
A
propos du plan de relance
Président du Centre de Recherche et d’Etudes Aziz Belal
(CERAB)
Dans son
discours du 30juillet 2020, le Roi, Mohamed VI, a annoncé la mise en place d’un
plan de relance ambitieux de 120
milliards de dirhams, soit l’équivalent de 11% du PIB, pour juguler les effets
de la COVID19 et contribuer à la résilience de l’économie. C’est une première
dans les annales de l’économie nationale.
La question
qui a le plus retenu l’attention des observateurs concerne le financement de ce
plan. Or, le financement n’est pas aussi important que la déclinaison de ce
plan en actions et l’affectation, en conséquence, du montant consacré à la
relance. Des pays ont disposé d’une manne pétrolière inédite, au cours des 20
dernières années et pourtant, ils n’ont pas su l’utiliser pour booster leurs
économies. L’Algérie en est un exemple édifiant.
Ce qui
importe le plus, c’est d’une part, le contenu du plan et d’autre part, les
conditions préalables à sa réussite à savoir son appropriation par les
partenaires sociaux, l’engagement du gouvernement, l’implication de
l’Administration et la mise en place des mécanismes du suivi, avec un planning
clairement défini, et un mécanisme précis d’évaluation.
1- La question du financement
Les 120
milliards sont affectés ainsi :
75
milliards de crédits de garantis et 45
milliards alloués au Fonds d’investissement stratégique. Déjà à ce niveau on
constate que sur les 75milliards, 5milliards seront apportés par le fonds COVID
19 pour couvrir les risques de défaut des entreprises bénéficiaires, et sont
ainsi disponibles. Quant aux 70milliards qui relèvent du crédit par signature,
leur mobilisation est tributaire et des crédits octroyés par les banques dans
le cadre de la garantie de la CCG et de la mise en œuvre de la garantie. En
clair, même en admettant, dans l’hypothèse la plus pessimiste, que l’Etat
serait appelé à faire jouer la garantie pour les 70milliards, leur déboursement
sera étalée dans le temps bien au-delà de la période de la relance.
S’agissant
des 45milliards destinés au Fonds d’investissement stratégique, 15 milliards seront
mobilisés par l’Etat dans le cadre de la loi de finances rectificative et 30
milliards seront mobilisés auprès d’institutionnels nationaux et
internationaux. Ils viendront donc en
augmentation de la dette publique.
Bref, sur les
120milliards de dh annoncés par Sa Majesté, 45 milliards seront, effectivement,
injectés par l’Etat dans l’économie nationale, soit 41,66% du total, et devront
être mobilisés pour entamer la relance. Sur ce montant, 15 milliards relèvent,
comme il a été mentionné ci-dessus, du budget au titre de 2020. Il ne reste à
mobiliser que 30milliards. Cette mobilisation peut se faire par le recours aussi
bien à des moyens conventionnels (marchés financiers, emprunt national et
dons), qu’à des moyens non conventionnels à travers l’implication de Bank Al
Maghreb. Bien entendu, l’Etat peut procéder à des combinaisons de ces
différents moyens pour lever les fonds nécessaires.
Des activités
ont été relativement épargnées par la COVID19 et non pas été aussi impactées
par le confinement que d’autres activités comme celles du tourisme et du
transport. C’est le cas des assurances, des banques, des chaines de
distribution et de l’agroalimentaire, pour ne citer que ces exemples. En plus, la
période du confinement a été, semble-t-il, favorable à l’augmentation de la
proportion à épargner des couches à revenus intermédiaires ou supérieurs
(économie sur les frais de transport et de déplacement, réduction des
dépenses superflues ; révision à la baisse du budget des vacances et
renonciation à des achats..). Globalement, le contexte créé par la pandémie,
laisse penser que l’épargne dans son ensemble, qu’elle soit institutionnelle ou
individuelle, s’est relativement appréciée. C’est pourquoi, l’Etat devrait
privilégier le marché financier local et coupler l’appel aux institutionnels
nationaux avec le lancement d’un emprunt national ouvert aux personnes
physiques. Le recours aux marchés financiers étrangers et aux institutions
financières internationales est à éviter, dans la mesure du possible, pour ne
pas hypothéquer davantage la souveraineté économique. Il se peut que le coût
(taux d’intérêt) sur ces marchés soit alléchant ou que les réserves de change
ne soient pas suffisamment alimentées. Dans ce cas, il faut se tenir,
scrupuleusement, aux dispositions constitutionnelles et affecter les capitaux
drainés à l’investissement en général et à l’investissement productif en
particulier.
Par ailleurs,
rien n’interdit à la Banque centrale de mettre à contribution, si nécessaire,
les moyens non conventionnels pour financer la relance. A une situation
exceptionnelle, des remèdes exceptionnels. De surcroît, L’inflation est maîtrisée. Son taux annuel
moyen, au cours des 20 dernières années, est de 1,53% .Son taux annuel n’a
dépassé 2% qu’à trois reprises : 2002 : 2,8% ; 2006 : 3,28%
et 2008 : 3,71%. En plus, l’effort demandé est circonscrit dans le temps et
ne porte, dans l’hypothèse la plus extrême, que sur un montant limité ne
dépassant pas l’équivalent de 2 à3% du PIB. Un tel effort devrait, en principe,
bénéficier aux activités productives et aux projets peu capitalistiques,
générateurs d’emploi et consommant beaucoup plus des matériaux et produits
fabriqués localement. Enfin, des pays qui sont foncièrement libéraux, n’ont pas
hésité à recourir à des financements non conventionnels pour soutenir leurs
économies (cas des Etats-Unis, du Japon et de l’Union Européenne).
2- Le contenu du
plan de relance
Les éléments
de ce plan dont nous disposons sont limités. Tout ce qu’on sait est que ledit
plan est divisé en deux parties (crédits garantis par l’Etat et Fonds d’investissement
stratégique). Aucun détail sur son contenu et aucune précision sur sa durée d’exécution.
Nous sommes, de ce fait, dans l’impossibilité de discuter de la pertinence de
ce plan et de son efficience. Mais cela, ne nous empêche pas de formuler certaines
interrogations avec l’espoir qu’elles seront prises en considération lors de
l’identification des actions à entreprendre et la définition des projets à
réaliser.
Est-ce
que la relance est tributaire du financement uniquement ? En d’autres
termes, est-elle une question d’offre seulement ?
Les
entreprises relevant des secteurs sinistrés (cas du tourisme) et qui doivent
faire face à de sombres perspectives, seraient moins intéressées par le
financement que par la reprise de leurs activités qui, au demeurant, ne dépend
pas de leur propre chef. De même, les très petites et les petites entreprises seraient
beaucoup plus préoccupées par l’état de leurs carnets de commande que par le
financement et souhaiteraient être accompagnées pour réussir leur mutation que
de les faire bénéficier de la garantie de l’Etat.
Comment
articuler, donc, l’offre et la demande pour optimaliser les effets du plan de
relance ?
Est-ce
que le plan de relance englobe toutes les composantes de l’économie
nationale ?
Les
partenaires de l’Etat, à savoir la CGEM et le GPBM, ne couvrent pas la totalité
du périmètre de l’économie nationale. De par son caractère composite, celle-ci
est composée de deux principales sphères : la sphère formelle et la sphère
non observable constituée de trois compartiments, en l’occurrence l’informel,
le souterrain et l’illégal. Et c’est cette dernière sphère qui a souffert le
plus du confinement.
28% seulement
de la population active sont des salariés des entreprises relevant du périmètre
de la CGEM. Comment faire
bénéficier les 65% de la population
active restante, soit 7,8 millions de personnes, du plan de relance, compte non
tenu de l’effectif de la fonction publique et des employés des collectivités
locales (7%) ? L’informel, à lui seul, fait travailler 20% de la
population active, et prend en charge l’équivalent de 28% de la population
totale.
Par ailleurs,
l’économie d’endettement qui, en somme, est très restrictive et la défaillance
de l’économie de marchés financiers, posent avec acuité le problème du
« vide de financement » dû aux difficultés à accéder au financement
bancaire par des investisseurs ou entrepreneurs jugés comme non-éligibles au
crédit bancaire. Il revient à l’Etat
d’intervenir pour combler la défaillance du système bancaire et financier et de
repenser son architecture pour qu’il puisse couvrir le « vide de
financement ». en attendant, l’ doit être très vigilent dans la
distribution des crédits bénéficiant de sa garantie.
Est-ce
que le plan intègre le dysfonctionnement structurel de l’économie nationale qui
fait d’elle une économie éclatée de par son caractère composite, peu compétitive,
d’une faible valeur ajoutée créée à la marge
et d’une faible capacité d’absorption des demandeurs d’emploi ?
Il nous
semble que non. Le périmètre du plan, comme nous l’avons défini ci-dessus, en
est la preuve.
En guise de
conclusion, sans un encadrement rigoureux du plan de relance, le risque de le
voir « détourner » en faveur des unités solvables jouissant d’une
bonne santé financière, n’est pas à exclure. De même, ses effets seraient en
deçà des effets escomptés.
3- Le pilotage
du plan de relance
La relance
est circonscrite dans le temps. Elle correspond au temps nécessaire pour se
remettre d’un choc et retrouver, en conséquence, la normalité dans la
perspective de rattraper le temps perdu.
Quelle
est donc, la durée nécessaire pour que la relance produise ses effets ?
Aucun
planning de mise en œuvre dudit plan n’est présenté. Or, la relance est
tributaire de la perception qu’on a du temps. Le tuer, en optant pour
l’immobilisme, ou chercher à le gagner, en prolongeant davantage la période de
la relance, c’est compliquer encore plus la situation de l’économie nationale
et la rendre plus vulnérable aux chocs internes comme externes.
Une autre
constatation et non des moindres, est relative aux organes qui doivent présider
à la mise en œuvre du plan en question. Les informations officielles ne font
état ni d’un comité de pilotage, ni d’un comité d’exécution et encore moins des mécanismes du suivi et
d’évaluation. C’est là une des limites essentielles de ce plan qu’il convient
de corriger.
En outre,
c’est le Ministère des finances qui s’est chargé de l’élaboration et de l’exécution
de ce plan en plus de la mise en œuvre de la généralisation de la couverture
sociale et de la restructuration du secteur public. Le Ministère s’impose ainsi
en tant que superministère faisant l’ombre à la primature. Et c’est là, de
notre point de vue, le talon d’Achille de cette initiative. Le Ministère ne
devrait pas, à lui seul, s’occuper du processus de mise en œuvre de ce plan de
relance : élaboration, exécution, suivi et évaluation. En plus, le
Ministère perdrait en efficacité en courant derrière plusieurs lièvres en même temps
(plan de relance, généralisation de la couverture sociale et restructuration du
secteur public) à moins d’en faire un gouvernement dans le gouvernement.
C’est au
gouvernement, sous l’autorité du chef d’exécutif, de prendre à bras le corps la
mise en œuvre des mesures annoncées par le Roi lors du discours du trône. Sans
l’implication de l’ensemble des administrations publiques, le risque de
privilégier les « caprices » bureaucratiques au détriment de
l’intérêt général est réel. Par ailleurs, sans l’engagement des concernés par
les mesures annoncées ou leur représentants, en les intégrant dans les comités
qui auront la charge du pilotage et d’exécution, les efforts qui seront
déployés risquent d’être contrariés.
En
conclusion, les pratiques de l’après COVID 19 doivent être en rupture avec
celles qui prévalaient avant la COVID 19. Pour cela, nous devons nous remettre
en cause en transcendant le catégoriel et en faisant valoir tout ce qui
consolide le « vivre ensemble »pour renforcer la cohésion sociale,
rendre le pays plus confiant et la société plus ouverte sur l’avenir. Des
occasions s’offrent à nous pour travailler sur nous même en vue de promouvoir
une nouvelle culture et changer en conséquence, notre mentalité. De ces
occasions, noua avons aujourd’hui le plan de relance et nous aurons demain la
définition d’un nouveau modèle de développement. Sommes-nous en mesure de nous
surpasser ? C’est la question qui fait écho à la phrase de Hamlet
« to be, or not to be ».
Rabat le 8-8-
2020
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