Appel
à communications
Journée d’études et de débats organisée conjointement par la
Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales et la Revue Réflexions Economiques,
le 30 septembre
2021, sous le thème :
Le marché du travail au Maroc à l’aune
de la crise Covid-19 et au-delà
Argumentation générale :
C’est
peu de dire que les mondes du travail et des relations professionnelles ont été
questionnés et parfois transformés par la crise de la Covid-19. Le développement
du travail à distance, le recours au travail partiel, la prise de conscience du
travail dit essentiel, le renforcement de la bipolarisation du marché du
travail, l’accroissement des inégalités de revenus et de genre, la
multiplication des entorses aux règles de droit, la réallocation sectorielle du
travail et la baisse tendancielle du taux d’activité, etc. sont autant d’éléments
dont la crise sanitaire et économique a accéléré la dynamique au point de faire
douter d’un strict retour à la « normal ».
Bien
avant la crise actuelle, les pronostics allaient bon train, quant à « l’avenir
du travail », sa « nature », ses formes contractuelles, ses
modes de régulation, ses rapports à la loi et ses protections. La crise
actuelle et l’incertitude radicale qu’elle engendre donnent une nouvelle
actualité à ces débats. Par exemple, les entreprises les plus techniquement
avancées se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins et doivent arbitrer
entre, d’une part, un investissement massif dans l’automatisation et la
digitalisation en vue de contenir le risque de contamination et de nouveaux arrêts
du travail et, d’autre part, attendre jusqu’à ce que les perspectives de
croissance s’éclaircissent pour investir et offrir des postes d’emploi (Chernoff, A. W. et C. Warman, 2020[i]).
Cette
crise est-elle annonciatrice et accélératrice de changements censés bouleverser
radicalement les mondes du travail ? Mais comment cela peut-il alors se
passer ? Quels sont les différents scénarii possibles et avec quelles
intensités et quelles retombées sur les sociétés ?
Ces
questions d’ordre général sont bien évidemment à spécifier selon les
pays ou régions du monde concernés en vue d’esquisser des réponses adaptées. A
ce titre, rappelons que les pays à faible revenu ont été les plus touchés par
le recul de l’emploi et la baisse de la durée du travail. Le nombre d’heures
travaillées y a baissé de l’ordre de 23,3 % entre le 2ème trimestre
2020 et le dernier trimestre 2019, soit 240 millions d’emplois en équivalent
temps plein, contre seulement 17,3 % en moyenne dans le monde[ii]. En
fait, si certaines tendances relatives au travail (numérisation, télétravail,
bipolarisation, etc.) sont globales et peuvent être observées aussi bien dans
les pays industrialisés que dans les pays pauvres et à revenu intermédiaire,
d’autres sont la conséquence directe des configurations institutionnelles et
structurelles spécifiques à chaque pays (degré de segmentation du marché du
travail, importance du salariat protégé, niveau de qualification, poids de
l’informel, de l’auto-entrepreneuriat, respect des règles de droit, précarité,
vulnérabilité, etc.) et des politiques publiques conduites par les Etats, qu’il
s’agisse de politique de protection sociale ou de politique de relance.
Argumentation spécifique Maroc et axes
de réflexion proposés :
Au
Maroc, le marché du travail souffrait avant la crise de maux structurels (forte
segmentation, informalité, précarité et respect souvent « aléatoire »
du droit du travail, inégalité de statuts, faible productivité) que la crise a
remis en évidence et a accentués, tandis que la politique de l’emploi, réduite
à une stratégie de relance, s’apparente davantage à un plan de sauvetage limité
dans le temps et dans son efficacité qu’à une stratégie de construction du
futur. Dans un tel contexte, l’avenir du travail au Maroc risque d’être
contraint par ces caractéristiques structurelles qui soulèvent de nombreuses
questions qui seront au cœur de cette journée d’études sur le marché du
travail.
Axe I – Marché du travail
« pendant la crise » : impact des mesures préventives contre le virus
et des politiques publiques palliatives ; effet sur les inégalités et sur
la qualité du travail
Après
l’avoir révélée au grand jour, la crise aidera-t-elle l’Etat à prendre acte du
degré et des différentes formes de l’informalité et à envisager des réponses
adaptées ? De même, plus généralement, en ce qui concerne la/les
précarité(s) et les inégalités qui gangrènent le monde du travail au Maroc ?
Quel sera l’ampleur des répercussions de cette crise sur l’emploi, par secteur
et par catégorie socio-professionnelle, ainsi que sur la qualité de
l’emploi ? Les mesures d’aide au maintien de l’emploi déployées par l’Etat
ont-elles été efficaces, suffisantes ? Préfigurent-elles une nouvelle
approche de la protection sociale au Maroc ? La crise a-t-elle constitué
une aubaine comptable pour certaines entreprises mettant en place des
politiques de dégraissage ? A-t-elle été, à l’inverse, un élément
fédérateur des parties prenantes pour affronter les changements à
venir ? Va-t-elle déclencher un nouveau dialogue social autour du travail
et de sa place dans la société marocaine ?
La
sortie de la crise sera-t-elle accompagnée d’un déploiement de mesures à la
fois incitatives et coercitives en vue de réduire le champ de l’informalité au
travail ou faut-il plutôt s’attendre à un retour à la « normale »,
voire à davantage d’informalité si l’on considère la conjoncture actuelle et
les perspectives peu favorables ?
Est-il
dorénavant opportun pour le Maroc de se doter d’une stratégie contre la
précarité au travail, contre les salaires faibles, la pénibilité, le
sous-emploi, le chômage de longue durée, la faiblesse de la formation continue,
le déséquilibre des relations employeurs-employés, etc. ? La même question
se pose également pour les inégalités salariales et de genre d’autant plus que
la crise les a creusées. Qu’en est-il de la rétribution du travail essentiel[iii] -
grand oublié de la Loi de finances 2021 ? Revient-il toujours au marché seul de
l’évaluer ?
Axe
II – Protection sociale, santé au travail, relations professionnelles
La couverture sociale généralisée annoncée constitue-t-elle
une solution : 1) est –elle réalisable et avec quels moyens ? A
quelles conditions ? ; 2) susceptible de résoudre à elle seule les maux du
marché du travail marocain ? Comment y parvenir, sous quelles conditions
et quel rôle devront jouer les représentations syndicales ? Si la crise
dure longtemps et finit par mettre à mal l’équilibre budgétaire des caisses de
retraites, sur quelles bases les ajustements et réformes seront-ils établis et
avec quelles conséquences macroéconomiques et sociales ?
La
crise a remis la question de la santé au travail au premier plan des
préoccupations. Quels enseignements en tirer ? Améliorera-t-elle, les
relations professionnelles, la perception du travail, etc. ? Quelle sera
la place du syndicalisme dans le futur et quelles politiques syndicales seraient
souhaitables ?
Axe
III – Quelles stratégies adopteront les entreprises
« après-crise » ?
A la
sortie de la crise sanitaire, les entreprises feront-elles le choix d’investir
dans la robotisation et l’automatisation en vue de réaliser des gains de
productivité pour compenser le manque à gagner causé par la crise au
risque, sur le plan macroéconomique, d’augmenter le chômage à court terme ?
Ou bien, vont-elles tempérer (et comment ?) en attendant que le nuage de
la crise se dissipe entièrement ?
La
crise inaugura-t-elle une nouvelle ère en matière d’organisation du travail
avec le recours systématique au travail à distance ? Quelles nouvelles
frontières apparaitront entre vie privée et vie professionnelle ? Quelles
répercussions en découleront sur la psychologie des télétravailleurs ?
Assisterons-nous à de nouveaux modes alternatifs de contrôle du temps de
travail et de son évaluation par l’employeur ? Quelles pistes envisageables
pour maintenir dans ce contexte, la concertation salariale et faciliter le
travail syndical ? Entrons-nous dans une ère de désolidarisation et de
désocialisation des travailleurs ?
Quel
rôle les firmes multinationales implantées au Maroc jouent-elles et
pourraient-elles jouer demain face au besoin pressant de nouvelles régulations
du travail que l’on sent monter depuis la crise ? A quelles conditions
peut-on ré-envisager le travail comme un véritable facteur d’intégration au
sein de la société marocaine, là où la raison économique semble aussi opérer
comme facteur de désintégration de cette même société (Gorz, A., 1988[iv]) ?
Objectifs de la journée d’études :
L’objectif
de cette journée d’études objet du présent appel à communications est
double : une compréhension couplée à une évaluation des retombées de la
crise à divers niveaux d’analyse (micro, méso et macro) du marché du travail
marocain et une scénarisation des différentes trajectoires potentielles d’évolution.
Le spectre des analyses est alors suffisamment large et les questions posées
plus haut doivent être considérées uniquement à titre indicatif et non
exclusif.
Modalités de soumission des propositions de
communications :
Les
résumés des communications doivent être de 3 à 4 pages (Police de
caractères : Garamond - corps 12 – interligne simple) et sont
attendus au plus tard le 31 juillet 2021,
aux adresses mails suivantes :
ybenarrosh@gmail.com, alain.piveteau@ird.fr, yassertamsamani@yahoo.fr
Les
communications sélectionnées donneront lieu à une publication d’un ouvrage
collectif ou d’un numéro spécial conjoint des revues organisatrices de
l’événement.
Coordinateurs
de la conférence :
Yolande
Benarrosh : sociologue,
Mesopolhis-AMU (CNRS) et Lise-Cnam Paris
Alain Piveteau : économiste, chercheur à l’IRD, UMR 8856 PRODIG (Université
Paris 1- Panthéon Sorbonne, Campus Condorcet) et affilié au LAM (Sciences-Po
Bordeaux).
Yasser Y. Tamsamani : économiste, chercheur à l’ÉRÉCA (Université Hassan-II) et
co-éditeur de la revue Réflexions Économiques
[i]
Chernoff,
A. W. et C. Warman,
2020,
« Covid-19 and Implications for Automation », NBER Working Paper, n°
27249.
[ii]
Selon la 6ème
édition de la série des travaux sur « le Covid-19 et le monde du travail» de l’observatoire de l’Organisation
Internationale du Travail (septembre 2020) (https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/documents/briefingnote/wcms_755930.pdf)
[iii] Il s’agit par exemple du
personnel médical, de grande distribution et des services municipaux.
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