les régions de Tanger, Rabat, et Ouarzazate.
Le nombre de
Marocains résidant à l’étranger atteint, selon le département chargé de ce
dossier, 5 millions de personnes, soit
près de 15% de la population. La CGEM parle de la 13ème région économique.
Dans le contexte actuel, toute baisse des flux migratoires aurait des
implications au niveau du marché de l’emploi et des transferts qui représentent
7% du PIB soit presque autant qu’un secteur économique comme le tourisme.
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