Ahmed Bendjelloun, ancien secrétaire général du Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste (PADS), est décédé le 2 février 2015, à Rabat. Il était également connu pour ses positions de militant des droits humains et de figure de proue de la gauche militante. A l'occasion du 6éme anniversaire de sa mort, nous publions cet hommage
Quand j’ai appris par la radio la disparition de ce grand
patriote qui est Ahmed Bendjelloun, je n’en ai pas cru mes oreilles. Pourtant,
je le savais souffrant et même immobilisé par la maladie depuis de longues
années. C’est parce que tout simplement je croyais -comme ça, sans jamais y
avoir réfléchi vraiment- qu’il était indestructible. Et j’avais mes raisons
-bien enfouies dans mon inconscient sans doute- de croire que cet homme, dont
le courage était une deuxième nature, était inusable. Tout d’abord sur un plan
purement physique : cet homme qui a subi les pires et inimaginables
tortures durant les années de plomb avait toujours l’air d’un gaillard.
D’ailleurs souvent souriant. Et parfois en colère. Et même très en colère quand
nos politiciens, ou notre régime faisaient des siennes en faisant tort à la
dignité des citoyens ou du pays. Car Si
Ahmed avait le patriotisme chevillé au corps. Mais une sorte de patriotisme
universalisant. Car il était capable de trembler de colère à chaque fois qu’une
injustice se commettait quelque part dans le monde : peu importe que cela
ait lieu en Palestine ou en Afrique du Sud sous l’apartheid. Et pour être en
colère, il faut en avoir l’énergie.
C’était aussi quelqu’un qui aimait la vie, beaucoup. Il en
raffolait même. Il la croquait à pleines dents. Comme on croque une pomme. Il
savait faire rire ses amis et n’hésitait pas à prendre le micro pour fredonner
un air. Révolutionnaire ou pas. Cela veut dire que sur le plan de l’âme et non
seulement du corps, Si Ahmed a vaincu
ses tortionnaires. En restant lui-même. Il m’a raconté une fois, les larmes aux
yeux, les péripéties de son extradition vers le Maroc par le régime de Franco
en 1972. Il fut menotté, encagoulé et jeté dans un avion sans sièges. Son
compagnon de malheur n’était autre que le grand résistant Saïd Bounaïlat. Il
fut torturé d’une façon si sauvage par « les sbires du régime que je croyais que j’allais perdre mes pieds.
Faute de soins, les plaies de mes pieds pullulaient de vers. J’étais obligé de
les nettoyer moi-même alors que j’avais le plus souvent mes mains
menottées ». L’enfer sur terre !Malgré cela et peut-être aussi à cause de cela, le grand
Ahmed n’a pas changé d’un iota ses convictions. De gauche il était, de gauche
il est resté. Il a refusé les indemnités que l’IER proposait aux victimes. En
expliquant qu’il assumait ses choix et qu’il n’entendait pas être « payé » pour un engagement qu’il
avait choisi quelles qu’étaient les souffrances endurées.
Oui, Si Ahmed était d’une vivacité, d’une solidité qu’on
pouvait lui donner -du moins jusqu’à sa malheureuse chute du train à la station
de Rabat-ville, il y a de cela déjà quelque temps- facilement une dizaine
d’années de moins que son âge. Et là me revient un souvenir qui était à la fois
simple, mais inoubliable : je l’avais invité avec des amis, il y a une
dizaine d’années ou un peu plus, à venir donner une conférence sur la situation
politique au Maroc, ou un sujet proche, à la Maison des jeunes de Benslimane. À
l’heure dite, c’est-à-dire en début de soirée, je me rends compte qu’il n’est
toujours pas là. Je lui parle au téléphone. Il me précise que cela lui était
sorti de l’esprit. Et qu’il a chez lui un ami libanais qui venait d’arriver. Je
lui explique que les gens l’attendent déjà dans la salle. Il me dit tout
simplement « J’arrive ! ».
Exactement 50 minutes plus tard -je ne quittais pas ma
montre des yeux- sa voiture s’immobilise devant la porte de l’établissement où
a lieu l’événement. C’était tout simplement incroyable. Quelle énergie ! Et quelle discipline ! Surtout qu’il pleuvait des
trombes d’eau. Et que la voiture n’était point neuve ».
Pr. Maâti Monjib
hommage publié sur le mensuel "ZAMANE" du 04 février 2021
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