LES BONNES FEUILLES 1/8
"Deux choses menacent le monde,
l’ordre et le désordre"
[1]
Le
coronavirus n’est pas traité ici que comme déclencheur d’un processus et
révélateur d’une crise multidimensionnelle que connait présentement l’humanité.
La
mondialisation, non plus, n’est pas examinée comme un mode de production et de
distribution des richesses et une forme d’organisation de l’économie
mondiale mais plutôt sous l’angle des
effets dévastateurs qu’elle a générés et continue à le faire.
Les effets des deux, conjugués, conduiraient éventuellement à un changement de paradigme
dans le monde actuel, notion entendue,
selon Edgard Morin dans un ouvrage très récent,
comme " signifiant le
principe d’organisation de la pensée, de l’action, de la société, bref
de tous les domaines de ce qui est humain"[2].
Seulement
si une prise de conscience universelle est réalisée.
Et à l’auteur de la complexité et de l’approche du
penser global des phénomènes d’ajouter : « je pense également que
la gestation d’un nouveau paradigme se fait dans la douleur et le chaos, sans
pourtant qu’on soit certain qu’il puisse émerger et s’imposer. Un changement de
paradigme est un processus long, difficile, chaotique se heurtant aux énormes
résistances des structures établies et des mentalités ».[3]
Le contenu de cet essai[4] est au
carrefour de l’économie, du politique, de la géopolitique, des rapports de
compétition entre les Etats et des groupes d’Etats, bref du devenir de l’humain
…
L’état actuel du monde, marqué par
l’incompréhension totale, des déchirures de tous ordres, des guerres
identitaires, le positionnement des puissances, est sous le coup de
nombreuses et nouvelles menaces.[5]
Elles
font peser sur le monde, selon certaines thèses, la menace d’une fin
terrifiante !
Pourquoi et comment on en est arrivé là ?
L’origine
du dérèglement et les moyens de dépassement
Mondialisation débridée, islam radical et violent, "choc des
civilisations" ou suivant l’heureuse formule d’Amine Malouf de leur épuisement [6], tentation
des puissances à vouloir tout accaparer, émergence de nouvelles puissances et
leurs revendications relatives,
somme toute légitimes, à un monde
différemment organisé… Ce cocktail de facteurs constitue, en fait, à la fois
les raisons de déclenchement et les conséquences qui en découlent.
Au regard de tous les dégâts occasionnés par le
mode économique et de pensée dominant, les menaces qui en découlent et pèsent
sur le monde[7], que
faire pour faire éviter à l’humanité un avenir apocalyptique ?
Il n’y
a pas de recettes magiques. Tout ce qu’on peut espérer c’est, par la réflexion
des uns et des autres, de parvenir à explorer des pistes devant créer chez
l’humain un sentiment d’espoir, de sérénité et de quiétude et surtout la
conviction qu’un monde différent est possible !
Il faut
d’abord commencer par réformer la démocratie là où elle existe.
L’installer
là où elle n’arrive pas à s’ancrer.
La
démocratie dans la misère n’est pas concevable. Le développement sans la
participation des citoyens peut paraitre difficilement réalisable.
Toute
la question est de savoir comment concilier entre la nécessité démocratique et
l’impératif du développement ? Comment les conjuguer au niveau local et
global ?
Plus
par un processus de persuasion et d’adhésion que par des contraintes,
coercitions et violences guerrières exercées par les puissances étrangères.
On
connait suffisamment les conséquences désastreuses, occasionnées par ce type
d’interventions en Irak (2003) et en Syrie depuis 2011, pour ne pas les
condamner et les repousser comme modalité de gestion de crise.
Les enjeux politiques, géopolitiques, les intérêts liés au pétrole, aux
réseaux de Gazoduc (le cas de la Syrie), à la sécurité d’Israël et à
l’émergence de la puissance iranienne ont davantage motivé l’ingérence
occidentale qu’une volonté de
démocratisation globale[8] !!
L’unicité de l’humain
Partant
du constat de l’unicité de l’humain et des limites de la planète et des risques
de sa dévastation par une tentation infinie et maladive de production, il serait
souhaitable, nécessaire, voire impératif d’explorer les pistes de réflexion
suivantes :
·
Substituer l’idée de choc des civilisations (Samuel
Huntington) à celle non pas de la coexistence mais d’une imbrication et d’une
osmose fécondes entre elles, voire pour une culture de l’empathie.[9]
· Penser
l’organisation du monde ensemble n’est pas une vue d’esprit mais une nécessité
impérative :
En effet, l'idée de la
gestion commune du monde s'impose plus que jamais, tout en évitant la formule
de Jacques Attali d’un gouvernement mondial [10], dont la
finalité n’est pas au-dessus de tout soupçon.
L'organisation du monde en plusieurs puissances
mondiales avec la coexistence de puissances régionales,
chargées concomitamment d'assurer la sécurité et la coopération dans leurs
régions respectives…
Un monde à la
Georges Orwell (sous sa forme chinoise ou nord-coréenne) doit faire
l’objet d’un débat (entre efficacité des régimes autoritaires et fragilité
des régimes démocratiques face aux crises) et céder, peut-être, le pas à un
monde où la confiance et la sérénité doivent prévaloir.
Il faut
faire en sorte pour dépasser l’équation de Noam Chomsky, déclinée entre domination du monde ou sauvetage de la
planète.[11]
Le monde de demain se construit aujourd’hui.
Bref, toutes les pistes et propositions
prospectives suggérées peuvent permettre à l’homme de retrouver son humanité et
au monde sa normalité.
Il faut
faire en sorte que le monde ne se décompose pas
en tribus qui se font des guerres d’extermination ; la guerre de
tous contre tous (Hobbes) n’est pas une fiction.[12]
Une organisation nouvelle du monde est d'autant
plus nécessaire que les prémices d'une guerre totale entre la puissance
dominante (USA) et la puissance aspirante (Chine) se profileraient à l’horizon.
La guerre économique ayant marqué l’année 2019/20
entre les deux géants en est le signe précurseur.
" Penser
autrement la croissance et la chose économique est devenue, depuis quelques
temps déjà, une nécessité impérative ; elle passe, entre autres, par un
traitement nouveau des deux équations homme /machine et homme /environnement.
Les rapports qu'ils connaissent et les tendances qui s'en dégagent doivent être
repensés pour une meilleure vie pour ne pas dire tout simplement la survie de
l'homme. L'homme est, en effet, au terme d'une ère civilisationnelle et au
seuil d'une nouvelle. Mais pour que celle-ci soit prometteuse et porteuse
d'espoir, les rapports entre les pôles civilisationnels doivent changer car ils
sont sur une mauvaise pente".[13]
En effet «…ce que l’humanité sait faire de meilleur
est perverti par ce qu’elle sait faire de pire –tel est le paradoxe de notre
temps. »[14]
disait l’académicien Amin Maalouf.
Si on
ne prend pas garde, le chaos tant redouté ne sera pas pour des générations
lointaines mais, sans jouer les Cassandre, il sera pour demain.
Ainsi , l’idée
d’une civilisation de l’empathie, préconisée par Jerémy Rifkin, est une piste à
creuser : « l’homme est condamné
à remodeler sa conscience ; nous devons parvenir au cours de ce
XXIème siècle à un état d’esprit proche
de l’empathie universelle, qui témoignera de l’aptitude de notre espèce à
survivre et à prospérer » [15]
[1]- Ignacio Ramonet, "La géopolitique du chaos
», Gallimard, Folio, 1999, 267 pagesp.17.
[2]- Il s’agit d’un opuscule de 34 pages très récent
d’Edgard Morin avec la collaboration Sabah Abouessalam, "Changeons de
voie, les leçons du coronavirus", Denoël, 2020, 34 pages, p.7.
[3]- Op.cit. p.7.
[4]- Le contenu de cet essai est composé d’articles
déjà publiés mais éparpillés dans des supports différents et d’autres inédits,
postés uniquement sur le site de notre revue ; ce qu’ils ont en commun,
c’est de s’inscrire dans la même thématique et de répondre à une même
préoccupation ; celle de savoir si l’humain est condamné au chaos et que
les possibilités de survie sont quasiment inexistantes.
[5]- Xavier Raufer , " Les nouveaux dangers
planétaires ", CNRS Editions , 2012, 256 pages .
[6]- Amine Malouf, "Le dérèglement du monde
", Grasset,418 pages.Voir la 4ème de couverture.
[7]- Deux papiers de cet essai résument bien son
contenu. Il s’agit de " Un monde sans repères " et « Les premières leçons de la crise : un
autre monde à imaginer et à construire ".
[8]- Sur cet aspect, voir notre ouvrage
"ONU-Etats-Unis-Irak : de la mère des batailles à la guerre des
faucons". Ed. Confluences, Rabat, 2003,188 pages, notamment les pages
127-157.
[9]- Jeremy
Rifkin, " Une nouvelle conscience pour un monde en crise. Vers une
civilisation de l’empathie ", Edition Babel, 2011, 893 pages.
[10]-Quand Jacques Attali évoquait « la mise en place
d’un gouvernement mondial » découlant d’une
pandémie,https://www.breizh-info.com/2020/03/17/138580/quand-jacques-attali-evoquait-la-mise-en-place-dun-gouvernement-mondial-decoulant-dune-pandemie/
[11]- C’est le titre de son ouvrage, Fayard, 10 /18,
2004, 386 pages.
[12]- Le film « Made Max » traduit cet état de fait.
[13]- Ce petit développement est un extrait de mon
article, intitulé " Un monde sans repères ", publié, il y a 25 ans
(Al Bayane, le 4 janvier 1995) ; il n’a pas pris une ride. Il a été
republié sur le site Médias 24, le 6 janvier 2016.Voir infra le texte intégral.
[14]- Amin Maalouf , " Le naufrage de
civilisation", op.cit. p. 319.
[15]- Op. cit. La quatrième de couverture. Pour plus de
développement sur cette idée d’empathie, voir les pages 537- 606
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