La journée de la terre en Palestine
La coexistence est possible [1]
Pr.
Abdeloumoughit Benmessaoud TREDANO
Professeur
de science politique et de géopolitique
Université
Mohamed V. Rabat
"... Le coût humain est déjà grand
en terme de vies, de blessures et de destructions matérielles.. mais le coût
moral pour une société fondée sur des idéaux humanitaires et démocratiques sera
peut-être tout aussi grand... De plus en plus de gens en Israël et d'ailleurs
dans le monde parmi ceux qui soutiennent Israël, deviennent péniblement
conscients des erreurs commises dans les territoires occupés..".
Ces propos ne sont pas ceux d'un
"extrémiste arabe", ni d'un tiers-mondiste, ou de partisans fervents
de la cause palestinienne, mais ceux d'un britannique, en l'occurrence Sir
Crispin Tickell représentant de la Grande-Bretagne auprès des Nations-Unies.
Il y a quelques temps encore, les amis
d'Israël se cachaient la vérité et ne voulaient voir dans la cause
palestinienne qu'une question de réfugiés, et cela quatre décades durant.
Cette "maladie", le
"Palestinisme" dont parle M. Darmon est donc nouvelle en Occident.
Mais peut-on l'accabler, outre mesure, parce qu'il s'est associé à une quasi
convergence universelle autour de la nécessité de trouver une solution juste et
durable au Moyen-Orient ?
Pour avoir compris cette nécessité, les
gouvernements occidentaux sont qualifiés "d'inciviques"... Et la
diplomatie française est taxée "d’ impuissante en actes et malfaisante en
paroles...". Pis, la France est considérée comme un pays ayant perdu son
âme dans cette affaire. Le Vatican n'est pas non plus épargné.
M. Darmon se trompe peut-être d'époque.
Le temps des croisades est révolu. Les guerres de religion n'ont plus de place
dans un monde aspirant à faire de l'esprit de tolérance et de la convivialité
des différences une réalité tangible...
Si aujourd'hui on observe une
résolution nette chez un certain nombre d'Etat occidentaux sur cette question,
ce n'est surtout pas par volonté de nuire à Israël, c'est plutôt pour l'aider à
prendre conscience du changement intervenu du côté palestinien et l'inciter
ainsi à saisir cette opportunité.
M. Darmon, et avec lui la majorité de
la classe politique israélienne, feint de ne pas comprendre en continuant à
entretenir les mythes et les illusions. C'est l'expression d'un désarroi non
maîtrisé.
Ce qui les dérange, c'est que ce
problème a changé d'ingrédients.
Ce qui fait peur, c'est bien la
nouvelle stratégie palestinienne, une stratégie de paix. Tant qu'il était
question de jeter les juifs à la mer, tant que la charte de l'OLP constituait
la seule référence, tant que quelques brebis galeuses palestiniennes semaient
la terreur ici et là..., les Israéliens faisaient de ces errements l'essentiel
de leur argumentation contre les droits nationaux palestiniens.
Aujourd'hui, l'Intifada a bouleversé
les données; elle a le mérite d'avoir dévoilé les erreurs des uns et des autres
mais aussi, et surtout, d'avoir administré la preuve de la nécessité
d'approcher la question palestinienne autrement que ce qui a prévalu jusqu'à
maintenant.
Malheureusement, malgré les bonnes
mentions et la disponibilité palestiniennes, les Israéliens persistent et se
réfugient dans un refus aussi suicidaire que dangereux pour la paix.
Au nom de quelle loi, de quelle
éthique, ceux-ci refusent-ils à la nation palestinienne ce qu'ils
revendiquaient au peuple juif?!
La résolution 181 du Conseil de
sécurité (20 novembre 1947) qui a donné naissance à Israël est celle-là même
qui prévoit la création d'un Etat palestinien dans ce territoire contesté et
disputé. En considérant qu'elle est à l'origine d'une usurpation historique.
Les palestiniens l'ont refusée et l'ont
combattue depuis 1947. Ils estimaient que la décolonisation de la Palestine a
été dévoyée parce que ce territoire devait revenir au peuple qui l'occupait au
moment où le mandat a été confié au Royaume Uni par la SDN. Ce n'est pas cette
formule, pourtant respectée dans la quasi-totalité des cas de décolonisation,
qui prévalut dans le plan de partage de l'ONU et des puissances responsables de
la création de l'Etat hébreu.
Malgré cet impair juridico politico
historique, les palestiniens, après quatre décennies d'errances, d'errements et
le tâtonnement, ont franchi le Rubicon en reconnaissant l'entité israélienne.
Par ailleurs, c'est commettre une
usurpation aussi grave que la première en affirmant que le nationalisme
palestinien a été fabriqué, à partir de rien, par les diplomaties soviétique,
européenne et vaticane.
Nous n'apprenons rien, à personne en
rappelant qu'à la faveur des deux conflits mondiaux, de nombreux peuples ont,
grâce à une résistance nationale et à un soutien décisif des alliés d'alors,
émergé dans la société internationale. C'est également dans leur lutte de
libération nationale que d'autres nationalismes, en Asie et en Afrique, sont
nés en relation avec la décolonisation enclenchée au lendemain de la création
de l'ONU comme ceux-là, le rationalisme palestinien a connu le même cheminement
dans sa lutte pour son identité nationale.
Le nationalisme palestinien n'est pas
d'hier comme le nationalisme marocain n'est pas né en 1944 ou 1947 comme le
nationalisme algérien n'a pas vu le jour en 1954...
Le nationalisme palestinien est
enraciné dans la terre de Palestine grâce à une occupation continue et
prolongée.
Mais à l'instar des autres
nationalismes, il s'est amplifié et s'est cristallisé autour de grands faits
d'armes et de sacrifices. Il s'est forgé en effet, au fer rouge des massacres
de Deir yacine et KafrKacem, il s'est nourri de la misère, des malheurs...
dans les camps de Jordanie, de la Syrie,
du Liban, de Gaza et d'ailleurs, il a été entretenu par le martyr des Hamchari
et autres, il s'est développé dans les meurtrissures à Sabra et Chatila, dans
Beyrouth... et Tripoli assiégées et bombardées...
Enfin, et non le moindre, estimer que
la nouvelle option arrêtée par les Palestiniens au dernier C.N.P. d'Alger n'est
qu'une étape dans leur plan de destruction d'Israël, c'est renforcer
l'establishment, israélien dans sa mentalité de peuple assiégé, c'est continuer
à ériger le "complexe de Massada" en diplomatie dans la politique de
Tel Aviv.
Israël réclame des frontières sures et
reconnues. Mais des frontières fondées sur les armes ne peuvent tenir tant que
les Palestiniens ne sont pas rétablis dans l'intégralité de leurs droits
nationaux. Ceci est d'autant plus vrai que toute frontière est vulnérable si
elle ne s'appuie pas sur un sentiment de confiance mutuelle et la conviction en
la possibilité de convivialité et de coexistence intelligente entre Israéliens
et palestiniens.
Il y a deux ans, le leader travailliste
Shimon Pérès disait: "Il n'y a aucune chance pour qu'une proposition
israélienne, qu'elle quelle soit, soit acceptée par les Arabes pour la simple
raison qu'elle vient d'Israël; il n'y a aucune chance pour qu'une proposition
arabe puisse être acceptée par Israël pour la simple raison qu'elle est
arabe".
Nous oserons espérer que cela n'est pas
le sentiment profond de la majorité du peuple israélien à l'égard de la stratégie
de paix proposée actuellement par l'OLP.
La convergence mondiale au tour de la
nécessité d'une solution dans la région moyen-orientale n'est pas non plus
dictée par lassitude. C'est plutôt une lucidité. C'est aussi une nécessité,
l'Europe l'a compris tard mais l'a compris. Les diplomaties les plus proches
d'Israël (Américains, Britanniques et Néerlandais) l'ont également compris. Les
partisans de la paix, en Israël elle-même, oeuvrent dans ce sens. Il faut du
temps pour que les Etats-majors politiques, une fois libérés de schémas
réducteurs et dépassés, suivent. Nous osons y croire.
[1] Cet
article a été écrit en réplique
à l'article de M. Michel Darmon intitulé : "Le monde malade du
"palestinisme", publié dans le Monde du 24 Février 1989 et à l'occasion
de la "Journée de la Terre" en Palestine. - Le 30 - 03 - 1989
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