LA NUISANCE D’UNE ANCIENNE PUISSANCE TIERS-MONDISTE
Pr. LOTFI M’RINI
L’Algérie
a décidé avant-hier mardi de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc.
Cette annonce était attendue après la décision du Haut conseil de sécurité algérien,
une instance consultative présidée par le chef de l’état, de revoir les
relations avec Rabat accusé de commettre
des « actes hostiles incessants » et d’être « impliqué dans les incendies
meurtriers qui ont ravagé le nord de pays ».
Cette
décision unilatérale est l’expression du désarroi algérien consécutif à
l’importante inflexion stratégique de la politique extérieure du Maroc qui
impacte directement les relations bilatérales : reconnaissance de la
marocanité du Sahara par les États-Unis, rapprochement avec Israël et soutien
du droit à l’autodétermination du peuple kabyle en réciprocité à l’appui multiforme
de l’Algérie au Polisario. Elle est également l’expression d’une inquiétude
envers le rééquilibrage des forces avec l’Espagne, puissance plus réaliste, qui
suite à la crise avec le Maroc et la fermeté de ses positions s’ajuste avec la
nouvelle donne en limogeant la ministre des affaires étrangères et en balisant
la relation bilatérale sur la base des intérêts réciproques bien compris. Elle
est, enfin, la traduction de l’appréhension du basculement radical des rapports
de force avec le Maroc qui se dessine depuis une décennie et qui se consolide
sur les plans militaire, diplomatique et économique. Dans ce contexte,
l’ancienne puissance tiers-mondiste au temps de la guerre froide, confrontée à
des crises internes à répétition, en perte de vitesse sur le plan africain, ne
peut se résoudre à accepter cette réalité.
Le
discours sage et apaisant du souverain à son adresse n’a pas suffi à faire
baisser la tension. L’arrogance diplomatique de l’état voisin, invoquant des
motifs futiles et fallacieux (l’application du principe général du droit des
peuples à l’autodétermination à la Kabylie, une déclaration du ministre des
affaires étrangères israélien et le feu meurtrier des forêts), le conduit à
prononcer la rupture quasi générale des relations diplomatiques, y compris des
relations culturelles, pour ne garder que le minima des services consulaires.
Cette
escalade s’inscrit dans le registre historique des nuisances de l’Algérie
envers le Maroc. Le voisin, puissance tiers-mondiste sur le déclin, n’arrive
pas à assimiler les transformations du monde post-guerre froide et à accepter
l’émergence à ses frontières d’un leader continental.
Un état
latent de casus belli
De fait,
l’Algérie a installé et entretenu depuis les années 1970 un état latent de
casus belli avec le Maroc en mijotant la vieille recette de la course aux
armements de l’époque de la guerre froide qu’elle finance avec la manne
pétrolière pour épuiser le Royaume économiquement et le rendre vulnérable.
Cette stratégie, bien qu’elle occasionne pour le Maroc, à ce jour, une facture
exorbitante de plusieurs milliards de dollars par an pour maintenir l’équilibre
des forces en cas de conflit ouvert, s’est révélée infructueuse pour le faire
plier.
Cette
longue préparation à la guerre fut accompagnée au début du conflit autour du
Sahara par une tentative d’encerclement du Maroc par la création d’un état
fantoche pour l’isoler de sa profondeur africaine. Et sur le terrain, l’Algérie
participa militairement par deux fois à
des attaques contre les forces armées royales stationnées au Sahara pour en
prendre le contrôle. Mais, à chaque fois, à Amgala comme à Bir Inzarane, ses
contingents et ses conseillers militaires subirent des défaites cuisantes. Plus
récemment, la tentative d’occuper le passage frontalier de Guerguarat sous
couvert d’actions civiles de hordes polisariennes se solda par un échec
complet, et permit au Maroc de sécuriser ce passage vers la Mauritanie et
l’Afrique.
Cette
posture défensive du Maroc lui a permis pendant plus de 40 ans de maintenir
l’équilibre des forces et le statu quo sur le terrain. Mais les choses sont en
train de changer grâce au saut technologique qu’entreprend le Royaume suite au
lancement de deux satellites de surveillance et au démarrage d’une industrie
militaire sophistiquée. Plus encore, la récente mise en place de la coopération
bilatérale avec Israël, puissance militaire et technologique, effraie le voisin
algérien qui craint, désormais, le renversement de l’équilibre des forces à
l’avantage du Maroc.
Bouter la
RASD hors de l’Union Africaine
Sur le plan diplomatique, le retour du Maroc à
l’Union africaine a mis un terme à la ballade algéro-polisarienne au sein de
cet organisme continental. Avec cette nouvelle donne, le Maroc, non seulement
retrouve son siège, mais surtout dispose de la capacité de délégitimer la
présence de la prétendue RASD à l’U.A. Aussi, à l’instar de la révision des
statuts de la Confédération africaine de football qui a fermé la porte à
l’adhésion aux entités non reconnues par l’ONU, en ciblant la RASD, le Maroc a
le loisir de demander l’amendement des statuts de l’U.A. pour inclure un
article sur le gel ou l’exclusion d’un membre de l’organisation et précipiter
la sortie honteuse de la RASD de cette instance régionale. Il lui suffit de
mobiliser l’accord des 2/3 des adhérents, soit 37 états membres. Aujourd’hui,
une quarantaine de membres seraient favorables à cette révision. Certains
d’entre eux l’ont ouvertement annoncé et concrétisé en ouvrant des consulats à
Laâyoune.
L’Algérie
n’ignore pas ces développements et le danger qui guette le maintien de la RASD
au sein de l’U.A. si jamais le Maroc engage cette procédure. Si cela se
produisait, et il se produira vraisemblablement, la diplomatie algérienne,
démunie des ressorts de la guerre froide essuiera un revers historique.
Le
scénario tectonique du FMI
Sur le
plan économique, l’Algérie continue de se développer comme un état rentier
dépendant du prix du pétrole et du gaz. Elle fait partie des rares pays non
encore membres de l’Organisation Mondiale de Commerce, et demeure incapable
d’asseoir une économie ouverte, diversifiée et concurrentielle. Les problèmes
de pénurie d’approvisionnement en produits alimentaires, la dégringolade du
cours de change du dinar, le niveau élevé du chômage, la présence endémique de
la corruption, etc., sont autant de boulets que traînent le régime algérien qui
ne contient les défaillances structurelles de son économie que grâce au
puisement dans la réserve souveraine du pays qui ne cesse, telle une peau de
chagrin, de se contracter. D’ici 5 ans, le FMI prévoit le dépassement du PNB
algérien par le PNB marocain. Ce scénario irrite au plus haut point les
dirigeants algériens qui ont de tout temps présenté le Maroc comme un pays
indigent et sans ressources autre que la drogue et refusent d’ouvrir les
frontières terrestres pour empêcher que les algériens découvrent la réalité du
développement du Maroc et du niveau et de la qualité de vie de ses citoyens.
Rivaux ou
ennemis ?
Ces
réussites militaires, diplomatiques et économiques placent le Maroc parmi les
leaders émergents de l’Afrique et agacent une Algérie embourbée dans ses crises
internes et incapable d’assumer le déclin de son aura internationale. Dans ce
contexte, la décision de rompre unilatéralement les relations diplomatiques sur
la base de prétextes oiseux et invraisemblables procède d’une volonté affichée
de créer une crise avec le Maroc, traité ouvertement d’ennemi par le chef
grabataire et belliqueux de l’armée algérienne et véritable maître du pays.
Cette crispation
n’est pas, cependant, annonciatrice d’un conflit militaire ouvert. En même
temps, elle ne peut s’assimiler à une banale escarmouche diplomatique dont les
effets finiront par s’estomper à la faveur de quelque conciliabule. La voie de
l’escalade se trouve forcément aux mains du régime algérien qui peut agiter
l’épouvantail de l’ennemi extérieur responsable des malheurs actuels et à venir
de l’Algérie, de l’incendie des forêts aux tentatives de partition en passant
par l’alliance avec Israël pour déstabiliser la république, pour réaliser
l’union nationale et sauver sa peau. La voie de l’escalade est également un
scénario prisé par les vieux officiers de l’appareil militaire algérien qui
veulent en découdre avec le Royaume pour laver les humiliations qu’ils ont
subies dans la guerre des sables de 1963 et dans les batailles d’Amgala et de
Bir Inzarane. Ils ont déjà balisé le terrain en procédant à la délimitation « des
frontières » avec le Polisario dans un épisode ridicule puisque le tracé
concerne une région tampon sous surveillance de l’ONU qui ne reconnait pas le
rejeton d’Alger. Les stratèges algériens peuvent suggérer également un conflit
pour freiner le creusement d’un gap de pouvoir et de richesse trop important à
leurs yeux entre les deux pays et tomber ainsi dans le piège de Thucydide.
Auquel cas, le scénario de la guerre du Péloponnèse se répéterait à nouveau
avec son issue conforme à l’adage marocain : « celui qui creuse un
trou … va y tomber ».
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