" TIERS-MONDE
":
ENTRE LA NECESSITE
DEMOCRATIQUE
ET L'IMPERATIF
ECONOMIQUE
BONNES FEUILLES, N°5
Pr.
Abdelmoughit B. Trédano,
Directeur
de la Revue Marocaine de Sciences Politiques et Sociale
Extraits de mon livre
(sous presse) intitulé :
CHRONIQUES POLITIQUES
CRISES, RÉFORMES ET
DÉSILLUSIONS..
Ci-après un article
publié il y a plus 30 ans qui posait la question démocratique et son rapport
avec le développement.
Depuis, la situation
dans les pays du Tiers monde (à l’exception de certains pays d’Asie et
d’Amérique latine émergents) n’a pas changé d’une manière notable.
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Depuis quelques temps,
et ce, à la faveur des mutations qu'a connues l'Europe ex-socialiste, une
grande partie des Etats de l'Asie et de l'Afrique commence à faire son premier
baptême du feu en matière démocratique.
Ici et là, on découvre,
généralement sous la pression de la rue, les vertus de la démocratisation du
système politique et l'urgence d'une telle option.
Quelle démocratie ? Et
quelles sont les conditions pour y parvenir… ?
Il est établi que la
démocratie, telle qu’elle est vécue et pratiquée en Occident semble constituer
une référence incontournable. Est-t-elle transposable et dans quelles
conditions ?
L'état d'avancement que
connait l'art de gouvernement en Europe occidentale est le fruit d'une longue
sédimentation... Un faisceau de facteurs religieux (Réforme), culturels
(Renaissance) politiques (Révolutions anglaise, américaine, française) avec son
corolaire quant à la promotion du statut de l'homme, techniques (révolution
agricole, industrielle...) a fait que le système de gouvernement est ce qu'il
est aujourd'hui dans la partie occidentale au vieux continent.
Ce processus enclenché
et vécu de l’intérieur n'a pas eu lieu dans la majorité des Etats du
Tiers-Monde en raison de la parenthèse coloniale.
Au lendemain des
indépendances, des régimes politiques variés y ont été pratiqués ; dans la
majorité des cas, et cela aussi bien dans des Etats à coloration libérale que
ceux d’obédience socialiste, l’option pour le parti unique constituait la règle
quasi générale.
LA POTION DEMOCRATIQUE
Si on pouvait
comprendre les motivations faites durant les premières années des indépendances,
consistant à refuser le multipartisme démocratique en raison de la nécessité de
consolider des Etats fragiles (au niveau politique, historique et juridique),
de créer ou de renforcer des nations en tant qu’aspiration et conscience
collectives, aujourd’hui, il n'est plus possible d'en admettre le bien-fondé.
Subrepticement, une
idéologie sécuritaire, s'est emparée des différentes élites au pouvoir, et
l'Etat au lieu de servir, il se sert ...
Au point qu'après
quelques années de gouvernement des pans entiers, des sociétés civiles se sont
trouvés en marge du processus de la conception, de l'élaboration et de
l'exécution de décisions les concernant, et par là, privés des bénéfices des
richesses nationales ...
Cette option a connu
ses limites depuis quelques années déjà. Et les changements en Europe en
1989-90 n'ont fait en réalité, que mettre à nu une impasse fortement ressentie
par l'ensemble des populations ...
Dans la foulée, des
reconversions successives à la potion démocratique sont relevées dans des Etats
d'Afrique et d'Asie. L'Amérique latine, quant à elle, avait globalement déjà
enterré d'une manière plus ou moins heureuse, l’ère des dictatures militaires.
Cette option
démocratique est-elle possible ?
Se fera-t-elle sans
douleurs ?
Pour réussir cet examen
de passage démocratique, des réformes préalables paraissent plus
qu'impératives. Et pour le garantir, il n’est plus possible d’ignorer la
nécessaire liaison « démocratie – développement ».
Les ingrédients d’un
système dit démocratique à l’occidentale sont suffisamment connus pour s’y
attarder. En plus de la séparation des pouvoirs, l’exercice du pouvoir par le
biais d’élections réellement libres et honnêtes. La possibilité d’alternance au
gouvernement…, le tout pratiqué dans le cadre d’un Etat de droit.
Il est vrai que
celui-ci ne décrète pas en un seul instant. En Europe occidentale il s’est
imposé comme cadre de gouvernement avec des règles de jeu conçues, admises et
pratiquées par et les gouvernés et les gouvernants au terme d’un long
processus.
Les sociétés et les
Etats du Tiers-monde ont, à ce niveau-là, accusé un retard historique
constituant un handicap sérieux. Il n’empêche que l’insuffisance de la règle de
droit en tant que source de légitimité et en tant que référence et sanction
n'hypothèque pas pour autant leur itinéraire démocratique.
NETTOYER LES ECURIES
D’AUGIAS
Pour ce faire, une
stratégie de réformes et de changement tous azimuts devrait s'y appliquer.
Pour commencer, il
faudrait que les différentes élites au pouvoir acquièrent la nécessité et la
conviction d'agir dans la perspective de la mise en place au terme d'un
processus de réformes d'un Etat de droit effectif.
Il est révolu le temps
où les différentes classes sociales par le biais de leurs représentations
politico-syndicales, se positionnaient, s'activaient pour le monopole du
pouvoir.
Aujourd’hui, ne
serait-ce qu’en raison des défis du développement posés à leurs pays, il n’est
plus possible d’exclure des forces sociales dans tout exercice de pouvoir.
Des réformes politiques
et juridiques se résument en une application sérieuse et effective des recettes
d’un système dit démocratique susmentionnées.
Séparation des
pouvoirs, respect des libertés publiques, élections libres… ne peuvent avoir un
sens et une portée réelle dans l’édification d’un Etat de droit que si le monde
rural, constituant pour le moment un tiers-monde, y est impliqué, associé…
Cela devrait se faire
par la mise en place d’une décentralisation politique, administrative,
financière et humaine effective, couplée d’une politique de régionalisation non
pas d’inspiration sécuritaire mais fondée sur des données physiques,
culturelles et économiques ayant comme objectif d’instituer une coopération
interrégionale, de renforcer les complémentarités et de réussir une intégration
graduelle, réelle au bénéfice des populations concernées.
Garantir la réussite
d'une telle option appelle impérativement l’abandon de la politique de «
médiocratie ». Associer les compétences et les intelligences dans toute
politique gouvernementale est, parait-il, un gage de succès. Il n'est plus
possible de continuer à n'impliquer que les cadres, les personnes ayant une
certaine affinité avec l’équipe dirigeante ou ayant exprimé une allégeance politique,
idéologique, syndicale ou autre surtout à une période où ces clivages cèdent le
pas à des considérations de compétitivité, de compétence et d’efficacité.
Ce choix est d'autant
plus nécessaire que toute politique de développement exige plus de la matière
grise qu’une fidélité partisane ou autre. La technologie, la recherche
scientifique, bref le progrès tout court, a plus besoin de techniciens
(supérieurs et moyens…) que de partisans fervents serviles mais incompétents.
En enclenchant cette
série de réformes au niveau politique et juridique, on peut parier que de
nombreux maux dont continuent de souffrir les sociétés et les Etats du
Tiers-monde telle la corruption, la pratique de prébendes, la bureaucratie,
l’incurie disparaitraient ou du moins cesseraient de constituer la règle de
conduite courante dans les rapports de société.
Et ce n’est qu’à ces
seules conditions qu’une politique de développement peut être menée à bien…
LA RUEE VERS L’OUEST
Le monde occidental
prospère et dynamique est à l’ouest des pays ex-socialistes et au Nord des pays
du Tiers-monde, mais il est pour les uns et les autres un pôle d’attraction
certai.
Il constitue en quelque
sorte une espèce d’oasis par rapport à un espace désertique que constituent
l’Est et le Sud…
Rapportant une
discussion qu’il a eue avec le président américain Kennedy, F.H Boigny disait:
« Je ne voudrais pas que la Côte-d’Ivoire devienne une sorte d'oasis de
prospérité et de stabilité au milieu d’un désert de pays instables, pauvres. Ce
n'est pas l’oasis qui pourrait gagner, ensuite, sur le désert, mais le
contraire ».
Ces propos illustrent
la situation actuelle de l’Europe occidentale par rapport à l’Est et au Sud. Et
d’ailleurs ce n’est pas un hasard si tout récemment un dirigeant soviétique
disait ouvertement aux Occidentaux : Investissez en Union Soviétique faute de
quoi une vague humaine d’émigrants déferlera sur l’Occident et cela après la
mise en œuvre des principes adoptés dans la Charte de Paris en matière de la
liberté de circulation des personnes dans l’ensemble de l’Europe ».
Le Sud, lui aussi,
risque de connaitre le naufrage si des mesures urgentes ne sont pas introduites
dans l’ordre économique international. L’épisode de Bruxelles dans le cadre des
négociations du GATT a bien montré que les principes, notamment la sacro-sainte
libéralisation du commerce international, cèdent la place aux intérêts
nationaux et européens en matière de produits agricoles.
Au même temps, dans le
cadre des politiques d’ajustement structurel, on demande à des économies faibles
du Tiers-Monde, incapables de se défendre contre la concurrence étrangère,
d’ouvrir largement leurs frontières. Drôle de logique.
Aujourd’hui, si l’état
des rapports entre le Nord et le Sud persiste tel qu’il est, il est à craindre
que toute option démocratique risque d’être compromise faute d’un développement
socio-économique réel… Plus que par le passé la liaison « démocratie –
développement » n’a jamais été aussi forte.
Réussir un processus
démocratique ne peut se faire sans développement et celui-ci ne peut être
obtenu sans démocratie. Le sauvetage des Etats du Tiers-Monde ne peut être
réalisé qu’à l’aune du respect de l’équilibre entre les deux éléments de ce
diptyque.
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