HOMMAGE A DRISS BENALI
Le 3 février 2013, le regretté
Driss Benali nous a quitté.
Ça fait huit, presque jour pour
jour, que notre ami a tiré sa révérence.
La Revue Marocaine des Sciences Politiques et Sociales lui avait rendu un vibrant hommage lors du
premier anniversaire de sa disparition en 2014. A la même occasion quatre
ouvrages ont été publiés.
Le premier sous forme
de MELANGES où on a recueilli une vingtaine
de contributions et de témoignages.
Il s’agit du Numéro Hors-Série publié en
décembre 2013 (Vol. VIII) ; de ces MELANGES nous reproduisons la
présentation de notre ami et collègue le Pr. émérite Abdelkader Berrada.
A
l’occasion de cet Hommage on avait procédé à une nouvelle édition de l’ouvrage
Driss Benali intitulé : Le Maroc précapitaliste, Formation
Economique et Sociale. (SMER, Collection Atlas, 1983, 310 pages.)
Cette
nouvelle édition a été marquée par un hommage commis par le Pr. Abdelmoughit
Benmessaoud Tredano que nous publions aussi à l’occasion de ce 8ème
anniversaire de la disparition de notre regretté Driss Benali.
Par
Abdelmoughit Benmessaoud Tredano
Directeur
de la Revue Marocaine de Sciences politiques et Sociales
Notre
propos dans cette présentation n’est nullement de présenter cet ouvrage du
regretté Driss BENALI, qui reste une œuvre majeure dans la compréhension de
l’état précapitaliste au Maroc, mais beaucoup plus d’expliquer le pourquoi de
cet hommage et comment le comité d’organisation de notre revue s’est évertué à
l’organiser et à préparer son contenu.
Au
lendemain de la mort de notre regretté[1],
l’engagement a été déjà pris pour programmer un hommage à la hauteur de sa
stature et de sa personnalité… hors pair.
Cet
engagement a été dicté par plusieurs considérations :
La
première est strictement personnelle dans la mesure où plus de 30 ans d’amitié
ne pouvait laisser l’auteur de ces lignes indifférent à un personnage de cette
envergure ; engagement politique commun, en France et au Maroc, et
associatif… dans le cadre de l’Association Alternatives, entre autres, a
constitué la trame de notre parcours commun.
La
seconde est un acte de reconnaissance d’un collectif d’amis, d’auteurs, et
d’universitaires pour l’homme et son œuvre.
Rendre
hommage à Driss Benali, c’est lui rendre justice dans la mesure où de son
vivant, aucune reconnaissance ne lui a été témoignée.
Rendre
Hommage à Driss Benali, c’est témoigner de la qualité de l’homme, de
l’intellectuel militant qu’était cet homme, toute sa vie durant…
Comment
le faire ?
La
Revue, qu’il accompagnait de son vivant en sa qualité de membre de son comité
scientifique, a saisi l’avènement du premier anniversaire de sa disparition pour
lui rendre un hommage à la hauteur de la qualité de l’homme. En lui
préparant des mélanges, en rééditant son livre majeur (le Maroc précapitaliste)
et la préparation d’une étude élaborée par l’auteur de ces lignes portant sur
« la paix et le dialogue entre les nations, le cas du Maghreb et du Moyen
-orient » telles sont les publications qui vont marquer cet hommage.
Les
Mélanges, c’est un acte de reconnaissance d’une vingtaine d’intellectuels et
d’universitaires à un ami, à un collègue pour lequel ils avaient, tous, du
respect, de l’admiration et de l’amitié…
La
réédition de son livre est dictée par une seule raison : le rendre
accessible aux étudiants, aux chercheurs et aux universitaires dans la mesure
où il a disparu des librairies.
Le
livre sur le dialogue et la paix, répond à une actualité brulante où la guerre
devient la règle, où l’islamisme se confond avec le terrorisme et où
l’extrémisme rivalise avec la barbarie. La situation actuelle du monde
arabo-musulman est l’illustration la plus édifiante de cet état de fait.
Un
deuxième volet qui marquera cette manifestation, c’est l’organisation d’un
débat autour du thème : « le rôle de l’intellectuel dans la
cité » ; le choix d’une telle thématique n’est ni fortuit ni arbitraire.
Il répond en premier lieu au profil de notre regretté.
L’intellectuel militant
« …
en toute société, l’artiste, l’écrivain, demeure un étranger : celle qui
prétend le plus impérieusement l’intégrer nous paraissait être pour lui la plus
défavorable… Dans une société qui veut des artistes « bien
propres », « intégrés », « cohérents » et
« peu remuants », il n’est peut-être pas inutile qu’elle (cette
banalité) soit de niveau écrite et répétée… »[2]
L’engagement politique de Driss Benali, en
tant qu’intellectuel, a été marqué par la cohérence, la continuité, l’audace
voire parfois la provocation. C’est le propre de l’intellectuel engagé et
rebelle.
Cette
posture est dans la droite ligne des intellectuels, des philosophes dont le
rôle est d’être des défricheurs, des agitateurs d’idées, des empêcheurs de
tourner en rond.
Son
discours politique à la fois profond, direct, clair et, comme dirait jean- Luc
Mélenchon : cru et dru, tranche avec celui codé, ambigu, insipide et
politiquement correct de nombreux hommes politiques, situation devenue quasi-
normale. Mais, cas plus grave encore, une telle pratique est désormais adoptée
par un grand nombre d’intellectuels.
Sa
vision du politique en tant que culture et pratique se distingue foncièrement
de la politique politicienne ; en effet face à la déliquescence ambiante
et à la médiocrité régnante dans le champ politique, …, il s’est employé à
réhabiliter la parole publique, politique et rendre au politique sa superbe.
Ainsi,
pour éviter que le politique ne produise que des monstres[3], pour que le politique ne
se réduise pas à « l’art de se servir des gens … »[4], pour faire en sorte que
la bêtise ne commence pas à penser[5], il fallait et il faut
réinventer d’autres formes d’engagement et surtout allier l’éthique à la
politique, adopter la pédagogie de l’exemple, conditions seules à même de pouvoir faire revenir le citoyen au champ
politique et ce en rétablissant la confiance. Seules les sociétés de confiance
réussissent[6].
Driss
BENALI était de ce genre d’intellectuels qui cherchaient à donner au politique
une nouvelle vision, perception et pratique sans lesquelles rien de valable, de
viable et de durable ne peut être construit dans une société qui aspire au
changement et au bien-être.
Mais
comme une hirondelle seule ne fait pas le printemps, l’intellectuel solitaire
ne peut influer d’une manière déterminante sur l’évolution d’une société.
Le
changement ne peut se réaliser que si le nombre d’intellectuels, autonomes par
rapport à tous les centres du pouvoir, atteigne une masse critique.
Ils
doivent, en plus, avoir en commun une sorte de convergence d’idées, deux
conditions qui, seules à même, seraient susceptibles, avec les débats et
l’agitation d’idées, de produire les
mutations sociales et sociétales nécessaires pour un Maroc nouveau, développé
et épanoui.
« La politique est l’art du
possible » disait l’homme politique français Léon Gambetta ; Driss BENALI
cherchait à faire reculer le possible jusqu’au dernier retranchement ;
entre le consensus paralysant et le compromis engageant et productif, le choix
est vite fait.
« Soyons
réalistes, exigeons l’impossible » disait le commandant Che.
[1] Au
moment où ce numéro (N° 4, volume VI, février 2013) était sous presse, notre
ami et collègue est décédé le 3 février 2013.Nous lui rendons hommage - dans
les pages intérieures de notre revue dont il était un des fondateurs-en tant
qu’ami, intellectuel hors pair et citoyen/militant exemplaire, en attendant
d’organiser une grande manifestation digne de son rang…
[2] Simone De Beauvoir, autobiographie, Ed. 1993, compte
rendu de cette publication in Le Monde 13 aout 1993
[3] Saint juste disait : « Tous les arts
ont produit des merveilles, seul l’art de gouverner n’a produit que des
monstres ».
[4] « La politique est l’art de se servir des hommes en
leur faisant
croire qu’on
les sert. »
Disait l’écrivain et
dramaturge Louis Dumur.
[5] Jean Cocteau
disait : « Le drame de notre temps, c'est que la bêtise se soit
mise à penser ».
[6] Alain Peyrefitte, « La société de confiance », Ed. Odile Jacob,
1995.
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