Covid-19 et modernité 1 / 3
La mort biologique face à la mort métaphysique
Par Lotfi Mrini
Pandémie par ci,
pandémie par là, le discours sur la Covid 19 est omniprésent. On ne parle que de
l’anatomie du virus, de sa multiplication, de l’évolution de la maladie, des gestes
barrières à faire, des médicaments à prescrire, et des vaccins à découvrir.
Au-delà, les impacts de cet épisode non inédits dans l’histoire, comme les
politiques à mettre en œuvre, sont analysés sous toutes les coutures.
Ainsi, un être non
vivant fait trembler les puissants comme les faibles, fragilise les communautés
et rend vulnérables les états. Il sème
la panique de la mort. Et aux quatre coins de la planète, peu importe les religions,
hindouisme, christianisme ou islam, la conception de la mort comme accès à une
autre vie, n’est plus, désormais, le moteur de l’existence. La mort
métaphysique avec son heure et son endroit prédéterminés est remisée.
Inconsciemment, la multitude découvre que ce qui donne sens à la vie, c’est la
réalité de la vie elle-même, ici-bas, qu’elle soit opulente ou misérable.
Il n’en reste pas moins
que le concept métaphysique de la mort a traversé l’histoire depuis Socrate à
ce jour sans perdre de sa force. L’évolution significative et graduelle de
l’espérance de vie, estimée à 30 ans en moyenne en 1800 et aujourd’hui à 75 ans
grâce à l’accès massif à la médecine moderne et à la quasi-éradication de la
famine, a donné une matière de réflexion aux démographes et aux économistes,
mais n’a que faiblement rejailli sur les croyances du commun des mortels.
Avec la Covid – 19, la
mort biologique est réduite à ce qu’elle est : une question technique.
Dans le cas d’espèce, elle est le résultat d’une forte charge virale qui
produit des lésions organiques. Il suffit alors de trouver les médicaments qui
affaiblissent ou réduisent l’offensive virale et qui traitent le reste pour que
la vie l’emporte sur la mort. La méthode est banale et a déjà sauvé les hommes
de la diphtérie, de la rougeole, du typhus, du sida et j’en passe. Dans ce
contexte, les scientifiques, à l’image de Didier Raoult et de Moncef Slaoui,
sont aux premières loges et reçoivent éloges et louanges parce qu’ils
travaillent à nous sauver de notre propre impuissance face à la mort.
Paradoxalement, tout au
long de ce bouleversement mondial, les grands du monde spirituel : le
Pape, le Pope, le mufti d’Al Azhar, le Grand rabbin, etc., sont restés
carrément sans voix. Aucune inspiration céleste pour des discours à la hauteur
de la tragédie pour guider les fidèles, leur expliquer que la mort est
simplement une vie éternelle en devenir ou leur parler des limites de la
modernité et de la science. Tous se sont pliés aux injonctions des autorités
car le temps présent de la lutte contre la mort biologique, essentiellement
scientifique, est porteur d’espoir dans l’immédiat, alors que le temps de la
mort métaphysique est cosmique et nécessite de rester d’abord en vie pour en
parler !
Covid et modernité
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Le temps plein et le temps vide
Par Lotfi Mrini
Le confinement de la
population pour éviter de surcharger la capacité de traitement limitée de nos
hôpitaux a été péniblement vécu par les gens. Non seulement pour la restriction
qu’il impose à la liberté de circulation et les difficultés de demeurer
prisonnier de lieux exigus qu’il
provoque, mais également pour l’adaptation et l’usage du temps disponible plus
long qu’il dégage.
Ainsi, les marocains ont
été appelés à ajouter aux différents temps qu’ils connaissent et qui
structurent leur vie une plage plus grande au temps vide. La nomenclature
des temps organisée autour du temps naturel des saisons, du temps
religieux des prières, du temps spirituel de la contemplation ou de
l’introspection, du temps économique du travail et de la productivité, du temps
social de la fraternité et de la vie familiale, du temps des loisirs et des
divertissements, officialise pour tous la nouvelle ligne du temps vide,
auparavant considérée comme marginale.
Le temps vide serait le
temps contraint par le non travail et l’absence de moyens que les jeunes oisifs
traduisent habituellement par l’expression : « mixer le temps », et
du temps considéré comme inutile et
pesant que rencontrent certains avant la rupture du jeûne au Ramadan ou durant
une escale trop longue dans les aéroports, qu’ils traduisent par l’expression
« tuer le temps ». Au final, c’est un temps disponible problématique
par sa durée, sa vitesse, ses usages et sa valeur.
Le temps vide actuel est
imposé par la puissance publique soucieuse de maîtriser la pandémie. Quelles
occupations les marocains ont-ils réservées à ce temps vide domicilié chez soi ?
On a une vague idée de ce qu’ils ont fait pendant ces longues semaines à la
maison. Sans doute, le temps vide a été rempli par des activités ludiques et
familiales plus tournées vers l’oralité et les images que vers la lecture.
L’explosion du chiffre d’affaires relatif à la flopée de nouveaux abonnements à
l’internet fixe d’Ittissalat Al Maghreb pendant la période de confinement
pourrait valider cette hypothèse.
Ailleurs, le temps plein
socialement inutile des hommes et femmes âgés parqués dans les maisons de
vieillesse, a été considéré par les protocoles sanitaires comme un temps vide
sans valeur, et du coup, ses titulaires ont été souvent délestés de leur humanité
et offerts à l’action létale du coronavirus encore maître du temps présent.
Covid et modernité
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La honte et la fierté
Par Lotfi Mrini
L’actuel
coronavirus s’est révélé un véritable globe-trotter qui ignore les frontières.
La déclaration de la maladie comme une pandémie par l’OMS, comme un problème
planétaire, a déclenché des réponses non pas mondialement solidaires, mais
plutôt individuelles à l’échelle des états-nations. Les frontières, effacées pour faire circuler
les marchandises et les capitaux, s’érigent à nouveau comme autant de murailles
de Chine que d’états. En l’absence d’une gouvernance mondiale, de plan
d’urgence multilatéral, les structures nationales se sont imposées comme
uniques acteurs légitimes pour gérer la crise.
La
réussite relative dans le combat contre la Covid 19, approximée par
l’efficacité de l’endiguement de la pandémie et le nombre de décès
enregistrés, est revendiquée, sans
considération des niveaux de développement, comme un motif de fierté nationale.
Par contre, la peur de la maladie, l’échec relatif dans l’arrêt de son
essaimage et du sauvetage des vies est source de honte.
Les
valeurs de honte et de fierté des personnes et même des états-nations, passées
un temps pour archaïques dans les sociétés industrielles et post-industrielles,
rejaillissent brusquement des interstices confinées du monde globalisé où la
production en flux tendus était devenue la norme. La production ou non de
masques, de respirateurs, de médicaments, de blouses, de gants ou de tests et
la capacité de prise en charge des malades ont convoqué l’ire ou la
satisfaction du grand nombre. Cet impact sur l’opinion publique a provoqué une
sérieuse remise en cause du dogme et des ressorts de la division internationale
du travail. Un nouveau discours
idéologique se développe aux États-Unis
et en France et répand les vieilles idées protectionnistes et de repli
sur soi qui ont fait florès depuis Friedrich List jusqu’aux années 1970. Les
étendards d’ « America first » et de la
« souveraineté » sont redéployés à nouveau pour calmer les critiques
d’une gestion chaotique et satisfaire les besoins en fierté de nations en perte
de vitesse.
Au
moment où la globalisation a développé et généré des écosystèmes et des
problèmes mondiaux, l’annonce de ces solutions individuelles et
territorialisées, fortement reliées à des agendas électoraux nationaux, traduit
en fait un combat d’arrière-garde pour contrer le basculement de la puissance
vers l’Asie…
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