JE VIS DANS UN PAYS Où....
Le souk Hay Hassani, le Conseil et Kafka !!
L'équation politique inextricable ?
Pr. Abdelmourhit Benmessaoud TREDANO
Professeur de science politique et Géopolitique
Université Mohamed V
Aujourd'hui, avec les conséquences de la pandémie, le Maroc se trouve dans une situation peu enviable.
Le politique est carrément cadenassé, l'économique est agonisant, avec la sécheresse "aidant", le social connaît un véritable désastre.
Une vision stratégique manque cruellement.
Le mental des gens est au plus bas.
Le peuple a tout le temps de s'ennuyer et s’autodétruire !!
Bref, le pays sans horizons clairs est à la recherche d'une solution miracle et salvatrice.
Ceci était vrai bien avant l'avènement du Corona. Cette dernière n'a fait qu'aggraver dramatiquement la situation.
Que faire ?
Vaste question ?
Vaste programme comme aimait dire le Général De Gaulle ?
La première question qui vient à l’esprit est comment faire pour que le politique sorte de sa torpeur et opère une véritable révolution au niveau de la vision, de la conception et de la décision.
Avec trois principes cardinaux : transparence, responsabilité et reddition des comptes
Continuer à concevoir et pratiquer la décision politique dans le cadre d’un système totalement vertical conduit à l'impasse. Si ce n'est pas déjà fait.
Autre grande question qui appelle une autre révolution cyclopéenne :
L'école.
Oui l'école.
En effet, sans un système éducatif performant, on ne peut prétendre à un développement valable, durable et viable.
Un politique réformé, dans le sens de la participation, une école performante doit impacter sur l'économique.
En effet, pour ce faire, l’économique doit obligatoirement sortir de la pratique de la rente, de la prébende et des privilèges.
Sans ces trois grandes réformes, on va continuer à pérorer sur la situation au Maroc mais sans résultats.
Comme on l’a fait d’ailleurs, depuis des lustres.
JOUER SUR LE TEMPS, SUR L'ÉPUISEMENT ET L’ABATTEMENT DES MAROCAINS ET LEUR REPLI SUR LA PETITE CELLULE FAMILIALE, SUR UNE TRANSITION DÉMOGRAPHIQUE MOINS CONTRAIGNANTE ET SUR LA PRATIQUE DU " FAIRE PEUR", SERAIT SUICIDAIRE.
En comparant la situation du Maroc à celle chaotique des pays arabes, n'est pas forcément efficace encore moins utile sur le temps long.
En tous cas, aucun projet de société émancipateur, libérateur et épanouissant ne peut être enclenché encore moins atteint dans ces conditions de léthargie, d’endormissement et de désillusion.
Il y a 2 façons de réformer un pays, pas 36 :
Négocier les transitions et les évolutions pacifiquement.
Faute de quoi, la violence prendra le pas.
17 février 2022.
**********************
Ci-après l’article qui résume la situation globale du Maroc d’aujourd’hui.
Il a été posté sur le site de notre revue le 1er août 2020.
Aujourd’hui, avec la survenance
d’un ensemble de faits presque concomitants, je me suis décidé à la poster.
Le premier concerne l’épisode,
marqué par une sorte de cacophonie et un dysfonctionnement certain, du conseil
de la concurrence et conclu par la
constitution, sur initiative royale, d’une commission pour statuer sur les
différents projets de décision [1] dudit
conseil. Il montre si besoin est que la question du
monopole et des rentes n’est pas encore
prête pour être traitée par le droit.
Les intérêts des lobbies et des
grands possédants sont presque intouchables. Il faut attendre Godot !!
Deuxième acte, il s’agit de
conférence de presse commune, entre 3 dirigeants de 3 partis (Istiqlal, PAM et
le PPS) Objet : présenter un mémorandum sur le déroulement des élections
électorales prochaines. [2]
Si entre deux partis (le PPS et l’Istiqlal)
il existe un certain nombre de liens, en raison de leur histoire respective,
rien ne prédispose le 3ème (le PAM) à avoir une cohérence politique
ou programmatique avec les deux partis dits du mouvement national.
Et Al Abath (l’absurde) continue
[3] !!
Personnellement j’étais parmi
ceux qui avaient soutenu l’idée d’un rapprochement du PPS avec le PJD au
lendemain des élections législatives du 25 novembre 2011.
Aujourd’hui, je n’hésite pas à faire
mon mea-culpa. Cette alliance contre-nature, malgré la pertinence de mon
argumentaire d’alors, était une erreur ou peut-être le PJD n’a pas su ou voulu être
à la hauteur de l’opportunité historique. Ses dirigeants se sont révélés tout simplement
comme des politiques prédateurs sans compétence aucune. C’était un énorme
gâchis.
Par ailleurs, la décision de fermer
huit villes, fermeture annoncée quelques heures, avant la mise en œuvre de
ladite décision, avec toutes les conséquences subséquentes (accidents sur les
routes ..), le maintien de l’Aid Adha
-et la propagation pandémie de
qui lui est liée – constituent la paroxysme de l’absurde et
dénotent un mépris total de l’Etat vis-
à- vis des citoyens.
Enfin, l’acte le plus affligeant, et humainement triste et politiquement désespérant, est l’ensemble des scènes qui a marqué le Souk de Rahbat Hay Hassani à Casablanca à la veille d’Aid .
Un autre acte non moins grave est
celui du vol du matériel, des draps et
tout ce qui est léger et transportable et ayant une valeur par les patients du
centre hospitalier de Bensliman après
leur guérison.
La pauvreté et/ou la cupidité
n’expliquent pas de tels comportements.
La disparition des valeurs et la déliquescence des rapports sociaux ont
atteint un niveau tel que le minimum de cohésion sociale n’est pas là. Et ça
dit long sur la solidité de l’entité Maroc.
Après la faillite de l’école, la
débâcle sociale et le drame "alimentaire"
et symbolique, apparemment il n’y a pas grand-chose encore à espérer.
Il est vrai qu’il ne faut pas le
grossir mais il ne faut pas non plus le sous-estimer.
S'il n'est pas opportun de
procéder à une théorisation d'un fait social ponctuel isolé, lié aux
circonstances locales du souk, il n'est pas interdit d'y voir un indice hautement
symbolique et un symptôme révélateur d'un marasme régnant et d'une sinistrose
prégnante.
Il est vrai aussi que les
conséquences de plus de trois mois de confinement ne pouvaient que faire le lit
de tels comportements.
Mais dire uniquement cela et
s’abstenir d’aller plus loin, c’est faire montre d’une naïveté peu excusable et
d’une absence de lucidité dans l’appréhension et la compréhension de
l’évolution des faits sociaux et
politiques et leur nécessaire interaction.
Cet acte, avec l’ensemble des
manifestations de la crise du pays, est révélateur du marasme général qui y prévaut,
lié à la faillite de l’école, du modèle du développement et la crise profonde
du politique.
Il n’est pas moins vrai, qu’il
s’agit là de trois actes épars qui n’ont aucun rapport direct entre eux.
Conjugués et réunis, inscrits
dans le contexte de crise qui prévaut au Maroc au moins depuis 25 ans, ils
peuvent être annonciateurs d’une situation peu maitrisable.
Ces trois faits ne sont que des déclencheurs
mais ne résument pas à eux seuls la réalité socio-économique et politique du pays.
Il n’est pas question de jouer
aux cassandres, mais il n’y a qu’à observer les contestations et les mouvements
de révolte qui ont marqué l’actualité internationale dans une quarantaine de
pays, y compris dans les pays développés et démocratiques, à cause de
l’injustice sociale et la veulerie et la faillite du politique et des politiques.
L’obsession qui taraudait mon esprit est toujours là ; que le
changement au Maroc relève, peut-être, du domaine de l’impossible. Ou peut-être
que ses voies restent encore impénétrables.
Je vis dans un pays où …
Je vis dans un pays qui a
toutes les apparences d'un Etat qui fonctionne, où la sécurité est plus moins "assurée",
où les chantiers se généralisent, où le téléphone fonctionne, où le train,
cahin-caha, te conduit à destination.
Du moins pour le citoyen marocain qui se ment à
lui-même ou le visiteur non-averti ou le touriste qui ne qui quitte pas son bus
ou son hôtel…. La réalité est toute autre.
Le béton n'a jamais fait un développement et
les oripeaux une civilisation !!
D’aucuns peuvent être tentés
de penser que les propos qui vont suivre expriment le sentiment d'un
septuagénaire qui est gagné par la nostalgie, voire dépité et totalement déconnecté
de la réalité du pays.
Peut-être !!
J’espère me tromper.
Je vis dans un pays où …
Dans ses deniers discours, à
l’occasion de l’ouverture des sessions parlementaires et de la fête du trône,
le Roi a mis le doigt sur les plaies que connait notre pays ; tantôt c’est
la faillite de l’administration, de la justice et de l’école tantôt c’est la
crise des partis politiques et du politique pour finir avec le constat cinglant
relatif à la faillite du modèle (par euphémisme il a parlé d’un modèle
"inapte" à répondre aux besoins des citoyens de ce pays).
Et pourtant rien de décisif n’a été fait pour arrêter la régression, la déliquescence
et le chao menaçant.
Le constat amer sur le modèle a été fait en 2017. Plus de deux ans
après, on vient à peine d’annoncer la constitution
de la commission.
Comme si la question du développement est une histoire de
commission !!!
On a fait la même chose pour l’école ; il y a quelques années :
la COSEF, les différentes réformes, des plans nombreux d’URGENCE et autres, ont
été créés et conduits et plus de 20 ans après, on est au point mort !
La crise maroco-marocaine :
Il y a presque 30 ans (Al
Bayane 18 février 1992) j’ai écrit un papier sur la situation du pays,
intitulé : la crise maroco-marocaine :
" Seul l’argent compte. La corruption érigée presque en règle de droit. Et
l’exclusion qui rampe et se popularise. Puis, la confiance est devenue denrée
rare et l’abattement qui gagne les plus optimistes et les plus réfractaires à
l’ordre régnant. Le savoir est l’apanage d’une élite. L’ignorance et
l’obscurantisme sont le lot de la multitude. Enfin, le politique, discrédité et
déliquescent, est impuissant devant l’immensité et la complexité de la tâche et
de l’œuvre à accomplir. Tels sont les points saillants d’une crise qui persiste
et s’approfondit. Au-delà des problèmes liés à l’adversité externe, la crise
est aussi interne : maroco-marocaine "
[4]
Je vis dans un pays où…
Je vis dans un pays où les
trois émetteurs de valeurs, de normes de règles et de morale publique, à savoir
la famille, l'école et l'espace public ne fonctionnent plus. On fonctionne avec
des anti-valeurs !!!
Je vis dans un pays où les candidats au départ sont légion, où le mal de
vivre est patent, où on respire mal et on espère peu !!
Pourquoi ?
Je vis dans un pays où les
indices socio-économiques dépassent dans la quasi-totalité la 100ème
position, 64 ans après notre indépendance !!
Je suis dans un pays où le
politique ne suscite ni intérêt ni confiance et ce depuis des lustres ; je
suis dans un pays où la parole publique n'attire plus personne.,
Je vis dans un pays où la
liberté et la pensée sont cadenassées où sous tutelle d’une idéologie, d’une
religion et d’une culture passéistes et régressives. Je vis dans un pays où la religiosité est
devenue étouffante alors que le comportement des gens est tout le contraire de
ce qu’ils prêchent, diffusent et répandent sans vergogne !!
Je vis dans un pays où la notion de détenus politiques n'a pas encore disparu
du dictionnaire politique.
Je vis dans un pays où
certaines dispositions du droit pénal, relatives à certaines libertés, pèsent
sur le citoyen marocain comme une épée de Damoclès et qui fait de lui un coupable en instance
(d’où des procès contre des cas « d’adultère", d’avortement mais à
connotation, soubassements et calculs foncièrement politiques)
Je vis dans un pays où
L’intelligentsia marocaine, baignée dans un
climat délétère, et contre vents et marées, a pu résister pendant un temps, et
comme tétanisé s'est finalement résignée à la réalité du monde et du pays.
La démission/résignation de l'intellectuel est
due, en partie, à la crise du politique, des valeurs et de la perte du sens.
La médiocratie ( Alain Deneault ) a élu
domicile pour longtemps chez nous et elle n'est pas prête à décamper
...
Je vis dans un pays où la bêtise commence à
penser... Et où la communicabilité est presque inexistante.
Je vis dans un pays où…
Je vis dans un pays ou la
corruption gangrène toutes les sphères de la société et de l’Etat…
En effet ; Je vis dans
un pays qui est devenu une mauvaise référence en matière de corruption par un pays
comme l’Ethiopie connu il y quelques années par sa misère et la famine qui étaient
le lot de milliers d’Ethiopiens ; aujourd’hui, elle est considérée comme un
pays qui réalise un miracle en matière de développement …
Je suis dans un pays où son
peuple est considéré comme le plus tricheur, le plus corrompu au monde.
(Enquête britannique).
Je suis dans un pays où les
règles sont faites pour être violées et les vertus ne sont affichées que pour
préserver les apparences et un certain statut social de beaucoup de fourbes, de
tartufes et de sournois qui font de la formule "comme si." une règle
de comportement quotidien.
Il est vrai que le Maroc n’est pas la Syrie (actuelle), ni le Pakistan
ni la Colombie de Pablo Escobar (et la situation d’autres pays de l’Amérique latine
et d’Afrique)
Quand est-ce qu’on cessera d’agiter l’épouvantail de la situation de
guerre au Moyen-Orient pour continuer à éviter la réforme ?
D’autres argument avancés : les chantiers fleurissent un peu
partout au Maroc.
Pourquoi donc continuer à se plaindre ?
Comme je l’ai déjà dit : Le béton n'a
jamais fait un développement et les oripeaux une civilisation !!
La question qui s’impose c’est
celle de savoir qui va les gérer s’il n’y a pas de compétences venant d’un
système éducatif performant. D’ailleurs, la baisse de la qualité des
prestations est, depuis au moins 20 ans, palpable dans tous les secteurs y
compris le privé qui est censé te ventre un produit avec les conditions de
qualité qui lui sont consubstantielles.
Le Maroc voit son PIB augmenter régulièrement depuis des années mais au profit de
qui ?
En fait , la pauvreté ne fait qu’augmenter et s’élargir [5].
La détérioration, pour ne pas dire plus, de indices socio –économiques est
la meilleure illustration de notre marasme général et notre sinistrose
prégnante.
Tant que la richesse est monopolisée par les détenteurs du pouvoir, du
savoir et de l’avoir, on ne peut parler de développement et de justice sociale.
Un peu partout à travers le monde, y compris dans les pays développés et démocratiques,
une minorité oligarchique détient tout, et tire profit seule de la richesse du
pays !!
2. Je rêve d’un pays
Je rêve d'un pays où le citoyen
du "centre" et de la "marge" aient les mêmes droits ou du
moins les mêmes conditions de départ pour aspirer à la même condition sociale
et économique.
Je rêve d'un pays, où les droits du citoyen sont
respectés sans être obligé de faire intervenir un contact ou une connaissance
pour leur réalisation.
Je rêve d'un pays où l’administration et la
justice fonctionnent normalement sans intervention ni corruption.
Je rêve d’un pays dont le passeport ait une certaine valeur au niveau
international et où notre Etat aura les moyens nécessaires d’imposer la
réciprocité en matière de visa.
Plus facile à dire qu’à faire. C’est vrai. Lorsqu’on dépend de l’autre,
la marge de manœuvre est trop limitée.
Doit-on continuer, pour une éternité, à se résigner face à des rapports
de force humiliants qui font que notre dignité approche le degré zéro ?
Je rêve d’un pays où l’école, réformée et performante, permettrait la promotion
des laissés- pour- compte et contribuerait par-là à la réalisation de la mobilité et de la
cohésion sociale.
Je rêve d’un pays où une bonne majorité de son élite, notamment celle qui
est à la manette du pouvoir, soit animée par un patriotisme au lieu de chercher
à disposer d’une double
nationalité !!
Je rêve d’un pays où son
élite, qui n’est pas encore rangée et ne s’est pas, non plus, arrangée, sorte
de sa torpeur, de sa résignation et provoque, par tous les moyens, le déclic
salvateur.
Je rêve d’un pays où l’intellectuel
s’évertue et assume à jouer son rôle ; dans l’histoire de toute société,
les intellectuels ont été toujours des éclaireurs, des précurseurs et des
aiguilleurs… c’est en partie grâce à leur production d’idées qu’une société
progresse et avance.
Je rêve d’un pays où la majorité
de nos compétences et nos étudiants formés à l’étranger s’empressent à revenir
au bercail au lieu de chercher tous les prétextes pour rester en exil.
Des petits besoins d’une grande banalité mais combien
essentiels à une vie sereine et heureuse. ?
JE NE PEUX ETRE HEUREUX QUE DANS MON PAYS.
Je suis convaincu que la quasi-totalité des Marocains le pense ;
ceux qui ont fait ou font autrement c’est tout simplement parce les gouvernants
de notre pays ne leur ont pas laissé le choix.
Je rêve d’un pays où je peux
m’étendre sur la pelouse d’un parc ou d’un jardin et de m’oublier sans avoir le
sentiment et l’appréhension d’être agressé ou harcelé.
Je rêve d’un pays où je peux
siroter un thé et apprécier un café sans être dérangé par une multitude de
mendiants de vendeurs de tout genre.
Je rêve d’un pays où, je n’aurais pas à fermer la vitre de ma voiture à
chaque rond-point.
Je rêve d’un pays où la quiétude, la sérénité le bien-être ne soit plus
un rêve mais une réalité vivante.
Que faire ?
Dans un article récent posté sur
les deux plateformes de notre revue [6 , on a proposé quelques pistes pour dépasser cette situation
d’impasse :
1. « Il n’est de
richesse que d’homme » : l’école.
Présenter la multiplication de chantiers comme la preuve du
changement, c’est faire montre d’une naïveté ou d’une hypocrisie assassine.
Que peut-on faire des chantiers lorsqu’on n’a pas les hommes et les
femmes formés pour bien gérer les entreprises nées de ces projets.
D’où la question de l’école. La bonne.
« Il n’est de richesse que d’homme » disait déjà au 16ème
siècle Jean
Bodin, philosophe et
théoricien politique français.
Tout récemment (1979), c’était aussi le titre d’un ouvrage du prix Nobel
de l’économie, l’Américain Theodore Schultz (1979).
Par rapport à cette urgence, pendant 30 ans, les pouvoirs publics ont
tout fait pour détruire l’école !!
Arabisation au rabais, islamisation des programmes et des enseignements,
marginalisation et humiliation de l’enseignant. Bref, avec comme toile de fond
une absence manifeste d’une politique publique de l’école.
Le fondateur de Singapour, Lee Kuan Yew (mort en 2015)
disait à propos du miracle de son pays : « ce n’est pas moi qui ai
fait le miracle, je n’ai fait, en réalité, que rehausser le statut de
l’instituteur. C’est ce dernier qui a fait le miracle ».
L’école, la bonne, en plus de l’apprentissage, permet la mobilité
sociale, la convivialité, la cohésion sociale, la réduction de la violence, la
possibilité du vécu ensemble, la paix sociale ... et enfin le bonheur et le
bien- être. Cela n’est pas un rêve puisque ça existe ailleurs. Et c’est
possible.
Toujours sur l’école et le savoir, le philosophe Michel Serres souligne
leur importance dans toute politique de croissance et de développement :
« Le savoir est par conséquent un échange extraordinaire : il croit à
chaque fois –bien plus que l’argent. C’est pour cela que l’enseignement est de
loin supérieur à l’économie. L’enseignement, c’est la pierre philosophale qui
change tout en or, puisqu’à chaque échange, au lieu de parvenir à l’équilibre,
on obtient de la croissance ».[7]
Face à la faillite de l’école publique, on
propose des terrains de proximité ; histoire de d’occuper la galerie et de
faire des espaces verts des garderies pour adultes !!
Pour rétablir la confiance, réduire la violence dans la société, intéresser
les investisseurs et provoquer le déclic, il faut donc tout investir dans la
bonne école.
Ce n’est pas un slogan. C’est une urgence.
2. Société de confiance
Dans un ouvrage très intéressant, l’ancien ministre de De Gaulle, Alain Peyrefitte donne une recette et pose la
condition nécessaire au développement.
« Depuis Adam Smith et Karl Marx jusqu’à Max Weber et Fernand
Braudel, on n’a cessé de s’interroger sur les causes de la « richesse des
nations » ou de leur pauvreté. La plupart des penseurs ont privilégié les
explications matérielles : capital, travail, ressources naturelles, climat. Et
si les mentalités et les comportements constituaient le principal facteur du
développement - ou du sous-développement ? ».[8]
En comparant les sociétés latines catholiques et les sociétés
anglo-saxonnes majoritairement protestantes, une grande différence
ressort : en plus de leur attitude toute particulière vis-à-vis de
l’argent, de la finance et de la réussite, chez ces dernières, la confiance est
une règle cardinale.
La justice et la pédagogie de l’exemple, des outils indispensables pour
permettre à chacun de retrouver confiance.
3. Le politique, autrement…
« Les rapports ayant marqué la politique, plus de 4 décennies
durant, doivent être repensés et redéfinis. Ce qui a prévalu jusqu’à présent
relève désormais de l’archéologie politique. Le monde a changé d’une manière
abyssale. La société marocaine s’est aussi profondément métamorphosée. C’est
commettre une grave erreur d’appréciation que de continuer à ignorer son
temps ».[9]C’est ce que je disais il y a 30 ans
dans le papier susmentionné .
La monarchie est un ciment nécessaire à la stabilité du pays, elle ne
devrait pas, à cause de conflits entre les différents centres de pouvoir et les
services, passer comme un obstacle au développement.
. Un triptyque vertueux
Les rapports entre le Centre et « les périphéries », entre le
Maroc « utile » et le Maroc « inutile » doivent être
repensés dans le sens de la prise en compte des besoins fondamentaux et la
reconnaissance de la plénitude de la citoyenneté.
Il faut également une politique globale de développement (une réelle
industrialisation en totale déconnexion avec les prescriptions de la BM – le
mémorandum récent proposé en 2017 qui constitue une véritable insulte et une
volonté de cantonner le Maroc comme pays prestataire de services – et du FMI)
et une option radicale pour un système éducatif performant.
Enfin et non le moindre, l’affrontement entre les différents centres du
pouvoir qui, en se neutralisant, paralysent le pays et empêche toute avancée
doit prendre fin pour un meilleur agencement des appareils de l’État.
Au temps du net, de l’image et de la communication, cela ne peut
continuer indéfiniment.
Entre ceux qui ne veulent rien changer et ceux qui veulent tout bousculer,
le chemin de la réforme existe. Il faut tout simplement le vouloir.
D’aucuns
s’ingénient à nous inviter à se comparer à l’Afrique sub-saharien.
Quelle ambition ?
Plus
pernicieux, d’autres, par le biais de discours et signaux subliminaux, agitent
la situation au Moyen-Orient. Et tout cela pour installer la résignation, nous
convier à modérer nos revendications et s’aligner sur des minimas !!
Entre la stabilité et
la réforme, il ne faut pas choisir, mais les réaliser toutes les
deux ; la tâche est immense, mais possible et réalisable, si la volonté
politique existe.
Tout cela est plus facile à dire qu’à faire et pourtant, c’est ce qu’il
faudrait faire si on veut éviter le chaos.
Sauf si les gouvernants
fondent leur espoir de stabilité sur la transition démographique !! En
effet, dans un délai de 20 ans, la pression démographique serait réduite et la
demande sociale non-contraignante !!
Si c’est vraiment leur calcul, c’est cynique. Mais rien d’étonnant de la
part de ce monstre froid qu’est l’Etat (F. Nietzche) [10]. Et par là, on peut soutenir qu’ils donneraient, peut-être, raison à
l’un des hommes politiques de la Révolution française Louis Antoine Léon de Saint-juste : "Tous les arts ont produit des
merveilles : l’art de gouverner n’a produit que des monstres".
24 janvier 2020 (anniversaire de l’interdiction de L’UNEM, le 24 janvier
1973)
[1] Sur les différents dysfonctionnements et les griefs
faits au président du conseil , et la
composition de la commission voir
Mustapha Sehimi, "Conseil de la concurrence : dysfonctionnement
? oui mais"... https://www.facebook.com/Quidma/photos/a.342764979175732/1099701253482097
[2]
Fahd Yata, " Le trio improbable" , https://lnt.ma/vie-politique-un-trio-improbable-mais/
[3] Sur la dimension d’Abath (absurdité), voir
mon ouvrage "Politique, démocratie et Symbolique. Ou comment faire et
défaire le politique au Maroc. Ed.
La croisée des chemins, avril 2017, 187 pages, pp. 91 -110 et tout
particulièrement les pages 95-110.
[4] Voir
le site de notre revue : www.sciencepo.ma (il s’agit d’un extrait
d’un article qui a été publié le 18 février 1992; Al Bayane.)
[5
Sur la question la question de la pauvreté au Maroc voir le N° de notre revue La
pauvreté,
"La
pauvreté au Maroc", N° 11, Novembre/décembre 2018, Volume XVII
[6]
Revue Marocaine des Sciences Politique et Sociales : site www.sciencepo.ma et page Facebook de la même revue.
[7] Du bonheur aujourd’hui, Ed. Le Pommier, 2015,
p. 45.
[8] Sur la quatrième de couverture de La
société de Confiance, Essai sur les origines et la nature du
développement d’Alain Peyrefitte, Éditions Odile Jacob.
[9] Voir le site de notre revue : www.sciencepo.ma (il s’agit d’un
extrait d’un article qui a été publié le 18 février 1992 ; Al
Bayane.).
[10] Friedrich
Nietzsche, "Ainsi
parlait Zarathoustra" , Ed. Gallimard,1971.507 pages, p.66.
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