Pr. Mohammed GERMOUNI **
Economiste
et Politologue
L’OMS, un outil d’alerte encore irremplaçable ?
Instituée en 1946
par l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Organisation Mondiale de la Santé
(OMS) définit, dans son acte constitutif, la santé comme «un état de complet de
bien-être physique, mental et social, qui ne constitue pas seulement une
absence de maladie ou d’infirmités ». En dépit des critiques, parfois
cohérentes à son encontre, son caractère irremplaçable s’impose encore plus surtout
en des périodes de pandémies mondiales de nature à devenir répétitives, et d’un
multilatéralisme symbolique sinon et surtout en recul. D’abord, en tant
qu’outil précieux d’alerte d’épidémies et autres fléaux du
genre pouvant menacer la santé humaine en général. Ensuite, comme instrument de
suivi des fléaux sanitaires affectant davantage encore les populations pauvres
et vulnérables de différentes régions, en particulier celles des pays du Sud.
Il va de soi que si la gestion de la pandémie
dite de la Covid-19 par cette Organisation a souffert de certaines
insuffisances techniques, relevées par diverses instances politiques et
scientifiques dignes de foi, il conviendra dans un contexte post-crise
sanitaire, moins trouble et plus propice aux arguments scientifiques et
techniques que celui prévalant actuellement, pour cerner les défaillances et
situer les niveaux de responsabilité le cas échéant. En effet, pour la première
fois, la planète s’est trouvée soudainement et rapidement exposée à la
propagation d’un virus, à défaut d’une alerte appropriée de l’OMS, ne serait-ce
qu’en comparaison de ses faits d’armes reconnus en début de ce siècle, de ses
prouesses et son suivi rigoureux et attesté, lors notamment des épisodes du
SRAS puis de celui encore plus sévère de l’Ebola par la suite.
Depuis sa création, l’Organisation a
enregistré une évolution relativement peu linéaire, en raison de politiques
générales qui étaient fréquemment infléchies à la fois par des approches de
grandes puissances et par l’expression de divers intérêts industriels
importants et de fondations privées concernés par les questions de soins et de
santé à travers le monde. Un insuffisant financement autonome assuré par les
seules contributions des Etats n’aurait permis qu’un faible taux de réalisation
des programmes sanitaires projetés par ses instances dirigeantes, n’eut-été l’appui
devenu nécessaire de donateurs publics
et privés ainsi que de bailleurs de fonds. Autant d’interférences qui n’ont pas
manqué d’exercer leur influence sur les attributions et les choix d’une
Organisation s’inscrivant dans le cadre d’un multilatéralisme de plus en plus
en déperdition sinon déstabilisé.
1- Un lieu et un objet de
controverse entre grandes puissances
L’OMS a toujours été une enceinte abritant des discussions et des
débats à caractère à la fois scientifiques et politiques puisque s’agissant
de questions intéressant la santé des populations. La récente pandémie en offre
une illustration d’un débat relayé ou relancé par les divers moyens
d’information d’aujourd’hui. Ce qui était de l’ordre d’une discussion
scientifique intéressant les origines d’un virus et le démarrage d’une pandémie
s’est transformé en une vaste controverse publique internationale, impliquant
en particulier et directement deux des grandes puissances déjà en « guerre
commerciale » ouverte depuis plus de deux ans. La plus concernée d’entre
elles représente un des pays les plus peuplés de la planète, abritant près d’un
cinquième de la population mondiale, et qui a acquis encore plus d’influence
politique et de puissance économique au niveau mondial, depuis qu’elle avait
remplacé Taiwan, en 1971, comme membre permanent du Conseil de Sécurité des
Nations Unies
Cette grande puissance, encore en devenir, est
par ailleurs très au fait du fonctionnement des diverses Organisations spécialisées
du système de l’ONU, et des rouages particuliers de celle supervisant les
problèmes de santé, puisque la direction
générale de l’OMS en particulier fut assurée ,d’ailleurs de façon
professionnelle selon les observateurs, pendant la dernière décennie par une
femme médecin originaire de Hong Kong.
C’est une évidence que chaque grande
puissance développe sa politique vis-à-vis de ces Agences spécialisées
notamment, allant d’une rare généreuse coopération à une utilisation répondant à
certains intérêts particuliers parfois, au gré des conjonctures et contextes,
et la Chine ne serait pas la première,
et les Etats Unis à leur tour, par ailleurs, n’ont
pas été en reste depuis quelques décennies déjà. Les récentes discussions
internationales, à connotation académique, au sujet de l’éventuelle source
première d’un virus, ne sauraient masquer une confrontation d’attitudes et
d’intérêts antinomiques de puissances en phase d’un lent repositionnement aux
conséquences économiques et politiques non encore mesurables.
2- Un reflet des crises
et des rapports mondiaux.
A la
différence des buts des organismes qui la précédèrent avant la Deuxième Guerre Mondiale,
l’un des objectifs principaux de l'OMS à sa création, était « d’améliorer le niveau de santé de la
population mondiale de l’après-guerre », et non plus uniquement de celles
des pays membres alors encore occidentaux pour la plupart. C’est ainsi que des
priorités sanitaires, comme la lutte contre le paludisme, la tuberculose, les
maladies sexuellement transmissibles, pour la santé de la mère et de l'enfant
et de favoriser une alimentation des démunis, furent définies pour la première
fois. Depuis, de nouvelles graves pathologies, comme le sida notamment puis la
série des Covid ou l’Ebola, se sont manifestées dans la dernière période, recevant
des réponses jugées parfois mitigées.
2.1- Le
vœu utopique d’une « santé pour tous »
Vingt ans après sa mise en place, en 1969,
l’organisation publia son premier règlement sanitaire international, en vue de
surveiller les principales maladies infectieuses jugées les plus graves, genre choléra,
peste, fièvre jaune, variole et typhus, donnant ainsi une orientation mondiale lisible
à son action future. Certes depuis, tous les objectifs n’ont pas pu être
atteints. Cependant à défaut d’une éradication totale, il y eut un déploiement
d’efforts réels, certes de manière inégale mais non négligeable dans ceux des pays
de l’hémisphère Sud considérés souvent comme les plus affectés. Les diverses
régions d’Afrique des lendemains de décolonisation en particulier, où se
concentraient déjà pauvreté, chômage, habitat insalubre et fragiles
infrastructures sanitaires, allaient inspirer en réel les caractéristiques de
ce qui sera désigné communément par les sociologues, économistes ,démographes,
médecins et géographes
sous l’appellation de «sous-développement », voire un monde à part
qualifié de « Tiers Monde » donnant lieu à l’apparition d’une recherche
multidisciplinaire nouvelle et féconde.
Cependant, dans les instances internationales
du système des Nations Unies, et dans le cas particulier de l’OMS, celle-ci a
été jusqu’ici davantage regardée avec quelque condescendance et servant de
bouc émissaire en période de crise sanitaire déclarée. Presque la plupart
des Etats développés la considéraient au mieux comme une institution concernée
plus par les problèmes sanitaires des pays en développement, voire des pays
pauvres. Elle s’est ainsi trouvée plusieurs fois par le passé dans la ligne de
mire des grandes puissances, parfois à tort, lui imputant tel ou tel
manquement.
Par le
passé, l’action et le suivi assurés par d’anciens directeurs généraux et
médecins chevronnés, comme le brésilien Marcolino Candau et surtout le danois
Halfdan Mahler, ce dernier longtemps responsable du « programme Tuberculose », et
qui ont pu indéniablement apporter une
visibilité nécessaire à l’Organisation dans sa première phase, s’intéressant à
la santé des patients plus qu’à la seule maladie. D’ailleurs, la
déclaration adoptée alors proclamant une "Santé pour tous » à l’horizon
2000, redevable à l’inspiration et à la réflexion ce médecin danois. Elle précisait
ainsi déjà les grandes lignes de la future approche de ce qui deviendra un besoin de couverture sanitaire
universelle, d’allure apriori utopique pour l’époque et qui peut paraitre
comme un des possibles « pare-feu » à d’éventuelles pandémies répétitives
du futur. Cette déclaration avait fixé par ailleurs des principes comme
l'égalité des droits au soin, la participation de la population, l'importance
de la prévention, selon une approche combinant le sanitaire et économique.
2.2- La santé a un coût
financier.
A l’issue de cette phase, plusieurs auteurs
et observateurs des problèmes de
santé
dans le monde ont pu relever, à partir des années 1980, que l’OMS a eu à
connaitre une sorte de «traversée du désert», en raison d’une hostilité doctrinale marquée de certains ardents défenseurs du
« libéralisme nouveau »,tant en Amérique qu’en Europe, servis
en cela par des dirigeants charismatiques comme l’ancien président
américain Reagan et l’ancienne première ministre britannique
Margareth Thatcher. Leur influence conjuguée et multiforme était ainsi parvenue
en particulier à imposer une sorte de démantèlement graduel de politiques et de
services techniques sanitaires. Leurs représentants aux instances de
l’Organisation sont parvenus à freiner ainsi des programmes épidémiologiques jugés
alors coûteux, allant jusqu’à menacer de geler leurs cotisations financières,
si leurs avis n’étaient pas suivis d’effets sur le terrain. A son tour, la
puissante industrie pharmaceutique mondiale a été encouragée à contester non
seulement la composition de la liste de médicaments essentiels retenus par
l’Organisation, jusqu’à remettre en question les critères et même le principe
de son établissement, considérant pareille politique comme constituant une
entrave à la recherche d’une « optimisation des soins médicaux » et
contrecarrant le « progrès scientifique ».
S’inscrivant dans la même orientation doctrinale devenue dominante, la Banque Mondiale sera appelée
dans les faits à encadrer et orienter le secteur de la santé des pays en
développement à travers des financements conditionnels, et selon des critères
liant les coûts aux bénéfices, et autres indicateurs d’efficacité , dans le
cadre de la série des programmes
d’ajustement structurel développés par pays, marginalisant d’autant les politiques globales de santé et surtout l’approche plutôt clinique de l’OMS.
Nommée à la direction de l’Agence, avec
l’appui des principaux pays contributeurs, pour mettre un peu d’ordre dans une
organisation affaiblie par plusieurs affaires douteuses et notamment par une
gestion jugée controversée de son prédécesseur, le Japonais Hiroshi
Nakajima, madame Brundtland ,ancien
premier ministre de Norvège, a porté ses efforts à restructurer les services du Siège, à
réduire le nombre des contractuels à long terme au profit de temporaires et à
essayer surtout de réunifier les principaux bureaux régionaux bénéficiant d’une
autonomie et d’un statut spécial. Il s’agit des bureaux régionaux de la
Méditerranée orientale, de l’Afrique, de l’Europe, des Amériques et du
Pacifique occidental et de l’Asie du Sud-Est. Il convient à ce niveau de noter
que, par exemple, l’Organisation panaméricaine de la santé, dotée d’un statut
indépendant, joue également le rôle de bureau régional des Amériques pour
comprendre la difficulté de diriger et coordonner un « machin » du genre pour
reprendre la boutade provocatrice d’un ancien président de la France, le
Général De Gaule, à l’endroit de l’ONU qu’il jugeait ingérable.
2.3-Les pesanteurs d’un
important appareil administratif
Il
a fallu attendre quelque deux décennies pour que cette Organisation redevienne
à nouveau visible au niveau mondial, suite à ses dernières alertes relativement
efficaces s’agissant d’épidémies et de pandémies telles que la grippe aviaire,
le SARS, ou l’Ebola, se permettant même de contester à raison et avec preuves
certaines statistiques épidémiologiques publiées en 2003, par la Chine. A
partir du début de ce nouveau siècle, l'OMS avait en effet pu retrouver un modeste statut international
de respectabilité qui lui faisait défaut et qui fut le résultat des efforts
efficaces déployés par l’équipe de la nouvelle direction générale, désireuse de
réformer une Organisation jugée alors à « bout
de souffle » et dont certaines « dérives bureaucratiques »
étaient décriées sur la place publique.
En effet, une bonne partie de la
crédibilité de l’Institution avait peut-être souffert des vraies et fausses rumeurs de
malversation, de népotisme, d’inefficacité, voire du lancement de programmes
parfois jugés de peu de valeur sanitaire probante pour les populations ,et ce
ne sont que quelques-uns des griefs alors relevés en particulier par divers
observateurs assidus, surtout suite à la part importante prise par les circuits
de contributions volontaires de certains Etats et de dons privés dans le
financement global. Le système d’une
Organisation avec six importantes directions régionales, à son tour, avait suscité
l’émergence de responsables locaux
parfois difficilement contrôlables par un Conseil et un secrétariat siégeant à Genève.
Ces efforts de relatif renouveau, mais non sans de notables reculs, devaient être
poursuivis par les responsables qui se sont succédé à la direction de l’Agence,
d’abord par le médecin sud-coréen, Lee Jong-Wook, disparu subitement en cours
de mandat, puis par le médecin originaire de Hong Kong, qui était déjà en
charge du service pandémique de l’Organisation,
madame Margaret Chan, qui sera nommée au poste pour une décennie. Elle
eut à faire face, non sans professionnalisme, en particulier aux fortes poussées
épidémiques de la période dont le H11N1 et l’Ebola, parfois avec quelque retard
certes, mais surtout en comptant davantage sur l’appui de certains « intérêts
privés » actifs à Washington, en l’occurrence la fondation Bill-Gates et du secteur pharmaceutique et
notamment
celui des vaccins.
3-La fonction complexe de
gestion des crises sanitaires
C’est en déclarant, fin janvier 2020,
l’urgence sanitaire mondiale de l’actuelle pandémie, que les diverses régions
de la planète redécouvraient à nouveau l’OMS, ses rouages compliqués, des questions impliquant santé mondiale et
diplomatie internationale des grandes puissances, l’ensemble parfois difficile
à cerner, non sans risque d’entamer le rôle difficile mais précieux de transmetteur officiel audible d’alertes
épidémiologiques essentielles pour la survie de l’humanité. Ceci n’en rend
que plus exigeant encore la place du
professionnalisme et de la technicité sanitaires exigés d’une direction
générale d’une pareille Organisation tentaculaire, qui est loin d’être une
mission aisée.
Assurée encore pour deux ans, par un représentant
africain, en la personne d’un ancien ministre des affaires étrangères, non
médecin, diplômé de l’Ecole de santé d’hygiène et de médecine tropicale de
Nottingham en Grande Bretagne, sa mission en cours ne se trouvera pas ainsi facilitée
uniquement par une certaine surdose nécessaire de diplomatie, dans une enceinte
devant privilégier en premier lieu les aspects sanitaires. Si une telle
élection d’un éthiopien fut naguère jugée « historique », ou presque, telle
que l’Union africaine l’avait qualifiée alors, elle devrait désormais se
traduire dans le proche avenir par une vigilante gouvernance redoublée et
équilibrée, surtout par un suivi sanitaire encore plus professionnel s’agissant
des pandémies dont celle en cours.
Parler
d’élection dans une organisation du genre pourrait paraitre quelque peu un abus
de langage en la matière, tant il s’agit dans l’ensemble de dispositions agréées
au préalable par les membres permanents du Conseil de Sécurité, manifestant parfois
un certain consensus en faveur d’une éventuelle rotation continentale
s’agissant de la direction de quelques Agences spécialisées. Un tel système existant
depuis la Deuxième Guerre veut que certains organismes en particulier demeurent
du ressort des seuls membres permanents des régions Amérique-Europe, suite à
des accords anciens entre grandes puissances, tels les cas du Fonds Monétaire
International ou de la Banque Mondiale.
Par contre, s’agissant des divers organismes
relevant du dispositif de l’ONU, le principe et la coutume veulent que le choix
et l’accord relatifs aux candidatures se fassent en dernier ressort, de façon
diplomatique et sans heurt frontal si possible, permettant à tour de rôle de
satisfaire chacune des grandes
puissances à placer ou à soutenir une candidature appartenant à son aire
d’influence. Il en a toujours été ainsi, selon d’anciens diplomates du
terrain, et la candidature d’un ancien ministre africain des affaires
étrangères retenue comme directeur de l’OMS, n’a pas dérogé à la règle, ayant bénéficié
surtout de l’appui décisif de la Chine, bien présente sur le continent et bien au
fait de ses particularités économiques et politiques notamment.
Par
ailleurs, de l’avis d’observateurs habitués de ces instances, la fonction d’un directeur général, aussi qualifié
soit-il dans ce genre de dispositif international, n’est que rarement
déterminante dans la prise des grandes de décisions importantes. Dans le cas
d’espèce, celles-ci émanent régulièrement des structures techniques et scientifiques
en charge des dossiers, rarement toutes « inféodées » à une seule et
même puissance, encore moins lors d’une pandémie dite du siècle. Il va de soi
que chaque responsable « élu » à ce genre de poste est bien entendu redevable
d’abord au gouvernement de son pays qui a autorisé sa candidature puis a permis
de faire campagne en sa faveur, en sensibilisant les principaux alliés éventuels ,selon le contexte
des rapports internationaux prévalant. Si certaines personnalités
d’envergure purent faire exception par le passé et furent même consensuelles,
le cas courant veut que le soutien d’une candidature à la tête de quelque organisation
internationale, genre OMS, fasse souvent l’objet de longs échanges
diplomatiques dans la pratique, notamment entre celles des grandes puissances
concernées. Ce qui n’exclut pas de la part de celles-ci un relatif désintérêt
remarqué s’agissant de telle ou telle organisation, laissant le champ libre au
grand nouveau venu sur la scène mondiale.
4-Le lancinant problème
du financement des programmes sanitaires
Un aspect et non
des moindres a trait à la question
centrale de la difficulté de faire face aux dépenses jugées essentielles de l’action
de l’OMS, compte tenu du fait que les contributions officielles des Etats
membres ne couvrent jusqu’ici que le quart des besoins d’un fonctionnement
normal. Depuis quelques décennies
déjà, cette Organisation a multiplié les
collaborations avec des organisations non étatiques, en partenariat avec près
de plusieurs dizaines de groupes (ONG, industrie pharmaceutique et fondations
dont notamment celle Bill-et-Melinda-Gates et la GAVI Alliance.
En principe, le budget-programme de l’OMS
est financé au moyen d’une combinaison de contributions fixées de pays membres,
calculées sur la base d’une combinaison du PIB et de la Population, ainsi que
de contributions et dons volontaires d’Etats ou d’autres entités. Celles dites
fixées ont décliné en tant que pourcentage général du budget programme et
depuis plusieurs années, en raison de besoins sanitaires élémentaires qui ont
augmenté à travers les diverses régions du monde. Autant dire que les cotisations fixées des
Etats sont devenues au fil du temps symboliques et peu représentatives des
ressources nécessitées par les politiques décidées par cette Agence, et ce
depuis la fin du siècle dernier.
A titre de simple illustration, pour le
double exercice 2018/2019, les prévisions de contributions de quelques Etats,
attestaient en général de la modicité des efforts financiers respectifs alloués
à cette Organisation, et qui étaient comme suit par rapport aux cotisations
totales devant être collectées :
22%pour les USA, 9% pour la Norvège, 7,9%pour
la Chine,7% pour l’Inde, 6,4% pour les Emirats, 6,3% pour l’Allemagne, 5,4%
pour le Danemark, 4,8% pour la France, 3,00% pour la Russie, 3,6% pour
l’Afrique du Sud, 2,00% pour le Nigéria, 1,1% pour l’Arabie Saoudite, 0,15%
pour l’Egypte, 0,05% pour le Maroc, et 0,01% pour l’Ethiopie.
La récente décision américaine officielle,
par exemple de réduire de moitié sa contribution, en pleine pandémie, et sans
attendre les conclusions d’une éventuelle investigation approfondie, ne fait
qu’éclairer sur les réelles difficultés d’une Organisation
du genre à pouvoir poursuivre une mission exposée aux nécessaires critiques et vicissitudes,
sans déplaire autant que possible aux principaux contributeurs. D’ailleurs, à
l’instar des années passées, l’équilibre de l’ensemble du budget-programme de
l’OMS, par exemple de l’ordre d’US $ 5,6 milliards en 2019, restait dépendant pour
les quatre cinquièmes de ses besoins de contributions et dons dits volontaires d’Etats
et d’entités à caractère privé, devenues ainsi essentiels pour sa survie.
Il
va de soi que cela crée une large opportunité aux généreux donateurs de faire
part de leurs avis sur les politiques et programmes sanitaires à adopter ou à
entreprendre. Agence certes controversée
mais également convoitée, et ce
n’est pas le moindre des paradoxes de l’OMS des dernières décennies, en raison
de son large rayon d’action et de son implantation dans les régions pandémiques
en particulier, traduisant souvent un multilatéralisme de façade, au moment où
des besoins impérieux de soins de santé de populations pauvres et vulnérables
demeurent insatisfaits pour l’essentiel.
Une sorte d’externalisation progressive de fait des attributions d’une Organisation s’est ainsi mise en place d’une équipe
dirigeante à l’autre, devenant une sorte de réceptacle de donations et de
contributions volontaires orientées vers ceux des programmes de soins de santé
s’inscrivant dans l’optique privilégiée des donateurs et contributeurs.
A cet égard, est-il besoin de le rappeler,
les USA avaient déjà essayé par
le passé, non sans succès, d’en contrôler l’essentiel de sa politique générale
dans les années 80 du siècle dernier, selon des documents officiels, allant
jusqu’à refuser de régler leur cotisation si leurs recommandations n’étaient
pas suivi d’effet. La récente sanction financière, intervenue lors d’un simple
point de presse présidentiel, en avril 2020, de réduire une cotisation d’allure
symboliquement la plus élevée parmi les Etats, est cependant pour surprendre, à
un moment aussi crucial de la lutte contre une grave pandémie. De telles
attitudes ne font que confirmer la crise larvée du passage d’un
multilatéralisme à « géométrie variable », variant au gré des
conjonctures, à un autre devenu plus une sorte de semblant des dernières
années.
5- L’apport indispensable
des fondations et du secteur privé
Diverses fondations et œuvres privées
genre Rotary et autres, participent peu ou prou ou indirectement à la mise en œuvre
de certains objectifs sanitaires de l’OMS. Celle qui est le plus souvent impliquée
est la fondation « Bill Gates », relativement assez présente par son assistance
et son appui financiers ainsi que par du conseil dans le domaine sanitaire dans
les régions en développement. Le mot d’ordre véhiculé par cette entité, à
rayonnement mondial, et se voulant exemplaire surtout par ses réalisations, est
un « altruisme » dit « efficace ».
5.1- La Fondation Gates
et la question de la santé dans le monde
A ses
origines, la création de cette structure philanthropique américaine aurait été
une réponse notamment à la question de l’accès difficile au « vaccin
antirotavirus » auquel tous les enfants à travers le monde ne pouvaient
accéder avec des chances égales, notamment les plus pauvres d’entre-deux. Une
grande part de ses activités consista, depuis ses débuts, deux décennies auparavant,
à savoir intervenir au « moment
approprié », pour participer au financement de quelques politiques
gouvernementales d’achats de vaccins et d’équipements efficaces et
appropriés aux besoins du moment. Elle a
ainsi pris une part active à la création du Fonds Mondial de lutte contre le
sida, la tuberculose et le paludisme, en apportant un don de 650 millions de dollars,
pour lutter contre trois des maladies infectieuses jugées alors les plus
mortelles que le monde n’ait jamais connues, comblant les lacunes et
difficultés de l’OMS.
Si cette fondation devenue importante et influente
à travers le monde, par ses soutiens financiers sélectifs, elle ne se charge
pas de la mise en œuvre des projets qui sont préparés et demeurant du ressort
des laboratoires d’universités et des entreprises pharmaceutiques. Il en serait
de même des décisions d’achat des produits sanitaires ou des vaccins
nécessaires, qui restent du sous l’autorité des pays concernés ou d’organismes
spécialisés comme l’UNICEF par exemple. En principe également, les divers donateurs
s’interdisent d’élaborer la politique sanitaire des pays, tâche relevant des Etats,
conseillés parfois par l’OMS. Néanmoins, dans la pratique, à l’instar d’autres
bailleurs de fonds, les contributeurs volontaires prennent une part non
négligeable à la formulation des propositions ainsi qu’à la négociation de
produits et de délais, soucieux qu’ils sont que les ressources correspondent à
la tâche attendue et d’exercer l’impact le plus large possible.
Il est évident que la question de la santé au niveau mondial intéresse
plusieurs approches disciplinaires autres que la médecine, et les diverses
fondations en général et celle de Gates en particulier, parviennent à réunir
périodiquement divers représentants du monde des sciences, en vue d’établir des
« partenariats » sur les terrains d’action, ce que l’OMS ne peut se
permettre en raison de l’état de ses faibles finances. Selon cette fondation,
les résultats du financement dans l’approche dite altruiste efficace devraient être jugés sur
le long terme, en termes par exemple de « vies épargnées ou prolongées ».
La démarche a pu susciter un regain d’intérêt et favoriser le lancement de
processus de recherche fondamentale dans des universités notamment américaines
en relation avec la science et la technologie intéressant la santé.
Certes,
les problèmes rencontrés en matière de santé publique n’exigent pas seulement
des compétences en sciences et en santé publique, mais effectivement aussi dans
des disciplines permettant de trouver des solutions sanitaires propices avec un
impact sur le terrain, aspect privilégié par les interventions de cette importante
fondation philanthropique. Le besoin de diversifier davantage les acteurs et de
faire appel non seulement à des professionnels issus des écoles de santé
publique, mais également à des spécialistes en gestion d’entreprises dotés
d’une expérience, des ingénieurs et des développeurs de logiciels est devenu
ainsi évident, et ne pouvant que renforcer l’action multiforme de l’OMS. Pour ce faire, la fondation
inscrit l’essentiel de ses interventions sanitaires éventuelles, aux côtés de
l’OMS en particulier, selon des critères empruntés à l’analyse économique des
projets.
5.2-Les critères de choix
et l’altruisme dit efficace.
Un
examen en termes de « coût-efficacité »
dans le choix de politiques en général et sanitaires en particulier ne
constitue pas à priori une hérésie, car appliqué judicieusement et combiné
à d’autres critères, il peut éclairer utilement les conséquences et impacts
respectifs des orientations pouvant être adoptées. Une telle transposition
d’outils d’analyse, habituellement en usage pour arbitrer des investissements
intéressant divers secteurs d’activité économique et sociale, ne préjuge pas
nécessairement de leur possible utilisation dans ceux de la santé humaine, sauf
lorsqu’ils deviennent exclusifs comme dans l’approche de la fondation.
Au sens strict, une analyse « coût-efficacité
» compare les coûts et les effets d'une intervention de santé à ceux d’une
autre. Il s'agit de mesurer l'impact marginal d'un choix sur les coûts et les
effets attendus. Les décideurs ciblés par de telles évaluations économiques
préconisées visent principalement des décideurs nationaux de programmes publics
de médicaments et des fabricants internationaux de produits pharmaceutiques qui
procurent les diverses données devant appuyer l’inscription des leurs sur les «
Listes de médicaments » arrêtées par les pays en accord avec les services techniques
de l’OMS.
De telles évaluations économiques aidant à
la prise de décision, sont courantes dans plusieurs pays développés, elles
concernent des technologies de soins de santé, tels les vaccins, les appareils
médicaux, les interventions médicales et chirurgicales, la prévention et les
activités de dépistage de la maladie, etc. Ces
diverses technologies ne se limitent pas seulement aux produits, mais
s’appliquent également à des stratégies pour la prise en charge des
patients et le traitement d’une affection donnée. Autant leur degré de
transparence est réel et permet aux choix en matière de santé d’être cohérents
à leur tour, autant leur degré de
pertinence peut être limité dans certains cas.
De
telles approches comparent des ratios calculés entre les coûts d’une
thérapeutique ou d’une action de prévention (exprimés en unité monétaire) et
leurs divers résultats, exprimés en nombre de vies ou d’années sauvées , en
nombre de cas de maladies guéries ou évitées, en fréquence ou durée réduite de
maladie, en paramètres cliniques ou psychosociaux. Les effets sur la santé sont
ainsi mesurés en unités physiques dépendant de l’objectif de la thérapie ou de
l’action de prévention. Les analyses permettent aussi de rendre compte des effets
de chaque catégorie d’efficacité ainsi mesurée. L’intervention de critères
économiques dans la prise de décision de politiques de soins et de prévention
conduit à passer d’un modèle du patient à celui du client, avec ses côtés
discutables que l’alliance Fondation-OMS a eu tendance à privilégier au cours
des dernières décennies, introduisant le principe des soins solvables en
premier.
Une analyse en termes de « coût-utilité », qui peut être
complémentaire et associée dans divers cas dans les programmes sanitaires
de l’OMS, permet d’aider à aboutir à un ratio entre les coûts d’une
thérapeutique ou d’une action de prévention (exprimés en unité monétaire), et
ses possibles résultats même sur la qualité de la vie. Car, les effets sont exprimés en années de vie gagnées pondérées par
un critère de bonne santé. Le résultat est ainsi le produit d’effets multiples
ramenés à une seule valeur.
6- Un échec historique de l’OMS nommé Sida.
Des médecins américains avaient rendu publique,
en juin 1981, l’observation d’une nouvelle maladie, le sida, connu par le sigle
du virus VIH à son origine, constituant ce qui deviendra la plus grave épidémie des dernières décennies, dont on n’a
toujours pas trouvé de vaccin encore aujourd’hui.
Ce n’est seulement que cinq ans plus tard, que
l’OMS lancera ce qui deviendra le Programme mondial de lutte contre le sida
(Global Program on AIDS, ou GPA), dont la direction sera confiée à Jonathan
Mann. Au début, des années 2000, près de
vingt-deux millions de morts et environ
36 millions de personnes en étaient atteintes, dont plus des neuf dixièmes des personnes infectées et
des morts se trouvaient dans les pays en développement. Sous la pression de
certains Etats, les pays scandinaves et la France en particulier, la responsabilité
de la coordination de la lutte contre le sida sera retirée à l’OMS, notamment
suite à la carence de sa direction et des désaccords avec le responsable du GPA
ayant entrainé son départ, et sera confiée, en 1996, à une nouvelle structure
du système des Nations unies, l’ONUSIDA,
dirigée par un Belge, Peter Piot.
Une autre initiative, réduisant encore les prérogatives statutaires de l’OMS, fut adoptée
en 2001, par le SG de l’ONU, Kofi Annan, qui initia la création d’un Fonds pour
financer la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, mais n’eut
pas de suite significative, n’ayant permis de collecter que 200 millions de
dollars, à peine le sixième du montant initialement ciblé. Si la création d’un
tel Fonds est d’abord apparue comme un progrès important, son statut de
fondation de droit privé, n’autorise pas juridiquement dans les faits l’ONU
d’assurer la responsabilité d’une partie importante de la politique mondiale de
santé publique.
La création d’Onu sida accentuera encore la marginalisation de l’OMS sur un
terrain qui était sa raison même d’être. Il faut aussi faire remarquer que cette
nouvelle entité avait eu pourtant l’audace, et la première, de soutenir le
droit des gouvernements d’autoriser la fabrication de copies moins coûteuses de
médicaments protégés par des brevets, en cas de crise de santé publique, pour
cause de sida. Cette position sera
entérinée ultérieurement par l’OMS, en raison de la forte pression des opinions
publiques et du travail des ONG, encouragée aussi par une certaine neutralité
des USA, telle que relevée alors par la presse internationale.
7- Des rapports complexes entre l’industrie du médicament
et l’OMS.
L’industrie pharmaceutique internationale
ne pouvait pas ne pas s’intéresser à une importante Organisation spécialisée
dans le domaine des questions de santé à travers le monde et qui dresse notamment
des listes de médicaments dits essentiels. Très
tôt, les grands groupes de cette industrie, à travers leurs associations et
différents lobbies ont commencé à
remettre progressivement en
question certaines des attributions et domaines d’intervention de l’OMS, dès les années 80 du siècle dernier,
estimant qu’elle n’était pas nécessairement dans son rôle. Elle a pu avoir gain
de cause au fil des ans, aidée en cela par son poids technique et financier, et
avec le soutien appuyé des gouvernements des grandes puissances, se prononçant
indirectement à son tour sur les différents programmes sanitaires de l’OMS,
chaque fois que ses intérêts le lui dictent.
Membre écouté d’un puissant groupement, au
sein de l’« Alliance Globale pour les Vaccins et l’Immunisation » (GAVI
en anglais) nouvellement créée, qui est un partenariat public-privé destiné à
sauvegarder les vies des enfants et à protéger la santé des personnes en
encourageant l’accès à la vaccination dans les pays pauvres, les compagnies
pharmaceutiques ont aussi émis leurs avis techniques. Ce groupement établit des
liens entre les gouvernements des pays en développement et ceux des pays donateurs,
avec l’OMS, UNICEF, la BM, ainsi que les centres de recherche et les agences
techniques, la société civile, la Fondation Bill-Gates outre d’autres philanthropes
privés. Les représentants d’International Federation of Pharmaceutical
Manufacturers & Associations (IFPMA) siègent au Conseil d'administration de
cette structure qui leur offre ainsi
plus qu’une fenêtre utile d’observation sur les activités et programmes de
santé de plusieurs entités. Ce qui n’est pas inutile dans le cadre d’une
vision des complémentarités réelles existantes entre les composantes d’un tel
grand ensemble d’intervenants. L'IFPMA représente quelques dizaines d’associations
nationales d'industriels, avec des leaders internationaux connus comme Johnson
& Johnson, Glaxo Smith Kline, Merckx & Co., Novartis, Sanofi Pasteur,
la division des vaccins de Sanofi-Aventis, Pfizer, entre autres. Cette
structure représentée par GAVI permet de négocier quelques tarifs de
médicaments avec les industriels et de contribuer au financement de quelques
achats de vaccins notamment au profit des régions démunies de ressources pour
en acquérir.
Un ancien grand avocat américain et charismatique
défenseur des droits des consommateurs, Ralph
Nader, soulignait à la fin de la deuxième moitié du siècle dernier les efforts de l’OMS dans la lutte contre le
paludisme, la tuberculose, le tabagisme et les industries du tabac. Cependant,
il n’avait pas manqué de relever que plusieurs observateurs étaient déjà
préoccupés par le fait qu’une telle Organisation ait accepté qu’une « poignée
de grandes compagnies pharmaceutiques exercent une influence indue sur ses
programmes… jusqu’à réduire son rôle traditionnel de promotion de l’usage des
médicaments génériques dans les pays pauvres ».
A cet égard, et en rapport avec des
prix prohibitifs fixés non seulement des médicaments mais aussi des nouveaux
vaccins par exemple, de nombreux gouvernements de pays en développement se
retrouvaient acculés le dos au mur, en
fonction de leurs ressources insignifiantes, devant choisir entre les maladies
mortelles dont il conviendrait de protéger les enfants de leurs pays
respectifs.
Les budgets de santé de ces pays souffriraient
de plus en plus de tes coûts élevés, faute d’informations pertinentes pour
négocier avec les entreprises. Soucieuse de limiter la concurrence, l'industrie
pharmaceutique ne communique que rarement ses tarifs, et à dessein. D'un marché
à l’autre, et selon les pays, les coûts d'un même produit peuvent varier considérablement.
La situation serait même absurde, car dans certains pays en développement comme
le Maroc ou la Tunisie, le vaccin « antipneumococcique », recommandé
pour les méningites, coûtait plus cher qu'en France selon l’ONG Médecins sans
frontières (MSF). Même des pays comme l’Angola, l’Indonésie ou la Bolivie
avaient sollicité également l’assistance financière du GAVI. La protection des droits de brevets des laboratoires
parait certes légitime, garant de la poursuite de la recherche-développement
qui permet la fourniture d’outils, de technologies et de solutions nouvelles
n’a jamais été remise en question par l’OMS, tout au contraire et à juste
titre ; Cependant, la discussion demeure quant au niveau prohibitif des « prix de monopole » pratiqués. L’épisode
de la bataille des prix des médicaments lors de la lutte contre l’épidémie du
sida et des procès intentés par les groupes pharmaceutiques alors à l’Afrique
du Sud par exemple, l’un des pays les plus infestés, en invoquant la possible
réexportation frauduleuse de médicaments livrés à bas prix, illustre cette forte
interférence du secteur industriel dans les politiques mondiales de la santé
pour défendre des intérêts commerciaux particuliers.
Après
la Seconde Guerre mondiale, ce fut une sorte d’« âge d’or » de l’industrie
pharmaceutique, avec ses antibiotiques et le miracle de la pénicilline
notamment. Elle avait contribué réellement à éradiquer diverses sortes de
maladies infectieuses. Quelques
décennies plus tard, ses performances et ses gains financiers ont certes poursuivi
leur amélioration, parfois jusqu’à défrayer les chroniques, aux dépens d’une
absence de transparence générale de laboratoires devenus de gigantesques
groupes internationaux régnant sur des brevets leur accordant des quasi
monopoles. De graves dérives furent enregistrées du fait de certaines de
ces entreprises. Ainsi, quelques dossiers de sérieux manquements fortement médiatisés
ont déteint sur l’ensemble du secteur, donnant même lieu à des enquêtes
diligentées par des Etats, contraints de préserver l’ordre public et la défense
des utilisateurs de médicaments. Les contraceptifs de Searle hier, la crise des
opiacés et le rôle de Purdue, le fabricant de l’Oxycontin des
dernières années, par exemple, ont donné lieu à des enquêtes du Sénat aux USA, sans parler des prix de
quasi monopoles appliqués même à des vaccins ou médicaments destinés à des populations
démunies. Il en est de même de certains groupes ayant leur siège en Europe qui
n’ont pas été en reste non plus.
Certes, ce n’est pas le cas général, mais les compagnies
pharmaceutiques ont été parfois condamnées à verser de lourdes amendes de toutes
sortes, parce qu'elles avaient notamment commercialisé des produits qui étaient
jugés nocifs à la santé des utilisateurs, parfois informant peu le public sur
les effets indésirables. En adoptant des
politiques de concurrence internationale qui sont à l’opposé du protectionnisme
à l’abri duquel elle a évolué, l’industrie pharmaceutique cherche surtout à
assurer la poursuite de son essor en particulier en limiter l’émergence de la
concurrence dans les pays en développement. Il convient de noter que les trois
quarts du financement effectués par GAVI demeurent le résultat de contributions
de donateurs des pays développés.
D’importants laboratoires avancent ne pas
pouvoir faire baisser leurs tarifs relatifs aux vaccins par exemple, tels GSK
qui affirme qu'avec le niveau de prix pratiqué pour les pays pauvres il
parviendrait tout juste à rentrer dans ses frais, ou Pfizer, qui, quant à lui,
soutient qu'il vendrait les vaccins presque à perte, tels que rapportés par MSF.
À l'heure actuelle, le coût de fabrication de ces produits relèverait du véritable
« secret d'État » pour des groupes qui avaient récemment annoncé des
bénéfices de près de 1,5 milliard $ US pour un chiffre d’affaires-vaccins à eux
deux de près de 19 milliards $US réalisés dans les pays en développement, et
soutenus par GAVI, tels que parus dans la presse internationale spécialisée.
L'évaluation indépendante menée par cette Alliance elle-même, rapportée par
MSF, avait conclu que le prix qu'elle payait pour le vaccin contre la pneumonie
était largement au-dessus du coût de fabrication simplement estimé. Il est à
signaler que, par exemple, l’UNICEF, membre de cette même structure, présente
dans plus de 150 pays et territoires, reste le plus grand pourvoyeur en vaccins
des pays en voie de développement.
Il convient de rapporter à ce propos un
précédent insolite, suite aux attentats du 11 septembre, les Etats-Unis avaient
même menacé la firme allemande Bayer, productrice d’un antibiotique, Cipro,
utilisé habituellement pour combattre la maladie du charbon, de fabriquer
eux-mêmes des copies conformes de ce médicament, si un rabais substantiel ne
leur était pas consenti. Après cette pression exercée et réussie,
par une telle grande puissance créant un précédent positif, il leur serait éthiquement
difficile depuis de s’opposer à ce que d’autres Etats moins nantis, puissent à
leur tour recourir à la « primauté du droit à la santé sur le droit du
brevet ».
Pour faire face à l’actuelle pandémie du
Covid-19, on recensait à la mi-mai 2020, plus d’une centaine de projets de
vaccins initiés par divers laboratoires pharmaceutiques, dont plusieurs
entreprises « biotech » européennes et américaines, dans le monde,
encouragé par l’importance d’une demande potentielle à travers le monde. Cela
rappelle l’épisode du SRAS, de 2002, qui avait entrainé le démarrage de dizaines
de projets de vaccins mais qui n’ont pas été menés à terme, aussitôt que l’épidémie
s’était arrêtée, car il s’agit de projets exigeant en temps et en ressources.
Certains laboratoires, doit-on le relever, procèderaient de la sorte davantage pour
des motivations parfois simplement boursières.
8-La Banque Mondiale et l’OMS,
une complémentarité de fait.
Il est de plus en plus évident qu’une bonne santé constitue un
investissement fondamental dans la consolidation du capital humain pour
soutenir la croissance économique, qu’une Agence spécialisée telle que l’OMS,
au vu de l’expérience vécue, ne pouvait à elle seule en assurer le suivi à
travers le monde. Au cours des dernières années, dans de nombreux pays, le
degré de couverture santé demeure fort insuffisant, en particulier chez les
populations défavorisées et marginalisées, soit près de la moitié de la population
mondiale environ encore privée d’accès à des services de santé de base. En
outre, près de huit cents millions de
personnes dans le monde consacreraient au moins le dixième du revenu du ménage
aux dépenses de santé et se trouveraient fréquemment dans l’obligation de
choisir entre leur santé et les autres priorités familiales, selon des
rapports émanant de sources internationales officielles dont celle de la BM. La
difficulté d’assumer sa dépense de santé est l’un des principaux facteurs qui
feraient souvent basculer et entrainer les familles dans la pauvreté.
Une couverture sanitaire universelle comme
une des conditions contribuant à réduire l’extrême pauvreté et à améliorer l’équité
dans le monde, donna progressivement deux objectifs que la Banque a eu à
intégrer à sa politique générale avec l’avènement du nouveau siècle. Cependant,
les transformations requises des systèmes nationaux de santé des pays en
développement notamment ne se sont pas accompagnées de débats nécessaires, tant
la santé ne constituant pas toujours un « enjeu réel pour certaines élites
dirigeantes ». De même que les préoccupations des populations auront été
faiblement véhiculées par des « mécanismes démocratiques » jugés peu
appropriés dans bon nombre de régions du monde, selon la Banque. Une forte
dépendance de plusieurs pays en voie de développement de l’aide internationale constituerait
un autre facteur limitatif de débats utiles à la réalisation des objectifs
soutenus depuis par cet important bailleur de fonds.
S’impliquant progressivement pour assister l’OMS,
et ayant à son actif une expérience non négligeable d’un secteur de
la santé relevant des attributions de celle-ci, la BM avait pu y prendre part
la première fois en Tunisie, en 1981, faisant suite au financement de projets
de planification familiale réalisés en Jamaïque, de nutrition au Brésil, puis au
Bénin et en Guinée. Des revues exhaustives du secteur de la santé, un « dialogue
» au niveau politique et l’octroi de crédits ou de prêts assortis de conditions
allaient caractériser les approches de la Banque. Les conditions demandées
étaient avant tout centrées sur des considérations d’efficacité, consistant en
un redéploiement du personnel de la santé comme en Guinée ou en une définition
d’un modèle d’organisation du district sanitaire dans le cas du Bénin.
Il faut mentionner que, par ailleurs, les plans d’ajustement structurel
généralisés comprenaient également des conditionnalités qui avaient des
effets directs sur la pauvreté et la santé, par exemple la suppression des subventions
aux denrées de base, ou sur les services de santé, en gelant le recrutement des
fonctionnaires qui limitait ainsi l’extension des services de santé et en réduisait
l’accessibilité. La BM a ainsi
notablement contribué à banaliser l’introduction de financements privés dans
les systèmes de santé, en recourant déjà à des critères d’efficacité, notamment
par le paiement direct et partiel des coûts des services, aisés à gérer mais en
même temps vecteurs de faible équité.
L’accent étant mis sur l’offre médicale surtout, la BM devait inciter les services des
Etats à une performance améliorée et à une plus grande attention vis-à-vis des
besoins exprimés par la population. Associée aux donateurs et bailleurs de
fonds, l’OMS quant à elle, cherchait à tirer parti du fonctionnement des
marchés, mais tout en demeurant prudente
envers un « système marchand pour
la santé », comme par exemple le fait de confier à des populations la responsabilité
de gérer des fonds devant principalement permettre le réapprovisionnement en
médicaments essentiels sous la forme d’une participation communautaire. On assista,
depuis le début des années 1990, à une certaine « convergence » de
fait des politiques prônées et soutenues par diverses organisations
internationales en matière de santé des populations des régions sollicitant des
bailleurs de fonds. Ainsi, les approches que l’UNICEF par exemple préconisait,
ressemblaient de plus en plus à celles de la Banque mondiale, plutôt qu’à
celles initialement recommandées par l’OMS, à propos des soins de santé
primaires notamment.
Le développement des interventions
sectorielles s’est généralisé encore plus dans les pays où l’aide extérieure
contribuait largement au financement du système de santé. Cette approche est en
principe de nature à faciliter la coordination de l’aide, ce qui est devenu un
élément déterminant de son efficacité. Cette même logique s’est toutefois
heurtée aux contraintes et aux exigences des différents bailleurs de fonds comme
la BM, et également à des enjeux politiques locaux dans les pays bénéficiaires.
Toutefois, de telles approches par secteurs
offraient au moins la possibilité d’appuyer une administration locale générale
fonctionnelle, mais dépendaient d’abord et avant tout de la clairvoyance et des
qualités des autorités gouvernementales. Car, au-delà des avantages évidents
de tels choix, ils exposaient au risque de la création d’une « association des
bailleurs de fonds » dans laquelle l’un d’entre eux semble jouer un rôle
prépondérant du fait des capacités ou d’expertises déterminantes dont à priori
la BM semblait disposer.
Il en a été ainsi dans divers pays africains
au sud du Sahara en particulier. Le cas de la Côte d’Ivoire illustre cette
situation où la santé avait fait l’objet d’une approche sectorielle dans
laquelle la cohésion des bailleurs de fonds a souvent été difficile à maintenir.
La réforme du secteur de la santé visait à implanter un « minimum d’activités »
tout droit issu des recommandations de la BM, et sans liens avec celles de
l’OMS qui aurait pu saisir cette occasion pour dissocier la politique des
médicaments essentiels de celles de recouvrement des coûts. Depuis cette
période la BM est devenue le premier bailleur de fonds public dans le domaine
de la santé, allant jusqu’à publier en 1993, son rapport annuel sur le thème
d’« Investir dans la santé ».
Ce rapport traduit l’augmentation
considérable de son rôle dans le financement, la coordination et la recherche
dans les secteurs de la santé et des réformes en santé. Il a représenté, selon
certains observateurs, un moment particulier du transfert de compétences et de
responsabilités de l’OMS à la Banque mondiale pour les questions relatives à la
santé, affublée implicitement du titre de « Surgeon General du tiers-monde ». A
la fin du siècle dernier, les autorités de cette Institution financière
faisaient valoir que leur organisme devait adopter une stratégie de «
développement global » prenant en compte non seulement les questions
macro-économiques et financières, mais aussi, et avec autant de « sérieux »
notamment les aspects structurels, sociaux et humains du développement. La réduction de la pauvreté s’imposant
désormais comme un thème premier, toutes les politiques sectorielles devaient
converger en vue de réaliser désormais cet objectif. En effet, la Banque a fini,
à son tour, par reconnaître, comme les autres organismes internationaux que
pour mettre en œuvre « un processus durable de développement, il fallait
s’efforcer d’atteindre simultanément différents objectifs étroitement imbriqués
».
A un titre certes accessoire, en
comparaison au rôle de la BM et de la fondation Gates notamment, et bien que
son aire géographique d’intervention demeure encore limitée, il y a lieu de
mentionner la Commission Européenne
(CE) qui était également devenue, depuis la fin du siècle dernier, un bailleur
de fonds complémentaire et sollicité dans le domaine de la santé. Cependant son
influence en tant qu’intervenant mondial, comparée à celles des autres
intervenants, paraît être en deçà de ses possibilités réelles de soutien. Si elle
a favorisé le mouvement vers des approches globales et sectorielles, elle ne
s’est caractérisée par aucune perspective spécifique en la matière, car elle n’a
pu mener un rôle actif, étant devenue davantage une sorte d’« administrateur » de fonds financiers
importants soumis au contrôle régulier
du parlement des vingt-huit Etats-membres. Des perspectives d’évolution ne sont
pas à exclure pour soutenir en particulier certains efforts de l’OMS, suite à
l’expérience de l’actuelle pandémie mondiale, et la distribution en cours des
nouveaux rôles sur l’arène internationale.
9-Conclusions
1-En dépit de ses
divers défauts, et dans le cadre du multilatéralisme en déclin, l’existence de
l’OMS continue de permettre en théorie à chacun des 191 pays membres de faire
entendre sa voix à l’Assemblée mondiale de la santé. Elle assure en particulier
à plusieurs pays en développement surtout de bénéficier de sa large expérience
scientifique et des régions, lui permettant de lancer les alertes nécessaires
d’urgence sanitaire. Cependant, à défaut
de ressources autonomes de financement, les politiques à mener contre les
graves maladies et pandémies importantes dépendront encore plus qu’avant des
délibérations de fondations et de contributeurs privés et de leur bon vouloir.
D’aucuns tendent à penser que cette mutation
de l’OMS dans les faits pourrait être un facteur de nature à aggraver encore
les inégalités dans le monde, et que seuls d’importants « états généraux de
la santé » pourraient peut-être aider au moins à atténuer dans le futur.
2-Bien avant la
création de l’OMS, la santé des êtres humains
avait été considérée comme une condition clé d’un développement économique et
social en général. Durant les dernières décennies du 19e siècle,
le chancelier allemand Von Bismarck fut l’un des premiers dirigeants à l’avoir
déjà compris. C’est en effet lui qui avait encouragé les patrons de son pays à instituer
pour leurs ouvriers un « système mutualisé d’assurance-maladie », afin
que leurs usines puissent continuer de tourner. Depuis, il est devenu certes fort
utile et même indispensable d’évaluer le coût de la maladie et le manque à
gagner qui en résulte. Mais, de là à croire que, dans un contexte de «
main-d’œuvre devenue mondialisée », on va pouvoir impliquer par exemple
positivement des investisseurs à la solution de la question de la santé des
populations au travail, pourrait paraitre pour le moins naïf.
3-L’importance commerciale et financière
prise en particulier par les entreprises pharmaceutiques tendrait à
inspirer l’intervention régulière d’une sorte « pouvoir compensateur » de
surveillance citoyenne exercé par des organisations non gouvernementales de
consommateurs et celles de patients potentiels. De tels groupes industriels ne
pourraient faire preuve d’un improbable altruisme tel que sollicité parfois par
l’OMS, face à l’actuelle pandémie, à moins d’une pression réelle des opinions
publiques et surtout des gouvernements des grandes puissances. Surtout au lendemain d’un contexte
d’anxiété, de peur et de désespoir qui a caractérisé le confinement d’une grande
partie de l’humanité. Par-delà les divers clivages géopolitiques prévalant de
par le monde, à défaut de décisions contraignantes des USA, de la Chine et de l’Europe,
l’acceptation du principe du prix du partage du transfert de résultats des
travaux de recherche en cours intéressant un vaccin approprié au virus actuel,
relèverait au mieux de la simple conjecture.
4-La considération
des questions de la santé humaine, privilégiant l’angle économique, a été introduite
progressivement dans l’analyse des programmes sectoriels de l’OMS. Elle s’intéresse
à la fois aux résultats médicaux et aux coûts, tout en évaluant les ressources
nécessaires à l'obtention d'un résultat médical souhaitable, et constitue sans
conteste une avancée plus que méthodologique. Cependant, elle ne doit pas se
réduire à un simple examen des bonnes pratiques sanitaires ou à la
détermination des stratégies les plus efficaces pour les patients considérés,
ramenant le tout à des coûts calculés, mais plutôt et autant que possible une
combinaison pertinente et réaliste des deux. Tant il est fondamental de
comprendre que la mesure de l’efficience
d’une action sanitaire n’a de consistance que si elle prend en considération également
des données médicales d'efficacité. /
Mohammed GERMOUNI **
10-Nota bene
a) L’Assemblée mondiale de la santé réunit les
représentants des 191 pays membres. C’est l’organe suprême de décision de
l’OMS. Elle élit pour trois ans un Conseil exécutif de représentants
(rééligibles) de 32 pays, et désigne, sur
proposition de cette instance, le
directeur général pour un mandat de cinq ans renouvelables une fois.
Outre le siège à Genève,
la structure administrative de l’OMS comporte 6 bureaux régionaux, dont les directeurs sont élus également pour
cinq ans, renouvelables une fois, par les représentants des Etats de leur
région, et jouissant d’une relative autonomie par rapport au siège.
L’OMS publie tous les ans un excellent «
Rapport sur la santé dans le monde ».
b) La première « Liste de 200 médicaments essentiels »,
a été rendue officielle en 1977, par l’OMS, alors dirigée par le danois Dr
Halfdan Mahler, constituant un évènement notable. Il s’agit des médicaments validés pour leur efficacité, et sont pour la
plupart des génériques.
c) Le même directeur
général avait pu faire adopter, en 1978, par la Conférence, organisée par l’OMS
et l’Unicef à Alma-Ata (Almaty), le principe du « droit d’accès égal pour tous aux soins de santé primaires ».
Dans un premier temps, ce seront des « agents de santé communautaires »
rapidement formés sur place qui assureront les soins. La variole sera déclarée
en 1980, officiellement éradiquée, un succès sans précédent pour l’OMS, mais
qui ne se renouvellera pas de sitôt. La
même année, l’Assemblée mondiale de la santé proclamait le principe de « l’avènement
de la santé pour tous en l’an 2000 »
d) Le 18 mai 2002, lors de
l’assemblée mondiale, une motion, présentée par le Pakistan, et qui fut
adoptée, exigeait que le Secrétariat et les Comités d’experts comprennent une représentation équitable des pays du
Sud et que la transparence sur le mode de sélection du personnel devienne la
règle. /
11 -
Bibliographie sélective
1
-Divers Rapports de l’OMS.
2
- Rapports de la BM.
3- Publications de la Fondation
Gates.
4-
Documentation des Nations Unies.
5- Presse
internationale et spécialisée.
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