La reconnaissance de la marocanité du
Sahara :
un tournant qui promet
CHIGUER Mohammed
Président
du centre d’Etudes et de Recherches Aziz Belal (CERAB)
La reconnaissance par l’administration américaine de la
marocanité du Sahara et la décision de l’Etat marocain de reprendre les
relations avec l’Etat d’Israël, interrompues au début de ce millénaire, ont
fait couler beaucoup d’encre. Globalement, les réactions ont oscillé entre
l’approbation et la réprobation.
Ceux qui ont approuvé font valoir l’importance que revêt la
reconnaissance de la marocanité du Sahara par un pays aussi important que les
Etats Unis qui, non seulement, est la première puissance mondiale, mais aussi
et surtout membre du conseil de sécurité. Ceux qui ont désapprouvé, voient dans
la normalisation des relations du Maroc avec Israël, une déviation de la ligne
de conduite qui a toujours été celle du Maroc depuis qu’il a rompu ses
relations avec l’Etat d’Israël.
Cette controverse est improductive et ne fait que nourrir les
malentendus, entretenir les hostilités et générer du ressentiment. Son
caractère récurrent (Camp David, Oslo, etc.) s’explique par l’absence du débat
démocratique. Ce n’est pas par hasard si le monde arabe se démarque par son
despotisme oriental, son absolutisme et son autoritarisme. Il a tourné le dos à
la Raison et s’est détourné de la modernité. De fait, malgré ses atouts qui le prédisposent
à jouer dans la cour des grands et à agir en tant que faiseur de l’histoire, il
sombre dans une inquiétante léthargie.
Que traduit cette controverse si ce n’est l’incapacité de ce monde
arabe à transcender le catégoriel. D’ailleurs, il est condamné à subir l’humiliation
et à supporter les caprices de ses soi-disant protecteurs, tant qu’il ne
repense pas son rapport au temps et n’arrive pas à se remettre en question. La
Palestine de 1948 n’est plus la Palestine de 2021. Que d’échecs ! Le
boycott d’Israël, comme la normalisation initiée très tôt par la Turquie et
suivie par l’Egypte et la Jordanie, n’ont pas empêché cet Etat spoliateur à faire
valoir « la légitime défense » pour poursuivre sa politique
expansionniste et justifier ses actes barbares et sa politique d’apartheid. Ce
qui importe pour lui est de mettre à contribution le temps pour faire avaler
aux palestiniens des couleuvres. Sans le renversement, ou du moins, un
rééquilibrage des rapports de force, Gaza restera une prison à ciel ouvert et
la Cisjordanie disparaitra sous le poids des colonies.
Il va sans dire que ce renversement restera un vœu pieux tant
que les régimes arabes conçoivent l’adversaire horizontalement et s’opposent,
ainsi, mutuellement. A dire vrai, cette manière de concevoir l’horizontalité a
fait de ces régimes une nouvelle version de « Moulouk tawaif ».
Force est de constater que cette conception de
l’horizontalité fragilise le monde arabe et l’empêche d’évoluer vers une
intégration régionale. Le dossier du Sahara est un exemple édifiant de la
manière dont l’horizontalité est perçue. Au lieu de constituer une force, en
favorisant l’édification du grand Maghreb, elle est source de divergence et de
tentions.
Le conflit du Sahara a trop duré. Toutes les tentatives du
Maroc pour ramener le régime algérien à de meilleurs sentiments se sont heurtées
à l’intransigeance de ce dernier (l’appel à l’ouverture des frontières, la main
tendue, l’autonomie pour les provinces du sud). En s’accrochant au référendum,
que l’ONU a abandonné, le régime algérien cherche à éterniser le conflit et
fait preuve de son incapacité à renouveler son logiciel pour se mettre au
diapason avec le monde d’aujourd’hui.
Faut-il rappeler que le conflit du Sahara est le produit d’une
époque révolue où le monde arabe était divisé en deux blocs opposés : les
panarabistes, constitués de régimes militaires qui se sont alliés au bloc de
l’Est, et les « islamistes », constitués, essentiellement, de régimes
monarchiques d’obédience occidentale. Le panarabisme, comme l’islamisme, sont
deux « idéologies locales » conçues pour se prémunir contre l’universalisme.
Les régimes militaires qui se voulaient progressistes et à
coloration soi-disant socialiste, se sont constitués en front de refus non pour
faire triompher la cause palestinienne, mais pour s’en servir en vue de
consacrer leur autoritarisme voire leur despotisme, légitimer leur animosité
vis-à-vis des régimes dits islamiques qui leur faisaient de la résistance ou
qui leur disputaient le leadership et justifier, en conséquence, leur
hégémonisme et les manœuvres qu’ils entreprenaient pour les déstabiliser.
Le régime militaire égyptien
a mené une guerre au Yémen et s’est allié au régime militaire algérien lors de
la guerre des sables. Ce dernier s’est associé au régime de Kadhafi, pour
récupérer le POLISARIO et en faire un « caillou dans les souliers du
Maroc ». Le régime de Saddam s’est lancé dans une guerre par procuration,
contre les Ayatollahs qui venaient juste de destituer le Chah, considéré comme
gendarme de l’impérialisme. Al Assad a mobilisé ses troupes pour mettre le
Liban sous protectorat syrienne.
Ces agissements qui se sont révélé un gouffre financier, ont
eu des effets désastreux sur les peuples de ces pays, en particulier, et
sur la région en général. L’Irak a été détruit, la Syrie a été mise à genoux,
la Libye fait l’objet d’une guerre fratricide et le Soudan a été amputé de son
sud et s’est trouvé au banc des nations. Seuls les régimes militaires égyptien
et algérien ont pu survivre. Le premier parce qu’il est entré dans les rangs
très tôt, en signant les accords de Camp David, et en s’alignant sur les
positions anti-démocratiques des monarchies du Golfe suite au printemps arabe.
Le régime militaire algérien semble bénéficier d’une certaine bienveillance après
avoir interrompu le processus démocratique et écarté, en conséquence,
l’épouvantail islamiste que craignait l’Europe en particulier. Néanmoins,
beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis la fin de la décennie noire.
Ainsi, le Hirak qui a été contraint au confinement suite à la
COVID19, a été un avertissement à la junte militaire pour qu’elle se retire dans
ses casernes avec les honneurs. D’ailleurs, le taux d’abstention lors du
référendum sur la nouvelle constitution, ne lui a laissé qu’une seule et unique
légitimité, à savoir la légitimité des armes. Or, la reconnaissance par les
Etats-Unis de la marocanité du Sahara, est à même de remettre en cause cette
légitimité en réduisant davantage sa marge de manœuvre pour se maintenir au
pouvoir.
Les régimes autoritaires et despotiques sont inéluctablement
voués à l’échec. La quasi-totalité des régimes militaires arabes ont disparu.
En Afrique, la légitimité par les armes est bannie. Les régimes des généraux en
Grèce, en Turquie et en Espagne ne sont plus que de mauvais souvenirs. Le
régime algérien doit tirer les leçons de l’histoire et se retirer avec les
honneurs en rétrocédant le pouvoir aux civils. Il devrait suivre l’exemple des
militaires portugais (la révolution des œillets) et sud-coréens, et méditer le
comportement de l’armée tunisienne lors du printemps arabe.
Avec la reconnaissance par les USA, de la marocanité du
Sahara, qui est en fait une opération de recadrage, le double discours ne
serait plus de mise. L’Algérie des généraux ne peut plus se cacher derrière un
principe aussi noble que le droit des peuples à disposer d’eux –mêmes qu’elle
veut, par ailleurs, sélectif. Elle l’exige pour le Sahara marocain, mais refuse
de l’accorder à la Kabylie qui n’a cessé de réclamer son droit à
l’autodétermination. Les puissances, notamment celles qui ont un passé colonial
dans la région qui auraient dû témoigner et rétablir le Maroc dans ses droits,
devraient sortir du bois.
Cette reconnaissance profite,
objectivement, à l’ensemble des pays du Maghreb et par ricochet à la cause
palestinienne. Elle peut contribuer à l ’accélération du règlement du
conflit du Sahara ; règlement qui est de nature à ouvrir de nouvelles
perspectives pour reprendre la construction du Grand Maghreb ; prélude à
un rééquilibrage des rapports de force dans la région de l’Afrique du Nord et
du Moyen Orient.
La position américaine interpelle le régime militaire
algérien pour reconsidérer son objectif d’encercler le Maroc et le couper du
reste de l’Afrique, son prolongement naturel et profondeur stratégique. Elle
l’incite, implicitement, à s’engager dans une
solution négociée qui préserve l’avenir.
En fait, les deux Etats voisins sont condamnés à s’entendre.
Ils finiront par se mettre autour d’une table de négociation tôt ou tard, en
vue de dissiper les équivoques et les malentendus et régler ainsi, tous les
litiges et les problèmes qui les opposent. Le Maroc s’est déclaré disposé à aller dans ce
sens (discours royal ;2018) en tendant la main que le régime militaire
algérien ne s’est pas empressé à prendre. Ce dernier doit donc, assumer les
conséquences de son obstination et reconnaitre sa responsabilité pleine et
entière de l’état où se trouve actuellement la région. Le Maroc n’a fait jouer
la carte des Etats-Unis et d’Israël qu’après avoir épuisé tous les recours dont
il disposait pour régler le conflit du Sahara. Reste à se demander si la
position des Etats-Unis va amener le régime militaire algérien à changer son
fusil d’épaule.
Il est peu probable que ce régime aille contre sa nature et
accepte de faire son mea -culpa. Il serait plus enclin à une fuite en avant
dans une tentative désespérée pour se faire une nouvelle légitimité. Cependant,
là où croît le péril croît ce qui sauve. C’est pourquoi, il faut garder
l’espoir tant que l’imprévisible relève du possible.
Rabat le 4/1/2021
Enregistrer un commentaire