PATRONAT,
POUVOIR POLITIQUE ET AUTONOMIE
Pr.Azeddine
Bennis
N’en déplaise à
son président, dont les déclarations se succèdent sans convaincre, la CGEM est
en crise.
En cause, de
graves dissensions internes. Pour faire court, une divergence de fond oppose
deux types d ' entrepreneurs : les inféodés - plus ou moins empressés - au
pouvoir central d'un côté, et de l'autre les réfractaires, ceux qui luttent
pour l'autonomie de la confédération patronale.
Un tel clivage est-il d’apparition récente ?
Ô que non !
Certes, les contingences
liées aux faits et aux acteurs ont changé, mais pas le système.
Autrement dit,
les causes structurelles de la crise, elles, demeurent intactes.
Pour s’en persuader, il n’est
que de revenir à la chronique ci - dessous.
Il y a plus de
vingt ans déjà ; en effet, un certain Hassan Chami, dernier patron militant,
pour ainsi dire, se faisait le champion de la cause autonomiste.
A ses risques
et périls, du reste, on le sait depuis ....
Et avec un
franc-parler et une audace qui paraissent aujourd'hui surréalistes.
Tant l’ancienne gauche, issue
du mouvement national, a perdu de sa superbe ..,
Entrant en
léthargie, pour ne pas dire dans un coma profond, depuis qu’une certaine
alternance dite consensuelle a été " négociée " ...
A.
B
B. 30 août 2019
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HASSAN
CHAMI
OU
LE COURAGE POLITIQUE D’UN GRAND PATRON ?
Pr. Azeddine
Bennis
Sur fond d’élections présidentielles imminentes, il y a, comme chacun sait,
malaise à la CGEM. Un malaise qui va bien au-delà de considérations purement
conjoncturelles, comme certains se plaisent à le souligner. Pour en mesurer
l’ampleur, il suffit de rappeler qu’à l’exception d’un seul candidat restant en
lice, tous les ex-prétendants, déclarés ou pressentis, ont préféré, après réflexion,
déclarer forfait.
Désarroi
identitaire
Tirant probablement la leçon
des développements inattendus pris par ce qu’il est convenu d’appeler «
l’affaire Chami », ils ont vraisemblablement été dissuadés par le coût
politique exorbitant et la tourmente psychologique qui s’attachent, on le sait
désormais, à la fonction présidentielle. Tout au moins lorsque le président élu
– la nuance est de taille- est un homme de caractère et de conviction, au
tempérament digne et fier.
En tout état de cause, ce qui
est certain, c’est que l’élan qui animait les prétendants à la présidence de la
CGEM a été comme brisé, l’enthousiasme ayant fait place à l’incertitude. Une
incertitude qui tient au manque de visibilité affectant, dorénavant, l’avenir
de la représentation patronale. De ce fait, une sorte de désarroi identitaire
se serait emparé des esprits à propos du statut et de la vocation politique
future de la CGEM.
C’est dire que l’institution
patronale traverse en ce moment, non pas simplement un incident de parcours,
mais une véritable crise existentielle. Si l’on préfère les euphémismes, on
dira que la confédération est aujourd’hui à la croisée des chemins.
Une
mise à niveau concertée
Ce qui signifie, en clair,
que l’alternative qui conditionne l’avenir de la CGEM est sans équivoque. De
deux choses l’une. Ou la représentation patronale se résigne à endosser le rôle
d’une simple caisse de résonance, répercutant sans état d’âme les directives
d’une politique économique unilatéralement décrétée par Rabat, pour le meilleur
et pour le pire.
Ou, au contraire, la confédération s’entête à revendiquer, dans le sillage du
président sortant, un statut de partenaire exigeant et incontournable.
Incontournable dans le choix des stratégies à même de favoriser une mise à
niveau concertée de l’entreprise marocaine, fer de lance de notre devenir socio-économique.
En d’autres termes :
·
Ou la CGEM entend préserver les intérêts immédiats de
certains de ses membres, et maintenir en l’état des pans entiers d’une économie
largement dominée par la culture de la Rente. Et dans ce cas, par opportunisme
ou par cynisme, le patronat ne peut que plier l’échine face à un pouvoir
politique omnipotent et conservateur.
·
Ou la structure patronale se montre moins corporatiste,
plus soucieuse de l’intérêt général à long terme. Et dans ce cas elle s’engage,
contre vents et marrées, dans une dynamique volontariste de croissance,
contribuant ainsi à jeter les bases d’une économie sans passe droits et sans
privilèges, une économie compétitive et moderne
.
Un président qui ne s’en laisse pas compter
Mais dans ce
dernier cas, c’est d’une CGEM résolument citoyenne qu’il s’agirait. Le bras de
fer avec les pouvoirs publics deviendrait, dès lors, pratiquement inévitable.
Ne serait-ce qu’en raison, répétons-le, du conservatisme rédhibitoire des
cercles rapprochés du Pouvoir.
C’est à ce dilemme, très
vraisemblablement, que Hassan Chami a dû être confronté, tout au long de son
parcours à la tête de la CGEM. Exercer son mandat sans faire de vagues et sans
prendre de risques, en feignant de croire que tout est pour le mieux dans le meilleur
des gouvernances possibles… ; Ou emprunter la voie tumultueuse et semée
d’embûches, celle d’un président scrupuleux, conscient de l’importance de la
mission qui est la sienne, et qui ne s’en laisse pas compter.
En fin de compte, en décidant
de ne pas se laisser dissoudre dans le conformisme ambiant, en prenant le parti
de tenir tête, Hassan Chami aura inventé, vis à vis des pouvoirs publics, une
nouvelle posture politique. Une manière d’être loyal sans être servile. L’art
subtil d’être courtois sans être obséquieux, et sans renoncer à ses
convictions. C’est là, soit dit en passant, une leçon édifiante pour nos ex-
partis d’opposition. Lesquels donnent l’impression, depuis l’avènement de
l’alternance consensuelle, d’avoir abdiqué tout esprit contestataire.
Dans la foulée de la
polémique provoquée par cette affaire, ils ont manqué une précieuse
opportunité, en tout cas, de renouer avec leur ardeur militante d’antan. Ils
auraient pu, de la sorte, contribuer au débat de fond – n’est-ce pas leur rôle
– et prendre position sur un sujet presque tabou, chez nous, puisqu’il s’agit,
en l’occurrence, des interactions entre gouvernance politique et développement
économique.
D’autant que la critique
formulée, à cet égard, par le président de la CGEM, lors de sa fameuse « sortie
médiatique », en juillet 2005, ne diffère en rien des réformes revendiquées
depuis toujours par les partis démocratiques issus du mouvement national. Mais
hélas ! Du côté du combat en faveur du bien public, on ne se bouscule plus au
portillon. Hassan Chami s’est retrouvé seul, donc, face à l’adversité. Et il
continue, du reste, de payer le prix fort de son engagement.
Seul
face à l’adversité
Car les hostilités ne se sont
pas fait attendre. Négligeons le coup de semonce intempestif de l’ex-ministre
de l’Intérieur ; On se souviendra longtemps, en revanche, de la campagne de
harcèlement médiatique, orchestrée par les adversaires de la pensée critique et
de l’intelligence novatrice, c’est à dire du progrès démocratique et du
développement économique.
Une expédition punitive, en somme, menée tambours battants. Et avec une hargne
qui rappelle l’inquisition et les procès en sorcellerie des temps médiévaux.
Mais venons-en aux faits, que reproche-t-on à Hassan Chami ? Rien, en dehors du
fait qu’il a exprimé un avis. Un avis argumenté et responsable. A propos du
coût, en termes économiques, des dysfonctionnements de notre Exécutif.
Et qu’il a dit tout haut ce
que beaucoup de gens, et non des moindres, reprendraient à leur compte, si le
courage était plus équitablement partagé entre les humains. Revenons à ses
déclarations. On y chercherait en vain le moindre jugement discourtois à
l’égard de quiconque. N’y figurent que des arguments objectivement tirés de la
réalité, et rigoureusement articulés. Qu’a-t-il dit, en substance ?
1-
Que la lutte contre le chômage passe par une amélioration
conséquente de la croissance.
2-
Que celle-ci est
largement tributaire de la création d’entreprises, de leur solidité et de leur
performance.
3-
Que pour y parvenir, des décisions politiques importantes
doivent être prises. Mais qu’il y a des blocages et des lenteurs.
4-
Que ce qui est en cause, pour expliquer ces
dysfonctionnements, ce ne sont pas tellement les équipes ministérielles en
place, mais c’est notre système de gouvernance en tant que tel, qui est flou.
On ne sait pas qui est responsable de quoi. Ce flou est directement générateur
de la faiblesse des investissements.
5-
Conclusion : Tant que le circuit de décision n’est pas
connu, on ne peut pas avancer.
Cela dit, Hassan Chami aurait-il regretté, après coup, des déclarations aussi
tonitruantes, comme certains l’ont laissé entendre, et fait, pour ainsi dire,
amende honorable ? Pour lever toute ambiguïté, à cet égard, le président
sortant commente, nuance, persiste et signe. (Interviews accordés à plusieurs
journaux, au cours du mois de mai dernier)
Il
lève les yeux au ciel …
-
« Pour moi, dit-il, la gouvernance, c’est exercer le pouvoir
dont on est investi et ne pas ouvrir un parapluie chaque fois que l’on veut
prendre une décision « …. » Je crois
qu’il y a un système de gouvernance oral, et non pas écrit. Quand vous vous
adressez à un membre du gouvernement, que vous lui dites qu’il y a une mesure à
prendre et qu’il lève les yeux au ciel, cela veut dire qu’on ne veut pas
exercer ses fonctions. C’est ce que je voulais dire en parlant de gouvernance.
»
-
« Si l’institution patronale ne dit que ce que le pouvoir
veut entendre, elle ne serait pas crédible. Toutes les structures domestiquées
finissent par ne plus rendre service. Ce sont celles qui savent dire non qui
peuvent rendre service. » Et puis, pour couronner le tout, cette observation sans concession, d’une
savoureuse ironie : « Moi, j’insiste qu’il est de l’intérêt du développement
économique du Maroc d’avoir une CGEM forte et indépendante !.... »
Ce vœu a-t-il des chances
d’être exaucé lors du prochain mandat ? A lire les déclarations récentes (au
quotidien L’Economiste) du candidat unique à la présidence, on a de fortes
raisons d’en douter. Jugez plutôt : « Sous quels cieux un entrepreneur
gagne-t-il à être en mauvais termes avec les pouvoirs publics… » Et plus loin
« .. La CGEM doit œuvrer pour établir
une relation sereine et mature avec le pouvoir ». Sans commentaire. Ou plutôt
si, en deux mots. Monsieur Chami, vous nous manquerez cruellement.
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