LA POLYGAMIE ET LA RÉPUDIATION Rapport de thèse par Pr. Abderrazak Moulay Rchid
« LA POLYGAMIE ET LA RÉPUDIATION EN DROIT MAROCAIN ET DANS LES RELATIONS FRANCO-MAROCAINES* »
*Rapport d’une thèse assurée par Pr. Abderrazak Moulay Rchid,
soutenue par Mme MADAME ZAYNAB DAOUDI BENJABBOUR
Pr. Abderrazak Moulay Rchid
Professeur Émérite de l'Université Mohammed V - Rabat
Ex Doyen fondateur de la FSJES Souissi - Rabat
Le choix du sujet de la thèse est un
pari courageux, difficile. Le thème est certes intéressant, passionnant, mais
complexe, au carrefour du droit et de l’idéologie, du droit et de la morale… Il
interpelle deux concepts-clés de la modernité au sein de la famille : la
liberté et l’égalité. Il traite de deux institutions, très polémiques, défiant
l’Occident libéral, continuant à résister aux turbulences. Il a dans sa
globalité été largement interprété par la jurisprudence, traité par la
doctrine, interpellé par les ministères de la justice, de l’intérieur, des affaires
étrangères, des acteurs de la société politique et civile…
Qui faut-il privilégier : le pays
d’accueil ou le pays d’origine ?l’homme ou la femme ? L’individu ou le groupe ?
Bras de fer ? Dialogue de sourds ? Quadrature du cercle ? Des solutions fluctuantes
: flux et reflux dès qu’il s’agit de transplantation, de greffe, de contact, de
rencontre, est-il incontournable de parler de conflit, de choc… allant
jusqu’aux civilisations et prétendre incarner l’universalité des valeurs ?
Décider où est le Bien et le Mal, écarter l’harmonisation, le rapprochement, la
coordination des systèmes… ? Faut-il aller au contraire vers l’Autre ? Ecouter
l’Autre ? Essayer de comprendre l’Autre ? Et de construire avec l’Autre ?...
On comprend les difficultés rencontrées,
les moments de doute, le long chemin parcouru, l’accouchement douloureux dont
parle Mme DAOUDI et on ne peut que féliciter les professeurs Mme BOTTIAU et Mr
KERCKHOVE qui l’ont dirigé, parce que le thème a été étudié de tous les côtés,
mais on est en droit de se demander aussi quel est alors son éclairage nouveau
? Quel est l’apport de cette thèse ?
Les qualités sont nombreuses. La
bibliographie (pp447-495) est satisfaisante, ce qui est une bonne chose. La
candidate utilise des sources plurielles en langue arabe, française et anglaise
(Coran, Hadiths, fiqh, dictionnaires, conventions internationales, directives,
règlements du conseil de l’Europe, textes législatifs et réglementaires,
circulaires, jurisprudence : cour de cassation , cour d’appel, tribunaux de
première instance et des auteurs marocains, algériens , tunisiens, égyptiens,
libanais et français, des enquêtes crédibles). Le riche appareil documentaire
couvre plusieurs siècles, de nombreuses disciplines juridiques et bien entendu
le DIP de la famille au Maroc et en France.
La problématique de cette thèse est
clairement posée (pp32-34). L’Histoire du droit pour expliquer le présent et se
projeter dans l’avenir nous semble acceptable. La méthodologie suivie par
l’auteur est essentiellement positiviste, techniciste, elle reflète le
juridisme dominant. Face au droit musulman, le discours n’est pas conservateur.
Il est réformiste, aux frontières du modernisme, sans atteindre l’athéisme; on
ne peut le lui reprocher.
La traduction globale des textes en langue
arabe au français est correcte. L’écriture utilise un ton analytique,
pédagogique, par endroits synthétique, démonstratif, mesuré, prudent,
constructif sans tomber dans la polémique, l’excès, la controverse traquant
systématiquement les contradictions. La contestation est polie (p.125 charfi et
polygamie), la politique d’intégration (p.264). Elle ne heurte pas avec
violence. Le style est limpide, agréable, les idées sont claires. L’insertion
des citations est bien conduite. Un plan équilibré, justifié a été retenu :
revenir aux règles fondatrices pour éclairer, interpréter comment deux
institutions Polygamie et Répudiation voyageant au fil du temps contre vents et
marées, en pays d’Islam et au sein d’un univers laïc, voire athée, ont pu
composer avec un réel sociétal toujours en pleine mutation et de plus en plus
hostile.
Le détour est donc nécessaire. C’est une
plus-value car très souvent les avocats, les assistantes sociales, certains
magistrats jugent du haut de leur certitude les institutions du Sud, et croient
détenir la boussole des valeurs. Des officiels imposent leur critère
d’intégration sous un angle de rapports de forces.
Un plan à idées aussi a été retenu
(titre des parties pp37-237), intitulés des titres 1 et 2 des deux parties (pp
41-175-241-353), titre des chapitres est appréciable.
Après une introduction générale (pp 15 à
37), où l’auteur met en exergue l’intérêt pluriel du sujet, l’évolution de la
Moudaouana, sa réception par le for français, le devenir possible de la
convention franco-marocaine et justifie sa problématique et son plan, la
première partie (pp.37 à 235), très intéressante, surtout pour un lecteur non
musulman qui veut comprendre, pas un lecteur averti, est divisée en deux titres
(pp.41 à 173 et pp.175 à 235) fournit des développements où Mme DAOUDI démontre
incontestablement des qualités de juriste. Elle argumente, soutient,
interpelle, discute, conteste, réfute en faisant le tour des institutions de la
période antéislamique à nos jours, que sont le Mariage, la Polygamie (dont j’ai
apprécié les développements historiques et tiers-mondistes) et la Répudiation à
travers le droit musulman, la Moudaouana et la réforme de 2004. Par cet
éclairage historique, religieux, évolutif se payant le luxe de préciser le sens
de certains concepts, on mesure l’ampleur du travail réalisé. L’ambition de
l’auteur ne s’arrête pas là car elle fait voyager les deux institutions en
France en tant qu’ « immigrées » à partir de la page 237.
Dans la deuxième partie (pp.237 à 442)
divisée en 2 titres : immixtion dans l’espace international français et vers
une coexistence harmonisée axée essentiellement sur la jurisprudence française
et l’impact de la réforme du code de la famille de 2004 au Maroc, on appréciera
les passages sur le rejet de la polygamie sous l’angle de la condition des
étrangers, les développements de la jurisprudence sur la répudiation depuis
l’arrêt Rivière, Tarwid, Rohbi, les phases de reconnaissance de la répudiation
(p 275), de rejet (p 281), d’intervention de l’ordre public face à la polygamie
(p289) : ordre public procédural, ordre public matériel, ordre public de
proximité (p307), droits fondamentaux (p313) et réception de la répudiation
unilatérale prononcée par le mari, appréciation de la répudiation in concerto
(p335) court-circuitée par le principe de l’égalité au nom de la convention
européenne des droits de l’Homme.
Le titre 2 (pp353 à 442) intitulé vers
une coexistence harmonisée, essaie de répondre à des questions pertinentes :
comment concilier des impératifs contradictoires ? Comment assurer l’entraide
judiciaire ? Comment dépasser les obstacles pratiques ? La réforme de 2004 du
code de la famille au Maroc suffit-elle ? Quel compromis rechercher ? A cette
fin, après l’exposé du compromis officiel (p357) qu’il s’agisse de la polygamie
ou de la répudiation, on est surpris (p383) par l’interprétation extensive
faite par la cour de cassation en France au sujet du mariage entre personnes du
même sexe qui ne serait pas interdit par le droit marocain. Des développements
analytiques sont consacrés à la convention franco-marocaine (pp 386 à 394) les
difficultés d’application ce qui est intéressant (p395) en matière de mariage
et de sa dissolution quant à la loi nationale, les obstacles liés à la loi du
domicile (p401). Que faire ? Renégocier la convention ? La réformer ? La
dénoncer ?
Un accord a été signé en 2015 après un
gel d’une année, mais cela dépasse selon nous le cadre choisi par la candidate
pour sa thèse.
A partir de la page 407, l’auteur
propose la recherche de nouveaux compromis : lois matérielles, règles
supplétives annexes au contrat de mariage, réactualisation de la convention
bilatérale de 1981. Mme DAOUDI expose les différentes attitudes du juge
marocain de l’exéquatur (rejet p 410 et p413), acceptation (p412 et p415-416),
l’ordre public de proximité développé par le juge en France (p425) et le
couperet de l’article 10 du Règlement européen Rome III en 2010 et considère
que l’ordre public atténué est une option raisonnable (p428), et l’autonomie de
la volonté proposée par J.Y CARLIER intéressante (p429).
La candidate dans le sens de la
recherche du compromis avec l’Autre, défend l’idée de l’adoption de nouvelles
règles matérielles au Maroc en matière de polygamie (p433) en la verrouillant
davantage : énumération des causes à l’image de ce qui a été fait pour
l’avortement après l’arbitrage royal, accords des deux épouses, capacité
financière de l’époux… et de diluer la répudiation unilatérale prononcée par le
mari dans le divorce judiciaire à l’image du législateur tunisien (article 30
et 31 de la Majalla), le code de la famille à la carte (p438) et met en exergue
l’idée de la double allégeance en matière de nationalité (p439) prévue par la
constitution de 2011.
La conclusion générale s’achève
(pp443-446) par un plaidoyer en faveur de la notion d’ « accommodement
raisonnable » qui commence à faire son chemin, CARLIER ayant renoncé à sa thèse
sur l’autonomie de la volonté qui avait suscité un débat très contrasté au sein
du jury dans lequel j’ai siégé à Louvain La Neuve.
Bien entendu, la thèse même si elle fait
le tour de la question, n’est pas sans défauts. La grille de vérification des
références laisse apparaître des insuffisances. L’auteur n’a utilisé qu’un
savoir écrit fermé. Il est curieux de ne pas retrouver des références
importantes comme des conventions multilatérales, des rapports à l’ONU,
l’encyclopédie de l’Islam, les ouvrages de Linant de Bellefonds « traité de
droit musulman comparé », les ouvrages sur le droit hébraïque marocain … des
études sur le DIP marocain, la jurisprudence et la doctrine en matière de
conflits de lois et de juridictions au Maroc, des ouvrages et des décisions judiciaires
en droit familial depuis 2004 en arabe manquent. Des références électroniques
sont inutilisables (ex p259, 287). Pourquoi glisser des mémoires de licence ? Wikipédia
? Où sont les pages 174,236 ? Il n’y a pas d’index thématique, pas de numéros
devant les développements, la table des matières reprend le sommaire. Pourquoi
dans un travail scientifique, des dédicaces, des remerciements
Pour le fond du travail, une remarque
globale. On peut s’étonner de l’existence de très longs développements dans le
texte ou en notes qui peuvent paraître non indispensables. Si des
développements ne manquent pas d’intérêt, d’autres auraient pu être
approfondis. C’est là tout le problème de la frontière entre l’analyse et la
synthèse. Un défaut parcourt toute la thèse. Il s’agit de l’utilisation du
terme répudiation (titre de la thèse, p211, p228), l’auteur trébuche à la page
217 en l’utilisant. Ce n’est qu’aux pages 214 à 218 que la répudiation
unilatérale prononcée par le mari est traitée, le reste est-il hors sujet ? Et
ce n’est qu’à la page 108 que la thèse traite spécifiquement de la polygamie,
alors les pages 45 à 108 sont-elles hors sujet ?
Ensuite des questions restent posées.
Quel est le point de vue de l’auteur sur l’attitude du législateur retenant le
don de consolation seulement pour le divorce sous contrôle judiciaire ? Faut-il
retenir le privilège de nationalité et le privilège de religion (article 2
alinéa 2 du code de la famille et article 2 code de la nationalité) et
maintenir le DCC dans sa version de 1913 ? Pourquoi avoir éliminé la réforme du
code de la nationalité marocaine en introduction ? Peut-on renoncer à la
nationalité marocaine ? Que penser de l’article 400 (p231) ? Renvoie-t-il au
préambule du code de la famille ?...
La réception du statut personnel
marocain en France dépasse le caractère bilatéral et la convention judiciaire
de 1981 : limites fixées par l’auteur. C’est bien de plaider, comme le fait Mme
DAOUDI, pour un Islam ouvert au dialogue, un Maroc évoluant vers la modernité,
de barrer la route au erreurs, aux excès, à la folie de la radicalisation, et
pour une France en croyant au génie de la modération, à la fin du temps d’un
Islam clandestin, rasant les murs, un Islam religion d’importation, au fait que
la croyance serait l’inverse de la raison. Mais il faudrait peut-être aller
plus loin.
Le Maroc a placé la constitution de 2011
au-dessus des traités internationaux. La Russie n’a-t-elle pas bloqué à l’ONU à
la fin de 2016, le mariage des homosexuels, au nom de ses valeurs, sa
constitution, entendant protéger la famille ? La Russie et la Chine brandissent
des « valeurs » russes et chinoises contre celles de l’Occident pour contester
à celui-ci le droit de dire la norme internationale.
Quitte à critiquer la notion
d’universalité des droits de l’Homme. Dans toutes les enceintes
internationales, systématiquement Pékin et Moscou entendent neutraliser le
leadership américain et occidental. N’est-il pas étonnant aussi de constater
qu’à la fin de son mandat, OBAMA a cédé à un lobby américain humanism
association afin de protéger les athées dans le monde ? Et au même moment le
ministère de la justice en Espagne est en train de réfléchir à la création de
juridictions chargées du statut personnel des musulmans appelées à appliquer
les 4 rites orthodoxes. Fouad RIYAD avait plaidé pour un code de statut
personnel pour les musulmans d’Europe.
Le Roi, Amir al Mouminine, ne protège
pas seulement l’Islam, il est le protecteur des religions monothéistes. Il est
le président du comité Al Qods. L’O.C.I. a été créée à Rabat. Le Maroc est un
pays d’accueil des immigrés. Il a pour ambition d’incarner l’Islam modéré à
l’échelle mondiale face au wahhabisme et au chiisme. Il investit dans la
formation des imams. Cette conception dépasse les frontières du Maroc. Tout
n’est pas joué au Maroc, les choses bougent.
Après le printemps arabe, les zones de
turbulences persistent… Ce n’est pas joué en France non plus depuis 1905.
Plusieurs exemples peuvent être cités. N’oublions pas que la convention de 1981
a été signée après la loi Foyer, on l’a gelé pendant un an parce qu’il y a la
lutte contre le terrorisme international où l’aide du Maroc est incontournable.
La convention judiciaire ne peut être détachée de la mise en œuvre des autres
conventions. Se limiter à la France, et la Belgique, la Hollande, l’Allemagne,
l’Italie… dans tout cela ? Mme DAOUDI n’y répond pas.
La fin de l’histoire (FUKUYAMA) ?La fin
probable de l’Occident (M. ONFRAY) ? La fin du monopole occidental (P.BONIFACE)
? Les relations privées internationales évoluent. Après le malentendu, le
compromis historique interpelle le juriste de droit international privé. Les
solutions ne doivent pas être mécaniques. L’identité ne peut être que composite
au Maroc, en France, en Europe, ailleurs. C’est dire que le dialogue des juges
est toujours ouvert au sein d’un même pays et entre les pays. Il en est de même
de ceux qui élaborent la règle de droit surtout dans des domaines complexe
comme le statut personnel, le doyen CARBONNIER l’avait bien vu. La solution
miracle n’existe pas qu’il s’agisse de polygamie, de répudiation… La main
tendue permettra toujours de voir ce qui peut être accepté, négocié, réfuté,
transposé à un moment donné….