Pour
faire de l’éducation un catalyseur du développement.
Dr SBAI EL IDRISSI
Lahsen,
Economiste, écrivain
Partout dans le monde, les mutations qui s’opèrent sont
annonciatrices d’un ordre qui, faute d’être complètement nouveau, sera pour le
moins qu’on puisse dire, différent de ce que les hommes ont vécu et connu
jusqu’à à ce jour. En effet, qui aurait pu prévoir, il y a seulement deux
décennies, les progrès fantastiques réalisés en matière de communications avec
cette floraison d’outils aussi différents, concurrentiels que
complémentaires ?
Lorsque l’homme a découvert la radio, grande réalisation à
l’époque, il resta des décennies durant, fasciné par les possibilités qu’elle
donnait d’agir sur les opinions publiques, de les façonner et, par les possibilités
qu’elle offrait aux citoyens, de suivre ce qui se passe dans les quatre coins
du Monde. Les ondes courtes permettaient alors aux auditeurs de parcourir le
monde. Mais ces auditeurs pouvaient-ils croire que la fin du XXème siècle verra
cette possibilité se réaliser par l’image ? Il suffit aujourd’hui de
zapper pour parcourir le monde, en restant bien tranquille chez soi, grâce aux
progrès réalisés en matière de télécommunications, et à l’utilisation des
satellites.
Et qui aurait pu imaginer il y a uniquement trois décennies que
l’on puisse être joignable par téléphone, là où on est, sur les quatre coins de
la planète ? La révolution du portable est venue couronner des progrès ou
l’Internet occupe une place de choix facilitant les contacts, emmagasinant
données et informations, pour les mettre à la disposition des usagers, offrant
du même coup des possibilités inouïes de connexion, de raccordement et de
gestion et ce dans tous les domaines des activités humaines, de la finance à la
recherche scientifique et à la médecine, en passant par les médias, dépassant
ainsi frontières, décalages horaires, langues et spécificités culturelles.
Toutes ces mutations s’opèrent en mode continu, ce qui signifie
qu’elles ne vont sûrement pas connaître de blocage dans les années avenir. Bien
au contraire, tout laisse penser qu’elles vont continuer au moins au même
rythme, sinon à des cadences bien plus rapides. L’école se doit non seulement
de suivre cette évolution, mais de l’anticiper, de préparer les enfants et les
jeunes à s’y intégrer et à y jouer un rôle actif.
Quels seraient alors les contours d’un système éducatif pouvant
assurer une bonne préparation de notre jeunesse ? Comment faire de l’école
un cadre préparant les jeunes, pour mieux être intégrés dans la société et pour
réussir leur entrée dans la vie active, pour leur ouvrir des possibilités
d’épanouissement personnel et de promotion sociale ? Et quelle stratégie
arrêter, non seulement pour le développement du système éducatif, mais aussi
pour l’orientation de l’activité économique de manière à élever le taux de
croissance, pour créer davantage d’emplois ?
Mais une stratégie éducative ne peut être arrêtée sans la
précision de notre vision de l’avenir, de celle du Maroc que nous voulons
édifier. Si le temps de la planification classique est révolu, a-t-on, pour
autant, le droit de livrer notre jeunesse aux aléas et aux incertitudes, dans
un contexte de transformation continue des paysages culturel, économique,
social et politique ?
1- Les contours d’un système éducatif pour le Maroc de
demain :
La refonte du système éducatif appelle la mobilisation des
ressources financières nécessaires à la prise en charge des dépenses de
matériel pédagogique, didactique et technique moderne, mais aussi au paiement
de salaires et indemnités étant à même de motiver les personnels enseignants,
pour les inciter à se mettre à niveau. Cependant, l’expérience de plusieurs
pays a montré que la motivation des enseignants par la seule amélioration de
leurs conditions matérielles est insuffisante. Il faudrait donc également
œuvrer à leur professionnalisation et à leur implication aux différentes étapes
de la réforme, si l’on veut réaliser une rénovation durable du système
éducatif. La mise en œuvre de ces réformes nécessite du temps, elle rencontre
des résistances et se heurte à des obstacles systémiques.
Des études menées aux Etats-Unis consacrées aux retombées de
programmes de réformes de l’éducation à grande échelle ont permis de mettre en
lumière quatre grandes caractéristiques de ces programmes : i) une
formation professionnelle constante des enseignants et du reste du
personnel ; ii) une évaluation des objectifs en matière
d’apprentissage ; iii) une acceptation des programmes de réformes par le
personnel scolaire avec une réelle adhésion de sa part ; et iv)
l’utilisation de méthodes d’éducation spécifiques visant un meilleur
apprentissage.
Jusqu’aux années 70, les enseignants étaient valorisés au Maroc,
financièrement et socialement. Depuis lors, beaucoup de jeunes ne viennent aux
écoles de formation des instituteurs ou des professeurs que parce qu’ils ne
peuvent pas accéder aux grandes écoles, à la faculté de médecine ou aux écoles
de commerce, faisant que le système éducatif ne recrute plus les meilleurs.
L’école a pu jouer, dans les trois premières décennies
consécutives à l’indépendance du Maroc, le rôle d’ascenseur social, permettant
la promotion des plus méritants, qu’ils proviennent de milieux modestes, moyens
ou aisés. Ce résultat a pu être réalisé pour différentes raisons dont on peut
citer :
-
La ferveur du
sentiment national et de l’esprit patriotique qui animèrent les premiers
enseignants, lesquels avaient le sentiment d’accomplir un devoir
national ;
-
Les perspectives
d’emploi ouvertes, suite au vide laissé dans l’administration publique par le
départ des cadres et agents du protectorat ;
-
Le besoin de
recrutement d’instituteurs et de professeurs dans toutes les disciplines et à
tous les niveaux, pour répondre à la demande de scolarisation de masse ;
-
Le contexte
mondial ; le monde vivait alors dans ce que Jean Fourastié qualifia de
trente glorieuses.
Mais la croissance économique va décélérer à compter de cette
période, pour laisser la place à une décennie perdue économiquement et
socialement, prix que le pays a dû payer pour rétablir les équilibres
budgétaires et ceux des paiements extérieurs, dans le cadre des PAS. La
navigation va alors suppléer une planification que le consensus de Washington,
référentiel des politiques d’ajustement, considérait comme appartenant à un
temps révolu.
Depuis lors, plusieurs changements sociaux ont traversé la société
marocaine et continuent de s’opérer sous nos yeux : déclin des
institutions traditionnelles (école, famille), remise en cause de l’autorité,
quelle qu’en soit la provenance, fragmentation sous forme d’entités
identitaires, recul du militantisme politique, développement d’autres canaux de
socialisation, comme les réseaux sociaux virtuels. Pour que le système éducatif
puisse répondre aux défis posés par ces mutations et être en mesure de produire
des lauréats capables d’anticiper les évolutions en cours et celle à venir, il
y aurait lieu de veiller à :
-
L’adaptation
constante de ce système à l’environnement socio-économique,
-
L’application
d’une politique linguistique cohérente,
-
L’introduction
de l’enseignement des nouvelles technologies,
-
La formation
permanente des enseignants et leur encadrement,
-
La régulation
des flux de diplômés en fonction du marché de l’emploi,
-
La
consolidation des liens entre les systèmes d’enseignement, de formation et de
recherche et le monde de l’entreprise,
-
La
mobilisation de la communauté scientifique marocaine à l’étranger, et
-
L’orientation
de la coopération internationale vers le transfert des technologies de pointe.
Le rôle des enseignants ne se limiterait alors plus à inculquer un
savoir, surtout dans le monde d’aujourd’hui où l’élève a accès à une masse considérable
d’informations via le net, la télé, le cinéma et autres. Ils gagneraient à
devenir plutôt des experts dans l’art d’apprendre, ce qui modifie amplement
leur rôle, lequel ne devrait plus se limiter à transmettre des connaissances.
Par ailleurs, le système éducatif ne doit plus se limiter à trier
les gagnants et les perdants de la compétition scolaire, mais amener le plus
grand nombre d’élèves à la réussite. Il faudrait pour cela :
-
Lier le
savoir et la connaissance à l’action ;
-
Encourager
les pratiques innovantes ;
-
Placer
l’élève, au centre et au cœur de toutes les préoccupations ;
-
Pratiquer une
évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, plutôt que la
notation sanction ;
-
Remplacer,
progressivement le redoublement, inefficace et coûteux, par d’autres moyens
consistant notamment à pallier aux lacunes à mesure qu’elles sont identifiées
durant l’année scolaire et à procéder, autant que possible, par module.
En améliorant les possibilités de qualification, l’achèvement
réussi de l’enseignement secondaire, permettra non seulement de réduire l’échec
scolaire, mais aussi d’améliorer les perspectives d’emploi des jeunes. Il
participe également à la réalisation de l’objectif d’équité, réalisation qui
requiert la promotion du climat et de l’environnement scolaire pour les rendre
propices à l’apprentissage.
2-
Quelle stratégie privilégier pour notre système éducatif ?
Les
effets de l’éducation sur la croissance et l’emploi passent par deux canaux. Le
premier résulte de l’accumulation de capital humain par les individus qui
passent par le système éducatif et qui les rend plus productifs[1].
Le deuxième par le progrès technique : un niveau élevé d’éducation permet
d’adapter plus facilement des technologies développées par d’autres ou de
développer de nouvelles technologies[2].
Aussi,
pour un pays loin de la frontière technologique, il est plus rentable de
croître en s’appropriant la technologie des pays les plus avancés et donc
d’investir dans l’enseignement primaire et secondaire. Mais lorsque le pays
s’est suffisamment rapproché de cette frontière technologique, les possibilités
d’imitation deviennent plus limitées. Il devient alors plus rentable d’investir
dans l’enseignement supérieur. La croissance ne peut être recherchée, dans ces
pays, que par le dépassement de la frontière technologique, donc par
l’innovation.
Aujourd’hui,
l’économie américaine et, dans une moindre mesure, les économies finlandaise, suédoise
et chinoises sont d’ores et déjà parvenues à cette frontière, car elles
cumulent le plus grand nombre de secteurs ayant les plus fortes productivités
du monde.
Aussi, dans les pays développés,
c’est en encourageant la recherche -développement et donc en améliorant
l’enseignement supérieur que le système éducatif peut être source de croissance
et de progrès[3].
Cette stratégie se justifie notamment par le fait que, dans ces pays,
l’éducation de base est généralisée et que le niveau de qualification des
travailleurs est suffisamment élevé pour leur permettre d’intégrer rapidement
toutes les nouvelles inventions.[4]
Par contre, dans des pays comme le Maroc, c’est par l’imitation
des nouvelles technologies que l’on peut accroître la productivité de la main
d’œuvre et améliorer, par ce biais, la croissance économique. Il faut toutefois
commencer d’abord par éradiquer l’analphabétisme et généraliser l’éducation de
base, pour améliorer la qualification de la main d’œuvre.
Il faut ensuite encourager, moderniser et développer la formation
professionnelle et assurer le reprofilage de l’éducation secondaire et
supérieure, du premier et du second cycle vers des métiers ou des cursus
adaptés au monde du travail. L’enseignement professionnel ne sera cependant
valorisé que s’il est en mesure de proposer des parcours de réussite
différenciés, variés et personnalisés. Longtemps considérée, au Maroc, comme un
moyen de résorption des échecs scolaires, la formation professionnelle elle
absorbait une partie des effectifs sortant du dispositif classique. A présent,
elle jouit d’un statut revalorisé, compte tenu des enjeux d’employabilité et de
productivité de la main-d’œuvre.
Certes, le rôle de l’école ne se réduit pas uniquement à la
préparation pour l’exercice d’un métier. Elle a aussi, et surtout, pour
fonction de préparer le citoyen de demain, conscient de ses droits, mais aussi
de ses devoirs, de ses responsabilités. Elle est également la garante de la
continuité, la gardienne des valeurs morales constitutives de l’identité
nationale. Et elle reste le lieu de cristallisation de toutes les aspirations,
de toutes les ambitions, de tous les espoirs d’un pays.
L’école devrait permettre aux élèves de découvrir les liens entre
ce qu’ils apprennent en classe et leur futur emploi ou les études qui les
attendent. Elle gagnerait à prendre en compte les accomplissements des élèves
et à s’appuyer sur ces accomplissements pour les aider à franchir les obstacles
qui se dressent devant eux. Elle devrait s’attacher à l’éradication ou du moins
à l’atténuation des difficultés auxquelles les élèves se heurtent dans leur
transition d’un niveau d’éducation à l’autre. Elle doit proposer aux élèves
dives modes d’apprentissage et tenter de stimuler les élèves et de les amener à
ne pas se décourager, à relever les défis.
Les meilleurs systèmes éducatifs, comme il ressort du schéma
ci-dessus, incitent les jeunes les plus compétents à devenir enseignants, ce
qui leur permet de transmettre une formation de qualité. Ces systèmes suivent
une trajectoire d’amélioration rapide de leurs performances, se fixent des
objectifs précis et ambitieux quant au niveau que les élèves devraient
atteindre. La performance y passe par la réussite de chaque élève.
Caractéristiques
des systèmes éducatifs efficaces
Partout dans le monde, les meilleurs systèmes scolaires se
distinguent par deux caractéristiques : La mise en place de mécanismes
efficaces pour sélectionner les candidats à la formation d’enseignant et
l’offre d’un bon salaire d’embauche.
Ces deux éléments ont une influence directe et quantifiable sur la
qualité des personnes qui intègrent le corps enseignant car, bien que la
majorité des autres professions fondent l’essentiel de leurs formations sur des
mises en situation réelle, comme c’est le cas des médecins dans les hôpitaux ou
des avocats dans les tribunaux, rares sont les formations à l’enseignement qui
se déroulent dans les salles de classe, là où elles seraient pourtant les plus
concrètes, pertinentes et finalement efficaces. Les meilleurs systèmes
scolaires se distinguent ainsi par l’efficacité des mécanismes mis en place
pour sélectionner les candidats à la formation.
Ces systèmes veillent à ce que l’enseignant,
dès qu’ils franchit, chaque jour, le seuil de leur salle de classe, dispose des
conditions matérielles, des connaissances, des capacités et de la volonté
d’améliorer le niveau d’un élève de plus que la veille.
A Singapour, les élèves se
classent en tête de l’évaluation TEIEMS (examen international en mathématiques
et en sciences) malgré le fait que les dépenses par élève du primaire y sont
moins élevées que dans la plupart des autres pays développés.
En Finlande, les enfants ne
commencent l’école qu’à l’âge de 7 ans et ils ne suivent que quatre à cinq
heures de cours par jour pendant leurs deux premières années de scolarité.
Malgré cela, à l’âge de 15 ans, ils obtiennent les meilleurs résultats sur le
plan mondial dans les épreuves de mathématiques, de sciences, de lecture et de
résolution de problèmes.
Aux Etats-Unis, une recherche
menée dans le Tennessee atteste qu’en attribuant des enseignants de qualité
différente- un enseignant très performant et un autre peu performant – à deux
élèves de niveau identique âgés de huit ans, leurs résultats divergeaient de
plus de 50 rangs centiles au bout de trois ans.
En Ontario, la stratégie visant la
réussite de élèves et l’apprentissage jusqu’à l’âge de 18 ans vise à faire en
sorte que chaque élève dispose des outils nécessaires pour réussir ses études
secondaires et atteindre ensuite ses objectifs. Que cet élève désire entrer au
collège ou à l’université, s’inscrire à un programme d’apprentissage ou
intégrer le monde du travail, il sera doté de ces outils. Cette stratégie vise
la réalisation de cinq objectifs focalisés sur le système d’enseignement
secondaire, à savoir :
a- L’amélioration des taux d’obtention de diplôme ;
b- L’aide aux pour l’obtention de bons résultats ;
c- L’offre de possibilités d’apprentissage nouvelles et
pertinentes ;
d- La mise à profit des forces et des intérêts des élèves ;
e- L‘automaticité de la transition de l’élémentaire au secondaire.
3-
La nécessaire dynamisation de la politique de l’emploi :
Le temps des emplois permanents est révolu. Les jeunes doivent
désormais être prêts et avoir les compétences requises pour faire face à la
flexibilité qui caractérise de plus en plus le marché du travail. Ils doivent
être mieux armés pour innover, prendre davantage de risques et faire preuve de
créativité. Pour cela, le système éducatif et de formation doit développer
leurs aptitudes à résoudre les problèmes, leurs capacités d’analyse, de
communication et de travail en équipe, surtout qu’il s’agit du groupe social le
plus touché par le chômage.
En effet, ce dernier n’affecte pas uniformément tous les segments
de la population active. Il est plus élevé chez les jeunes, notamment diplômés.
Notre pays a mis en place des stratégies
à moyen et long terme pour les secteurs émergents comme le plan «
Emergence » pour certaines branches du secteur industriel et des
services, et de l’Administration électronique, la vision 2010 pour le tourisme,
la stratégie de, des contrats programmes ont été conclus avec quelques secteurs
clés tels que le textile habillement, l’industrie du cuir ou les technologies
de l’information. Et des réformes structurantes ont été adoptées en matière
d’accompagnement des entreprises et la préparation des jeunes à une meilleure
insertion dans le marché de l’emploi. Parallèlement, le gouvernement a engagé
des réformes importantes dans le domaine de l’éducation et de la formation,
visant à adapter davantage l’offre des compétences aux besoins du marché du
travail, en tenant compte de la nouvelle dynamique que connaît l’économie
nationale.
Par ailleurs, le programme de réforme portant sur les compétences
et l’emploi a été initié dans le but d’augmenter l’employabilité, la
productivité et la qualité du travail, à travers l’appui à la mise en œuvre des
réformes prioritaires de l’enseignement supérieur, de la formation
professionnelle, des politiques de l’emploi et de l’assurance sociale.
Les objectifs de cette réforme visent essentiellement à améliorer
l’adéquation des compétences produites par les systèmes de l’enseignement
supérieur et de la formation professionnelle aux besoins du marché du travail,
à augmenter l’efficacité des programmes actifs pour l’emploi, à renforcer les
capacités d’intermédiation sur le marché de l’emploi, à améliorer la qualité du
travail et à renforcer le système d’information du marché du travail.
D’autres actions ont été mises en œuvre pour assurer l’adaptation
des formations aux besoins du marché, telles que :
i)
La
création des instituts de formation professionnelle [5]
ii)
La
révision du projet de loi sur la réforme de la formation continue, qui régit,
entre autres, la gouvernance et le financement de la formation continue ;
iii)
Et
l’élaboration, au sein des chambres d’artisanat, d’un programme de formation au
profit des responsables de la formation professionnelle, d’un programme de
formation au profit des maîtres d’apprentissage et d’un programme de validation
des acquis des artisans.
Des efforts soutenus ont ainsi été déployés, à ce
jour, pour résorber le chômage, mais sans toutefois permettre au pays de
s’engager résolument vers son éradication. Des milliers de jeunes sans emploi ne voient
d’autre issue que l’embauche par la fonction publique, laquelle ne peut
naturellement pas les absorber tous, aussi bien pour des raisons budgétaires
que pour des considérations d’efficacité managerielle. Mais, il ne suffit plus
de répéter, même si c’est tout à fait juste, que l’administration est déjà
pléthorique. Il faudrait, pour encourager ces jeunes, les inciter à
l’innovation, les associer pour qu’ils puissent proposer des projets concrets,
dans une démarche solidaire où devraient être impliquées les entreprises, les
banques, la société civile, les collectivités et les élus. Il faut susciter et
développer chez les jeunes la créativité et l’esprit d’entreprise.
Des formations complémentaires de mise à niveau devraient alors
être organisées pour combler les insuffisances des formations qu’ils reçurent
pendant leur scolarité. Des initiatives doivent être lancées d’urgence au
niveau central, mais d’abord et surtout à l’échelon régional et local. Le
lancement de ces initiatives est d’autant plus urgent que le Maroc court le
risque d’un taux de croissance de l’emploi nettement inférieur au niveau requis
pour réduire le chômage.
Mais pour que le secteur privé puisse créer davantage de richesses
et d’emplois et donc être à la source d’une amélioration de la croissance
économique, il y aurait y lieu d’agir sur les contraintes qui bloquent cette
dernière dont, notamment, celles qui sont à l’origine de l’insuffisance du
rendement du capital. Et parmi ces facteurs, les variables non économiques,
regroupées sous le vocable de culturels jouent un rôle de premier plan. Leur
prise en compte permet de dépasser l’approche traditionnelle de l’économie du
développement qui se proposait de réaliser ce dernier à l’aide de modèles
certes rationnels, mais édifiés sur des hypothèses et des concepts réducteurs.
L’intégration des facteurs culturels permet de libérer les
énergies, d’inciter les hommes à l’édification de l’ordre social sur des
fondements nouveaux tant pour la détermination des objectifs à atteindre, que
pour la mobilisation des ressources financières nécessaires à cette fin.
L’instrumentalisation positive des valeurs éthiques permettrait alors de
revivifier les pratiques qui ont cimenté, des siècles durant, notre tissu
social.
A l’heure du retour du local et afin de participer au
développement du monde rural et de fixer les populations dans leurs terroirs
d’origine, il serait ainsi opportun de revitaliser les modes de gestion
collective des terres et de l’eau pratiqués par la Jmàa au moyen d’une
exploitation communautaire des cultures vivrières des régions concernées. La
revivification de la Jmàa, structure communautaire traditionnelle édifiée sur
les liens de solidarité et de responsabilité collective, serait d’autant plus
bénéfique que ce mode de gestion communautaire était le lot notamment des terres
situées dans ce que l’administration du protectorat qualifiait de Maroc
inutile, et qui font partie, pour la plupart, de ce qu’il est convenu d’appeler
terres Joumoùu.
Dans le cadre de ce régime, la terre était la propriété de la
collectivité dont les membres n’avaient qu’un droit d’usufruit. L’appartenance
à la communauté, à la tribu, était la condition préalable à l’appropriation et
à l’utilisation des sols. Et l’exploitation de l’espace était régie par des
règles communautaires (vaine pâture, calendrier commun des travaux) et par des
contraintes imposées à la propriété privée (répartition équitable de l’eau,
participation collective à l’irrigation, etc.). S’agissant de traditions
ancrées dans les esprits des communautés villageoises, leur revivification
pourrait être recherchée par la constitution d’associations ou de coopératives,
par les populations des régions concernées.
Au niveau du secteur industriel, l’agro-alimentaire, les
industries textiles et du cuir et les industries chimiques et para chimiques
représentent les filières les plus importantes. Leur production est
essentiellement assurée par des PME. L’esprit communautaire y trouve ses
origines dans les anciennes corporations d’artisans, intimement liées, dans le
passé, aux voies soufies.
La production artisanale, constituée de tissus, de la sellerie, de
la céramique, des tapis et couvertures et de l’ébénisterie, se prête également
à une organisation du travail de type communautaire, inspirée des anciennes
coutumes traditionnelles du secteur.
Le tourisme tient une place de choix parmi les activités du
secteur tertiaire. La diversité des paysages, l’avantage du coût par rapport à
l’Europe, la liberté de voyage et la sécurité constituent de véritables atouts.
De plus, le Maroc dispose de deux façades maritimes, avec un important
potentiel de développement du tourisme balnéaire, des villes empreintes
d’histoire et de culture, des montagnes vierges et des déserts pouvant
favoriser un dépaysement total des visiteurs. La stratégie mise en œuvre dans
ce secteur, privilégiant les gros investissements et la clientèle de haut
niveau, gagnerait à être complétée par une politique ayant pour cible les
classes moyennes, y compris marocaines. Dans ce but, la formule des gîtes,
notamment ruraux, peut constituer une alternative comme c’est d’ailleurs le cas
dans d’autres pays qui en ont fait des acteurs incontournables du tourisme,
comme la France et l’Espagne, pays où l’industrie du tourisme connaît un
développement prodigieux.
Dans tous ces secteurs, l’Etat ne peut plus continuer à jouer le
rôle qui fut le sien à ce jour. Sans aller jusqu’à défendre la thèse de l’Etat
minimum libéral, il faut bien avouer que nous sommes loin de la période où la
puissance publique décidait à la place des citoyens. Ni les possibilités
budgétaires, ni les objectifs à atteindre, ni l’évolution de la société
elle-même ne permettent de revenir à cette approche. Mais l’Etat demeure un
acteur incontournable. Pour la préparation et la mise en œuvre de projets dans
les secteurs susvisés, il peut intervenir à travers l’implication technique de
ses services, notamment pour l’encadrement et l’aide à la mise en œuvre des
programmes.
L’Etat pourrait, bien entendu, participer à la prise en charge
financière de ces projets, mais au même titre que d’autres opérateurs tels que
les collectivités locales, les entreprises publiques et privées et les
organismes de la société civile. De par leur proximité, les collectivités
locales peuvent en effet impulser la mise en œuvre des projets en question.
En
guise de conclusion:
Etant donné le taux élevé d’analphabétisme et la faible
qualification de la main d’œuvre, le système éducatif ne peut jouer le rôle qui
lui est imparti au Maroc que si l’on commence d’abord par généraliser
l’éducation de base.
En outre, l’expérience des dernières années a montré que la
motivation des enseignants par la seule amélioration de leurs conditions
matérielles est insuffisante. Il faudrait œuvrer à la professionnalisation des
enseignants dont la participation aux différentes étapes de la réforme est de
nature à augmenter les chances de réussite du développement du système
d’éducation et de formation pour en faire un levier de croissance économique.
Enfin, face aux demandes des
postes d’emploi dans la fonction publique formulées par les jeunes chômeurs
diplômés de l’enseignement supérieur, il ne suffit plus de répéter, ce qui est
tout à fait juste, que l’administration est déjà pléthorique. Il y aurait lieu,
pour encourager ces jeunes, d’innover, de les associer pour qu’ils puissent
proposer des projets concrets, dans une démarche solidaire où seraient
impliqués les entreprises, les banques, la société civile, les collectivités et
les élus. Ces actions permettraient d’appuyer l’entrée de ces jeunes dans le
monde du travail, de susciter et de développer chez eux la créativité et
l’esprit d’entreprise. Des formations complémentaires de mise à niveau
destinées à combler les insuffisances des formations qu’ils reçurent pendant
leur scolarité devraient également être organisés dans cette perspective.
[1] De nombreuses études microéconomiques ont monté qu’une année d’études
supplémentaire tendait à accroître la productivité des individus. Pour la
France, le surcroît de productivité procuré par une année d’études
supplémentaire s’élèverait ainsi à environ 8%.
[2] De ce point de vue toutefois, les différents étages
du système éducatif ne jouent pas le même rôle : imiter les technologies
existantes nécessite des individus disposant d’une bonne compétence technique
et professionnelle, que procure l’enseignement secondaire ou supérieur
spécialisé ; innover est en revanche le fait de chercheurs, et donc met en
jeu plutôt un enseignement supérieur long.
[3]
Voir rapport d’Elie Cohen et Philippe Aghion sur l’éducation et la croissance
en France.
[4]
Dans le rapport de la Commission du débat national sur l’avenir de l’École, Pour
la réussite de tous les élèves, La documentation Française, Paris, 2004, cette
commission propose huit programmes
d’action pour dessiner l’École du futur : 1. Durant la scolarité
obligatoire, s’assurer que chaque élève maîtrise le socle commun des
indispensables et trouve sa voie de réussite, 2. Au lycée, pour motiver les
élèves, définir des séries plus typées, et mieux valoriser certaines d’entre
elles, 3. Aider les collégiens à construire un projet éclairé et le respecter
le mieux possible, 4. Favoriser la mixité sociale, 5. Renforcer la capacité
d’action et la responsabilité des établissements scolaires, 6. Dans l’équipe
éducative, redéfinir le métier d’enseignant, 7. Construire une éducation concertée
avec les parents au service de la réussite de l’élève, 8. Former avec des
partenaires : élus, associations, entreprises, médias, services médicaux et
sociaux, police et justice
[5]
Trois
instituts de formation professionnelle ont été déjà créés dans des secteurs de
pointe identifiés par le Pacte National de l’Emergence Industrielle : Académie
de la Mode en 2010, institut de formation aux métiers de l’automobile en 2011
et institut des métiers de l’aéronautique en 2011. Il sera également
procédé à la création de huit nouveaux instituts de formation professionnelle,
dans des secteurs de pointe : automobile, aéroportuaire, audiovisuel et
énergies renouvelables/ efficacité énergétique, sous un régime de gestion
déléguée aux professionnels du secteur privé ou mixte concerné.
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