L’intellectuel organique de
l’émancipation
« Nous ne sommes rien sur cette terre si nous ne sommes d’abord les
esclaves d’une cause, de la cause des peuples, la cause de la justice et de la
liberté… » Frantz Fanon.
Tout comme Frantz Fanon, Samir Amin fut « l’esclave d’une cause », celle
de la libération des opprimés et des damnés du joug de l’oppression et de la domination
impérialiste. Tout comme Fanon, Samir Amin sacrifia sa vie au service de cette
cause sacrée et pérenne. Au-delà de son engagement continu, dès les années
1960, en faveur des peuples du Tiers-monde, prolongé dans les années
1990-2000 par sa participation inébranlable à l’Altermondialisme, Samir Amin
fut un théoricien de premier plan qui, s’est éteint à Paris, le 12 août 2018 à
l’âge de 87 ans.
On ne peut évoquer la figure du Professeur Samir Amin sans relever la
délicatesse de la pensée, la finesse intellectuelle et, en définitive, aussi et
surtout, l’engagement pour l’émancipation des peuples opprimés. La profondeur et la solidité de ses arguments pour expliquer et
défendre des questions souvent controversées ne peuvent que forcer le respect.
A côté d’un groupe d’économistes hétérodoxes, comme Aziz Belal, Arghiri Emmanuel,
Pierre Jalée, Pierre Salama, André Gunther Franck, Raul Prebish, Celso Furtado,
il porte un regard radicalement nouveau
sur les conditions de vie en Amérique du Sud et en Afrique, imposées par
l’impérialisme et influencées par le structuralisme avec le souci de renouveler
les analyses marxistes. Il remet en cause le pillage des matières premières des
colonies et anciennes colonies par les puissances capitalistes occidentales et
leur spécialisation primaire qui en découle, d’autant plus dommageable lors des
périodes de détérioration des termes de l’échange qui fut la première
réfutation de la théorie des avantages relatifs de Ricardo servant depuis deux
siècles à justifier le libre-échange.
Samir Amin, beaucoup plus finement que ses collègues marxistes, reprit
le problème développé en 1969 par Emmanuel Arghiri dans un livre monument
« L’échange inégal » pour l’intégrer dans une théorie plus
générale de l’accumulation à l’échelle mondiale débouchant sur ce qu’il
appela le « développement inégal ». La
conséquence théorique et politique est le refus de la notion de retard de
développement pour montrer que les pays dits sous-développés sont dominés du
fait du mécanisme de l’échange inégal et que, loin de faire partie
d’un troisième monde, ils sont intégrés de force au capitalisme mondial
structuré autour d’un centre et d’une périphérie. Autrement dit, ce qui était à
l’œuvre dans ce qu’on n’appelait pas encore la mondialisation, mais qui
résultait déjà de la circulation des capitaux à la recherche d’une main-d’œuvre
peu chère, c’était le « développement du sous-développement ».
Le présent hommage rendu par la Revue Marocaine des Sciences
Politiques et Sociales et le CIRPEC au Pr Samir Amin entend rapporter, à
travers le panel des intervenants, la quintessence des apports et réflexions
qui se dégagent de sa pensée.
A la faveur de ces interventions, un éclairage sera fait sur les étapes
essentielles de son itinéraire intellectuel et de son combat politique, et ce,
en dressant un panorama des débats théoriques et combats politiques auxquels le
Professeur Samir Amin a pris part au cours du demi-siècle écoulé.
Les intervenants exposeront les fondements de sa critique de
l’orthodoxie régnante, qui ont amené Samir Amin à forger des concepts visant à
décrire la réalité qui se cache derrière le discours dominant dont la fonction
principale est de faire l’apologie du capitalisme et du système impérialiste.
Grâce à cet hommage, un éclairage sera donné sur sa vie personnelle et
son itinéraire
intellectuel et les combats politiques du Professeur ainsi que ses expériences
dans l’élaboration de politiques économiques en Egypte, au Mali et dans
plusieurs autres pays.
Les interventions seront l’occasion de mettre
en exergue ses contributions au combat des mouvements sociaux, avec notamment
sa participation à la création du Forum Social Mondial (FSM), ainsi que ses
activités pour la lutte contre le capitalisme grâce à son combat inlassable
pour déconstruire les concepts destinés à masquer la vraie nature du
capitalisme historique, à savoir la poursuite effrénée de l’accumulation par la
dépossession des pays et peuples dominés.
L’hommage à
Samir Amin, toujours au cœur des interrogations présentes, est une autre
manière de ressusciter le débat autour du combat de sa vie : la critique
du centrisme et un plaidoyer en faveur d’un monde multipolaire et d’un ordre
économique international plus juste prenant en compte les contraintes
écologiques et les limites de la planète.
Paul Valery
écrivait déjà dans les années 30 : « le temps du monde fini
commence ».
Pr. Hicham Sadok
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