Intermédiaire en assurance face aux défis de la digitalisation
I-Introduction
Le secteur de l’assurance a fait
preuve d’une grande résilience durant la crise sanitaire qui a plongé
l’économie mondiale dans une grave
récession. Le marché local d’assurance a pu, lui aussi, tirer son
épingle avec brio. Les résultats affichés publiés par l’Autorité de Contrôle de
Prévoyance Sociale en témoignent largement. Néanmoins, ce résultat ne doit pas
être l’arbre qui cache la forêt : Le secteur a devant lui des nouveaux
challenges et des défis de taille à
relever face à la digitalisation et la transformation numérique. Le réseau des
intermédiaires est concerné en premier
lieu et à plusieurs titres.
L’intermédiaire en assurance est entre le marteau et l’enclume : il doit
faire face aux contraintes d’aujourd’hui dans un marché à géométrie variable
pour ne pas périr et se préoccuper voire
se préparer , dores et déjà, aux éventuels changements et mutation de son métier .
Il n’a guère le choix. Il ne peut que
s’adapter ou périr.
Le présent article s’inscrit dans le
débat actuel autour de la digitalisation et la transformation numérique du
secteur d’assurance à l’instar des autres secteurs. En rappelant
brièvement que la révolution
Nanotechnologie, Biotechnologies, Informatique et sciences cognitives (NBIC)
n’est qu’une parmi d’autres révolutions que le monde a connu. L’article
s’intéresse, en premier lieu, aux
impacts de la digitalisation et
la transformation numérique sur le métier des
assureurs notamment les intermédiaires en assurance. En second lieu, à
la menace que constitue la vente des produits des assurances via l’internet
avec les géants du numérique (GAFAM et BATX).
II- La révolution NBIC n’est qu’une parmi d’autres.
Il va s’en rappeler que l’humanité a connu
depuis la nuit des temps, trois révolutions technologiques et économiques majeures :
La première s’étend de 1770 à 1850 avec les premières usines puis la machine à
vapeur et le réseau du chemin de fer ;
La seconde de 1870 à 1910 avec la naissance de l’aviation, de
l’automobile, de l’électricité et de la téléphonie ; (1)
La troisième révolution a
débuté vers la fin de 1970 avec
l’arrivée des NTIC(Nouvelles Technologies de l’Information et de la
Communication ) et les technologies NBIC (Nanotechnologie, Biotechnologies,
Informatique et sciences cognitives).
Aucune révolution n’est nait du néant. Elle est la réponse à une ou plusieurs problématiques vécues par l’être humain dans
son quotidien et par la société dans son
évolution d’une manière générale.
Le modèle de la spirale dynamique développé
par le professeur en psychologie Clare W.Graves montre que « nous évoluons ainsi toute notre
vie, au travers des niveaux de vie, qui nous donnent les réponses aux
problématiques auxquelles nous faisons face dans notre vie quotidienne.
Lorsqu’un niveau de vie n’est plus
adaptée à nos besoins ou bien que ses réponses/façon de voir la vie ne nous
satisfont plus, alors nous évoluons vers le niveau au-dessus ».
Autrement
dit, « les humains changent et évoluent lorsque leurs conditions
d’existence se modifient ». (2)
Il est évident qu’on
cherche à trouver les solutions adéquates pour améliorer le mode de vie en
apportant des réponses appropriées aux problèmes posés et en transcendant les
contraintes,. Il va de soi que le
changement ne se fait pas d’une manière brutale. Tout changement est un
processus. Durant la phase de transition, le passage d’un niveau de vie à un autre se fait d’une manière
perpétuelle et dynamique chaque fois que le niveau dominant n’arrive plus
à répondre aux attentes et à intérioriser les aspirations de la société.
Bref, la révolution technologique NBIC, n’est ni la première ni
la dernière. D’autres révolutions vont venir pour apporter des réponses à des
difficultés que la technologie NBIC n’arrivera certainement pas à résoudre.
Il est évident que chaque révolution nécessite une adaptation et un
changement du cadre de référence pour
mieux appréhender le présent et se projeter dans le futur.
Du coup, la digitalisation et la
transformation numérique sont avant tout
une nécessité et un passage obligé pour embrasser d’autres horizons et évoluer
vers d’autres modes de vie. De ce fait, on ne doit pas, à mon sens, les
appréhender avec une charge émotionnelle
excessive marquée par l’inquiétude et la
peur ; comme on ne doit pas les aborder en tant qu’opportunité ou
menace. On ne le souligne jamais assez, la digitalisation s’imposera à tous les
acteurs relevant de la chaine des services assurantiels. Ces derniers n’ont de choix que de ce mettre à niveau
faute de quoi ils risquent de rester sur le quai.
La peur, l’inquiétude, le doute sont
indissociables de l’aversion au risque. Le changement c’est de l’incertitude.
C’est pourquoi l’humain tient à sa zone de confort et s’accroche à ses
habitudes et ses croyances limitatives soient-elles .Même le bébé en quittant le ventre de sa mère lance un cri pour
s’adapter finalement à son nouveau environnement. La nature humaine est ainsi
faite.
III-Quels sont les impacts de la
digitalisation sur le métier de l’assureur?
L’accélération de la mise en mode
opérationnel de la digitalisation des
processus de gestion comme un nouveau mode de gestion des services assurantiels
auquel aucun assureur ne peut échapper est l’une des vertus du Covid19.Même le
secteur public s’y attache fermement.
A noter que « Le Digital est aujourd’hui identifié au niveau mondial comme
la 4éme révolution industrielle, créatrice d’opportunités
économiques et sociales majeures, mais apportant également des changements sans
précédent ». (3)
De ce fait, la relation Assureur
/intermédiaire vit au rythme d’un profond
changement dans son mode de
gestion opérationnelle : plus question d’échange physique (papier, envoi
postale, le coursier qui pointe chaque matin au bureau d’ordre) .Le
processus à base d’échange et de contact
physique devient de plus en plus rare en
occupant l’arrière scène, pour céder la place progressivement à un processus
digitalisé concernant , dans un premier temps,
les assurances de masse (Assurance Maladie, assurance Automobile…etc.),
en occupant l’avant scène .
Toute tentative d’aller à l’encontre
de cette avancée ne serait que suicidaire. La digitalisation des processus apporte des avantages factuels qu’on
peut résumer en quatre chapeaux :
Chapeau
1 :
Un gain de temps énorme. Comme disait les américains le temps c’est de
l’argent.
Tous les processus à base de la
démarche classique sont chronophages et énergivores et ne permettent pas
l’agilité souhaitée pour satisfaire une clientèle assez avertie.
Chapeau 2 : une proximité virtuelle inédite qui
permet de répondre rapidement aux besoins des intermédiaires là ou ils se trouvent surtout avec la
dématérialisation de l’attestation d’assurance automobile.
Il est vrai qu’aujourd’hui « les liens qui se tissent
habituellement dans une proximité géographique s’élaborent maintenant via des
réseaux de connaissances en s’affranchissant des contraintes spatiales ».De ce fait « notre représentation évolue d’une représentation en termes
de territoires vers une représentation en termes de réseaux. »
La proximité virtuelle est aussi
génératrice d’un gain de temps dans un monde qui évolue à une vitesse
vertigineuse.
C’est aussi une solution aux
tracasseries que cause le déplacement dans les grandes villes comme Casablanca
(embouteillage, stationnement)
Chapeau
3 : Une
vraie réduction des frais de gestion et une compression des coûts de
fonctionnement pourraient, par ricochet, impacter les primes d’assurance en les
révisant à la baisse au profit des assurés.
Chapeau
4 :
Une décongestion et démantèlement des
bureaux d’ordre qui est synonyme de la bureaucratique et de lenteur de
traitement, en établissant une relation, vu au moins du côte de l’intermédiaire
en assurance, comme injective : l’intermédiaire aura un seul
et unique interlocuteur au niveau de la compagnie, de la souscription au
règlement des sinistres.
Il est inutile de préciser que dans
cette mouvance , il revient à l’intermédiaire de trouver le mode de
gestion qui répond le mieux aux besoins
et demandes de sa clientèle . A ce niveau là, la difficulté se ressent
davantage car la clientèle est
hétérogène et composite et du coup,
l’intermédiaire sera certainement à cheval entre les deux modes de
communication et de gestion à savoir le physique et le digital, un chevauchement certain au moins pour un certain temps.
Il s’agit là d’une autre adaptation et d’un savoir être que l’intermédiaire doit développer pour bien
entendre et mieux répondre à sa
clientèle.
Toujours est-il, la tendance majeure
du secteur d’assurance, toutes composantes confondues, est de s’approprier les outils de digitalisation et
les utiliser à bon escient, en faisant bouger toutes les lignes par une recherche pédagogique de l’adhésion forte, de la concertation
collaborative et l’implication de tous
les acteurs actives dans cette industrie d’assurance. Du coup, Il est essentiel de faire de la conduite de changement un vrai levier
d’accompagnement pour un atterrissage en douceur.
IV- La
vente des produits
d’assurance via en ligne
serait-elle le vrai cauchemar pour les assureurs d’aujourd’hui ?
La génération Z et la génération
Alpha sont deux générations nées alors
que le numérique est déjà là. Elles sont comme un poisson dans l’eau.
La première est née entre 1997 à 2010
et la seconde entre 2010 à 2020.
La
manipulation du numérique et ses outils ne leur posent pas de problème.
En revanche, c’est leur mode de
fonctionnement privilégié marqué par une ultra connectivité.
Ce constat débouche, sans
équivoque, sur une évidence : la
vente et l’achat des produits d’assurance via l’internet, en ligne, constituera
demain le canal le plus privilégié et le plus
utilisé. Une vraie menace aux
canaux traditionnels représentés par les
intermédiaires en assurance
d’aujourd’hui. Certains ont pris conscience et commencent déjà à se
mettre à niveau.
Cette menace s’accentuera si
demain les GAFAM (Google, Apple, Face book, Amazon, Microsoft) et BATX
(Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) en absence d’une réglementation rigide et drastique,
commence à vendre les contrats et produits d’assurance. Un bouleversement
inédit et un tournant dans l’histoires des assurances !
V- Quels sont les symptômes de cette
menace ?
La vente et l’achat des produits
d’assurances donnent au client un pouvoir de choix inégalé. Si aujourd’hui « Le client est roi » demain peut être, il sera « empereur ».
Tous les sondages et les statistiques montrent
que lors d’un achat d’un contrat d’assurance, le client met le prix à la tête de ses critères de choix.
Par conséquent, le client décide d’aller vers tel ou tel opérateur d’assurance en fonction du prix et compte tenu de son
budget et éventuellement de son besoin. La vente en ligne lui offre, plus que jamais, la possibilité de
comparer les primes d’assurances des différents acteurs sans
quitter son canapé et décider librement détaché de toutes autres
contraintes. La relation bâtie sur un
rapport de connaissance entre
l’assuré et son assureur conseil sera, dans une large mesure, désuète.
Ce nouveau canal démolie les frontières géographiques et permet à l’assuré d’acheter son assurance là
ou bon lui semble à moins qu’une réglementation vient recadrer le métier des
assureurs.
Qui empêche demain un client
d’acheter une assurance maladie complémentaire ou une assurance vie prévoyance
auprès d’une compagnie étrangère ?
Encore, qui assurera demain la
voiture autonome (sans chauffeur) le
constructeur ou l’acheteur ? Faut-il assuré véhicule par véhicule ou des
flottes entières ?
Voila des questions qui bouleverseront le marché d’assurance automobile de demain.
Si c’est le constructeur qui devrait
assurer ses flottes que reste aux intermédiaires d’assurances et même aux
compagnies d’assurance des pays où il n’ya
pas d’industrie automobile !
L’internet n’est-il pas un phénomène
de désintermédiation ?
Effectivement, certains spécialistes
considèrent que « la croissance
de l’Internet dans l’économie fait peser un risque de désintermédiation sur les
intermédiaires au sein du canal de distribution et donc une reintermédiation
par de nouveaux acteurs comme le marketplace ».
A cela, s’ajoute une autre menace
celle de l’Intelligence Artificielle (IA) qui
en sus de sa forte contribution à la résolution de certains problèmes
comme la fraude, le traitement rapide des données, et l’aide à la prise de décision,
elle pourrait se substituer à l’être humain au moins pour
les tâches à faible valeur ajoutée.
Dans son livre « la guerre des
intelligences », LAURENT ALEXANDRE
souligne que « la
nouvelle équation du futur c’est qu’on ne peut maîtriser l’IA qu’avec
l’IA ».
Pour conclure sur
une note positive, ces changements et ces menaces, au moins pour notre
pays, ne sont pas pour demain, mais il faut dorés et déjà se préparer et
retrousser, dés aujourd’hui, les manches.
(1)
LA GUERRE DES INTELLIGENCES Dr LAURENT ALEXANDRE EDITION
JC LATTES
(2)
Le monde change …et nous ? véronique Guérin Jacques
FERBER
(3) Note d’Orientations
Générales pour du Digital au Maroc à horizon 2025 .Royaume du Maroc. Le chef du
Gouvernement.
AHMED CHIGUER
EXPERT EN
ASSURANCE
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