(Tribune parue dans
le dernier Numéro du magazine marocain Tel Quel du 15/1/2021)
Au vu des
inondations récurrentes dans le Grand Casablanca, il n’est pas exagéré
d’affirmer que le sous-investissement en matière d’infrastructures continue
d’être l’une des principales tares de la gestion déléguée des services
d’électricité. Ainsi, La Lydec reconnaît qu‘elle est incapable de financer les
besoins en infrastructures á l’horizon 2027, le gros des financements devant
être apporté, selon elle, par l’autorité délégante. Pourtant, l’une des raisons
même de la privatisation des services publics, notamment ceux intensifs en
investissements d’infrastructure, réside dans l’apport de financements par le
secteur privé. A ce titre, le gestionnaire délégué a engrangé des profits
conséquents depuis 1997, date de la signature du contrat de gestion déléguée, dont
il a préféré distribuer une bonne partie, sinon la totalité. Par ailleurs,
l’urbanisation continue du Grand Casablanca aidant, le chiffre d’affaires a pratiquement
doublé durant les deux dernières décennies, passant de 3,8 milliards de dhs en
2004 á 7,5 milliards en 2019. Par contre, les effectifs n’ont évolué qu’á la
marge (3252 en 2004 contre 3491 en 2020), ce qui signifie que la Lydec a
engrangé des gains de productivité substantiels qui n’ont pas profité aux travailleurs,
et encore moins aux consommateurs casablancais- les tarifs de l’eau potable, de
l’électricité et de l’assainissement évoluant á sens unique, c’est-á-dire á la
hausse.
Dans ces
conditions, se pose la question du rôle de l’autorité délégante- le Conseil de
la ville pour Casablanca en l’occurrence - qui est censée représenter les
citoyens et défendre leur droit á des services publics de qualité. Or, de ce
point de vue, le Conseil de la ville a été totalement défaillant, et ce, á plus
d’un titre. D’abord, il a été incapable de faire respecter la périodicité
quinquennale de la révision du contrat de gestion déléguée, cette dernière
n’ayant eu lieu qu’une seule fois en l’espace de 24 ans !! Ceci revient á
s’interroger sur la volonté et les compétences des édiles locaux pour gérer une
métropole dont le développement s’accompagne d’énormes disparités sociales et spatiales.
Ensuite, les organes destinés á assurer le suivi et le monitoring du contrat de
gestion déléguée brillent par leur inefficacité et leur manque de communication
et de transparence. Á titre d’exemple, le “Service permanent de contrôle” est
domicilié au sein même du siège de la société délégataire qu’il est censé contrôler
!! Qui plus est, ses besoins sont pris en charge par la Lydec elle-même,
trahissant un conflit d’intérêt flagrant. Enfin, la régulation de ce type de
privatisation est une tâche qui est rendue difficile par le rapport de force
déséquilibré entre une firme multinationale aux moyens financiers et
technologiques énormes et une collectivité locale á faible légitimité populaire
et aux moyens rachitiques. Rapport de force qui est d’ailleurs accentué par
l’asymétrie d’information existant entre les deux entités.
Dans ces
conditions, il est tout á fait légitime de penser á une alternative á la
gestion déléguée des services publics locaux. A ce titre, il est important de
relever que plusieurs villes tant au Nord qu‘au Sud de la planète, et non des
moindres (Paris, Berlin, Buenos Aires…), ont procédé par exemple á la
remunicipalisation des services d’eau et d’assainissement, au sens du transfert
de ces derniers á la propriété publique et au contrôle démocratique et citoyen.
Pour ce faire, des partenariats public-public sont tout á fait possibles entre
par exemple le Conseil de la ville de Casablanca et l’Office National de l’Électricité
et de l’Eau potable- ONEE (qui continue d’ailleurs d’assurer les services d’eau
et d’électricité dans une partie de la ville jusqu’á aujourd’hui !) et la
Caisse de Dépôts et de Gestion. Ces partenariats devraient être ouverts á la
société civile et aux représentants des travailleurs. Il va sans dire qu’une
telle perspective ne saurait se réaliser en l’absence d’une véritable
démocratie locale, participative et citoyenne.
Mohammed Saïd Saadi,
économiste et ancien élu de Casablanca
Enregistrer un commentaire