MOHAMED FERHAT, UN PATRIOTE
REVOLUTIONNAIRE
Mohamed Khalil
Le grand patriote et militant Mohamed Ferhat est
décédé, vendredi 11 novembre 2011 à Rabat, après une vie politique, culturelle
et médiatique, pleine d’apport au Maroc. Natif d’Essaouira le 21 juillet 1921,
son patriotisme et sa conscience de classe l’avaient conduit, à la fleur de
l’âge, à adhérer au Parti communiste marocain (PCM), dont il deviendra membre
du Comité central en 1949, avant de siéger, juste après, au sein de son Bureau
politique.
Il avait accepté, à l’époque, de quitter son métier
d’enseignant pour devenir membre permanent du Parti, à côté d’Ali Yata et
Abdeslam Bourquia, puis, un peu plus tard, d’Abdellah Layachi.
Avec feus Abdelkrim Benabdallah et Fkih Kouakji (Haj
Oubella), venu de Marrakech à Casablanca, et d’autres dirigeants de l’époque,
il se contentera du SMIG salarial (20 francs par mois) versé par le Parti à ses
permanents, pour se consacrer à à cette mission militante.
Il représentait, au niveau de la direction du PCM, la
nouvelle vague de Marocains qui ont remplacé les communistes français et
espagnols, après le départ des camarades Léon Sultan et Michel Mazzella, les
deux figures de proue du Parti communiste français au Maghreb. Parmi la
nouvelle génération, figurait Benomar Lahrach, qui deviendra en 1954 général au
Vietnam et adjoint de Giap, toux deux héros de la fameuse bataille de Dien
Ben Phu.
Mohamed Ferhat rencontrera et nouera amitié avec de
nombreux dirigeants du PCM et des résistants de renom, dont Abdelkrim
Benabdallah, premier géologue maghrébin et responsable politique du Croissant
Noir (Al Hilal Al Aswad), organisation de la résistance armée où le Parti
communiste marocain a joué un rôle prépondérant et dont le chef était feu
Abdallah Haddaoui.
Mohamed Ferhat, à l’instar de nombreux patriotes,
paiera de sa vie et de sa liberté son engagement contre le colonialisme et
l’impérialisme qui ne renonçaient pas à leur mainmise sur le Maroc, ses
richesses et à l’exploitation de son peuple.
Avec Ali Yata, il connaîtra le chemin de l’exil, en
Algérie puis en France. Tous les deux ne rentreront d’ailleurs au pays qu’après
l’indépendance du Maroc.
En Algérie, Mohamed Ferhat était «le compagnon d’Ali
Yata » et ils furent refoulés à plusieurs reprises, souvent du train
Oujda-Casablanca, vers Alger, la tentation de regagner la Patrie étant très
présente.
Comme tous les nationalistes de l’époque, Si Mohamed
Ferhat s’était adapté au combat clandestin qui était l’arme la plus
efficace, face à la tyrannie coloniale.
Durant ces années sombres de l’Histoire du Maroc, il a
fait preuve d’une abnégation militante sans égal, sacrifiant tout ce qu’il
avait de plus cher pour mener la lutte contre le colonialisme et faisait
prévaloir la libération du pays du joug colonial et l’affranchissement de son
peuple sur toute autre considération.
Il était de cette trempe qui avait tout abandonné pour l’amour de la Patrie et
du peuple et a cru, comme tous ces nationalistes hors pair, que ni
l’arbitraire, ni la répression ni l’emprisonnement ou la torture ne
pouvaient fragiliser le sentiment national et le recouvrement de l’indépendance
du Maroc.
Comme la plupart de ses camarades du PCM et du
Mouvement national, il paiera son tribut. Il sera emprisonné, durant l’année
195O, en même temps qu’Ali Yata, condamnés tous les deux à deux années de
prison. Il les purgera à la prison Laâlou, à quelques mètres où le destin a
voulu qu’il repose, aujourd’hui, au cimetière Laâlou.
Il sera ensuite exilé en Algérie où il continuera le
combat pour l’indépendance du Maroc et des deux autres pays du Maghreb,
l’Algérie et la Tunisie.
A Alger, il fera connaissance avec de nombreux
résistants algériens, notamment des responsables du Front de libération
nationale (FLN) et, bien sûr, avec ses camarades communistes du Parti de
l’avant garde socialiste (PAGS). Son
expérience dans la presse du PCM lui permettra de participer à la confection
d’Alger Républicain », l’organe central du PAGS, où il côtoiera de grands
journalistes, politiques et hommes de Lettres, à l’instar de Katib Yacine,
Albert Camus, Henri Alleg, Abderrahmane Benzina et d’autres encore.
Après son retour d’exil, il a continué à animer et à
contribuer aux journaux du Parti, par des articles politiques et culturels, y
compris quand il était chargé par le PCM, à la fin des années cinquante et
début de la décennie soixante, de missions auprès de partis frères en Albanie
et en Tchécoslovaquie.
A Tirana, il a été chargé par le président Enver Hodja
de chapeauter la radio arabophone albanaise, pour contribuer à la lutte contre
l’impérialisme.
Ensuite à Prague, il avait occupé, pendant un certain
temps, il animait Radio-Prague et entretenait des liens avec La Nouvelle revue
internationale, éditée à l’époque par les partis communistes et ouvriers à
travers le monde.
C’est ici qu’il rencontrera plusieurs personnalités du
monde communiste et ouvrier, tout particulièrement celles de France (Duclos,
Aragon, Rochet, Garaudy…).
De retour au Maroc, Mohamed Ferhat retournera à son
métier de base, celui d’enseignant et poursuivra ses écrits culturels dans les
journaux du Parti, souvent interdits.
Il a pu ainsi former toute une génération de cadres,
qui ont été portés à de hautes responsabilités durant la décennie soixante-dix
et quatre vingt.
Il avait exercé, en tant qu’enseignant puis directeur
d’école et fut l’un des tout premiers Marocains à avoir enseigné dans les
écoles françaises de l’époque, notamment à Tamanart.
A la retraite, il se consacrera totalement au
journalisme, dans la presse du Parti, notamment à Al Bayane, marqué par sa
présence quotidienne, dès les années 80, et son engagement dans la sphère
culturelle.
Il a été précurseur en matière de divulgation de la
langue amazigh, en confectionnant une page hebdomadaire à la condition amazighe.
Parallèlement, il n’a pas oublié Essaouira natal et a
particulièrement été sensible à la défense de l’arganier.
Il était un chroniqueur régulier avec ses nombreuses
rubriques «A chaque jour suffit sa peine», «Le quotidien, cet enfer», « Le
plaisir de lire… », … à côté de plusieurs reportages sur le Maroc et
l’étranger.
Signalons, enfin, que le défunt avait publié un
recueil, en 1997, en collaboration avec Abdelkrim Belguendouz, intitulé «Ali
Yata ou le chemin de l’honneur et de la dignité», édité par Dar Boukili,
Kénitra.
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MOHAMED FERHAT
UN HOMME PROFONDEMENT HUMBLE ET FRATERNEL
On m’a
demandé de parler de Si Mohamed Ferhat.
Si
Mohamed Ferhat, je l’ai rencontré pour la première fois, un jour de l’été 1974,
à l’imprimerie de nos journaux. Abou Mounia venait remettre sa chronique à la
Rédaction d’Al Bayane, chapeautée à l’époque par Si Khalid Naciri et Si Mohamed
Bennis.
Je ne
l’ai plus revu jusqu’en 1981, quand j’avais intégré AL Bayane.
Et c’est
feu Si Mohamed Kouakji L’fkih qui me facilitera de me rapprocher du défunt.
Mais
c’est particulièrement quand il est devenu membre permanent de la rédaction, au
milieu des années 80, que nos liens ont commencé à se tisser et à se
consolider.
Depuis,
une profonde amitié nous a liés.
Si
Mohammed Ferhat avait de nombreuses qualités et vertus dont certaines ont été
relevées par mes amis Abdelkader Jamali et Moha Mokhliss.
Pour ma
part, je retiendrais quelques traits qui m’ont frappé chez le regretté défunt.
Il avait
une culture qui dépassait largement son savoir politique.
Il
disposait également d’une réserve courtoise dans l’expression de ses
connaissances et de sa pensée, et d’une faiblesse face à l’amitié et à la
confiance.
C’est le
fond de son personnage.
Il m’a
raconté souvent la vie militante de ses compagnons de lutte, Ali Yata, Abdeslam
Bourquia, Abdallah Layachi, Hadi Messouak, Aziz Belal, Simon Levy et d’autres,
et a jeté des faisceaux de lumières sur bien des aspects de l’histoire du pays
et du parti.
Son
talent de conteur et sa fraternité exprimaient ce que doit être le militant
d’aujourd’hui.
J’ai aimé
cet homme, tel un père, tel un grand-frère.
Il a
continué son combat politique autrement. En se consacrant totalement à
l’écriture et à la culture.
Il est
utile de relire ses écrits en ce moment où un vent de liberté, nouveau, souffle
sur le monde arabe, pour se donner l’ampleur de la force de ce qu’il a pu
léguer en tant qu’artiste des mots et professeur.
Je
n’oublierai jamais ces moments partagés, dans le travail et lors de nos
rencontres amicales. Il était brillant dans son œuvre, tout en restant si
discret, si humble.
Doté
d’une énergie calme, il était un fin organisateur du travail.
Il était
le plus âgé de l’équipe de la Rédaction, mais il était le premier à venir au
boulot, bien matinal.
A
l’arrivée des autres journalistes, il avait déjà fait l’essentiel du travail.
Les deux rouleaux de la MAP et de l’AFP ont été dispatchés et mis dans des
chemises improvisées, en fonction des rubriques du journal.
Les
dépêches qu’il jugeait importantes sont triées à part. Un véritable travail de
préparation de l’édition du jour.
Si
Mohamed Ferhat était un grand homme connu aussi pour ses gestes de générosité,
toujours prêt à aider, dans l’élégance, l’humilité et la discrétion.
Une belle
leçon de la vie qu’il nous a donnée, sur le plan humain et professionnel.
Outre sa
profonde connaissance de la Révolution française et celle des Bolchevicks, il a
accumulé un fin savoir encyclopédiste et des hommes des Lumières.
En homme
de lettres, il avait une prédilection pour certains écrivains du mouvement
surréaliste, notamment Philippes Soupault, André Breton, Aragon et
d’autres.
Mohamed
Ferhat avait beaucoup d’admirateurs, de fans et de lecteurs qu’il a émerveillés
par son talent et le contenu de ses écrits, tant il était exigeant envers
lui-même dans le travail des mots, des lignes et des phrases, et, je dirais, de
leur musique.
Il était
un excellent porteur des douleurs et des espoirs des Marocains.
Nous
pouvons dire, sans exagération aucune, que le Maroc, le Parti et le journal ont
perdu en Si Mohamed Ferhat un porte-voix, un créateur de qualité et un artiste
du verbe et du langage. Une humilité authentique qui valorise l’autre sans
fausse autodépréciation ou fausse modestie.
C’est le
signe d’une grandeur de l’âme, de la vie, d’une disposition au bonheur de
découvrir, au plaisir de la bonté humaine, à la rage de la grandeur de la vie.
Mais peu importe si cela allait à contre-courant du nouveau monde où la loyauté
et la confiance n’ont plus cours dans les relations, face à la perdition de
l’idéal commun, même si cela ne cadrait plus avec les exigences de l’époque et
n’était pas au goût du jour.
Il
s’exprimait sur un ton mineur. Et n’eussent été l’admiration et le respect dont
il jouissait auprès de ses camarades et amis, on l’aurait à peine remarqué. Car
il écoutait attentivement ses interlocuteurs et utilisait très peu le « je » et
le « moi ». Et pour le faire parvenir à parler de lui, c’est tout un parcours
de combattant.
Sur le
plan des écrits, il possédait la capacité de donner sens et vie aux mots
simples, aux gestes et actes les plus ordinaires.
Il
s’avait traduire, par les mots, les maux de pans entiers de citoyens, des
damnés de la terre, pour semer l’espoir de lendemains meilleurs.
En
témoignent ses nombreux reportages sur la condition inhumaine, les faits de
société, les drames sociaux, les massacres environnementaux, le combat de la
femme.
Son
combat pour le gente féminin est connu. Il est resté fidèle au muguet du
Premier Mai, offert régulièrement aux collègues femmes de l’Administration du
journal.
Et
meilleure illustration de cet engagement, sa compagne de toujours Lalla Rkia,
qu’il a connue grâce à feu Germain Ayache. Il l’a aidée à apprendre à lire et à
écrire. Autodidacte, elle a fini sa carrière comme haut cadre commercial dans
une entreprise privée…
A la fin
de ses jours, le défunt a vécu une solitude profonde, endémique, quand les yeux
l’ont trahi et quand ses amis et camarades l’avaient perdu de vue, abandonné.
J’avoue,
pour ma part, avoir failli au devoir d’amitié, de fraternité.
Réparer
les manquements consiste aujourd’hui à compiler puis à éditer ses écrits pour
que leur mémoire se prolonge longtemps avec ses textes littéraires et
poétiques.
Mohamed Khalil
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