L’auto-renforcement permanent, l’ethos de confiance collectif et le ré-enchâssement du marché dans le social comme fondements de l’émancipation des formations sociales
« Aristote avait
raison : l’homme n’est pas un être économique, mais un être social »
Karl Polanyi[1],
La mentalité de marché est obsolète ! In « Essais », 1947, p.509
« Il n’y
aura pas de sortie de la crise[2]
tant que ne seront pas renforcées les positions de tous les
« faibles » du système : les
peuples des périphéries, les classes sociales dominées dans tous les pays des
centres et des périphéries. Autrement dit sortir du « colonialisme
global » et des mythes libéralistes, refuser les repliements néofascistes
illusoires » Samir AMIN[3]
Introduction
Dès
sa constitution à partir des 15ème et 16èmesiècles, le
système capitaliste s’est construit sur l’expansion de l’échange qui a fini par
prendre le dessus sur les deux autres formes de socialisation qui fondent la
cohésion sociale au sein de la société humaine à savoir le don-réciprocité et
la redistribution.
Plus
les formations sociales capitalistes accélèrent leur processus de
transformation en sociétés de marché en faisant large place au fétichisme de la
marchandise qui s’étend au travail de l’homme (la force de travail), à la
nature et à la monnaie, plus leur éthos de confiance fondant leur cohésion
sociale s’amenuise. L’objectif de la pensée des intellectuels des Lumières en
Europe consistant à faire de l’utilité sociale, celle qui apporte le bonheur
maximum de l’individu tout en bénéficiant à l’intérêt collectif, s’en trouve
largement entamé[4].
La
libération progressive des formations sociales du dictat du marché passe
nécessairement, comme le soutient Karl Polanyi[5], par le ré-enchâssement de l’économique dans le
social. Ce ré-encastrement se traduit nécessairement par le primat de ce que
nous appelons « l’ethos collectif »[6] sur « l’ethos individualiste du
marché »[7] fondé sur les intérêts de l’univers élitiste.
Le
ré-encastrement de l’économique dans la société s’avère ainsi une condition
nécessaire pour l’émancipation sociale des formations sociales notamment celles
périphériques qui, pour s’affranchir de leurs pesanteurs handicapantes du mal
développement, devraient avoir comme priorité primordiale de construire un
« éthos de confiance compétitif » fondé sur « l’ethos
collectif » et non sur « l’ethos du marché ». Pour ce faire,
elles devraient engager un processus d’Auto renforcement permanent où la
primauté du social devient le vecteur de leur libération, c’est-à-dire de leur
sortie du colonialisme global imposé par l’impérialisme capitaliste et des
mythes libéralistes qu’entretiennent les élites locales en tant qu’alliées
compradores des bourgeoisies du centre. Ce ré-encastrement s’avère comme la
condition sine qua non en vue de faire face aux vrais enjeux de notre
époque, qui sont d’ordre social-écologique, « car l’écologie ne peut plus
être déconnectée des questions sociales, pas plus que le changement climatique
ou la pollution du bien-être personnel et collectif »[8]. La libération des
sociétés de l’emprise du fétichisme de la marchandise imposé par la domination
du marché est à elle seule de permettre de se libérer des
pathologies sociales que les concepts critiques utilisés par la philosophie
sociale tels que la réification[9], l’aliénation[10] et la souffrance[11] mettent en évidence.
Une première expérience de ré-encastrement du
marché dans le social, comme l’a analysé K. Polanyi dans son œuvre maîtresse précité,
réside dans la naissance de l’Etat-providence durant les trente glorieuses
(1945-1975) au sein des pays capitalistes développés, L’entrée de ces derniers
à partir des années quatre-vingt dans une nouvelle phase, celle du
néo-libéralisme peut se lire comme un grand bond en arrière de l’Etat social se
traduisant par le retour en force de la société de marché qui fait plonger ces sociétés
dans une grave crise.
En parallèle les expériences socio-démocrates des
pays nordiques leur ont permis de maintenir le ré-encastrement de l’économique
dans le social et par conséquent de renforcer leur ethos de confiance
collective sur la base de l’Etat-providence. De même, l’expérience de la Chine
populaire fondée sur le socialisme de marché à partir de l’accès de Deng Xiao
Ping au pouvoir lui a permis d’opérer sa grande transformation en devenant une
puissance économique, technologique et géopolitique incontournable tout en
renforçant son ethos de confiance collectif, le marché et le capital privé
acquièrent un statut nouveau, celui de servir l’intérêt collectif.
Ces deux formes de société seront prises comme
exemple pour montrer dans quelle mesure le ré-encastrement de l’économique dans
le social s’avère comme un moyen efficace de libération des formations sociales
des effets mutilants de la société de marché et des pathologies sociales
susmentionnées.
I.
L’ethos de confiance
compétitive individualiste versus l’ethos collectif comme fondement de
libération des formations sociales
Pour
Alain Peyrefitte, les miracles économiques des pays capitalistes développés
européens à partir du 15ème et du 16ème siècle sont le
produit de la formation en leur sein d’un « ethos de confiance
compétitive » qu’il définit comme « cette disposition de l’homme à
échapper au contrôle génétique propre à l’espèce, pour y substituer la
motivation autodéterminée d’un engagement personnel dans un projet propre à
transformer le milieu »[12]. La Hollande prend le devant de cette nouvelle
dynamique révolutionnaire et sera suivie puis surpassée par la Grande-Bretagne
avant que d’autres pays européens, l’Amérique du Nord et le Japon ne suivent le
parcours déclenché par la révolution industrielle bourgeoise. Pour Peyrefitte,
ces formations capitalistes industrialisées évoluent ensemble dans le cadre de
cet ensemble de valeurs qui constituent l’ethos de confiance concurrentielle.
La définition qu’il donne de cet ethos découle de la place centrale accordée
par cet auteur à l’explication culturelle[13] du développement rejoignant par là le courant de
pensée structuro-fonctionnaliste représentée entre autres par l’économiste et
sociologue américain Talcott Parsons. Cet éthos de confiance se manifeste par
« un ensemble cohérent de comportements et de mentalités (…) qui est
spécifique de la modernité »[14]. L’auteur rattache l’existence de cet ethos aux
sociétés capitalistes développées en soulignant que « les causes
morales du miracle économique » résident dans la « volonté
acharnée de sortir de la misère et de la défaite », l’« esprit
d’initiative », la « conviction que le rétablissement se jouera dans le
champ économique, le rôle du politique se bornant à une simple régulation »[15].
Cette
thèse nous parait fortement réductrice. D’une part, l’ethos de confiance ne
peut être rattaché au seul élément mental considéré par Peyrefitte comme
facteur primordial au vu du caractère complexe du phénomène social. D’autre
part, il ne peut être limité aux seules formations sociales capitalistes
développées. Enfin, il ne peut être considéré comme un acquis irréversible du
fait que les rapports sociaux et le développement économique évoluent dans un
contexte de tension sociale résultant des luttes des classes sociales en
présence. Ces luttes trouvent leur expression dans les mouvements sociaux dont
le degré d’intensité demeure largement tributaire des rapports de force entre
les classes sociales, de la conjoncture économique, politique et sociale, et,
de l’écosystème international[16]. Les
rapports conflictuels caractérisant la société capitaliste et la société de
marché au sens de Karl Polanyi font que la société évolue dans le cadre d’un
rapport contradictoire et dialectique où l’ethos de confiance compétitive au
service des classes possédantes est en permanence soumis à la pression des
contre-tendances de l’ethos collectif œuvrant dans le sens
d’une construction sociale où « le peuple demande à être un peuple »[17] comme dans l’ensemble des mouvements sociaux
jalonnant l’histoire des sociétés humaines à travers les âges et notamment dans
les sociétés contemporaines depuis les révolutions européennes en Angleterre et
en France au cours des 17ème et 18ème siècles en passant
par la commune de Paris de1848 et toute la vague des révoltes traversant les
divers pays au cours du 20ème siècle et enfin durant ce début du 21ème
siècle à compter du printemps arabe jusqu’aux mobilisations des « indignés » en Europe,
aux Etats-Unis et même dans un petit pays comme Israël.
I.1-
L’unité et la complexité du phénomène humain : pour le paradigme socio-écologique
et dialogique
Expliquer
l’ethos de confiance par les seuls facteurs culturels et mentaux, c’est faire
preuve d’une conception étriquée de la réalité et semble contredire le principe
fondateur de l’unité du phénomène humain souligné par Peyrefitte lui-même dans
son ouvrage précité[18].
Selon
ce principe unitaire, l’évolution des formations sociales est fonction d’une
pluralité de facteurs qui interagissent ensemble à travers l’espace–temps. Ces
facteurs sont à la fois d’ordre interne et externe. Si l’approche marxiste explique
le développement de l’histoire des sociétés à travers la dialectique entre les
forces productives et les rapports sociaux de production, il n’empêche qu’elle
accorde un rôle déterminant à la superstructure et dont les éléments mentaux et
culturels font partie. Dans ce sens, écrit Karl Marx, « le concret est
concret parce
qu'il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la
diversité »[19]. D’ailleurs,
lorsque Alain Peyrefitte, défenseur de la primauté du facteur culturel, affirme
sous une forme d’un questionnement que le « changement mental n’est-il pas
principal à la fois premier et décisif – acteur plus que facteur du
développement ? »[20], il semble se contredire encore une fois en
affirmant dans le passage de son ouvrage précité que le développement « se
jouera dans le champ économique ». Ce qui va dans le sens de la thèse
marxiste selon laquelle l’économique est déterminant en dernière instance. Dans
ce sens, écrit Karl Marx « dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des
rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de
production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs
forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production
constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle
s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent
des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie
matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en
général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c'est
inversement leur être social qui détermine leur conscience »[21]. On trouve les germes
de cette thèse chez Ibn Khaldoune qui écrit dans les Prolégomènes « Les
différences qu’on remarque dans les usages et les institutions des divers
peuples[22] dépendent de la
manière dont chacun d’eux pourvoit à sa subsistance ; les hommes ne se sont
réunis en société que pour s’aider à obtenir les moyens de vivre. Ils
commencent par chercher le simple nécessaire ; ensuite ils tâchent de
satisfaire à des besoins factices, puis ils aspirent à vivre dans
l’abondance »[23].
Outre l’unité du phénomène humain, les travaux de
l’économiste polyvalent Herbert Simon[24] ont montré la complexité du système social. Comme l’écrit André Demailly en
abordant le concept de complexité chez H. Simon « le modèle de
l’architecture de la complexité donne forme à une multitude d’indices aussi
épars que secrètement reliés… »[25]. La complexité telle
que définie par ce dernier[26] nous permet de nous
rendre compte de nos limites quant à la compréhension des phénomènes à la fois
naturels et sociaux. D’où les limitations du rationnel. « Les thèmes de la
rationalité limitée et de l’artificiel se présentent donc comme d’immenses «
pelotes » anamorphiques dont on ne saisit au départ que les fils les plus
saillants, comme l’heuristique de l’identification à l’organisation ou la
métaphore de la représentation théâtrale, en essayant d’en démêler ensuite tous
les entrelacs »[27].
On ne peut aborder la problématique de la
complexité sans évoquer l’apport du philosophe et sociologue français Edgar
Morin réputé comme un théoricien de la complexité dans l’appréhension des
phénomènes humains et naturels. Alors que les théoriciens
structuro-fonctionnalistes accordent la priorité au sous-système culturel
assurant aux individus une intégration sociale stable et cohérente[28], pour
Edgar Morin, le concept de système peut être intégré dans l’approche marxiste
« définissant la société comme un ensemble cohérent de rapports sociaux
organisés autour de l’exploitation d’une classe par une autre. On parlera alors
de « système capitaliste » pour insister sur l’interdépendance entre
l’infrastructure économique et la superstructure culturelle, juridique,
politique, religieuse, etc. »[29]. La société chez Edgar
Morin est conçue comme une organisation qui « lie de manière interrelationnelle
des éléments ou individus qui deviennent les composants d’un tout. Elle assure
solidarité et solidité relative à ces liaisons, donc assure au système une
certaine possibilité de durée en dépit de perturbations aléatoires »[30]. Par conséquent la
société humaine en tant qu’organisation relie, maintient, produit et transforme
le système politique, économique et social en place. Elle est à la fois une
auto-organisation (elle produit les éléments internes lui permettant de
perdurer), une éco-organisation (elle interagit avec l’environnement en y
puisant l’énergie et l’information qui lui sont nécessaires) et une
réorganisation (elle génère les conditions historiques de sa transformation).
Comme l’a bien démontré Karl Marx, cette
transformation s’opère à travers la dialectique entre les rapports sociaux
(terrain des sciences sociales) et les forces productives (terrain des sciences
physiques). Ce qui suppose le concours à la fois des sciences sociales et des
sciences physiques. A ce propos, Edgar Morin souligne la nécessité de ne pas
ignorer les sciences physiques (biologie, physique, etc.) dans l’explication du
réel. « Les sciences humaines
n’ont pas conscience des caractères physiques et biologiques des phénomènes
humains. Les sciences naturelles n’ont pas conscience de leur inscription dans
une culture, une société, une histoire. Les sciences n’ont pas conscience de
leur rôle dans la société. Les sciences n’ont pas conscience des principes
occultes qui commandent leurs élucidations. Les sciences n’ont pas conscience
qu’il leur manque une conscience.
Mais
de partout naît le besoin d’une science avec conscience. Il est temps de
prendre conscience de la complexité de toute réalité – physique, biologique,
humaine, sociale, politique – et de la réalité de la complexité. Il est temps
de prendre conscience qu’une science privée de réflexion et qu’une philosophie
purement spéculative sont insuffisantes. Conscience sans science et science
sans conscience sont mutilées et mutilantes »[31]. Et E. Morin de souligner « puisque la
science est désormais au cœur de la société, et, bien que fort distinguable
dans cette société, lui est inséparable, cela signifie que toutes les sciences,
y compris physiques et biologiques, sont sociales. Mais, il ne faut pas oublier
que tout ce qui est anthroposocial a une origine, un enracinement et un
composant biophysique »[32]. A ce propos, les sciences physiques
contemporaines démontrent que la nature exerce un impact très important sur
l’homme et l’ensemble des vivants comme les animaux et les plantes. Ainsi en
va-t-il, à titre d’exemple, des effets de la lune, qui est une sphère détachée
de la terre depuis 4,5 milliards d’années, à travers ses différentes phases
(pleine lune ou lune croissante) sur la fertilité des vivants y compris les
êtres humains, leur humeur, leur psychologie, leur inspiration, leurs
naissances, leur chronobiologie (les rythmes endogènes des corps telle
l’efficacité du sommeil chez l’homme par exemple ou l’influence de la phase
lunaire sur l’agriculture) et en général sur leur comportement, etc.[33].
Outre le fait que la complexité suppose
l’interaction, la rétroaction, la récursivité, elle a aussi une dimension
dialogique dans la mesure où elle comporte des logiques antagonistes,
concurrentes mais complémentaires. Ainsi la société peut paraitre stable sans
être à l’abri de changements, elle peut être autonome tout en étant dépendante.
« Un système ouvert est un système qui peut nourrir son autonomie, mais à
travers la dépendance à l’égard du milieu extérieur »[34].
Nous précisons que c’est dans ce sens dialogique
que devrait se comprendre la thèse de la dialectique de la dépendance soutenue
par André Tiano[35] en tant que stratégie
d’indépendance des pays en mal de développement. Cela implique de dédramatiser
les rapports conflictuels de la dépendance, de les penser dans leur dialectique
et apprendre à y faire face, de savoir intégrer dans sa stratégie de
développement par et avec de tels rapports et non contre. Nous y rajoutons la
nécessité de concevoir le développement et donc tout projet dans le cadre de la
durabilité. L’écologique devrait être la dimension déterminante dans tout
projet de transformation d’une formation sociale en mal de développement.
Telles sont les caractéristiques du paradigme écologique et dialogique nous
permettant de pénétrer les logiques de la société de marché, du mal
développement et de nous donner les moyens de libérer nos sociétés du moins en
partie des formes d’aliénation mutilantes à travers une « approche
écologique de l’action » engagée par la volonté collective des hommes
créateurs[36]. Nous pensons que la Chine a adopté une telle
approche qui lui a permis de s’auto-renforcer dans une première phase au cours
du 19ème siècle[37] avant d’emprunter le
sentier d’une croissance autoentretenue et d’un développement autocentré qui
fait d’elle aujourd’hui une grande puissance économique, technologique et
géopolitique incontournable. D’autres pays ont suivi la même voie auparavant à
l’instar du Japon et de la Corée du Sud, etc. Nous soutenons que la dialectique
de la dépendance et de l’indépendance est complémentaire de la théorie de la
déconnexion développée par Samir Amin qui exige la rupture avec la règle de la
rentabilité[38].
Cette unité du phénomène humain montre à quel
point, le développement des sociétés ne peut se réaliser qu’à travers la
dialectique entre les forces productives et les rapports sociaux, lesquels ne
peuvent évoluer que dans un cadre d’interaction permanente avec l’environnement
biologique et social. Cette évolution est une dynamique traversée par des
fluctuations de longues et de courtes ondes et où se succèdent des périodes de
paix sociale et de turbulences en fonction des rapports des classes sociales et
de la conjoncture politique, économique et sociale. Ces fluctuations se
reflètent dans le degré d’importance de l’ethos de confiance et dans sa nature
sociale même. Ce qui nous amène à examiner l’ethos de confiance et de ses
turbulences dans les divers types de formations sociales en commençant par
celles antérieures au système capitaliste en prenant pour exemple les empires
arabes et berbères brillamment analysés par Ibn Khaldoune.
I.2- L’éthos de
confiance n’est pas propre aux sociétés capitalistes développées
L’analyse
khaldounienne à travers son oeuvre maîtresse
« Les prolégomènes »[39] fait ressortir que l’ethos de confiance n’est pas
propre aux seules sociétés capitalistes développées. Les sociétés antérieures
tels les empires arabes ou berbères à titre d’exemple ont pu renfermer des
éthos de confiance compétitive. Dans ce sens, nous soutenons que le niveau
d’émancipation atteint par l’empire abbasside d’orient et l’empire d’origine
omeyyade en Andalousie qui sera par la suite rattaché aux dynasties berbères
maghrébines avant de péricliter n’aurait pas été possible sans qu’il repose sur
un système de valeurs fondées sur l’ethos de confiance.
Ibn
Khaldoune, cette grande figure de la pensée de l’histoire universelle,
fondateur de la sociologie, fait remarquer au sujet des sociétés de
civilisation arabe et berbère que si « l’autorité se distingue
par la douceur et la justice, si elle ne fait pas trop sentir sa force et sa
puissance coercitive, ceux qui la subissent montrent un esprit d’indépendance
qui se règle d’après le degré de leur courage. Se
croyant libres de tout contrôle, ils montrent une présomption qui est devenue
pour eux une seconde nature, et ils ne connaissent pas autre chose. Si, au
contraire, l’autorité s’appuie sur la force et la violence, les sujets perdent
leur énergie et leur esprit de résistance, car l’oppression engourdit les âmes,
ainsi que cela sera démontré plus loin (…) Un peuple élevé dès sa
jeunesse dans la crainte et la soumission ne se targue pas de son
indépendance »[40].
Ibn Khaldoune utilise le concept arabe d’EL
ASSABIYA pour désigner l’esprit du corps qui cimente la société. Selon
lui, cet « esprit de corps aboutit à l’acquisition de la
souveraineté »[41]. En effet,
explique-t-il « chaque société d’hommes, avons-nous dit, a besoin d’un
chef pour y maintenir l’ordre et pour empêcher les uns d’attaquer les autres.
La nécessité d’un tel modérateur résulte de la nature même de l’espèce humaine.
Ce chef doit avoir un fort parti qui le soutienne, autrement il n’aurait pas la
force de maîtriser les esprits. La domination qu’il exerce, c’est la
souveraineté, autorité bien supérieure à celle d’un chef de tribu, puisque
celui-ci ne possède qu’une puissance morale : il peut entraîner les siens,
mais il n’a pas le pouvoir de les contraindre à exécuter ses ordres. Le
souverain domine sur ses sujets et les oblige à respecter ses volontés par la
force dont il dispose. Si le chef d’un peuple réussit à se faire obéir quand il
donne des ordres, il entre dans la voie de la domination et de l’emploi de la contrainte,
voie qu’il ne quitte plus, tant le pouvoir a d’attraits pour les âmes. Afin
d’arriver à son but, il s’appuie sur le même corps de dépendants à l’aide
duquel il s’était assuré l’obéissance de son peuple. La souveraineté est donc
le terme auquel aboutit l’esprit de corps »[42]. Et Ibn Khaldoune de
préciser qu’outre l’esprit de corps, le souverain a besoin de posséder de
belles qualités car « les belles qualités qui
existent dans l’homme ont un grand rapport à la faculté de gouverner et
d’administrer, car il y a une relation intime entre le bien et le droit de
commander »[43]. Dans ce
sens, ajoute Ibn Khaldoune un peu plus loin « il résulte que,
si un homme a pour soutien un parti très puissant, les nobles qualités dont il
donnera des preuves témoigneront de son aptitude à fonder un empire »[44]. Ces
qualités consistent dans le fait que le chef soit généreux, indulgent pour les
fautes d’autrui, soutenant les faibles, soulageant les opprimés, subvenant aux
besoins des pauvres, pleins d’égards et de considération pour les savants (uléma),
pleins de modestie en la présence des vieillards, s’abstenant de la fraude, des
ruses, des perfidies et des actes de mauvaise foi. Le chef de l’Etat dispose
d’autres qualités telle son aptitude de commander à son peuple du fait de son
patriotisme et l’étendue de ses ambitions[45]. A défaut de ces qualités, et dès que la
dynastie régnante verse dans les actions blâmables, elle « perd toutes les vertus
qui l’avaient rendue digne du commandement, elle tombe en décadence et finit
par perdre l’empire »[46]. La souveraineté s’use
dans le luxe, et c’est le luxe qui la renverse. Nous aurons plus tard
l’occasion de fournir la démonstration de ce principe. Une dynastie succombe et
laisse sa place à une autre famille qui lui tient par les liens du sang et par
le même esprit de corps, une famille qui, au moyen de ce sentiment patriotique,
a déjà établi son ascendant et imposé à tous les autres partis la soumission et
l’obéissance. (Lors de la chute d’une dynastie) son esprit de corps reparaît
dans la race qui s’en rapproche le plus par les liens du sang, plus cette
parenté est intime, plus l’esprit de corps est fort, et vice versa »[47].
Toutefois souligne Ibn Khaldoune, « Un peuple
vaincu et soumis dépérit rapidement. Lorsqu’un peuple s’est laissé dépouiller
de son indépendance, il passe dans un état d’abattement qui le rend le
serviteur du vainqueur, l’instrument de ses volontés, l’esclave qu’il doit
nourrir. Alors il perd graduellement l’espoir d’une meilleure fortune. Or
la propagation de l’espèce et l’accroissement de la population dépendent de la
force et de l’activité que l’espérance communique à toutes les facultés du
corps. Quand les âmes s’engourdissent dans l’asservissement, et perdent
l’espérance et jusqu’aux motifs d’espérer, l’esprit national s’éteint sous la
domination de l’étranger, la civilisation recule, l’activité qui porte aux
travaux lucratifs cesse tout à fait, le peuple, brisé par l’oppression, n’a plus
la force de se défendre et devient l’esclave de chaque conquérant, la proie de
chaque ambitieux »[48].
Cet esprit de cohésion sociale est au
cœur de la problématique centrale qu’il aborde à savoir celle relative au
processus de la création de la richesse devançant par-là l’écossais Adam Smith
qui se penche sur la même question quatre siècles plus tard avec son œuvre
maîtresse « Recherches sur les causes de la richesse des nations »
publiée en 1776.
Dans ce sens, Ibn Khaldoune explique que
« Sous une administration juste et bienfaisante, les cœurs s’ouvrent à
l’espérance et l’on se livre avec ardeur à toutes les occupations qui profitent
à la société. La population, déjà nombreuse, prend un grand accroissement, mais
comme cela se fait graduellement, on ne s’en aperçoit qu’après une ou deux
générations »[49].
Ibn Khaldoune fait une analyse économique
typiquement moderne de la division du travail au sein de la société et de la
création de la richesse en ces termes : « les bénéfices (du travail)
sont la valeur du produit du travail. Plus les produits sont abondants, plus
leur valeur (totale) est grande : donc ceux qui obtiennent beaucoup de
produits recueillent nécessairement de gros
bénéfices. Dès lors le bien-être et la possession des richesses portent ces hommes
à rechercher le luxe et à satisfaire aux besoins qu’il impose, ils s’appliquent
à embellir leurs habitations, à s’habiller avec élégance, à rechercher de la
riche vaisselle et les meilleurs ustensiles domestiques, à se procurer des
esclaves et à acheter de belles montures. Mais toutes ces choses sont les
produits de divers arts, produits qui n’auraient pas existé sans la valeur
qu’on y attache. Aussi recherche-t-on avec empressement les artisans habiles.
Il en résulte que les arts sont très encouragés et leurs produits très
recherchés, les revenus et les dépenses (des habitants) de la ville augmentent
de beaucoup, et les artisans s’enrichissent par leur travail. Si la population
reçoit un nouvel accroissement, les produits du travail augmentent aussi, et le
progrès du luxe continue avec celui de la fortune publique.
Comme les habitudes du luxe ne cessent d’augmenter,
et que ses exigences deviennent de plus en plus nombreuses, on invente, pour y
satisfaire, de nouveaux arts, dont les produits ont une grande valeur. Cela
augmente de plusieurs fois les bénéfices obtenus par les habitants de la ville,
et fait que les produits des arts qu’ils cultivent sont encore plus recherchés
qu’auparavant. La même chose se reproduit à chaque nouvel accroissement de la population,
par la raison que les arts nouvellement introduits servent uniquement à
satisfaire aux exigences du luxe et de la richesse, à la différence des arts
primitifs, qui s’exerçaient dans le but d’obtenir les denrées qui font vivre.
(…) La ville qui en surpasse une autre d’un seul
degré, en ce qui regarde le nombre de sa population, la surpasse encore en
plusieurs points : on y gagne davantage, l’aisance et les habitudes de luxe y
sont plus répandues (…) »[50].
L’impôt joue dans ces empires un rôle pivot dans la
création de la richesse, ce qui a poussé certains penseurs comme l’économiste
Samir Amin à les qualifier de sociétés à dominante tributaire[51]. A ce propos précise
Ibn Khaldoune « En effet, le souverain recueille l’argent des
contribuables et le distribue à ses intimes et aux grands officiers de l’empire
qui, du reste, doivent leur haute considération bien moins à leurs richesses
qu’au prestige de leurs dignités. L’argent des contribuables passe entre les
mains des fonctionnaires du gouvernement, et ceux-ci le donnent à des habitants
de la ville qui ont des relations avec eux, et qui forment, en réalité, la
majeure partie de la population. Il en résulte que les habitants acquièrent de
grandes richesses et parviennent à l’opulence, ce qui accroît les usages du
luxe, multiplie les formes sous lesquelles il se produit, et établit chez eux,
sur une base solide, la pratique des arts dans toutes leurs branches »[52].
Tout au contraire, durant la phase de déclin de
l’Etat, « le gouvernement est mauvais et opprime les sujets, (et que, par
conséquent, la population doit diminuer). (…).
Il est vrai que le peuple souffre à cette époque et que les impôts ne
rapportent pas beaucoup, mais les mauvais effets qui résultent de cet état de
choses ne deviennent sensibles qu’au bout d’un certain temps, ce qui tient au
fait que, dans toutes les choses du monde, les changements se font
graduellement.
Les famines et les grandes mortalités sont
fréquentes quand l’empire est dans la dernière période de son existence. A cette
époque, les famines ont presque toujours pour cause la suspension des travaux
agricoles. Le peuple ne veut plus cultiver la terre parce que le gouvernement
lui arrache son argent, l’accable d’impôts et le force à payer des droits de
vente illégaux. Les troubles causés par l’appauvrissement des sujets et par les
nombreuses révoltes auxquelles la faiblesse de l’empire donne lieu contribuent
aussi au découragement général. Cela amène ordinairement une grande réduction
dans la quantité des grains que l’on met en magasin. D’ailleurs la culture de
la terre ne prospère pas toujours et ne fournit pas régulièrement des produits
abondants. L’atmosphère, étant naturellement sujette à de grandes variations,
peut donner beaucoup de pluie ou très peu, et cela influe directement sur la
quantité de grains, de fruits et de bétail. Le peuple s’imagine qu’il y aura
toujours assez de blé dans les magasins pour le nourrir, et, si ces dépôts
viennent à lui faire défaut, il s’attend à la famine. Alors le prix des
céréales augmente, et les pauvres, n’ayant pas le moyen d’en acheter, meurent
de faim. Il arrive aussi qu’en certaines années on n’a pas emmagasiné du blé,
et cela amène une famine générale.
Quant aux grandes mortalités, elles ont pour
causes, 1° la famine ; 2° la fréquence des révoltes qui ont lieu pendant la
désorganisation de l’empire, alors que des troubles éclatent à chaque moment et
coûtent la vie à beaucoup de monde ; 3° l’invasion des épidémies. Ces maladies
ont ordinairement pour cause l’altération de l’atmosphère par des principes de
corruption et par des vapeurs malignes provenant d’une population surabondante.
Or, puisque l’air est la nourriture des esprits vitaux et qu’il est toujours en
contact avec eux, s’il se gâte, le mal se transmet à la constitution. Si
l’altération est très forte, elle produit une maladie de poumons qui est, en
réalité, la peste, fléau dont les influences délétères agissent spécialement
sur ces organes. Si l’altération n’est pas assez grave pour que la corruption
prenne un grand développement, cela amène au moins beaucoup de fièvres et de
maladies qui causent la mort en attaquant la constitution et le corps. La cause
de cette corruption excessive et de ces vapeurs pernicieuses, c’est l’excès de
la population dans les derniers temps de l’empire, excès qui provient de la
douceur et des vertus du gouvernement dans la première période de son
existence, et du soin qu’il mettait à protéger ses sujets et à ne pas les
surcharger d’impôts. Cela est manifeste. Voilà pourquoi, dans les traités de
philosophie, on trouve énoncé, en son lieu et place, que les contrées habitées
doivent être coupées par des régions abandonnées et par des déserts, afin que
l’ondulation de l’atmosphère s’opère plus facilement ; car ce mouvement amène
de l’air pur et enlève au mauvais air les principes de corruption qu’il avait
absorbés pendant son contact avec les êtres animés. C’est par la raison déjà
indiquée que la mortalité est toujours plus forte dans les villes qui, comme le
Caire, en Orient, et Fez, en Occident, possèdent une nombreuse population »[53].
Nous voyons bien avec quelle brillance Ibn
Khaldoune réussit à dégager le lien étroit entre la nature du pouvoir dans ses
divers états (ascension et décadence), la situation économique (prospérité et
crise) et le degré atteint par l’ethos de confiance régnant au sein d’une
formation sociale (fort esprit du corps en période d’ascension puis effritement
de l’esprit du corps durant la décadence). Ce lien peut être ainsi érigé en une
loi sociale s’étendant à toutes les sociétés qu’elles soient précapitalistes,
capitalistes ou de type socialiste ou socio-démocrate comme nous allons le voir
dans la suite de cet ouvrage.
L’évolution des formations sociales capitalistes
développées corrobore la solidité de cette loi sociale. Elle se caractérise par
une succession de forte cohésion sociale et de son délitement selon le type de
rapport établi entre l’économique et le social. Nous allons le voir à travers
la démonstration qui en est faite par Karl Polanyi[54].
En empruntant le modèle socio-démocrate fondé sur
le compromis constructif entre le socialisme et le capitalisme, les pays
scandinaves ont mieux réussi à consolider l’ethos de confiance en leur sein
comme il ressort à travers l’exemple typique de la Suède érigé en modèle depuis
les années trente du 20ème siècle[55]. Les mots clés qui font de ce pays un modèle de
référence que certains qualifient de troisième voie furent successivement la
place privilégiée qu’il réserve à la coopération entre les membres de la société
suédoise et la confiance dans les relations sociales[56].
Un autre exemple typique est celui de la Chine
populaire qui depuis les années quatre-vingt du 20ème siècle a
adopté le socialisme du marché. Mais avant d’arriver à ce stade, la Chine est
passée par une stratégie d’Auto-renforcement (Ziqiang) systématique entre 1860
et 1879 pour sortir de son état de dépendance et du choc subi suite aux guerres
d’opium imposées par la Grande-Bretagne. Comme nous le verrons, cette politique
d’auto-renforcement sera consolidée par les stratégies ultérieures adoptées par
la Chine populaire ayant toutes pour objectif ultime l’indépendance économique
et la modernisation de la société chinoise au point que l’on peut parler dans
le cas de la Chine d’un auto renforcement permanent qui se poursuit jusqu’à nos
jours.
II-
La crise de la société de marché et la grande transformation qu’elle engendre
selon l’approche de Karl Polanyi : le processus de ré-enchâssement de l’économique
dans le social
Dans son ouvrage « La grande
transformation » puis dans ses écrits rassemblés dans son ouvrage intitulé
« Essais »[57], Polanyi défend la
thèse selon laquelle le marché, loin d’être une entité naturelle et
atemporelle, est une construction historique datant du XIXe siècle. Avant le
parachèvement de l’éclosion du système capitaliste et dans les sociétés
précapitalistes, le marché avait une place plus ou moins isolée par rapport aux
autres formes de socialisation et d’échange à savoir le don- réciprocité et la redistribution.
Le marché était donc encastré dans la société. La notion de « dés-encastrement
» utilisée par Polanyi permet de comprendre comment dans le cadre du système
capitaliste, le marché s’est constitué en institution autonome, détachée de
l’emprise du social et du politique. C’est à la lumière de la crise de la
société de marché qu’il interprète la montée du fascisme durant
l’entre-deux-guerres et qu’il théorise un socialisme démocratique et
décentralisé comme issue à cette crise.
« La Grande Transformation » jette la
lumière sur les causes politiques et économiques de la crise de la
civilisation capitaliste du 19e siècle et donc de l’utopie du
marché et explique comment s’est produite la grande transformation de la
société occidentale durant les trente glorieuses en une société ayant réussi à
ré-enchâsser l’économique dans le social à travers l’Etat-providence et de
nouveaux rapports sociaux fondés sur plus de cohésion sociale. Karl Polanyi n’a
pas eu l’occasion de voir comment l’ère néolibérale allait saper les fondements
de cette grande transformation dans la majeure partie des pays capitalistes
développés à l’exception des pays scandinaves comme nous allons le voir.
II.1- La crise de la société de marché
L’histoire de la civilisation occidentale du 19e siècle
reposait, selon Polanyi, sur quatre institutions à savoir l’équilibre des
puissances donnant lieu à cent années de paix de 1815 à 1914, le système
monétaire international de l’étalon-or, le marché autorégulateur et l’Etat.
Tout en soulignant le caractère décisif de
l’étalon-or dont la chute fut la cause immédiate de la catastrophe, il soutient
que c’est le marché autorégulateur qui était la source et la matrice du système
économique et social de 1830 à 1930.
La thèse de Polanyi est que l’idée d’un marché
s’ajustant lui-même était purement utopique. Selon lui, une telle institution
«ne pouvait exister de façon suivie sans anéantir la substance humaine et
naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu
en désert »[58]. Cet anéantissement
trouve son expression dans la marchandisation du travail, de la terre et de la
monnaie. C’est le fétichisme de la marchandise généralisé.
En effet, l’économie de marché qui a transformé la
société toute entière en une société de marché a eu pour conséquence la
désagrégation des liens sociaux au nom d’une construction idéologique, celle du
« marché » abstrait et autorégulateur, engendrant les crises sociales et les
cataclysmes durant la première moitié du 20e siècle avec les deux
guerres mondiales traduisant les rivalités impérialistes, la grande dépression
économique de 1929-1939 suite à laquelle les pays capitalistes les plus
concernés seront frappés par d’importants bouleversements politiques et sociaux
qui déboucheront sur la montée du fascisme en Allemagne, en Autriche, en Italie
et en Espagne avec l’appui du Japon, l’éclatement des deux guerres mondiales,
la guerre froide entre les deux blocs socialiste et capitaliste.
Entre 1879 et 1929, affirme Polanyi,
« l’autorégulation était compromise du fait de la montée du
protectionnisme »[59]. Par ailleurs, tant
que les marchés du travail, de la terre et de la monnaie pouvaient fonctionner
librement, « ni l’homme, ni la nature, ni l’organisation des affaires n’ont
eu besoin du type de protection que seule peut fournir une intervention
gouvernementale.
Dès que ces conditions disparurent, la protection
sociale s’installa (…) Les Etats-Unis rattrapèrent un siècle de
développement de l’Europe : la protection du sol et de ceux qui le
cultivent, la sécurité sociale pour la main d’œuvre grâce au syndicalisme et à
la législation, et le système de Banque Centrale, tout cela fait son apparition
et à grande échelle »[60]. Le degré d’intensité
politique dépendait du type d’organisation de la sphère politique et du niveau
de la misère. « La pression interventionniste était naturellement moindre
qu’elle ne le devint quand un marasme prolongé eut transformé l’industrie en
champ d’épaves, d’outils inutilisés et d’efforts frustrés »[61]. Au niveau
international, cet interventionnisme pouvait prendre la forme d’une attaque
militaire. Ainsi, dans le cas où un pays s’avérait incapable de payer ses
dettes étrangères, « le mécanisme du marché mondial » ne pouvant pas
courir le risque d’une répudiation d’une dette usuraire qui serait préférable à
une dépréciation de la monnaie nationale, « on envoyait plutôt des
canonnières sur les lieux, et le gouvernement, en faillite frauduleuse ou non,
était placé devant l’alternative d’être bombardé ou de régler ses dettes »
surtout « si la région en question se trouvait riche en matières premières nécessaires aux
manufactures européennes »[62].
Le système en place a réagi à cette grave crise par
le réformisme du XXe siècle ayant pour objectif de « « ré-enchâsser » le
marché dans la société, de réaffirmer la supériorité du social sur l’économique
sans pour autant nationaliser l’ensemble des moyens de production ni étouffer
la liberté d’entreprendre »[63]. Ce fut l’œuvre de la
Grande transformation se traduisant par la naissance de l’Etat-providence dont
le keynésianisme en fut le substrat théorique.
II.2-La
Grande transformation : le processus de ré-enchâssement de l’économique
dans le social et le triomphe du keynésianisme
A
grands traits, cet objectif fut atteint pendant les trente glorieuses dans les
pays capitalistes développés avec l’apparition de l’Etat-Providence
(1945-1975). Durant cette période, l’économie capitaliste a connu un
rétablissement et un essor sans précédent.
L’expression
« Les trente glorieuses » est reprise du titre d’un livre de l’économiste français Jean Fourastié
analysant l’expansion économique qu’a connu la France, comme les autres
grands pays industriels, du lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au
choc pétrolier de 1973. Cette expansion qui a duré pendant près de trois
décennies s’est faite sans les à-coups des habituels cycles économiques. De
1950 à 1973, la croissance annuelle des pays de l’Europe
occidentale a été en moyenne de 4,1% comme il apparait dans le tableau
suivant :
Taux de croissance
annuel moyen du PIB par habitant (en %)
|
1820- 1870 |
1870-1913 |
1913-1950 |
1950-1973 |
1973- 1998 |
Europe Occidentale |
0.9 |
1.3 |
0.8 |
4.1 |
1.8 |
Monde |
0.5 |
1.3 |
0.9 |
2.9 |
1.3 |
D’après les données d’Angus MADDISON, in L’Économie
mondiale, cité par Daniel COHEN dans son introduction aux Trente
Glorieuses de Jean Fourastié, p. II (voir « Ressources »).
Avec
l’aide américaine du plan Marshall, l’Europe occidentale, sortie très affaiblie
de la guerre, retrouve, en seulement cinq ans, son niveau de vie
d’avant-guerre. L’exode rural est important, les villes s’étendent et la consommation se
développe. Le rattrapage technologique vis-à-vis des États-Unis change les
habitudes de vie. Les européens s’enrichissent, le chômage tombe en Europe à 2,4% de la population active. Comme le souligne Fourastié dans son
livre précité, on assiste durant cette période à l’allongement de l’espérance
de vie, à l’accélération du processus d’industrialisation, à la réduction du
temps de travail, au progrès du niveau de vie grâce à l’amélioration du pouvoir
d’achat, à l’augmentation des dépenses de santé et de l’encadrement médical, à
des changements de la condition féminine, à l’accroissement de la
scolarisation, aux progrès des dépenses de loisirs, à des mutations dans
l’habitat, à la croissance urbaine, à l’expansion des villes consommant
énormément d’espace.
Aujourd’hui,
c’est la Chine qui vit sa période glorieuse au plan socio-économique et
technologique sur la base d’un ethos collectif où le social et le politique
priment sur le marché et qui diverge de l’ethos individualiste de la société de
marché. Ce point sera abordé dans le
cadre du processus d’auto renforcement de la formation sociale chinoise.
II.3-
La période éphémère de la grande transformation ou le grand bond en arrière de
l’Etat-Providence et l’effritement de l’ethos de confiance en Occident à
l’exception des pays nordiques socio-démocrates
Après ce bref intervalle ouvert par l’expansion
économique des trente glorieuses, le monde capitaliste entre dans une période
marquée par une série de crises depuis le début des années 70 et dont les
dernières sont celles qui se sont succédées depuis 2007. Les mutations de
l’empire américaine et de ses provinces capitalistes européennes en Europe à
partir des années 70 et la chute du bloc soviétique sous la pression des
retombées du régime bureaucratique stalinien vont favoriser le triomphe d’une
mondialisation néo-libérale sous la coupe de l’idéologie de l’école de Chicago
et de la superpuissance étatsunienne. Cette idéologie s’est travestie en projet
scientifique qui lui permet de justifier l’appropriation de la valeur
actionnariale en faveur du capital qui se fait au détriment du travail intensifiant
la guerre sociale et la lutte des classes. Seuls les pays scandinaves faisant
large place à la sociale démocratie se sont montrés plus résilients face aux
crises néolibérales via le maintien en leur sein de l’Etat-providence et la
coopération tripartite entre le travail représenté par les syndicats, le
capital per le biais des entreprises et l’Etat à travers ses instances
centrales et locales.
II.3.1- La crise de l’Etat-providence comme
conséquence des crises généralisées post-fordiennes et de la grande
transformation de l’empire américain
L’expansion
des trente glorieuses « avait donné une puissante impulsion à un nouvel essor des
forces productives, à une nouvelle révolution technologique »[64]. Il en a résulté une
plus forte concentration des capitaux accélérant la mondialisation du capital
et de la production. Les firmes multinationales renforcent leur présence à
l’échelle planétaire produisant la plus-value simultanément dans plusieurs pays
étendant leurs sphères d’activités à tous les secteurs de production et de
services y compris les finances. Cette mondialisation « contrecarre de plus en
plus les tentatives des Etats impérialistes ≪ nationaux ≫ d’appliquer avec
succès une politique anticyclique dont la portée reste limitée, pour
l’essentiel, aux frontières nationales »[65].
En parallèle, on assiste à la mise en place d’un
système financier qui « s’est imposé parce qu’il était une partie de la
réponse aux contraintes géopolitiques auxquelles vont se trouver confrontés les
États-Unis au début des années 1970 et parce qu’il répondait aux intérêts du
petit groupe social qu’on appellera par facilité, avec l’historien et essayiste
étasunien Christopher Lasch, les « élites » des pays développés »[66]. Ce nouveau système financier
« est le produit d’une mutation globale : des cadres mentaux, des
principes et des règles présidant jusque-là au gouvernement et au
fonctionnement de l’Empire américain - terme plus exact que celui, généralement
utilisé, de monde occidental -, aux relations entre ses composantes »[67].
II.3.1.1- Le nouveau système financier instituant
le roi dollar
La première mutation est celle du renoncement
unilatéral par les Etats-Unis le 15 août 1971 à la convertibilité du dollar
mettant fin aux accords de Bretton Woods. Ce qui met fin au système de
change-or qui fut remplacé par un système monétaire mondial flottant instituant
le flottement des monnaies.
II.3.1.2- Les crises du dernier quart du XXème
siècle
En vue de freiner les crises de surproduction et de
contrôler le cycle économique depuis 1945, les Etats capitalistes développés
recourent à la politique d'expansion et de contraction successives du crédit.
D’où « l’apparition de cycles de crédit partiellement autonomes par
rapport au cycle industriel » pour compenser celui-ci. Chaque gouvernement
impérialiste a pu appliquer sa politique de crédit en fonction des fluctuations
du marché mondial à travers les fluctuations des balances de paiement
nationales[68].
Mais les techniques anti-crises étaient foncièrement
inflationnistes. A la longue, l’application répétée d’une politique d’expansion
monétaire tous les cinq ou six ans devait aboutir à une accélération
universelle de l’inflation. A partir du moment où l’inflation s’accélère dans tous
les pays impérialistes et aboutit à l’écroulement du système monétaire
international, symbolisé par la proclamation étatsunienne de l’inconvertibilité
du dollar par rapport à l’or en 1971, tous les gouvernements
impérialistes ont été obligés d’appliquer simultanément une politique
anti-inflationniste, ne fut-ce que sous la pression de la concurrence. De là
une nouvelle impulsion à la synchronisation internationale du cycle industriel.
Finalement, dans la mesure même où la longue phase
d'expansion d’après-guerre touchait à sa fin, où les principaux moteurs de
l’expansion commencèrent à s’épuiser, où la croissance de la production à long
terme devait se ralentir, les contradictions de l’économie capitaliste
s’affirmèrent plus graves, à la fois au sein de chaque pays impérialiste et
entre eux, ainsi qu’entre eux et les pays semi-coloniaux ou dépendants. Les
phases de ≪ boom ≫ étaient condamnées à devenir plus courtes (celle de 1972-1973 fut dans
une large mesure spéculative), cependant que les phases de stagnation, voire de
récession, s’allongèrent. Cela facilite évidemment la synchronisation
internationale du cycle. Des récessions qui ne durent que six mois se
chevaucheront moins facilement dans de nombreux pays que des récessions qui
durent deux ans.
La récession généralisée exprime donc de manière
synthétique le retournement de 1’ ≪ onde longue expansive
» (qui commença aux Etats-Unis en 1940, en Europe occidentale et au Japon en
1948, et dura jusqu’à la fin des années 60). Ernest Mandel avait prédit ce
retournement dès 1964 dans son livre « Le Troisième Age du capitalisme »
en soulignant que la nouvelle ≪ onde longue ≫ se caractérise par un taux de croissance moyen à long terme sans doute
inférieur de moitié à celui des années 50 et 60.
Ces crises des dernières décennies du XXe seront
suivies par d’autres crises au siècle suivant.
II.3.1.2- La Grande crise du XXIème siècle
A partir de 2007, éclate la grande crise qui, comme
le souligne P.Y. COLLOMBAT, « n'est ni le produit du hasard ni seulement
de fautes techniques qui auraient pu être évitées, mais celui des mutations
géopolitiques, idéologiques, politiques, sociales, institutionnelles de
l'Empire américain qui ont suivi l'abandon des accords de Bretton Woods. (…).
Ces mutations concernant directement le cœur de l'Empire, les États-Unis,
et leurs provinces européennes, indirectement la planète entière ».[69]
L’originalité de cette grande crise se trouve dans
la dominance de la sphère financière par rapport à la sphère réelle de
l’économie. C’est ce qui explique la nouvelle mécanique des crises d’origine
financière. « Autrement dit, si les banques ne peuvent plus faire face aux
demandes de remboursement de leur passif (dépôts et dettes), soit parce
qu’elles manquent de fonds propres, soit parce qu’elles ne peuvent mobiliser
(vendre) leurs actifs à temps ou à un prix suffisant, la défiance s’installe
sur leur fiabilité et le circuit interbancaire se bloque (…).
Une crise est d’abord une crise de liquidité :
l’impossibilité temporaire de transformer une partie suffisante des actifs en
monnaie banque centrale. La fourniture de cette liquidité par la banque
centrale en contrepartie de ces créances permet généralement de restaurer la
confiance et de remettre en marche la « pompe à phynance » pour parler comme le
père Ubu[70]. Quand cette
impossibilité temporaire de faire face à ses engagements devient permanente, du
fait notamment de la mauvaise qualité des actifs, la crise de liquidité devient
crise de solvabilité. Si la ou les banques ne sont pas recapitalisées (rachat
par une autre banque ou nationalisation), elles font faillite (résolution).
C’est ce qui s’est passé en 2008 »[71].
II.3.1.3- L’effritement de l’ethos de confiance en Occident
et l’éclatement d’une guerre sociale-guerre des classes
Les crises économiques déclenchées à partir du
début des années 70 donnent lieu à une crise sociale de l’ensemble de la
société bourgeoise. C’est une crise des rapports de production capitalistes et
de tous les rapports sociaux bourgeois, qui s’imbrique avec le ralentissement
durable de la croissance économique capitaliste, accentue et aggrave les effets
des fluctuations conjoncturelles de l’économie[72].
Les manifestations de cette crise sociale
s’expriment à travers le processus révolutionnaire portugais de 1974-1975,
l’intensification des luttes ouvrières en Grande-Bretagne, en Espagne et dans
d’autres pays occidentaux.
Confronté
aux hausses du chômage et de l’inflation liées à la crise économique
mondiale des chocs pétroliers, l’État peut-il continuer à financer une
protection sociale, certes généreuse, mais dispendieuse ? Cette question se
pose dès le milieu des années 70 en France, mais aussi en Allemagne et dans les
pays du nord de l’Europe, où l’État-providence n’a plus les moyens de ses
ambitions économiques et sociales du fait du ralentissement de la croissance.
L’État
qui avait joué un rôle actif dans l’économie en finançant, notamment des grands
projets industriels et en réduisant les injustices sociales, est contraint à la
rigueur budgétaire. Les gouvernements des principaux pays européens mettent
ainsi en œuvre, avec plus ou moins de détermination, des politiques d’austérité
et de réduction
des dépenses publiques. En France, Raymond Barre, Premier ministre de 1976 à
1981, lance le premier « plan de rigueur » destiné à juguler l’inflation et le
chômage. D’autres plans suivront, avec des résultats globalement décevants. La
machine économique peine à redémarrer et le nombre des sans-emplois monte en
flèche : de 5,5% en 1978 à près de 12% en 1993. A noter toutefois que « La
France est entrée plus tardivement que les autres pays sous la domination du
néolibéralisme, vu comme un ensemble de politiques économiques et sociales au
service du capital et comme une pensée censée exprimer « la » science, « la »
vérité sur la société » comme le souligne Romaric Godin[73].
Au
Royaume-Uni, Margaret Thatcher, au pouvoir de 1979 à 1990, est inflexible face
aux syndicats qui refusent sa politique ultralibérale. Elle y gagne non
seulement son surnom de « dame de fer », mais aussi un désendettement de l’État
et une relance économique, mais au prix d’inégalités sociales grandissantes et
de nombreuses fermetures d’usines.
Les mutations profondes engendrées par une telle
évolution vont déboucher sur le grand bond en arrière de l’Etat-providence et
du keynésianisme. L’analyse de Polanyi, qui envisage qu’après 1945, s’ouvrent
« la phase finale de la chute de l’économie de marché »[74] et « le début
d’une ère de liberté sans précédent »[75], sera de nouveau
remise en cause par la restauration de l’utopie du marché à partir des années
80. L’affaiblissement du mouvement
ouvrier traditionnel dans les pays occidentaux, la montée excessive de
l’individualisme, la conversion quasiment planétaire de la gauche à la
révolution libérale favorisent une percée intellectuelle néolibérale fondée sur
trois axiomes : « le socialisme est mort ; les ambitions
réformistes de la social-démocratie sont hors de portée ; il n’y a pas
d’alternative au capitalisme de marché »[76].
Cette crise multiforme se traduit par
l’effondrement interne du système de valeurs et de règles de la société
moderne, c’est-à-dire de l’éthos de confiance. Cet écroulement du système de
valeurs se matérialise par la remise en cause d’un certain nombre
d’institutions telles que l’école, la famille, etc. Dans les pays périphériques
du système capitaliste, l’on assiste au maintien sinon à l’approfondissement du
mal développement sous le poids des programmes d’ajustement structurel imposés
par le FMI et la Banque Mondiale. Seuls les pays ayant pu entreprendre un
processus d’émergence notamment en Asie orientale et au sud-est asiatique
empruntant de nouvelles voies de développement ont réussi à y échapper.
En effet, l’analyse approfondie montre que la crise
des valeurs et de l’ethos de confiance capitaliste n’est que le produit des
limites du capitalisme dans sa nouvelle version, celle de la primauté accordée
depuis les années 80 à la finance de marché. Cette primauté est en lien direct
avec une visée des décideurs occidentaux de gauche comme de droite consistant
dans la création d’une « liquidité financière mondialisée » dans le
cadre d’un « capitalisme de dérèglementation à dominante
financière ». C’est le retour de la vision de l’utopie de marché
autorégulateur et de la restauration conservatrice de la société de marché
faisant fi des conséquences inhumaines du processus de prolétarisation des
masses ouvrières au nom de la maximisation du taux de profit. Avec ce retour utopique du marché et la
prédominance de la finance, le capitalisme inaugure une nouvelle phase de
récessions et de crises économiques et sociales profondes s’étendant à l’éthos
de confiance. Dans les pays capitalistes en mal de développement, ces crises
débouchent sur une série de mouvements contestataires dont les plus brutaux
sont incarnés par les printemps arabes se poursuivant jusqu’à présent. En
France, le mouvement des gilets jaunes se répand à d’autres pays européens. Le
BREXIT peut aussi être considéré comme un mouvement de défiance envers l’Union
Européenne contre laquelle Pierre Bourdieu oppose « un refus progressiste de
l’Europe néolibérale des banques et des banquiers (…) qui sous couvert de
néolibéralisme » font « de l’argent la mesure de toutes choses, de la
valeur des hommes et des femmes sur le marché du travail et, de proche en
proche, dans toutes les dimensions de l’existence »[77].
La mutation idéologique utopique du marché qui a
conduit à la reconstruction de l’Empire américain sur de nouvelles bases suite
à la rupture des accords de Bretton Woods était dictée par les intérêts
matériels et sociaux puissants bien précis. L’objectif était de se prémunir
contre les « risques de déstabilisation sociale et politique liés à cette
reprise de la lutte des classes sur les ruines des compromis de l’après-guerre
– New Deal aux États-Unis, programme du CNR[78] en France et Welfare
state en Grande-Bretagne – »[79].
Le nouvel ordre mondial postérieur à Bretton-Woods
se traduit par « un fait politique majeur : la neutralisation du corps
électoral, l’alternance au pouvoir, dans chaque pays, des deux camps
(sous-entendu les partis politiques libéraux et socialistes) d’accord sur
l’essentiel interdisant toute remise en cause démocratique de l’ordre libéral.
Le problème, c’est que cette indéniable facilité a rendu très difficile, sinon
impossible, la réforme paisible d’un système que seules des crises de plus en
plus graves semblent pouvoir ébranler faute de pouvoir le faire évoluer.
Tout aussi préoccupant, le fait que ce nouvel ordre
se traduit non pas seulement par une répartition plus inégalitaire des revenus
et des patrimoines mais par une dissociation du corps social tout entier, sur
le modèle des pays autrefois qualifiés de sous-développés »[80].
Les manifestations de cette désintégration sociale
et ses conséquences sont bien mises en lumière par Christopher Lasch dans son
ouvrage intitulé « La Révolte des élites » :
« Naguère, c’était la "révolte des
masses" qui était considérée comme la menace contre l’ordre social et la
tradition civilisatrice de la culture occidentale. De nos jours, cependant, la
menace principale semble provenir de ceux qui sont au sommet de la hiérarchie
sociale et non pas des masses […] ». Et l’auteur d’ajouter « L’évolution
générale de l’histoire récente ne va plus dans le sens d’un nivellement des
distinctions sociales, mais de plus en plus vers une société en deux classes où
un petit nombre de privilégiés monopolisent les avantages de l’argent, de
l’éducation et du pouvoir […] De nos jours, la démocratisation de l’abondance
–l’attente de chaque génération de se voir bénéficier d’un niveau de vie qui
était hors de portée de ses prédécesseurs – a cédé la place à un retournement
où des inégalités séculaires commencent à se réinstaurer, quelques fois à une
vitesse terrifiante, et parfois si progressivement que nous ne nous en rendons
pas compte »[81].
Et pour finir, cette observation de Lasch sur la
vie politique des États-Unis, il y a plus de vingt ans mais d’une actualité
brûlante : « On assiste à des batailles idéologiques furieuses sur des
questions annexes. Les élites qui définissent ces questions ont perdu tout
contact avec le peuple. Le caractère irréel et artificiel de notre vie
politique reflète à quel point elle s’est détachée de la vie ordinaire, en même
temps que la conviction secrète que les vrais problèmes sont insolubles. »
Sans l’expliquer à lui seul, ce désenchantement
s’enracine dans un double mouvement caractéristique de l’après-Bretton Woods :
une régression de la part des revenus du travail face à ceux du capital et une
augmentation des inégalités qu’il s’agisse des revenus du travail ou des
patrimoines.
Jusqu’à la crise de 2007, les effets économiques et
sociaux de ces évolutions seront masqués par un remède miracle qui, à l’usage
excessif qui en sera fait, se révélera catastrophique : l’endettement,
endettement public et plus encore privé »[82].
Le moment de victoire le plus éclatant de Milton
Friedman fut, sans doute, en 1994, la publication par l’OCDE de sa
« Stratégie pour l’emploi ». Comme l’explique Michel Husson, ce document « constitue
une véritable feuille de route pour les politiques néolibérales
contemporaines ».
A l’époque, l’OCDE dénonçait le fait que l’on
avait, suite à la crise de 1973 « poursuivi, pour atteindre des objectifs
sociaux, des politiques qui ont eu pour conséquence involontaire d’accentuer la
rigidité des marchés, y compris essentiellement ceux du travail ».
En conséquence, il convenait de fluidifier le
marché du travail : facilitation des licenciements, « assouplissement »
du contrat de travail, durcissement des conditions d’obtention des allocations
chômage, stagnation, voire diminution du salaire minimum…
Ces potions amères ont été largement administrées
dans tous les pays, sous la pression de la hausse du chômage, de la dégradation
des comptes publics et de l’avancée des idées néolibérales. Emmanuel Renault[83] souligne le fait que les pays capitalistes
développés bien qu’ils soient en crise continuent à faire prévaloir un discours
politique dominé par des prétentions émancipatrices qui reposeraient sur les
principes de la démocratie, de la justice et du bien-être. Or, ces principes se
trouvent profondément ébranlés par l’effritement du dispositif institutionnel
lié à la phase fordiste, qui était à la base de ces revendications sociales. Il
en est résulté une modification des règles du jeu du fait que les « questions
de démocratie, de justice ou de vie bonne restent à l'ordre du jour, la mise en
place de l'ordre néolibéral a engendré un certain nombre de nouveaux problèmes
qui ne peuvent pas être compris exclusivement à partir de ces règles, d'où la
nécessité d'introduire le concept de souffrance sociale. Ces problèmes
comprennent l'émergence de la souffrance liée à la mobilisation de la
subjectivité dans la nouvelle organisation du travail, la souffrance liée à la
vulnérabilité à la domination qui caractérise la désaffiliation, la souffrance
produite par la pauvreté extrême ainsi que l'inhibition de l'action vindicative
qui en résulte »[84].
Ces conséquences sociales désastreuses vont pousser
l’’OCDE à faire preuve de plus de sagesse en remettant en cause ces options néolibérales.
II.3.1.4- Vers une remise en cause des options
néolibérales par l’OCDE ?
En effet, l’OCDE est revenue sur son étude en 2006.
Le succès des pays scandinaves a conduit l’Organisation à reconnaître que des
hauts taux de syndicalisation, une protection moyenne élevée contre les
licenciements et des allocations de chômage plus élevées qu’ailleurs mais
assorties de contreparties strictes permettaient des taux d’emploi parmi les
plus élevés du monde.
De même, aujourd’hui, les études empiriques se
multiplient pour montrer que des niveaux de salaires décents favorisent la
productivité, réduisent l’absentéisme, et donc diminuent les frais d’embauche.
De plus, lorsqu’il existe un plancher pour les rémunérations, cela incite les
entreprises à améliorer leur productivité, y compris dans des activités où les
« mauvais emplois » sont légion, comme les abattoirs, la sécurité, ou
l’hôtellerie-restauration.
C’est ainsi que l’introduction récente du salaire
minimum au Royaume-Uni ou en Allemagne n’a donné lieu à aucun des effets
négatifs prédits par les économistes libéraux. Au final, comme le note Alan
Manning et ses coauteurs, le consensus à propos du salaire minimum s’est
inversé, passant de sa remise en cause à sa défense presque généralisée[85].
C’est ce succès du modèle scandinave dit aussi
nordique fondé sur la social-démocratie qui va nous permettre à travers le cas
suédois de mieux nous éclairer sur la nécessité du ré-enchâssement de
l’économique dans le social comme un des moyens de libération des sociétés
humaines et comme une des voies du salut pour les hommes pour s’émanciper de la
société de marché.
[1]Karl
Polanyi «
La mentalité de marché est obsolète ! In « Essais », 1947, p.509
[2] La crise
signifie ici l’instabilité des systèmes mondiaux qui s’exprime à travers la
polarisation « Nord-Sud » se traduisant par une série de
conditionnements qui « annulent la portée de l’industrialisation des
périphéries, dévaluent le travail productif incorporé dans ces productions
tandis qu’elles surévaluent la prétendue valeur ajoutée attachée aux activités
par lesquelles opèrent les monopoles nouveaux au bénéfice des centres. Ils
produisent donc une nouvelle hiérarchie dans la répartition du revenu à
l’échelle mondiale, plus inégale que jamais, subalternisent les industries de
la périphérie et les réduisent au statut d’activités de sous-traitance ».
Samir Amin in Samir AMIN, Hakim Ben HAMMOUDA et Bernard FOUNOU-TCHIGOUA
« AFRIQUE ET MONDE ARABE – Echec de l’insertion internationale »
Forum du tiers-monde Le HARMATTAN1995 p.35
[3] Samir Amin
« L’importance du Sommet social des Nations-Unies » in « AFRIQUE
ET MONDE ARABE – Echec de l’insertion internationale » op. Cité
p.37
[4] Sur
l’utilitarisme se référer à l’ouvrage de John Stuart Mill
« L’utilitarisme » traduit de l’anglais par Philippe Folliot en 2008
à partir de «Utilitarianism » 4ème édition London :
Longmans, Green, Reader and Dyer 1871
document PDF disponible sur le site web :
http://classiques.uqac.ca/
[5] Karl Polanyi
« La Grande Transformation : aux origines politiques
et économiques de notre temps » Gallimard, 1983 pour la traduction
française.
Il est à souligner que Karl Polanyi
(1886-1964), est un économiste d’origine hongroise. Il émigre dans les années
1930 en Grande-Bretagne puis aux États-Unis. Son livre, « La grande
transformation », paru en 1944, est devenu un classique de l’histoire
économique.
[6] Nous entendons
par l’ethos collectif l’ensemble des valeurs sociales que porte un projet de
construction d’une nouvelle société libérée de toutes les formes d’aliénation
propres à la société de marché et où l’économique est réenchâssé dans le social se traduisant par
la soumission de l’intérêt individuel à l’intérêt de la collectivité.
[7] Pour nous,
l’ethos individualiste du marché se définit par opposition à l’ethos collectif.
Il est fondé sur la suprématie de l’économique sur le social et où le
fétichisme de la marchandise commande l’ensemble des valeurs socio-culturelles
de la société qui devient alors une société de marché.
[8] Wojtek Kalinowski « le modèle suédois » Et si la
social-démocratie n’était pas morte ? Editions Charles Léopold Mayer Paris 2017 document PDF p.14
[9] HONNETH A., La
réification : Petit traité de Théorie critique, traduit par Stéphane HABER,
Paris, Gallimard, 2007.
[10] HABER S.,
L’aliénation : Vie sociale et expérience de la dépossession, Paris, Presses
Universitaires de France - PUF, 2007 ; FISCHBACH F., Sans objet. Capitalisme,
subjectivité, aliénation, Paris, Vrin, 2009.
[11] 8 DEJOURS C.,
Souffrance en France : La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Points,
2014 ; RENAULT E., Souffrances sociales, Paris, La Découverte, 2008.
[12] Alain
Peyrefitte « « DU MIRACLE » EN ECONOMIE » Editions Odile
Jacob 1995 p.50
[13] La culture peut être définie comme l’ensemble des représentations
collectives. Cela comprend les systèmes mentaux de perception, de
catégorisation et de classification des choses, les modes de communication, les
traditions, les artefacts et œuvres d’art, les valeurs, les normes et les goûts
distinguant une société humaine.
[14] Idem p.49
[15] Idem p.43,
souligné par nous. A ce propos, A. Peyrefitte, n’hésite pas à lier la liberté
de l’homme à la propriété privée en citant Frédéric Bastiat (1801-1850) qui
considère le droit de propriété privée « comme un fait providentiel,
antérieur à toute législation humaine et que la législation humaine a pour but
de faire respecter […]. La propriété existe avant la loi » Frédéric
Bastiat « Propriété et loi », article inséré au n° du 15 mai 1848 du
journal des économistes, in Bastiat, « Propriété et loi » suivi de
« L’Etat » Paris, Editions de l’Institut économique de Paris, 1983
p.24 cité par Alain Peyrefitte dans son ouvrage « La société de confiance »
Editions Odile Jacob p.460
[16] Cf. sur ce
point l’article de Léon Trotsky « La courbe du développement
capitaliste » 21 avril 1923 suivi d’une annexe : « Du développement
économique à la crise », 1921 http://gesd.free.fr/trotski23.pdf
[17] Cette
expression est utilisée par l’anthropologue
israélien Zali Gurevitch, « le peuple a demandé à être un peuple, cité par
Eithan Orkibi, « Peuple et ethos collectif dans la rhétorique de
l’action collective : l’exemple du mouvement de l’été 2011 en Israël », Exercices
de rhétorique [En ligne], 7 | 2016, mis en ligne le 26 mai 2016, consulté
le 12 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rhetorique/469 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/rhetorique.469 p.2
[18] A. Peyrefitte
op. Cité p.9
[19] « Les économistes du XVIIe siècle, par exemple, commencent toujours par
une totalité vivante : population, nation, État, plusieurs États ; mais ils
finissent toujours par dégager par l'analyse quelques rapports généraux
abstraits déterminants tels que la division du travail, l'argent, la valeur,
etc. Dès que ces facteurs isolés ont été plus ou moins fixés et abstraits, les
systèmes économiques ont commencé, qui partent des notions simples telles que
travail, division du travail, besoin, valeur d'échange, pour s'élever jusqu'à
l'État, les échanges entre nations et le marché mondial. Cette dernière méthode
est manifestement la méthode scientifique correcte. Le concret est concret
parce qu'il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la
diversité ». Karl Marx « Contribution à la
critique de l’économie politique » 1859 p.149 Traduit de l’allemand par
Maurice Husson et Gilbert Badia. Document produit en version numérique par
Jean-Marie Tremblay http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html
[20] A. Peyrefitte
op. Cité p.24
[21] Karl Marx
« Contribution à la critique de l’économie
politique » op. Cité p.18
[22] Souligné par
nous
[23] Ibn Khaldoun
« Les PROLÉGOMÈNES D’IBN KHALDOUN
(732-808 de l’hégire) (1332-1406 de J. C.) » traduits en Français et
commentés par W. MAC GUCKIN DE SLANE (1801-1878) (1863) Document PDF disponible
sur le site « les classiques des sciences sociales - auteurs »
Première partie p.271
[24]La pensée de
l’américain Herbert
Alexander Simon (1916-2001) fait de lui un théoricien de l’incertitude. En tant
qu’économiste polyvalent, il est connu pour avoir remis en cause le concept de
rationalité soutenue par les économistes néoclassiques. Grâce à ce
concept de « bounded rationality », traduit par rationalité limitée,
il obtint le Prix Nobel d’économie en 1978. Il s’élève contre la théorie
néoclassique suivant laquelle aussi bien le producteur que le consommateur se
comportent en décideurs faisant des choix économiques rationnels parfaitement
informés via le système des prix. Au
contraire, Simon soutient que les agents économiques comme tout gestionnaire au
sein d’une organisation quelconque prennent leurs décisions en présence d’incertitude. La rationalité de l’individu
est subjective, relative, procédurale, limitée et intuitive. D’où le postulat
que la décision de l’individu, loin d’être optimale et maximale, elle est le
produit d’un processus (procédurale) où la rationalité est celle de la première
solution jugée satisfaisante.
[25] André Demailly « Herbert Simon ou la quête de « patterns » pour voir et concevoir »
Document PDF p.1
[26] Dans son
article “The Architecture of Complexity »
(L’architecture de la complexité), Herbert Simon définit le “système complexe”
approximativement « comme un système comportant un grand nombre de parties
qui interagissent entre elles dans une relation non simple. Dans un tel
système, le tout est plus que la somme des parties… au sens concret où, étant
donné les propriétés des parties et les lois qui régissent leurs interactions,
il n’est pas simple d’inférer les propriétés du tout. Face à la complexité, un
réductionniste de principe peut être en même temps un holiste pragmatique »
cité par Vela Velupillai dans son article intitulé « Herbert Simon ou le holisme
pragmatique: économie et « architecture de la complexité », Madras School of
Economics repris in « Les essentiels de l’OCDE – DÉBATTRE DES ENJEUX : COMPLEXITÉ ET ACTION
PUBLIQUE » © OCDE 2018 p-p. 46-47 Document PDF
[27] Idem p.3
[28] Grosso mode, la
pensée structuro-fonctionnaliste considère la société humaine comme un système
équilibré régi par les principes suivants : toute société est un système
intégré d’éléments, c’est-à-dire un ensemble relativement stable et permanent.
Chacun de ces éléments remplit une fonction participant au maintien du système.
Ce dernier est fondé sur le consensus de ses membres autour de valeurs et de
normes fondamentales.
[29] Ali Aït Abdelmalek « EDGAR MORIN, SOCIOLOGUE ET THÉORICIEN DE LA
COMPLEXITÉ : des cultures nationales à la civilisation européenne » Distribution électronique Cairn.info
pour De Boeck Supérieur. Document PDF p.7
[30] Edgar Morin
cité par Pascal Roggero in « La pensée
complexe d’Edgar Morin » document PDF p.60oggero@ut-capitole.fr
[31] Edgar
Morin « Sciences avec
conscience » Fayard nouvelle édition du Seuil Points 1990 p.381 disponible en document PDF :
Morin_Edgar_Science.pdf-Adobe Reader
[32] Idem p. 260
[33] Cf. sur ce
point « L’homme et la lune » Arte tv
[34] Idem p.79
[35] André Tiano
« La dialectique de la dépendance » Editions PUF 1977
[36] Dans bon nombre
de pays de par le monde nous constatons que des ingénieurs et architectes font
preuve de beaucoup d’imagination pour intégrer dans leurs projets la dimension
écologique. A titre d’exemple, le chinois Wang Shu, salué par le prix Pulitzer en 2012, mêle architecture contemporaine et
culture traditionnelle chinoise. Son architecture durable repose sur le
principe d’une Chine qui ne détruit pas son passé mais s’en inspire.
L’architecte pense la construction dans un esprit où interagissent la campagne
et la ville de manière à lutter contre le fléau de l’émigration intensive vers
les villes appauvrissant le monde rural et créant des villes avec des
gratte-ciels où les citadins mènent une vie étouffante et très polluante. Cf.
ARTE « Architecture durable » 2018 rediffusé dans l’émission Société
le 18/04/2021
[37] Dès la deuxième
moitié du 19ème siècle, la Chine s’apprête à engager une série de
transformations qui feront d’elle la puissance moderne qu’elle est devenue
aujourd’hui. En effet, de 1860 à 1879, la Chine se trouve engagée dans une
politique de modernisation via notamment la création des industries militaires
et qui a pour fondement théorique la doctrine de l’Auto-renforcement (Zikiang).
Cf. sur ce point Marie-Claire Bergère « Capitalismes et capitalistes en
Chine- Des origines à nos jours XIXe – XXIe siècle» Edition Perrin notamment le chapitre 2 p-p 50-95
[38] Samir Amin
« La déconnexion » Pour sortir du système mondial Edition La
découverte 1986
[39] « Les PROLÉGOMÈNES D’IBN KHALDOUN (732-808 de l’hégire) (1332-1406 de J.
C.) » traduits en Français et commentés par W. MAC GUCKIN DE SLANE
(1801-1878) (1863) Document PDF disponible sur le site « les classiques
des sciences sociales - auteurs »
[40] Idem première
partie p-p. 278-279
[41] Idem p.298
[42] Ibid.
[43] Idem p.303
[44] Idem p.304
[45] Ibid.
[46] Idem p.305
[47] Idem p.308
[48] Idem p-p.
309-310
[49] LES PROLÉGOMÈNES D’IBN KHALDOUN (732-808 de l’hégire) (1332-1406 de J.
C.) traduits en Français et commentés par W. MAC GUCKIN DE SLANE (1801-1878)
(1863) Deuxième partie p.110
[50] Idem p.213
[51]
Samir Amin « Le développement inégal – Essai sur les formations
sociales du capitalisme périphérique » Editions de Minuit 1973 notamment
[52] Idem p.225
[53] Idem p.p.
110-111
[54] Karl Polanyi « La grande transformation » op. Cité
[55] A ce propos,
écrit Wojtek Kalinowski dans son ouvrage consacré à
l’étude de ce modèle, « En 1936 déjà, intrigué par la lecture de Sweden:
the Middle Way du journaliste américain Marquis Childs, le président Franklin
D. Roosevelt y dépêcha un groupe d’experts pour étudier sur place le «
compromis constructif entre le socialisme et le capitalisme », comme le
sous-titre du livre l’annonçait. Deux ans plus tard, c’était au tour de la
Fabian Society, l’organe intellectuel du Parti travailliste britannique,
d’organiser un voyage d’études dont est issue une série d’articles sur les
réformes du gouvernement social-démocrate et la coopération sur le marché du
travail » cf. « LE MODÈLE SUÉDOIS Et si la social-démocratie n’était
pas morte ? » Editions Charles
Léopold Mayer Paris document PDF. p.9
[56] Idem p.p. 9-10
[57] Karl Polanyi « Essais » Editions Seuil, Paris 2008, 589
p. Edités par Michèle Cangiani et Jérôme Maucourant, traduits par Françoise
Laroche et Laurence Collaud.
[58] Karl Polanyi
« La grande transformation » Editions Gallimard Paris 1983 p.22
[59] Idem p.264
[60] Idem p-p
264-265
[61] Idem p.271
[62] Idem p.272
[63] Wojtek Kalinowski « LE MODÈLE SUÉDOIS - Et si la social-démocratie
n’était pas morte ? » Editions Charles Léopold Mayer Paris France 2017
p.10
[64] Ernest Mendel
« La crise » Editions Champs Flammarion 1982
[65] Idem
[66] Pierre-Yves COLLOMBAT « Une crise
en quête de fin - Quand l'Histoire bégaie » Rapport
d'information n° 393 (2016-2017) fait au nom de la Délégation
sénatoriale à la prospective, déposé le 9 février 2017 Sénat français
Disponible au format PDF p.55
[67] Ibid
[68] Idem
[69]Pierre-Yves COLLOMBAT « Une crise
en quête de fin - Quand l'Histoire bégaie » op.
Cité p.8
[70] D’après le Trésor de la
Langue Française, on indique comme « ubuesque » quelque chose ou
quelqu’un qui « évoque le grotesque du père Ubu par un despotisme, une
cruauté, un cynisme, une forfanterie d’un caractère outrancier ou par des
petitesses dérisoires ». Le père UBU est un personnage fictif de la pièce
théâtrale d’Alfred Jarry (1896), une caricature loufoque de la
bourgeoisie dominante et positiviste de la fin du siècle du 19ème
siècle, sa démystification la plus cruelle, la révélation des cauchemars les
plus sombres de l’humanité. « Sous le masque du comique, du rire potachique, naïf et
adolescent, Ubu roi déploie tous les sentiments de
déception et d’amertume d’une génération d’artistes et d’écrivains face à la
sombre hébétude, à la voracité compulsive, au désir – sans inhibitions – de
pouvoir de la classe dominante ». Cf. TROVATO Loredana « « Mais enfin,
Père Ubu, quel roi tu fais, tu massacres tout le monde - De la méchanceté ubuesque entre
farce humaine et satire sociale » Université « Kore » d’Enna et Université
de Catane https://post-scriptum.org/09-05-mais-enfin-pere-ubu-quel-roi-tu-fais-tu-massacres-tout-le-monde/
[71] Idem p.24
[72] Idem
[73] Romaric Godin
est l’auteur de l’ouvrage « La guerre sociale en France, Aux origines de
la démocratie autoritaire, Paris, La Découverte, 2019 », cité par
Jean-Marie Harribey dans son article
« La guerre sociale en France est déclarée, analyse Romaric Godin »
Attac dans la revue Les Possibles — No.
21 Été 2019 mardi 1er octobre 2019 p.1
[74] Karl Polanyi
« La Grande transformation » op. Cité p.285
[75] Idem p.329
[76] Serge Halimi
« Le grand bond en arrière – Comment l’ordre libéral s’est imposé au
monde » Edition Fayard 2004 p.529
[77] Pierre Bourdieu
(1997) cité par Raoul Marc Jennar en guise de citation introductive à son
ouvrage « L’Europe, la trahison des élites » Edition Fayard 2004 p.7
[78]Les
représentants des organisations de la Résistance, des centrales syndicales et
des partis ou tendances politiques groupés au sein du C.N.R. (Conseil national
de la Résistance), délibérant en assemblée plénière le 15 mars 1944, ont arrêté
un programme comportant deux axes : 1-un plan d’action immédiate contre
l’oppresseur allemand hitlérien et 2-des mesures destinées à instaurer, dès la
Libération du territoire, une véritable démocratie économique et sociale,
impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la
direction de l’économie; le développement et le soutien des coopératives de
production, d’achats et de ventes, agricoles et artisanales; le droit d’accès,
dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration,
pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation
des travailleurs à la direction de l’économie ; un rajustement important
des salaires et la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure
à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité
d’une vie pleinement humaine ; un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer
à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont
incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux
représentants des intéressés et de l’État…
[79] Pierre-Yves COLLOMBAT « Une crise
en quête de fin - Quand l'Histoire bégaie » op. Cité p.74
[80] Ibid.
[81] La Révolte des élites et la trahison de la démocratie - Christopher
Lasch – Éditions Climats – 1999
[82] Pierre-Yves COLLOMBAT « Une crise
en quête de fin - Quand l'Histoire bégaie » Op.
Cité p-p 74-75
[83] RENAULT E.,
Souffrances sociales, op. Cité p. 396.
[84] Leonardo Jorge
da Hora Pereira « LE CAPITALISME COMME FORME HISTORIQUE ET COMME PRATIQUE
SOCIALE UNE CONTRIBUTION À LA PHILOSOPHIE SOCIALE À PARTIR DE MARX ET DE LA
THÉORIE DE LA RÉGULATION » Thèse En vue de l’obtention du diplôme de
Docteur en Philosophie de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense. p.15 LE_CAPITALISME_COMME_FORME_HISTORIQUE_ET
comme pratique sociale.pdf
[85] L’idée défendue
par Alan Manning, Juan Dolado, Francis Kramarz, Stephen Machin, Alan Manning,
Dav id Margolis et Coen Teulings peut se résumer comme suit : « Les opposants aux salaires minimums soutiennent
qu'ils nuisent à l'emploi en Europe ; les partisans disent qu'ils combattent
l'exploitation et aident les pauvres. Nous essayons de démêler le mythe de la
réalité. Des prescriptions politiques différentes reflètent des points de vue
différents sur le fonctionnement réel du marché du travail. Contrairement aux
idées reçues, il est aussi facile de plaider théoriquement contre les salaires
minimums que contre eux. Des preuves, pas de la théorie, c'est ce qu'il faut
maintenant.
Par rapport aux salaires
moyens, les salaires minimums n'ont pas augmenté en Europe au cours des 30
dernières années, ils n'ont fait augmenter le chômage que s'ils ont empêché une
baisse nécessaire des salaires des bas salaires. Deuxièmement, le salaire
minimum pour les jeunes travailleurs représente souvent une proportion plus
faible du salaire moyen en Europe qu'aux États-Unis. Troisièmement, nous ne
trouvons aucune preuve générale que les salaires minimums ont réduit l'emploi,
sauf peut-être pour les jeunes travailleurs... » Article intitulé « The economic impact of
minimum wages in Europe » paru dans la Revue Economic policy
1996/10/1 Volume 11 Numéro 23 Pages 317-372 Éditeur Oxford University Press
Enregistrer un commentaire