
LE MAROC FACE AU
CORONAVIRUS : AUCUNE CATASTROPHE A VENIR ?
Chawqui Lotfi, Chercheur associé au CETRI
Depuis des décennies, le système de
santé publique au Maroc connaît une asphyxie budgétaire. Le pouvoir a fait le
choix de privilégier les cliniques privées, suivant en cela les injonctions des
institutions financières internationales. Les hôpitaux publics sont, pour
nombre d’entre eux, dans une situation de délabrement et concentrés
géographiquement. Un rapport de l’OMS (2018) notait que « Le secteur public comprend 2.689 centres de soins de santé
primaires et 144 hôpitaux à différents niveaux : local, provincial, régional et
tertiaire. Le nombre total de lits hospitaliers est de 22.146. Le secteur privé
est composé de 6.763 cabinets privés et de 439 cliniques, concentrées dans les
zones urbaines et dans le nord de la côte Atlantique. Le système de santé connaît
une pénurie importante de ressources, en particulier de ressources humaines :
la densité est de 0,68 médecins et 0,84 infirmiers et sages-femmes pour mille
habitants. Par ailleurs, malgré une augmentation du budget de la santé,
l’investissement dans le secteur de santé reste faible (moins de 6% PIB) et les
dépenses directes des ménages élevées (autour de 54%). Le Royaume est
certainement loin du standard international établi par l’OMS, qui stipule qu’il
faut un médecin pour 650 habitants et une part de 10 à 12 % dans le budget
de l’État. Ces dernières années, nous avons assisté à des mobilisations
importantes, en particulier chez les étudiants en médecine contre les processus
de privatisation et de contractualisation, qui aboutissent à dégrader vers le
bas, les conditions de travail du personnel soignant. Les mobilisations portées
par différents « hiraks », lourdement réprimés comme dans le Rif,
exigeant entre autres, des infrastructures sanitaires, ont également marqué
l’actualité récente
C’est dans ce contexte que
l’épidémie a fait son apparition au Maroc. Dix jours après l’apparition le 4
mars du premier cas de Covid-19 , les frontières et les écoles ont été fermées,
et un confinement décrété le 20 mars, en même temps que l’état d’urgence sanitaire. A ce jour (27 Avril), le bilan officiel note 4 120 cas
d’infection, 695 guérisons et 161 décès. Youssef Oulhote, docteur en
épidémiologie et bio-statistique, notait, il y a quelques semaines, dans une
contribution que « le nombre de cas détectés reflète davantage
le nombre de tests effectués par les pouvoirs publics que la réalité de la
transmission sur le terrain. Ce qui est certain, c’est qu’il y a déjà des
transmissions communautaires, et que le nombre de cas va exploser dans les
semaines à venir. Les projections les plus pessimistes indiquent que la maladie
pourrait se transmettre à plus de la moitié de la population si des mesures
préventives sérieuses ne sont pas prises immédiatement. Le Maroc possède 1.1
lit pour 1000 habitants, et cette capacité n’a cessé de diminuer depuis les
années 1960. C’est beaucoup moins qu’en Italie (3,2), en Chine (4,2) en Algérie
(1.9), et en Corée du Sud (12,3), qui ont tous connu des difficultés.
L’information sur la capacité de pointe en termes de lits dans les soins
intensifs et les appareils de ventilation disponibles est absente. En se basant
sur la limite inférieure des estimations actuelles proposées par l’ensemble des
épidémiologistes en l’absence de mesures préventives adéquates, posons
l’hypothèse que seulement 20% de la population adulte sera infectée (les
estimations vont de 20 à 60%). Il est impératif de souligner que la majorité
des cas ne sera probablement pas diagnostiquée, et que ces chiffres s’étaleront
sur plusieurs mois. Dans cette hypothèse, le Maroc aura environ 4 millions de
cas (encore et pour ne pas être alarmiste, en absence de mesures préventives
adéquates), dont à peu près 10% nécessiteront une hospitalisation. Nous aurons
donc besoin de 400 000 lits d’hôpital, dont une partie significative aura
besoin de soins intensifs et de ventilation. Or, le Maroc ne dispose
actuellement que de 30 000 à 40 000 lits d’hôpitaux, soit 10 fois moins que nécessaire,
en plus de la pénurie de médecins et de personnels hospitaliers.»[1]
Le chiffre avancé est supérieur à
celui fourni par l’OMS mais ne change rien au problème de fond. Le porte-parole
du gouvernement avait avancé dans un premier temps le chiffre de 250 lits de
réanimation (pour une population de 35 millions d’habitants) avant de le
rectifier à la hausse (1640 dont un
tiers relève du privé)[2]. Au-delà même de la question des lits, le
système hospitalier a connu un processus de désinvestissement, de baisse
des équipements, de délabrement des installations et des conditions d’hygiène,
de fermeture de services. L’accès aux soins était « monnayé », les
patients devaient souvent acheter eux-mêmes le matériel de base nécessaire ou
« payer » pour ne pas rester indéfiniment dans la liste
d’attente...Le système actuel n’est pas, en tout état de cause, en capacité de
faire face à une extension massive des infections. A ce jour, nous ne savons pas combien de lits
dédiés pourront être mobilisés sur le long terme, de services de réanimation
correctement équipés, de stocks de tenues de protection, de tests de détection
nécessaires, de gel hydro-alcoolique, de matériel d’intubation et d’appareils
respiratoires, sans même préjuger le degré de formation des équipes soignantes
face à ce type de crise sanitaire[3].
Pas plus que nous ne pouvons perdre de vue que le système de défense
immunitaire du « corps social « est « déprimé » compte tenu
des conditions de travail, d’hygiène et de vie. La réalité des
pathologies chroniques qui peuvent être des facteurs de risques est
massive. Les autorités ont réagi principalement par deux sortes de mesures,
l’un définissant un volet financier et social, l’autre pouvant s’apparenter à
un volet sanitaire et préventif.
Le
volet financier et social
Cela s’est traduit principalement par la
création d’un “Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du Coronavirus La
Covid-19” dont l’objectif serait :
-
Assurer le financement des mesures de prévention et de lutte
contre le Coronavirus et ses effets.
-
Prendre en charge des dépenses de mise à niveau du dispositif
médical, en termes d’infrastructures adaptées et de moyens supplémentaires à
acquérir, dans l’urgence, pour traiter dans de bonnes conditions les personnes
qui seraient atteintes par le virus.
-
Soutenir l’économie nationale à travers des mesures qui seront
proposées par le Comité de Veille Économique (CVE) créé à cet effet.
Outre le budget général de l’État,
le fonds bénéficiera également de la contribution de plusieurs organismes et
institutions[4]. Il est
également précisé que le CVE est composé
de 8 membres du Gouvernement, de Bank Al Maghrib (BAM), du Groupement
professionnel des banques du Maroc (GPBM) , de la CGEM ( syndicat patronal ) et de la Fédération des
chambres du commerce, de l’industrie et des services et celle des chambres de
l’artisanat.
Parmi les principales mesures qui
ont été prises : la suspension du paiement des charges sociales
(cotisation CNSS), la mise en place d’un moratoire pour le remboursement des
crédits bancaires au profit des entreprises, le report des échéances fiscales. De même, les contributions de différentes
entreprises ont été qualifiées de don revêtant « le caractère de charges
comptables déductibles du résultat fiscal".
D’autres mesures ont été précisées
concernant les salariés: le versement d’une allocation de 2000 DH (180 euros) pour ceux, contraints à un chômage technique,
à condition qu’ils soient déclarés à la CNSS (Caisse nationale de Sécurité
sociale), en sachant que le nombre de salariés déclarés est extrêmement bas[5] . Pour les autres catégorises, l’aide
prévoit, notamment ceux qui étaient inscrits à la RAMED[6]
fin décembre 2019, «800 dirhams ( 72 euros ) pour les ménages de deux personnes
ou moins, 1 000 dirhams ( 90 euros )
pour les ménages formés de trois à quatre personnes, 1 200 dirhams ( 108 euros ) pour les ménages de plus de
quatre. » Quand à ceux qui sont plongés dans l’invisibilité totale, ne
bénéficiant ni de la CNSS, ni de la RAMED, près de 46 % de la population active ne bénéficie d’aucune
couverture médicale, « les mêmes montants seraient accordés
progressivement par le biais d’une plateforme électronique dédiée au dépôt des
déclarations ».
Ce
qui transparaît d’une manière explicite peut se résumer en quelques
points :
a) la priorité donnée au maintien de
l’activité économique et intérêts des grandes entreprises. Au- delà de
l’utilisation des sommes collectées dans le Fonds, le gouvernement El Othmani a
entériné le dépassement du plafond des emprunts extérieurs pour 2020. Une
décision suivie immédiatement par une demande adressée au Fonds monétaire
international (FMI), sollicitant l’activation de la « Ligne de Précaution
et de Liquidité ». Celle-ci équivaut à presque 3 milliards de
dollars, approuvée par le conseil d’administration du FMI le 17 décembre 2018.
Elle n’est pas destinée à la crise sanitaire.
b) l’absence de transparence sur les
arbitrages et répartition du budget dédié. Combien iront spécifiquement au
secteur de la santé ? En fonction de quels critères ?
c) le caractère conjoncturel des aides financières faisant fi de mesures
budgétaires à plus long terme, d’une « loi de programmation
budgétaire » pour reconstruire un système de santé efficient.
d) la composition du CVE et des
« donateurs » est lui-même significatif : les choix sanitaires
sont liés aux intérêts du « monde des affaires » et « l’élite
politique et administrative ». Ce n’est ni la société civile indépendante,
ni les associations citoyennes, ni les représentations des communautés de
soignants, qui sont mises en avant dans les procédures de proposition et de
décision.
e) la continuation des politiques d’austérité
et de mesures anti sociales exigées au nom de l’unité et priorité nationale de lutte contre
l’épidémie.
En effet, ont été décidés en même
temps le gel des carrières, des promotions et des embauches des « budgets
non stratégiques « ( ? ) , mais aussi, une ponction directe sur les
salaires des fonctionnaires (1 jour mensuel pendant les trois à venir), y
compris les retraités. Cette ponction obligatoire est justifiée par l’article
40 de la constitution stipulant que tous les citoyens doivent supporter
« solidairement et proportionnelle à leurs moyens, les charges que
requiert le développement du pays et celles résultant de calamités et
catastrophes naturelles ». Cette
ponction qui doit alimenter le fonds spécial de lutte contre l’épidémie révèle
son caractère de classe. Elle fait l’impasse sur l’exigence d’une taxation
spécifique sur les grandes fortunes, met sur le même plan des catégories
sociales différentes, exonère de fait le patronat. Des infirmières en première
ligne qui touchent à peine entre 250 et 550 euros mensuels devront être
ponctionnées, comme si l’impact financier était le même que les hauts commis de
l’état, les sommets supérieurs de la bureaucratie civile et militaire. Il
s‘agit de faire financer, par des catégories sociales modestes, les
défaillances des politiques publiques en matière de santé et d’aider les
entreprises à passer le cap de la crise. Aux uns, la charité publique, des
licenciements de masse, des baisses de salaires, des ponctions obligatoires,
aux autres, toutes les aides pour compenser la baisse des profits. Il s’agit au
fond de l’application du vieux principe de « socialisation des
pertes » au profit d’une minorité.
La gestion du coût social fait
apparaître une logique de charité publique minimaliste. Que représente la somme
de 1200 Dh pour des ménages de 4 personnes et plus ? Sans parler de la complexité de sa mise en
œuvre pour des catégories peu familiarisées à l’usage d’une plateforme
électronique et des délais de vérification du bien-fondé des demandes par les autorités
locales, avec un risque d’arbitraire réel. Selon les données existantes, le
nombre de salariés déclarés à la CNSS et en arrêt de travail seraient au nombre
de 578.208 mais ce chiffre devrait augmenter sensiblement dans les semaines qui
viennent. Pour les Ramedistes, aucun chiffre précis n’a été avancé, mais
si l’on se base sur la documentation de la loi de finances 2020, les personnes
concernées représenteraient 5,49 millions de ménages soit 14,4 millions de
bénéficiaires. Par contre, on ne connaît pas le chiffre exact de ceux qui
détiennent des cartes Ramed valable au 31 décembre 2019, une des conditions
pour bénéficier de l'aide. Pour les sans Ramed, la tâche de les
identifier est plus difficile encore. Si l'on se base sur les données du Haut-Commissariat
au Plan sur le secteur informel, cette catégorie des travailleurs informels et
des salariés non déclarés (de nombreux artisans, journaliers, vendeurs
ambulants, coursiers, gardiens, femmes de ménage, ouvriers du bâtiment...) pourrait comprendre jusqu'à 5
millions de personnes. Au total, bien plus que l’estimation cible faite par le
Ministre de l’économie qui vise une aide à environ 4 millions de ménages ...A
noter que plus d’un mois après le confinement, aucun versement n’a encore eu
lieu pour cette dernière catégorie. Les bénéficiaires du Ramed ou non,
constituent le cœur de l’économie informelle de survie et sont pour plus de
91 % d’entre eux, en situation de pauvreté absolue. Il faut rajouter des salariés avec des
contrats de travail (ou même sans),
n’appartenant ni aux catégories des travailleurs de l’informel, ni aux
bénéficiaires de la Ramed et sont exclus de fait de tout système d’aide pour ne
pas avoir sollicité celui-ci dans les
délais impartis, après avoir découvert sur le tas que leurs employeurs ne les
avaient pas inscrit à la CNSS. C’est le cas de nombreux salariés dans le BTP,
certaines usines ou les marins pécheurs. En réalité, il n’y a pas de données
statistiques fiables et d’institutions sociales prenant en charge les plus démunis
et permettant d’unifier les aides sociales dans des conditions transparentes et
efficaces.
A
propos du confinement.
A ce volet financier et « social »,
se combinent les mesures visant à confiner la population, mais qui s’avèrent
confuses, contradictoires et inadaptées pour plusieurs raisons :
-
Une grande majorité de la population n’a d’autres moyens de
subsistance économique que par l’intermédiaire d’activités informelles dans
l’espace public ou d’un travail journalier. Dans les espaces populaires de
l’économie informelle, une des données les plus récurrentes est qu’il s’agit
d’une économie mobile. Mobilité géographique parfois importante des personnes en
direction des marchés de toute sorte, déplacement des marchandises et biens
primaires selon les opportunités, connections informelles de différents lieux
et personnes. Cette économie de la débrouillardise fondée sur différents modes
de circulation est encastrée dans des pratiques sociales où la vie sociale et
les marchés de subsistance ont pignon sur rue. Essentielle dans les stratégies
quotidiennes de survie des pauvres, cette forme d’économie a été brutalement
arrêtée par le confinement qui a paralysé toute forme de déplacement.
-
De même, l’existence d’un secteur massif de la population vivant
dans des conditions de promiscuité spatiale (bidonvilles) ou sans logement ou
dans des logements surpeuplés, constitue une donnée objective et constitue en
soi une limite à l’efficacité d’une politique de confinement. Cette donnée
explique en partie pourquoi le virus s’est transmis dans une première étape
dans des quartiers précis et au sein des cellules familiales.
-
La question de l’arrêt de la production dans tous les secteurs non
essentiels, en cohérence avec une politique de confinement, est refusée. Ainsi,
des centres d’appel, des usines, des chantiers BTP, le complexe minier, les
grandes exploitations agricoles[7],
des secteurs administratifs qui concentrent, sans aucun moyen de protection, ou
tardivement ou d’une manière peu efficace et suffisante, des centaines ou
milliers de salariés, sont maintenus[8].
Ainsi, il y a quelques jours, une centaine
d’ouvrières ont été infectées dans une usine française délocalisée produisant du
matériel paramédical dans la région de Casa, mais c’est également le cas dans
des usines de textile, des centres d’appel, des supermarchés (Fès, Tanger,
Marrakech, Tétouan…), des usines de conserve (Larache, Safi), de câblage
(Kénitra). Chaque semaine annonce un
nouveau cas. Le fait de mettre en quarantaine les personnes infectées et de
suivre leurs contacts n’élimine pas les foyers générateurs que sont les lieux
de travail. Plus le temps passe, plus il apparaît que les principaux foyers à
venir se cristalliseront de plus en plus dans les usines et lieux de travail,
d’autant que nombre de ces usines sont connectées à des quartiers populaires
denses par leur population. Dans les
faits, malgré l’existence d’une commission de contrôle gouvernemental visant à
vérifier la conformité des entreprises aux exigences sanitaires, ces dernières
sont rarement respectées, non pas seulement en raison du « surcoût »
ou de la nécessité de réduire les effectifs (pour garantir des espaces de
sécurité ) au risque de baisser la productivité, mais parce que
fondamentalement, l’organisation despotique du travail et les formes de
surexploitation imposées, cohabitent mal avec le principe de sécurité des
travailleurs. Au Maroc, les salariés
n’ont aucun droit et leur niveau de protection dépend de l’arbitraire patronal.
Il apparaît clairement la contradiction entre l’exigence du confinement qui est
supposée les concerner et la contrainte, sous peine d’être licencié ou ne pas
être payé, de continuer à aller travailler. Et dans les faits, la mise en
quarantaine après l’apparition de cas d’infection, équivaut à des licenciements
secs.
Des
politiques sanitaires menées sous l’état d’urgence
Les autorités comptent sur le fait d’avoir
déployé une politique de confinement relativement tôt sans voir qu’à elle
seule, cette dernière est insuffisante et intenable sur la durée. Le
confinement n’élimine pas le virus, il peut tout au plus ralentir l’extension
de l‘épidémie. Le discours officiel se veut rassurant, laissant entendre que
l’épidémie est maîtrisée, que le pic est quasiment atteint, que le nécessaire
est fait, mais plus le temps passe, plus il apparaît qu’il n’y a aucune
maîtrise de la dynamique de contagion qui a sa part d’inconnue, compte tenu de
la faiblesse des tests. D’ailleurs, en toute logique a été confirmée le
prolongement du confinement jusqu’au 20 mai.
Il n’y a pas de campagnes massives
d’information sur le terrain, menées par des équipes spécialisées notamment sur
les gestes barrières. L’ordre principal est de rester chez soi. Quand elle est
menée, ce n’est pas d’une manière pédagogique mais avec une incitation
sécuritaire et les logistiques propres au Ministère de l’intérieur, au lieu
d’être porté par des équipes dédiées civiles et formées. Cela ne peut
qu’inciter à la défiance. On ne confine pas les populations d’une manière
autoritaire à plus forte raison dans un contexte général où la parole de l’État
est discréditée. Et la notion de confinement, telle qu’elle est portée se
limite à un ordre à exécuter du seul fait qu’il est ordonné par l’État, elle ne
s’insère pas dans une politique active de prévention cherchant à s’appuyer sur
la responsabilité collective, la compréhension partagée des enjeux,
l’information précise des conséquences des interactions sociales prolongées,
mais sur la simple volonté d’affirmer et d‘imposer l’autorité de l’État. Il ne s’agit pas d’ailleurs seulement de convaincre
et de faire œuvre de pédagogie, mais aussi de répondre aux questions sociales
spécifiques que peut générer une politique de confinement sur la durée et en
particulier la perte de ressources pour de secteurs importants de la
population. Le fait que dans certains quartiers populaires, l’appel au
confinement s’accompagne d’une démarche punitive[9] ou
visant la destruction des charrettes ambulantes ou de souks informels établis,
laisse transparaître la permanence de la guerre contre les pauvres, de leurs
moyens de survie élémentaire, bien plus
que la lutte contre le virus. Comme si
l’État d’urgence sanitaire était le cadre par lequel l’évacuation des marchés
informels et l’interdiction de l’occupation du domaine public, inscrits depuis
plusieurs années dans l’agenda étatique, pouvaient être menées à leur terme,
sans résistance majeure. A son tour, l’usage marginal de la langue amazighe
exclut de fait des catégories de la population et cette campagne de
sensibilisation n’a guère lieu hors des grandes villes. Tout indique
d’ailleurs, que la priorité est donnée au « Maroc utile » sur
« le Maroc inutile »
Dans la panoplie des moyens utilisés, l’État a
fait le choix de développer le port obligatoire des masques. Le Ministre
de l’Industrie a fait savoir que le Maroc en produit désormais 5 millions par
jour. Ce chiffre doit être relativisé. Le besoin réel est nettement supérieur
en raison du poids de l’économie informelle[10],
des besoins de déplacement et sachant que les masques en question ont un usage
limité dans le temps (3-4h). Au-delà de la controverse sur le niveau de
protection offert, leur conformité aux normes internationales[11],
beaucoup note la difficulté d’approvisionnement sur tout le territoire. Les
lots de paquets de 10 contiennent des prototypes défectueux. Malgré cela, les
sanctions tombent devant l’obligation de porter les masques alors que ces
deniers restent parfois introuvables et sont inégalement répartis. Notons aussi
que cette situation a favorisé un commerce criminel privé : plusieurs
milliers de masques considérés comme fiables (FFP2) ont été vendus à divers
centres hospitaliers et se sont avérés être des faux, au risque de la santé du
personnel soignant, tout comme ont circulé des masques n’ayant reçu aucune
validation. La crise ouvre l’espace aux pratiques coutumières de l’économie
réelle où tout devient un moyen de générer des profits. On peut spéculer sur
les prix des denrées alimentaires de bases, comme faire de la pénurie des masques,
un marché lucratif. .Ce qui est révélé ici, c’est d’abord l’absence d’un
contrôle public établi de longue date sur les processus de production et de
distribution du matériel médical de base, l’absence de stocks répondant aux
besoins, la logique prédatrice
régnante. Cette situation de pénurie,
qu’elle soit réelle ou construite, pousse à utiliser le même masque pour éviter
des sanctions, lors des déplacements, avec le risque de favoriser de nouvelles
chaînes de contamination.
Les autorités ont annoncé également
la commande 100 000 tests de « dépistage
rapide » pour élargir la détection précoce (actuellement moins de
2000 par jour), conformément aux conseils de l’OMS. Comme le notait ; le
Président de celle-ci, « on ne peut combattre l’incendie avec des yeux
bandés ». Il est vrai que par exemple, en Corée du Sud, le choix a été
fait dès le début d’une stratégie combinant transparence sur le développement
de l’épidémie avec information régulière de la population, dépistage massif,
accessible à tous à travers des camions en libre-accès. Il ne s’agit pas ici de revendiquer une
recette « miracle » et les moyens employés en Corée du Sud en terme
de fichages et de traçages sont contestables, mais force est de constater que
ce dépistage massif précoce a permis d’isoler les foyers de contamination, de
mettre en œuvre une prise en charge précoce des contaminés, évitant par là même
un nombre important de morts. Au Maroc, l’acquisition d’un tel stock reste à
vérifier compte tenu des difficultés d’approvisionnement. En tout état de
cause, cela s’apparente plus à une extension des possibilités de dépistage,
essentiellement dans les grandes villes, des contacts des personnes ayant
contracté le virus, mais en deçà d’une politique qui permettrait un diagnostic
plus large, intégrant les personnes asymptomatiques.
En complément, le pouvoir envisage le
traçage du COVID 19 par une application spécifique comme cela a pu être
expérimenté ailleurs. L’appel d’offre déposé par le ministère de l’intérieur,
et compte tenu des spécifications recherchées et en l’absence d’opérateur
national fiable, semble s’orienter vers le choix d’un software appartenant à la
société israélienne NSO. Sion Assidon, un des principaux animateurs de la
campagne BDS au Maroc, rappelle qu’elle a été, au-delà de son usage militaire
dans les procédures d’assassinats ciblés en Palestine, utilisée par différents
services de renseignements pour l’espionnage des contenus des téléphones
portables. Que finalement les autorités valident ce choix ou non, le risque est
que le logiciel serve à tracer les citoyens plutôt que les virus, d’autant que
c’est le Ministère de l’intérieur qui en sera le propriétaire, le Ministère de
la santé n’étant que l’usager temporaire du système.
La première impression qui se dégage après cet
état des lieux est la prédominance d’un discours de communication visant à
suggérer que les réponses faites à la situation d’urgence sanitaire sont par
elles - mêmes suffisantes, adaptées et garante d’une maîtrise de l’évolution de
l’épidémie. Qu’il n’y a absolument aucun risque d’une catastrophe sanitaire.
Que l’État en somme, comme à son habitude,
a une capacité d’ajustement qui révèle son caractère d’exception
historique. Au Maroc, la crise n’existe pas. Elle n’est ni sociale, ni
politique, ni sanitaire. Tout est géré. Cette vision idyllique valorisant
l’État profond et ses appareils sécuritaires cadre mal avec la réalité et peut
se retourner comme un boomerang contre ses promoteurs. Car dans les faits,
l’épidémie est un ennemi hétérodoxe : il se nourrit, sans combattre, des
failles et des contradictions du système : le mode d’habitat et
d’urbanisation, l’absence sur la durée de politiques de prévention et d’un
système de santé ancré dans les besoins, la dépendance par rapport au marché
mondial des médicaments[12],
équipements, recherche en matière de santé,
la réalité massive des logiques de survie qui font de la rue, le seul
espace d’arrangement avec la précarité,
l’absence d’un système de protection sociale pour la majorité, le
despotisme d’usine et sur les lieux de travail où la force de travail,
remplaçable à souhait, ne peut être confinée. Le mode de développement a généré
les terrains multiples de propagation du virus dans tous les pores de la vie
sociale et économique. Là est la limite
des actions étatiques portées par une logique sécuritaire. Celle-ci ne peut
répondre aux contradictions
objectives entre confinement et exigence de survie d’une part et maintien d’une
activité, y compris dans des secteurs qui ne sont pas essentiels, d’autre part.
On ne peut être que frappé par la sévérité des sanctions en cas de non-respect
du confinement dans les quartiers populaires et la nonchalance avec laquelle
sont traités les entreprises, les prisons[13],
les grands marchés, qui n’emploient aucune règle sanitaire. On ne combat pas un virus de la même manière qu’une opposition
sociale et politique. Encore moins par un semblant de politique volontariste où
ce qui est annoncé est plus important que ce qui se réalise. Sans d’ailleurs
avoir la possibilité de vérifier d ‘une manière indépendante, la véracité des
chiffres, mis en avant à tous les niveaux.
Et surtout, même en cas de maîtrise, cela ne donne aucune certitude
absolue sur les évolutions possibles, tant les facteurs de propagation du virus
sont multiples et complexes.
Une
autre politique sanitaire est nécessaire
Des choix différents sont
possibles, mais ils ne viendront pas de ceux qui sont responsables de la destruction programmé du système de santé
depuis des décennies et dont les politiques actuelles visent moins la protection
de la population qu’ à gérer le coût social et politique de la crise sanitaire,
sans remettre en cause leur « modèle de développement ». Un ensemble de mesures peuvent éviter la
possibilité du pire tout en partant du principe du droit fondamental à la
santé. L’urgence sanitaire doit donc inclure une aide massive à la population
pour éviter la montée de la paupérisation et pour que personne ne se retrouve
démuni en temps de crise sanitaire, au-delà des mesures de charité publique
actuel. Il s’agit en même temps de
réorganiser le système de santé dans son ensemble et mobiliser toutes les
ressources nécessaires pour faire face à l’épidémie. Sans cela, il n’y aura pas
d’adhésion durable de la population, ni même une politique de lutte efficace.
Ces mesures sont d’ordre socio-économique et sanitaire
Sur le terrain sanitaire :
Campagne d’information
massive actualisée sur l’épidémie et les comportements nécessaires pour la
freiner menées par des équipes civiles;
Production et distribution
gratuite d’un matériel médical de base à la population (thermomètre, gel,
masques, désinfectant) à la hauteur des besoins ;
Gratuité inconditionnelle de tous
les soins et généralisation immédiate de la couverture sociale de santé
Satisfaction immédiate des
revendications des personnels hospitaliers permettant recrutements massifs et
ouvertures de lits, embauches de personnels (aides-soignants, infirmiers…) en
CDI avec une revalorisation salariale ; mise à disposition de tous les
moyens de protection nécessaires; formation
sur les procédures d’alerte et de soins face à l’épidémie
Augmentation immédiate des
budgets hospitaliers, afin de rouvrir tous les services ;
Discussion avec les
professionnels dans les établissements sur l’utilisation de ces crédits et sur
l’organisation interne pour faire face à la crise ;
Mobilisation et réquisition de tous
les établissements privés (cliniques) et des hôpitaux militaires et de tout
lieu public nécessaire pour accomplir des missions de service public.
-
création d’hôpitaux de campagne décentralisés et équipées en
particulier dans les zones marquées par un désert médical en termes
d’infrastructures et de personnel. .
Ouverture de laboratoires et
embauche de personnels pour pouvoir mener des tests de dépistage décentralisés,
quotidiens, mobiles et gratuits sur tous les territoires avec l’objectif de
tester le plus grand nombre.
-
Mobiliser les structures pharmaceutiques locales pour qu’elles
produisent leurs propres tests et les réactifs nécessaires, sans dépendre
exclusivement des importations.
-
Transfert du “Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du
Coronavirus La Covid-19” vers une caisse publique partie intégrante du budget
de la santé.
Organisation d’un observatoire
indépendant de l’évolution de l’épidémie et des dépenses consacrées. Exigence d’une transparence totale sur
l’usage des fonds.
Sur le volet social :
Application du principe du
droit de retrait, c’est-à-dire la possibilité pour les salariés, de façon
unilatérale, de quitter leur travail en cas de crainte pour leur santé ou celle
de leurs proches sans aucune sanction
Interdiction de tout
licenciement et toute suppression d’emploi;
Indemnisation intégrale, à
hauteur du salaire, en cas de chômage partiel, total ou de confinement et
non pas seulement la somme dérisoire de 2000DH aux seuls inscrits à la CNSS
-
Création d’un revenu de subsistance a minima à hauteur du SMIG
pour toutes les catégories précaires, au chômage, ou vivant de l’économie
informelle ou journalière.
Suspension des factures d’eau et
d’électricité, du payement des loyers et du versement des intérêts des crédits
bancaires, y compris pour les microcrédits.
-
Contrôle public des prix des produits alimentaires de bases
Réquisition des immeubles vides privés et
publiques pour loger les sans-abri et les migrants dans des conditions de
sécurité sanitaires et alimentaires
-
Libération des Prisonniers de droits de commun pour les délits non
graves qui constituent la majorité des détenus, au-delà des premières annonces
faites et libération des prisonniers politiques liés aux mouvements
sociaux. Tests et suivi médical pour
tous les prisonniers.
-
Arrêt de toutes les productions inutiles ou non indispensables
avec maintien du contrat de travail et des salaires
-
Financement, par les employeurs, des mesures d’hygiène sur les
lieux de travail (gels, temps de pause pour se laver les mains, distance de
sécurité, port de masque, test etc.) où l’activité doit continuer dans les
services essentiels à la vie sociale. Protection maximale dans toutes les
productions essentielles, avec des tests hebdomadaires, des effectifs réduits
par un temps de travail réduit, sans baisse des salaires
-
Une partie plus significative de l'appareil productif doit être
réorienté d'urgence pour fournir massivement les moyens en masques, tests,
ventilateurs, lits, gel hydro-alcooliques au-delà de quelques usines mobilisées
actuellement principalement pour les masques.
-
Impôt exceptionnel sur les grandes fortunes, les actionnaires et
sur les entreprises liées à l’économie de rente pour le financement d’un plan
d’urgence sanitaire.
-
-Baisse significative des allocations budgétaires de la défense et
de l'intérieur, ainsi qu'un gel, en attendant les résultats d'un moratoire, du
versement des intérêts de la dette
Cerner
l’enjeu politique de la conjoncture
Si nous devons exiger des autorités
qu’elles prennent toutes les mesures nécessaires à la protection sanitaire et
sociale de la population, il serait dangereux et hasardeux de s’en remettre à
elles seules. La mobilisation indépendante des acteurs sociaux est
indispensable. C’est en inventant des mécanismes de solidarité par en bas, au
niveaux des habitations, quartiers, lieux de vie, mettant en œuvre des formes
de protection collective et d’aide aux personnes les plus démunies et les plus
fragiles, en refusant collectivement le traitement dérisoire de l’urgence
sanitaire, en exigeant, ici et maintenant, une politique sociale, un
investissent massif dans les hôpitaux publics, dans la prévention et protection
des populations, que peut naître, quand les conditions seront plus favorables,
un mouvement populaire qui exige le respect des droits fondamentaux. Dans les
faits, nombre d’initiatives locales de solidarité dans les quartiers populaires
existent, bien que rarement visibilisées. Nous ne pouvons accepter que le
confinement soit synonyme d’une atomisation des liens sociaux, un repli sur
l’individuel, un abandon de fait et une paupérisation accrue d’une partie
importante de la population ; ni le cadre par lequel l’État, entend
renforcer les politiques d’austérité et resserrer son emprise sur la société.
Nous ne pouvons faire abstraction du fait que la question de la crise sanitaire
est lourde d’enjeux politiques. Et qu’elle se combine...à d’autres crises.
Pour l’État, il s’agit de gérer la
tension entre la poursuite de l’accumulation, le maintien du cadre général des
politiques d’austérité, la sauvegarde des activités d’exportation ou locales
qu’il considère comme stratégiques et d’autre part, la maîtrise de la société
et le risque de voir sa légitimité, voler en éclat, en cas d’expansion de
l’épidémie. Cette tension à son tour est accentuée par plusieurs faits
majeurs :
a) La réalité délabrée de
la « santé publique » qui ne peut plus être éludée et apparaît
comme un miroir grossissant de l’échec des politiques de prédation et de
marchandisation, dans ce qu’elles ont d’ouvertement contradictoires avec le
respect des droits fondamentaux, dont celui de la santé. Révélatrice aussi du
niveau de dépendance périphérique par rapport au matériel de base nécessaire à
des soins vitaux, objet d’une pénurie et concurrence mondiale pour leur
approvisionnement, accentuée par les fractures Nord/Sud. Petit à petit, il
apparaît aux yeux de l’opinion publique le décalage entre les annonces faites
et le vécu, les différentes sociales face à l’épidémie. Nous ne sommes pas tous
égaux face au virus. Et le « succès « promu de la production locale
des masques ne peut faire l’impasse sur la pénurie sur tout le reste.
b) La certitude d’une récession
d’ampleur internationale et nationale durable aux conséquences plus profondes
que 2008. Le rétrécissement des marchés d’exportation notamment en Zone euro,
principal partenaire commercial, le
renchérissement prévisible des prix des produits alimentaires importés, la
chute des investissements locaux et étrangers, des recettes du tourisme et des
apports des ressortissants marocains à l’étranger, sont des indices
précurseurs, dont les conséquences se déploieront sur un tissu social déchiré
par des décennies de politiques d’austérité, de contre réformes libérales,
d’inégalités sociales et territoriales multiples. La paupérisation qui
accompagne la crise sanitaire risque de se combiner à court et moyen terme avec
les conséquences de la crise globale et d’une explosion du chômage de masse
dans les mois à venir. Ainsi, dans les déclarations officielles du Ministre du
travail, 57% des entreprises sont en arrêt temporaire et 6300 ont cessé leurs
activités, une proportion également considérable a vu une nette baisse
d’activité. Les secteurs les plus touchés concernent le transport, le BTP, les
logistiques touristiques, le petit commerce. Pour le seul secteur du tourisme
l’impact sur l’emploi concernerait potentiellement 500000 personnes, mais aucun
secteur n’est en réalité épargné.
c) Cette année de sécheresse qui, selon
les prévisions se traduirait par une
chute de 50 % de production de blé, va impliquer une augmentation sensible
des importations, alors que le pays est déjà fortement dépendant en matière de
denrée de bases ( blé tendre, sucre, mais, huile de graines…) .Sans parler des
autres dimensions de la crise sociale et économique, la combinaison crise
sanitaire et récession peut se traduire, avec des intensités variables, par une
tension protectionniste et un recul des exportations au niveau international,
un risque accrue de pénuries affectant les possibilités d’importation du pays
en denrées alimentaires de base, une nouvelle flambée des prix sur le marché
mondial qui impactera fortement les réserves de change, la balance des
payements, le pouvoir d’achat de la population. Et, en raison de la politique
de confinement dans les grandes villes, une désorganisation des circuits de
distribution des produits alimentaires qui ont un impact direct sur les
campagnes et le Maroc inutile.
Toute la stratégie du pouvoir est de resserrer
le discours d’unité nationale face à l’épreuve en valorisant la centralité de
la monarchie et la prétendue efficacité de l’État profond qui réussira là o
tout le monde semble échouer, y compris, nombres d’états « démocratiques
du centre ». A ce rassemblement national, se combine une stratégie plus
insidieuse visant à opposer les salariés, des secteurs de la classe moyenne,
les catégories populaires de l’économie informelle, ceux qui bénéficient d’un
système de sécurité sociale, ceux qui ont sont exclus ou sont enregistrés dans
un régime spécifique. Cette division elle-même, s’appuie et encourage une
logique de repli et de survie qui vise à ce que chacun fasse part de ses
demandes individuellement, d’une manière atomisée. Alors qu’il apparaît que les
principales victimes sont les catégories subalternes, les prisonniers, les
ouvriers des usines et des champs, les pauvres qui n’ont connu que la pauvreté,
les migrants, les mères célibataires…et qu’une large majorité de la population
devra payer les restructurations à venir, pour compenser « les dépenses
exceptionnelles « et les dépenses structurelles d’un sauvetage de
l’économie de rente périphérique. Cette
dure réalité est effacée, voilée par un discours unanimiste, consensuel,
paralysant qui s’accommode de la biopolitique des dominants, celle, où la crise
sanitaire est dépolitisée, voire niée comme crise, par les termes d’une gestion
technocratique et sécuritaire, au jour le jour, de sorte que la maladie, la
mort et le désarroi restent une question individuelle, sans enjeu politique,
sans possibilité qu’émerge une parole de la société sur ce qui l’atteint, dans
son corps même. Pourtant, au-delà des chiffres qui se veulent rassurant, il
apparaît clairement que le pouvoir ne peut masquer l’expansion des foyers de
contamination dans les usines, ni imposer sur la durée un confinement sur la
base de la charité publique. Le risque est que la vague se précise, au fur et à
mesure, même si elle s’étale dans le temps. Or le temps est précisément l’angle
mort des politiques actuelles tournées vers une sortie progressive mais
resserrée du confinement, probablement après le 20 Mai. Il n’y a d’ailleurs en
réalité aucune stratégie viable et annoncée de déconfinement en termes
sanitaire, ce qui laisse présager la possibilité d’une fuite en avant, tant la
logique du patronat et de la caste prédatrice, n’est pas tant la santé des
populations, que la reprise de « l’activité économique et la protection
des profits ».
Quitte à ce qu’entre temps, soit expérimenté,
en grandeur nature, les procédures d’un couvre-feu, la réhabilitation des vieux
habits de l’appareil despotique où le Ministère de l’intérieur régente la trame
de la vie sociale quotidienne, de nouvelles technologies de surveillance et de
cloisonnement de l’espace, la mise sous tutelle des faibles marges
démocratiques, la criminalisation des résistances et de la liberté d’expression[14],
la poursuite de la répression contre les activistes. Faut-il voir dans le
déploiement des blindés dans les grandes villes, une simple mesure pour assurer
le respect du confinement ( au nom de quelle vertu pédagogique ? ) ou une
adresse à la société, sous le signe de la banalisation sécuritaire à venir,
face aux risques sociaux et politiques assez prévisibles, en cas d’extension de
l’épidémie, ou quand la réalité sociale de la crise économique ne pourra plus
être « confinée » ?.
Crise sociale, sanitaire et
politique vont se nouer d’une manière explosive dans la période qui vient, quel
que soit le degré de maîtrise de la propagation du virus et une crise ne
saurait masquer l’autre. Il appartient à
la société civile indépendante, aux forces réellement attachées au combat pour
la justice sociale, aux citoyens, de porter les axes sociaux et démocratiques
d’un combat pour la conquête des droits fondamentaux et la liberté, ici et
maintenant. L’après-corona se dessine dés aujourd’hui. Ce serait une grave
illusion de croire que le sommet a pris conscience de l’inanité des politiques
suivies à ce jour et qu’il va changer de
« modèle » demain ou que le débat et l’action sur les options
possibles doivent se faire après la
sortie de la crise sanitaire, comme si le moment actuel du côté des dominants,
n’était pas celui d’une politique globale visant à marquer durablement la scène
sociale et politique par un rapport de force totalement asymétrique, en leur
faveur. L’enjeu est de préparer notre camp social au refus d’un retour à la
normalité et aux convulsions sociales à venir.
Chawqui Lotfi, Chercheur
associé au CETRI
[2] Selon les déclarations officielles,
il y aurait eu depuis création de lits supplémentaires portant le nombre total
à 3000
[4] Un tableau de situation des comptes
et des affectations a été publié dans un premier temps sur le bulletin de la
trésorerie générale du Royaume, avant d’être supprimé. Fin mars, il
apparaissait que nombreux dons annoncés de la part des grandes entreprises
(Comme AL MADA avec ses 2 milliards de dirhams) n’étaient pas versés. De fait,
la réalité finale des contributeurs n’apparaît pas, ni les affectations prévus
et réalisés. Les dernières estimations
notaient un fonds équivalent à 3 milliards d’euros
[5] Dans les faits, beaucoup de
salariés sont directement licenciés, sans perspectives de reprise et découvrent
que leurs patrons ne les avaient pas déclarés à la CNSS.
[7] Ainsi la grande majorité des
ouvriers agricoles sont transportées collectivement vers les exploitations sans
la moindre précaution ou distance de sécurité possible
[8] Certaines d’entre elles
appartiennent à des capitaux étrangers. Renault à son tour, qui emploie 11000
salariés s’apprête à reprendre ses activités à Casablanca et Tanger dès fin
Avril...
[9] Le non- respect du confinement et du port du masque constituent
une infraction pouvant donner lieu un à trois mois de prison, amende de
1 300 dirhams (115 euros). Depuis la déclaration de l’état
d’urgence sanitaire, " à ce jour, il a été procédé à l’interpellation d’un
total de 72000 personnes au niveau de l’ensemble des villes" et des
milliers ont été déférés devant les parquets compétents après la garde à vue.
[10] Certaines estimations font valoir
le chiffre de 15 millions de masques pour répondre aux besoins effectifs.
[11] Pour sa part, Abderrahim Taibi, directeur d’IMANOR (Institut
Marocain de Normalisation) précise que des normes spécifiques ont été élaborées
pour qu’ils ne puissent y avoir de
risques de contamination et "ces
normes… peuvent évoluer et tout le monde est invité à y contribuer". Quand
au ministre de l’industrie, dans une drôle de formule, il note que, "si
jamais on compte vendre pour l’étranger, ça sera avec des masques de meilleure
qualité... ». On peut se demander pourquoi ces masques de meilleure
qualité ne sont pas produits pour les habitants.. . Dans les faits, une
partie du secteur textile s’est positionnée sur le marché international, pour
l’exportation des masques, avant que les
besoins internes soient satisfaits
[12] Fait significatif, un accord, en pleine crise sanitaire, vient
d’être passé avec une société américaine qui s’arroge le monopole de vente du
médicament au Maroc jusqu'en 2031, ce qui signifie qu’il n’y aurait pas de
possibilité d’acquérir ailleurs un vaccin ou traitement efficace contre le
COVID si il devait voir le jour, ni envisager la production nationale de
médicaments d’une manière autonome.
[13] Ainsi à la prison de Ouarzazate ont
été détectés plus de 200 cas. Cette situation rappelle la nécessité d’une
libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers d’opinion et des mouvements
sociaux. Des cas importants ont également concerné certaines casernes comme à
Benguerir.
[14] Un projet de loi préparé en
catimini est entrain de soulever un tollé. Il vise à instaurer « une peine
de 6 mois à trois ans de prison » et une amende de 5000 à 50000 Dh contre
toute personne qui « appelle à boycotter certains produits, biens ou
services ou y incite publiquement par le biais des réseaux sociaux ou réseaux
de diffusion ouverts ». Cette tentative de contrôler l’usage des réseaux
sociaux est imbriquée à la crainte d’un développement des contestations
sociales dans la période à venir. Le boycott de différents produits en 2018
avait déstabilisé les registres traditionnels de la gestion sécuritaire et mis
en évidence la confluence entre le grand patronat » et « le pouvoir
politique ».
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