Doctorante, FSJES-Souissi
A partir de cette semaine, on commence la publication
des contributions de nos doctorants.
L’objectif est, au-delà de l’obligation qu’ils ont à
publier, de les encourager à écrire et par là à s’améliorer dans cet exercice.
C’est aussi un outil utile dans la pratique de la
recherche, dans la mesure qu’avec le débat que susciterait la publication de
ces textes, ils auront l’opportunité de vérifier la qualité de leur
contribution et la pertinence de leur argumentaire.
Au cœur du conflit israélo-palestinien, la bande de
Gaza est un territoire situé entre Israël est la mer Méditerranée. Sa position
géographique et ses atouts énergétiques font d’elle, comme a l’instar des pays
de la méditerranée orientale, une zone hautement stratégique.
Vingt an après les premières découvertes de gisement
gaziers, la bande de Gaza n’est toujours pas en mesure d’exploiter son gaz
naturel offshore. Le blocus contre ce territoire serait-il une preuve de la
volonté israélienne pour prendre le contrôle des ressources gazières de la
région ?
• LES RÉSERVES GAZIÈRES EN MEDITERRANEE ORIENTALE
Estimées à 196 900 milliards de mètres cubes, les
réserves mondiales prouvées de gaz naturel ont connu une augmentation
considérable au cours de la dernière décennie.
La Russie (38 900 milliards de m3), l'Iran (31 900
milliards de m3) et le Qatar (24 700 milliards de m3) sont les pays qui
détiennent les plus grandes réserves. Le rapport Réserves / Production mondiale
montre que les réserves de gaz en 2018 sont capable d’assurer la production au
rythme actuel pour les 50 années à venir [1]. Le Moyen-Orient possède les
réserves les plus importantes avec 38,4% des réserves prouvées en 2018 mais ne
fournit pourtant que 17,8% de la production mondiale [2]. L’augmentation des
réserves mondiales dans les dix dernières années est due principalement à
l'accroissement des réserves en Russie, en Iran et au Qatar (figure1).
Le Moyen-Orient est de loin la région où le rapport
réserves/production (R/P) est le plus élevé, avec des réserves suffisantes pour
109,9 ans de production (figure2).
Perçu comme un « eldorado gazier », la méditerranée
orientale connait depuis le début des années 2000 la découverte du plus grand
bassin gazier jamais découvert sous les eaux méditerranéennes. Personne ne
pensait que cette découverte allait donner à la région une importance
géopolitique renouvelée.
L’exploitation de ces ressources sous-marines a ravivé
des conflits aussi bien régionaux qu’internationaux dans cette partie du monde
marquée par une multitude de tensions, notamment le conflit israélo-palestinien
qui reste depuis 1948 le conflit central du moyen orient, la guerre en Syrie,
la tension latente entre le Liban et Israël, le dossier chypriote entre la
Turquie et la Grèce, sans oublier les intérêts des grandes puissances surtout
la Russie, premier fournisseur de l’Europe en Gaz naturel.
Les découvertes du gaz naturel en méditerranée
orientale concernent une zone vaste allant des larges de l’Egypte aux côtes
turques en passant par Israël, le Liban, la Syrie, Chypre et la bande de gaza.
L’enjeu principal du gaz n’est pas lié à la capacité
de production des gisements découverts puisque la méditerranée orientale ne
représente que 2% des réserves mondiales [3], mais à l’exploitation du gaz
naturel et à son exportation vers l’Europe.
Les découvertes du gaz naturel se transforment
progressivement en nouveaux sujets de conflits, entre Israël et le Liban, entre
la Turquie et Chypre, un nouveau défi énergétique de l’Egypte et un nouveau
catalyseur du blocus de Gaza.
En effet , après plusieurs années de forage,
d’importants gisements de gaz sont découverts au large de Chypre en 2018. La
Turquie demande l’arrêt de l’exploration de la zone tant qu’un accord n’a pas
été conclu entre Ankara et Nicosie, puisque la partie nord de l’ile est sous
contrôle de la Turquie ; cette dernière exige également que les Chypriotes
turcs reçoivent une part des produits financiers de l’exploitation du gaz
naturel.
De son côté, l’Égypte est confrontée à d’importants
défis énergétiques et doit répondre à une forte demande de consommation
domestique. Après l’épuisement des réserves de gaz naturel situées au large du
delta du Nil au début des années 2000, le pays est devenu dépendant des
importations israéliennes, Cependant et avec la découverte récente du gisement
Zohr en 2015 (30000 milliards de mètres cubes), l’Egypte devrait enfin aspirer
à une certaine indépendance énergétique.
Par ailleurs, le Liban et Israël contestent le tracé
de la frontière de leurs eaux territoriales. Les eaux territoriales libanaises
étant divisées en 10 blocs, le bloc 9 longe cette frontière ce qui pose un
problème d’exploration puisque le Liban s’avère être aussi une région à fort
potentiel en termes de ressources en hydrocarbures ; en effet les réserves
gazières pourraient atteindre 25 000 milliards de mètre cubes [4].
Le premier gisement découvert sous les côtes
israéliennes au début des années 2000 est nommé Mari B dont les réserves sont
estimées à 28 milliards de m3, depuis, les découvertes de gaz offshore en
Israël se sont multipliées à partir de janvier 2009 grâce au gisement Tamar
avec 240 milliards de m3, Dalit en 2009 (20 milliards m3), Léviathan en 2010
(650 milliards m3), Dolphine 2011 (2,3 milliards m3), Sara et Mira en 2011 (180
milliards m3), Tanin en 2012 (31 milliards m3), Karish en 2014 (51 milliards
m3), Royee en 2014(91 milliards m3) ou encore Shimshon en 2015 (15 milliards
m3). À la fin de l’année 2015, les réserves totales israéliennes, prouvées ou
potentielles, avoisinent les 1 500 milliards de mètres cubes de gaz naturel [5]
• GAZA, LE GAZ ET LE BLOCUS
En Palestine, les réserves de gaz ont été découvertes
en 1999 à travers le champ marin de Gaza (Gaza Marine) qui se trouve à 36
Kilomètres à l’Ouest de la bande de Gaza dans les eaux de la méditerranée , la
licence pour l’exploration et la production a été attribuée au Groupe British
Gas (BG) et Consolidated Contractors (compagnie privée palestinienne)par un
contrat de 15 ans d’exploitation, avec respectivement 60 % et 30 % des actions,
et dont le fonds d’investissement de l’Autorité palestinienne détient 10 %,
deux puits sont ainsi creusés, à savoir Gaza Marine-1 et Gaza Marine-2
Depuis 2007, la bande de gaza vit sous un blocus
militaire imposé par Israël à la suite de la victoire de Hamas aux élections
législatives de 2006 en imposant des restrictions à l’importation de presque
tous les produits commerciaux, produits alimentaires ainsi que les besoins en
gaz naturel. Les deux gisements palestiniens n’entrent donc jamais en fonction
et l’Autorité palestinienne n’a pas eu accès jusqu’à présent à l’exploration de
son gaz offshore à cause du blocage du territoire par Israël, qui veut tout le
gaz à des prix les plus bas [6] .L’autorité palestinienne refuse l’accord en le
qualifiant de vol, et demande sa renégociation.
La réconciliation Fatah-Hamas en octobre 2018 n’était
pas suffisante pour lever les restrictions maritimes imposées par l’État
hébreu. Israël interdit l’exploration en l’absence d’un accord diplomatique
avec l’Autorité Palestinienne.
La Compagnie de production d’électricité de Gaza
(GPGC), la seule entreprise de ce type dans le territoire palestinien,
fonctionne sur du combustible liquide transporté dans la bande de Gaza depuis
la Cisjordanie. Pour compléter la capacité de GPGC, Gaza achète de
l’électricité à la compagnie israélienne d’électricité ainsi qu’au réseau
égyptien d’électricité. Ces mesures d’achat et de transport de carburant sont
conformes au protocole sur les relations économiques, également appelé «
Protocole de Paris », signé entre Israël et l’OLP dans le cadre des accords
d’Oslo [7].
La plus grande question sécuritaire est relative à
l’existence d’un pipeline unique menant du gisement de gaz de Tamar au rivage
israélien. La stabilité d’approvisionnement d’Israël en gaz naturel dépend donc
du rapport de force entre l’Etat hébreu et Hamas ou Hezbollah, un simple
problème technique ou un missile pourrait facilement menacer
l’approvisionnement d’Israël en gaz naturel et par conséquent nuire à
l’économie israélienne. Cette donne explique en partie la situation de blocus
sur la bande de Gaza maintenu depuis 12 ans.
Alors qu’Israël profite pleinement des gisements de
gaz sur les côtes, la triste réalité de la bande de Gaza devient plus critique
que jamais, le nombre d’habitants qui reçoivent l’aide humanitaire est passé de
80000 habitants en 2000 à 1.9 million d’habitants en 2018 [8]. Ce chiffre, un
scandale international, est en lien direct et organique avec le blocus.
En effet, le blocus restreint les importations, les
exportations et la liberté de circulation des Gazaouis ce qui a mis 65% de la
population en dessous du seuil de la pauvreté [9].
Gaza souffre également d’un réel problème
d’approvisionnement en carburant nécessaire pour la production de
l’électricité. Les coupures récurrentes de cette dernière paralysent les
activités vitales des habitants, notamment les activités économiques, le
secteur de la santé et le secteur de l’éducation (Coupures d’électricité,
manque d’équipement hospitalier, produits de première nécessité inabordables).
La crise énergétique à Gaza a toujours suscité la
colère des habitants à travers les vagues de manifestations sur tout le territoire,
les habitants ne comprennent pas le fait de disposer de ressources de Gaz
naturel offshores et de ne pas pouvoir les exploiter.
Avec 33 milliards de mètres cubes estimés de gaz, Gaza
Marine n’est pas assez grand comparé au champ géant de Zohr exploité en Égypte
ou au champ Leviathan en Israël, mais les volumes de gaz qu’il détient sont
suffisants pour rendre le secteur palestinien de l’énergie entièrement
autonome. Toutefois des restrictions israéliennes ont maintenu les palestiniens
dans un cycle de dépendance vis-à-vis d’Israël pour leurs besoins énergétiques.
L’exploitation du gaz naturel à Gaza dépend donc de la
situation géopolitique régionale. La fin du blocus et la reprise des
négociations entre Israël et l’autorité palestinienne constituent le seul moyen
capable de débloquer la situation, Or le contexte sécuritaire d’Israël fait du
blocus de la bande de Gaza une facette cachée de la guerre énergétique dans la
région et un instrument de contrôle des plateformes et centrales israéliennes
afin de sécuriser l’économie qui fonctionne grâce à l’énergie électrique.
Les Palestiniens continuent à dépendre d’Israël, au
lieu profiter l’opportunité économique que représente la découverte du gaz
méditerranéen dans leurs eaux territoriales.
ASMA
ABKARI
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Notes
[1]
Natural Gas review, 2019, BP energy
[3]Joe Macaron, Montée des tensions autour du gaz en
Méditerranée, publié le 5/03/2018 https://orientxxi.info/magazine/montee-des-tensions-autour-du-gaz-en-mediterranee,2303
[4] Le Liban, un nouvel eldorado pour l’exploration du
pétrole et du gaz, énergies et environnement, 07/01/2019 http://www.energie.sia-partners.com
consulté le 01/07/2019
[5] David Amsellem – Découvertes de gaz en Israël : la
voie vers l’indépendance énergétique ? www.connaissancedesenergies.org,
article publié le 22/11/2016
[6] Si Israël attaque Gaza, c’est aussi pour le gaz
palestinien, https://www.ensemble-fdg.org/content/si-isral-attaque-gaza-cest-aussi-pour-le-gaz-palestinien
[7] Tareq Baconi, Comment Israël se sert du gaz pour
renforcer la dépendance, publié le 26 mars 2017 http://www.chroniquepalestine.com
[8] Guillaume Gendron , A Gaza, «un cumul entre le
blocus, la crise, les coupures et le traumatisme», publié le 7 mars 2018, https://www.liberation.fr
[9] Gaza
: comment vit-on sous le blocus ? https://www.lci.fr/international/gaza-comment-vit-on-sous-le-blocus-2087165.html
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