Pr. Mohammed GERMOUNI
Ancien professeur des Universités Mohammed V et Hassan II
Ancien intervenant invité au Beijing Economic Institute
Depuis le siècle des traités inégaux datant la « guerre d’opium », la Chine
semble chercher à ne plus être apparentée à une nation quelconque parmi les
autres, surmontant les humiliations successives subies du fait des puissances
occidentales.
Son retour sur le devant de la scène par ses importantes avancées
économiques et techniques, par une présence préparée sur les divers continents,
pose la question du repositionnement international en cours et de la place
appropriée de la Chine dans le concert des nations. De la « guerre
commerciale » à celle des monnaies, en passant par la controverse
scientifique en cours à propos du Covid 19, cette grande puissance se trouve
directement concernée.
Ses succès économiques admis ne sauraient masquer les importantes inégalités
de niveaux de vie de la population d’un pays fortement urbanisé et qui doit
négocier une nouvelle transition autrement plus complexe vers un modèle
intégrant davantage la satisfaction des besoins internes et pressants.
Les arbitrages socio-économiques attendus et devenus nécessaires ne
manqueront pas d’exercer à leur tour un impact sur le rôle mondial et politique
futur de cette grande puissance.
Introduction
Grande puissance en voie de se
forger une place et un destin planétaires, la Chine ne peut être considérée
comme une simple intruse dans la grande compétition qui se déroule depuis le
début de ce siècle dont Deng Xiaoping avait conçu et initié à la fin des
années 70 du siècle dernier, les grandes transformations socio-économiques postérieures
à la direction exercée par Mao Tsé-toung longtemps premier président de la République
Populaire de Chine. Elle s’apprête à nouveau à revoir ses orientations de
croissance en favorisant progressivement davantage la demande locale. Des considérations
internationales et des besoins internes concourent en faveur de mutations de
l’organisation de la grande usine du Monde des dernières décennies.
Il est à rappeler que la Chine s’était toujours
considérée comme l’ancienne et historique grande puissance, et de ce fait a cru
à sa supériorité permanente sur le reste de l’Univers, ainsi qu’à la primauté
de sa civilisation hors de laquelle il n’y avait à ses yeux que barbarie. Le siècle des traités inégaux datant la « guerre
d’opium » lui a été doublement cruel, en en faisant une nation quelconque parmi
les autres, une première humiliation, puis une nation dominée par les barbares.
Ce qui explique les réactions nationales et internationales chinoises sur le
devant de la scène au cours des dernières décennies qui méritent un bref rappel
utile à la compréhension d’un repositionnement multiforme.
1-
Bref historique
Cette grande nation n’a pas été occupée à la manière de
l’Inde, ni réduite à l’état de pays colonisé comme ce proche voisin. Cependant,
elle a été plutôt affectée dans sa souveraineté par les puissances étrangères
et en a historiquement souffert, car il faut rappeler qu’elle a été touchée par
le commerce européen dès le 16ème siècle avec des conséquences limitées
au début dans l’ensemble.
Progressivement elle fut la cible de
traités léonins de la part d’Etats européens ainsi que du Japon, devenus puissants
et surtout exigeants, recourant de plus en plus à la force et à la brutalité
pour asseoir leurs positions respectives. Pour secouer le joug des occidentaux
et des voisins nippons, cela requérait une certaine modernisation préalable du
pays, car pour se libérer il fallait se réformer, soit deux tâches souvent
complexes et même contradictoires qui furent parfois difficiles à parachever.
Pour éliminer lesdits « barbares » d’occident, il a fallu d’abord faire un
lent apprentissage de leur science, de leurs techniques et de leurs armes, ce qui
exigeait des réformes radicales allant jusqu’à entrainer le renversement de la
dynastie impériale mandchoue, en 1911, et la constitution du premier
gouvernement républicain dirigé par Sun Yat-sen.
2-Une Chine doublement
humiliée par le passé
Le pays a été partiellement colonisé
par le Japon durant la période de l’entre-deux-guerres mondiales et certaines
de ses grandes villes-ports demeurèrent sous domination et partagées entre
puissances occidentales, depuis ladite « guerre d’opium » face à une
Grande Bretagne lui imposant dès les années 1840 par la force le commerce de
cette denrée et drogue qu’elle refusait. En perdant cette guerre contre des
anglais belliqueux et exigeants, ce grand et vaste pays allait devoir lutter
pendant près d’un siècle contre les traités sous contrainte par les diverses puissances
et l’occupation d’une partie de son territoire. Ces épisodes laisseront des
traces indélébiles dans la mémoire chinoise et imprègneront les rapports
internationaux ultérieurs.
En effet, au cours de l’histoire des
deux derniers siècles, deux importantes guerres ont eu lieu entre la Chine et
le Japon et ont marqué les relations des peuples de la région, expliquant
depuis l’attachement appuyé de la Chine aux symboles de sa souveraineté pleine
et entière. La première guerre, entre 1894 et 1895, avait abouti à la défaite
de la Chine alors grand empire face à celui d’un Japon sortant renforcé des
résultats de ses importantes réformes de « l’ère Meiji »,
contraignant les chinois à lui céder Taïwan, les îles Pescadores et Senkaku
ainsi que la presqu'île du Liaodong (avec Port-Arthur en Mandchourie). La Chine
devait abandonner également la souveraineté qu’elle exerçait à cette époque sur
la Corée, qui allait devenir à son tour une colonie japonaise.
S’agissant du dernier et
relativement récent conflit sino-japonais, allant de 1937 à 1945, contrairement
à la guerre dirigée autoritairement par le Führer en Allemagne,
l'expansionnisme militaire japonais n’avait pas suivi un plan préconçu mais
s’est distingué dans l’ensemble par un caractère anarchique, voire féodal, avec
des massacres sans utilité militaire évidente selon plusieurs observateurs, de
populations civiles chinoises. Le gouvernement central japonais ne faisait
qu'entériner, souvent sous la menace, les initiatives de ses chefs militaires
sur le terrain. En effet, au cours des années 1930, plusieurs hauts
responsables militaires japonais, auraient agi de leur propre initiative et
contrairement aux ordres reçus, et envahirent des parties du territoire
chinois, constituant des préludes au déclenchement officiel de cette dernière
guerre sino-japonaise.
L’invasion nippone de la Mandchourie en 1931,
a abouti à la création du Mandchoukouo, puis à la conquête de Shanghai en 1932.
Après l'invasion par des armées japonaises, rivalisant entre elles, d'une
grande partie du territoire d’une Chine républicaine, ce conflit allait durer
jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, soit au lendemain de la
capitulation du Japon consécutive à l'explosion de deux bombes nucléaires
américaines sur son territoire. Si les puissances alliées exigèrent que le
Japon rende Taïwan à la Chine, l'URSS puissance alliée s’était fait attribuer
par la force le sud de Sakhaline, les Iles Kouriles, Moukden, ancienne colonie
russe, et Dalian.
3-La révolution communiste
À la prise du
pouvoir par le Parti communiste en Chine, en 1949, l’Ile de Taïwan sera occupée
par le gouvernement nationaliste exilé du général Tchang Kaï-tchek, en
bénéficiant de la reconnaissance exclusive des Nations Unies comme seul
représentant de la Chine. Les tensions internationales allaient reprendre
alimentant un contexte de nouveaux rapports inégaux, aiguisées par le fait que
le Japon, aligné sur les USA qui l’occupaient, ait reconnu le gouvernement de Taïwan
comme seul représentant officiel du peuple chinois. La République populaire de Chine,
désignée alors par Chine continentale ressentira cette attitude des Nations
Unies, des USA et du Japon en particulier plus que vexatoire, voire comme une
nouvelle humiliation.
La Chine Populaire qui a de longues
frontières terrestres avec certains de ses puissants voisins comme l’Inde et
surtout l’ancienne puis la nouvelle Russie après l’expérience soviétique, sans oublier la proximité géographique et maritime avec
son ancien occupant, le Japon, accordera depuis un intérêt tatillon à ses
rapports de voisinage stratégique. Suite à l’affaiblissement général du lien avec
la Russie soviétique, est venu se greffer le rayonnement croissant de la Chine
révolutionnaire et du personnage de Mao, le seul communiste, avec le yougoslave
Tito, mais à une autre échelle, qui ait depuis Lénine conquis le pouvoir par « ses
propres moyens ».
Le pays est de toute façon trop immense, trop peuplé, trop central pour
être un partenaire asservi. La « déstalinisation » selon le modèle de
Nikita Khrouchtchev fournira ainsi à la Chine l’espace idéologique de son
indépendance comme Etat, entrainant ce que l’on a appelé « la fin du socialisme
dans un seul pays ». Le déplacement de l’idéal révolutionnaire de Staline à Mao
Tsé-toung a été masqué par l’affrontement entre l’URSS et la Chine populaire
qui a empli de son tumulte les décennies soixante et soixante-dix du siècle
dernier s’exprimant par une violente hostilité mutuelle.
4-La Chine de la phase révolutionnaire
Au lendemain de la révolution
communiste intervenue en 1949, Le Président Mao avait essayé de construire une
société socialiste dans un pays arriéré et pauvre, en s’inspirant du marxisme
léniniste et du modèle soviétique russe. La République Populaire de Chine,
qu’il a dirigée depuis et pendant un quart de siècle, deviendra sans conteste
le premier grand pays encore pauvre à avoir endigué partiellement certes et
avec retard mais non sans détermination la famine massive dont souffrait en
permanence une vaste proportion de la population du pays.
Des famines se sont produites en
grand nombre tout au long de l’histoire de la Chine, sous les différentes
dynasties impériales et même après l’avènement de la République en 1911,
entraînant souvent des millions de morts. La dernière et la plus connue sera la
grande famine ayant fait suite au « Grand Bond en avant », une grande campagne
d’industrialisation forcée initiée et dirigée par ce leader chinois, entre 1958
et 1961, sera caractérisée par son étendue démographique. Selon les
statistiques officielles, elle aurait fait près de 15 millions de morts. Les estimations officieuses sont variables,
mais souvent plus élevées. Des observateurs chinois estimèrent le nombre de
victimes à plus du double et relevèrent même plusieurs cas de cannibalisme
généralisés dans bon nombre de régions du pays. Si le « bond en avant » avait
enregistré un échec sérieux, les autorités avaient refusé de l’admettre et
elles poursuivirent pourtant avec un dogmatisme typique de la période la même
politique jugée désastreuse pendant encore trois années. Le Pr Amartya Sen a
relevé à ce propos avec pertinence et sobriété que les mécanismes de la
démocratie permettent de prévenir les disettes et famines et que les autorités
chinoises avaient médité certes à leur manière depuis ce tragique épisode.
Pendant les années 1960, alors que la Chine prenait ses distances avec
l’URSS, les échanges commerciaux en conséquence avec le Japon augmentèrent,
notamment avec l'achat par la Chine d'installations industrielles, financé par
des crédits à moyen terme auprès de la Japan Export-Import Bank. Les
transactions s’interrompirent à la suite de protestations de Taïwan.
Devenue puissance nucléaire au cours
des années 1960, en dépit des obstacles politiques et oppositions techniques,
tant des USA et même de l’URSS ancien compagnon de route, la Chine allait
progressivement asseoir une visibilité de nouvelle grande puissance, soutenue
discrètement et diplomatiquement en cela par exemple par une France gaulliste
libérale et nationaliste qui , bien
qu’anti communiste, était plus soucieuse surtout de réduire le pouvoir international
que se partageaient alors les
seules deux grandes puissances alors en sérieuse« Guerre froide».
5-L’ère des nouveaux rapports sino américains
Les relations
entre la Chine et le Japon connurent également un déclin supplémentaire pendant
la Révolution culturelle. Malgré l'existence de tensions politiques, le
développement des échanges commerciaux et culturels allait augmenter à partir
des années 1950, entre deux pays longtemps adversaires et sur le pied de guerre.
Le rétablissement officiel des relations diplomatiques intervint en 1972,
bénéficiant du climat d’amélioration générale du dialogue entre les Président
américain et chinois, Nixon et Mao, ayant ouvert la voie au retour de la Chine
dans le concert des nations. Quelques années plus tard sera signé le traité de
paix et d'amitié entre le Japon et la République populaire de Chine. Les
difficultés rencontrées par les réformes de Deng Xiaoping renforcent cependant
les tensions internes. Pour éviter que l'ouverture économique n'entraîne une
réforme politique, le régime chinois se replia idéologiquement et mit en avant
des thématiques nationalistes dans lesquelles le Japon prend une nouvelle
importance, notamment sur des questions historiques, tout en en copiant
certaines des stratégies économiques réussies. Depuis la fin des années 1990,
ces questions réapparaissent épisodiquement dans certains courants du Parti
communiste chinois et au sein de la population chinoise.
5-La Chine, un des leaders du mouvement des « non
alignés »
Elle a pris une part active à l’organisation
et à la direction du « mouvement dit des non-alignés », c’est à dire non soumis
à aucune des deux super puissances, en a été un des principaux animateurs aux
cotés de l’Inde, de la Yougoslavie et de l’Egypte. Elle a, à ce titre, soutenu
activement les indépendances de plusieurs pays colonisés depuis la conférence tenue
à Bandoeng en 1955, surtout
en Asie et en Afrique, dont celle de pays comme le Maroc
sous protectorat français puis de l’Algérie. Le premier ministre chinois Chou Enlai,
celui de l’Inde Jawaharlal Nehru, le président égyptien Jamal Abdennasser et le
président yougoslave Josip Broz Tito, formèrent un quatuor international et
charismatique agissant de façon militante à la libération de plusieurs pays formant
encore les empires de certaines puissances européennes.
C’est ainsi que la décennie des
années Soixante du dernier siècle correspondra à une période de décolonisation
et de succès de mouvements nationaux de libération et d’indépendance intéressant
l’Afrique et l’Asie tout particulièrement. Cela explique en partie l’historique
d’un réseau utile de relations privilégiées nouées depuis avec divers pays
sortant de la colonisation et démarrant leur processus de construction
nationale. Le soutien à la lutte de libération du Vietnam a cependant parfois pâti
du conflit sino-soviétique ainsi que des effets déstabilisants de la
« révolution culturelle » chinoise prônée et dirigée par Mao
Tsé-toung lui-même pour neutraliser plusieurs de ses adversaires idéologiques
au sein du parti communiste chinois.
6- Le retour de la confrontation sino américaine
Produit du développement économique
et social remarquable enregistré par la Chine au cours des trois dernières
décennies, d’importants déséquilibres commerciaux ont fait leur apparition
entre les USA et la Chine, déficits devenus depuis structurels et surtout épineux
sujets de confrontation entre deux grandes puissances ayant pourtant de
nombreux intérêts financiers mutuels. De commerciale et économique, cette
confrontation s’est étendue sur les océans, dans l’espace ainsi qu’à celui de
la recherche et des nouvelles technologies, la crise sanitaire planétaire en cours,
due au Covid 19, a alimenté à son tour une vive controverse imputant hâtivement
jusqu’à preuve du contraire à la Chine une grande part dans le déclenchement
initial de celle-ci.
7-Le statut d’une nouvelle super
puissance
Il n’est nul besoin de rappeler l’histoire des
deux dernières décennies notamment celle qui atteste du fait que la question
monétaire en particulier a constamment été un des terrains privilégiés de
discorde sino-américaine. Le taux de change du renminbi en dollar, fixé par les
autorités chinoises, a été constamment jugé anormalement bas et contesté par
les USA, et il serait même, selon eux, à l’origine du creusement de leur
déficit commercial au fil des ans. L’explication serait en partie recevable, si
un tel déficit n’était cependant devenu plutôt structurel et même permanent.
Déjà la grande
récession économique par exemple, intervenue quelque dix ans auparavant, avait
mis à mal le fragile équilibre du système libéral ainsi que des rapports entre
deux grands partenaires commerciaux, et n’avait pas manqué déjà d’instiller
notamment une forte dose de défiance chinoise dans la solidité relative du
dollar et du marché américain. Il y a lieu de noter que la Chine talonne
pratiquement depuis quelques années les USA, sur la base par exemple d’un Produit
Intérieur Brut de près de 14.000 milliards de dollars en 2019, soit inférieur
d’un tiers en moyenne, mais avec une population chinoise quatre fois supérieure.
Ayant été mise à contribution afin
d’atténuer le choc des turbulences financières américaines cycliques, la Chine
est de plus en plus appelée à revoir sa politique de libre-échange et d’abord
celle des changes. Placer l’essentiel de ses revenus d’exportation en dollar
américain, en demeurant dépendante des USA, ou opter pour une ou deux devises
fortes de remplacement en vue de répartir les risques, la Chine a préféré
entamer la carte de la lente convertibilité de sa propre monnaie, le renminbi,
devenant ainsi encore plus dépendante des évolutions du marché mondial. Près
des quatre cinquièmes des réserves de la Banque centrale de Chine étaient
encore placées en dollars américains, durant la dernière période, représentant
environ le huitième du Produit intérieur brut des USA, en moyenne.
Si le mouvement est demeuré lent et prudent jusqu’ici, l’objectif à long
terme reste une devise convertible. L’option ainsi prise, avec ses aléas et
risques de divers ordres, avait été confirmée également par exemple par un ancien
chef de la division-Chine au Fonds Monétaire International, un observateur relativement
averti s’il en est.
Un tel cheminement est un processus technique long et ardu, aux
conséquences économiques et surtout politiques nombreuses et délicates. Un
statut probable de future place financière internationale de référence pour Shanghai
n’en est pas moins concevable dans les prochaines années. Ceci met l’accent sur
le besoin d’une importante technicité financière, tant en experts-comptables,
en « risk managers » et autres professionnels nécessaires au
fonctionnement courant des marchés qu’un enseignement spécialisé essaie d’y
pourvoir.
Enfin, un vaste mouvement de
diversification des avoirs financiers a été enclenché depuis de longues années
et a pris la forme d’acquisition d’importants actifs dans diverses régions du
monde, allant d’achats massifs de matières premières et de sources d’énergie à
toute une panoplie d’investissements dans plusieurs secteurs. Pour des années
récentes, par exemple, les montants annuels des acquisitions à travers le monde
ont pu être de l’ordre de dizaines de milliards de dollars effectuées par des entreprises
chinoises privées, non sans certains échecs et des annulations.
8-Les ajustements complexes d’un nouveau modèle chinois
de croissance
Au cours des dernières deux décennies,
la Chine est devenue une puissance économique, devançant parfois les USA et
l’Europe, en termes de production, sur la base des parités de pouvoir d’achat.
La croissance de son Produit Intérieur Brut a oscillé en moyenne annuelle, entre
8 et 10%, tirée par ses exportations notamment. Dans cet ordre d’idées, cet
agrégat qui a représenté quelque 2% de celui des USA en 1980, il a été de
l’ordre du quart ces dernières années. Qu’un pays aussi vaste avec une
population aussi importante ait réussi une telle performance en un délai
relativement aussi court ne saurait passer inaperçu. C’est un succès qui a
transformé le monde, outre que les chinois sont connus pour être travailleurs,
entreprenants et avides d’éducation. Le pays tend à son tour à représenter un
grand marché mondial pour les biens et services des divers pays de la planète, depuis
les matières premières et les sources d’énergie jusqu’aux biens de
consommation, sans omettre les produits de luxe.
Au-delà des questions de
volatilité, de pertes de change, de spéculation qu’une monnaie internationale
affronte nécessairement, les risques les plus sérieux pour la Chine concerneront
dans le futur notamment les conséquences inévitables des indispensables et
difficiles ajustements de son industrie et de ses exportations sur le revenu et
le niveau d’emploi résultant d’une convertibilité longtemps purement et
simplement occultée. Le projet de plan quinquennal à venir, pour la période 2021-2025,
actuellement en cours de discussion par les instances dirigeantes du pays
préparerait le cadre d’une réduction de la dépendance par rapport à la demande
d’exportation et qui favoriserait une autonomie technologique nationale
progressive.
Les progrès réels enregistrés du niveau
de vie moyen dans la dernière période ne sauraient masquer les importantes
inégalités qui ont parallèlement fait leur apparition avec la constitution de
nombreuses fortunes, du phénomène nouveau de nombre milliardaires en dollars et
sans omettre le développement de ce qui peut être considéré comme le premier
marché mondial des articles de luxe ,de nature à constituer un indicateur
additionnel d’une certaine amélioration relative du niveau de vie moyen de la population.
Abritant un cinquième de la
population mondiale, la Chine qui s’est urbanisée compte déjà près de quinze
villes dépassant les cinq millions et trente-cinq de plus de deux millions. Le
phénomène le plus saillant a été l’apparition et le développement de couches
moyennes citadines presque comparables à celles de l’Occident et en nombre de
plus en plus représentatives, constituant une clientèle disposant d’un pouvoir d’achat
annuel moyen calculé équivalant à 45.000 dollars américains. Une étude de
l’Académie Chinoise des sciences sociales avait estimé le revenu annuel d’un
ménage de la « classe moyenne » à 6.000 dollars lors de la première
décennie du 21-ème siècle, correspondant à quelque cent millions de ménages,
soit près du tiers de la population totale. Exprimés en termes de parité de
pouvoir d’achat, cela donnait un groupe disposant d’un pouvoir d’achat au moins
trois fois supérieur en volume à celui des consommateurs britanniques, allemands,
français ou italiens. Cette catégorie sociale, pourrait se comparer par exemple
aux ménages européens des années 1990, disposant d’un logement, du téléphone
fixe, du portable, de la machine à laver, du réfrigérateur, du téléviseur
couleur, d’un ordinateur et d’un système de climatisation.
Il convient bien entendu de ne pas sous-estimer
la place prise par une sorte de « classe moyenne supérieure », formant une
certaine nouvelle « élite sociale » fondée sur des profils professionnels de la
Chine actuelle, constituée notamment de nombreux PDG et de cadres supérieurs
des milliers d’entreprises. En effet, les taux de croissance relativement impressionnants
de la consommation d’articles de luxe, de l’ordre de 20 à 60%, révélés par
diverses études, s’expliqueraient par l’avènement de toutes ces diverses catégories
sociales solvables, nées des dernières décennies de développement et
constituant la clientèle potentielle pour les grandes marques et biens de luxe
toutes largement représentées dans les principales villes du pays.
A cet égard, c’est notamment par le
voyage et la découverte de l’étranger que la clientèle chinoise du luxe aurait
augmenté au cours de la dernière période, particulièrement à travers Hong Kong
d’abord, la grande vitrine du consumérisme dans la région. Certains produits,
comme les vins, les spiritueux, les parfums ou les cosmétiques, contrairement
aux articles de mode et de prêt-à-porter, à la notable exception de ceux
d’Hermès, sont dans l’ensemble moins affectés par les effets des crises et des
ralentissements économiques qui interviennent.
La croissance remarquable du marché du luxe en Chine, et selon plusieurs
observateurs avisés, est désormais plus élevée que celle qui avait caractérisé
naguère le Japon. Le chiffre d’affaires annuel a été de l’ordre du cinquième
des ventes de biens de luxe dans le monde, estimées en tendance par la banque
Goldman Sachs, à quelque 60 milliards de dollars américains, voire un peu plus,
si on y inclut Hong Kong et Macao, sans omettre l’équivalent de la centaine de
millions de touristes chinois qui se sont rendus à l’étranger avant la crise du
Covid 19.
En outre, au cours de ces dernières
décennies, la Chine, suivie de la Russie, aurait enregistré l’expansion la plus
rapide des ventes des marques devenues « iconiques » genre Prada, Vuitton,
Dior, Gucci, Chanel ou Salvatore Ferragamo. De nombreuses enquêtes récentes
confirment que de plus en plus de chinoises des couches moyennes par exemple
auraient maintenant un sac Louis Vuitton et parfois des chaussures Salvatore
Ferragamo. Les montres de marque sont
aussi importantes en Chine du fait que c’est souvent un produit choisi par les
hommes, et les trois quarts achetés sont des objets appréciés, généralement
sous forme de cadeaux offerts par les entreprises à leurs meilleurs employés le
plus souvent. Par ailleurs, beaucoup plus que leurs homologues japonais, les
consommateurs chinois seraient fort attirés par les parfums et produits luxueux
attachés aux soins de peau. Cette attraction du bien de luxe, engloberait
également les maisons-châteaux, les véhicules de grande marque, les hors bords,
allant jusqu’au nombre des meilleurs clubs de golf dans le monde et quasi
fermés, n’est pas limitative. Les articles Louis Vuitton ont acquis un statut
emblématique, et la griffe chinoise fait aussi son chemin comme le
prêt-à-porter Shanghai Tai.
En conclusion,
Longtemps, frugalité, simplicité
et modestie constituaient des sortes de vertus cardinales dans cette région du monde,
des valeurs recyclées positivement par les dirigeants de l’expérience
socialiste chinoise durant la deuxième moitié du siècle dernier. Cependant, la
relative importance acquise par l’industrie et le commerce de luxe intéressant
encore une petite minorité sociale, ne saurait cacher la lourde contrainte
pesant sur les décideurs chinois qui doivent aider la grande masse de la population
à améliorer ses conditions de vie.
Après l’expérience socialiste de
Mao et ses avatars, puis celle du libéralisme économique de Deng Xiaoping
imitant ses voisins dits « tigres asiatiques », consistant en une
croissance fondée surtout sur le bas coût de la main d’œuvre, le développement
chinois connaîtrait un début d’essoufflement. A la recherche d’un modèle de croissance durable,
l’équipe dirigeante s’attelle à rendre les grandes entreprises publiques à la
fois plus compétitives et disciplinées, en donnant au marché officiellement un
rôle déterminant. Une évolution qui peut contribuer à augmenter les revenus et
d’élargir le nombre de bénéficiaires.
Dans les faits, si cela devait se
concrétiser, d’importants arbitrages sociaux et politiques également devraient
prendre corps, car les choix actuels à effectuer sont relativement complexes et
auront nécessairement des incidences directes et même indirectes sur l’avenir
non seulement des Chinois mais d’une grande partie de la planète. Ainsi, par
exemple, autoriser des droits de propriété privée sur des terres agricoles
jusqu’ici collectives, pourrait en l’espace de quelques années permettre de
combler le large fossé entre les revenus des populations du monde rural chinois
et ceux des citadins de cette grande nation.
Autrement dit, une probable nouvelle révolution socio-économique au vrai
sens du terme en perspective, de nature à transformer les conditions de vie
d’une grande partie de la population de ce pays, mais qui demeure un choix éminemment
politique et surtout d’ordre interne.
S’il est encore tôt pour mesurer
l’impact réel des mesures chinoises de développement de la demande locale pour
remplacer une partie des exportations habituelles au centre de la « guerre
commerciale » menée par certains partenaires à l’échange, il est néanmoins
incontestable que sans l’effet stabilisateur de la politique financière des
autorités chinoises et du placement de leurs réserves monétaires des dernières
années, un relatif atterrissage en douceur de l’économie mondiale eut été tout
simplement irréalisable. /
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