L’inflation
est de retour et la spéculation aussi
Pr. Mohammed Germouni
Economiste, politologue
Le retour de l’inflation constitue un
véritable défi tant pour le monde dit de l’économie et de la finance que pour
les divers gouvernements et Banques centrales devant y faire face de par les
pays à économie de marché. Les victimes sont nombreuses à commencer par tous les
consommateurs aux faibles ressources ainsi que les petits épargnants et
retraités sans parler de ceux sans emploi et sans ressources régulières. Progressivement,
l’économie mondiale est passée d’une longue période de prix stables tendant même
à la baisse à une autre de hausse généralisée et peut-être durable, jusqu’à
requérir un intérêt grandissant.
L’indice des prix à la
consommation
Dans la pratique, ce sont les services
statistiques relevant des États comme au Maroc, qui sont en charge de mesurer
en particulier l’évolution des prix à la consommation d’une période déterminée,
en produisant un indice synthétique. Les « paniers » de biens et
services retenus diffèrent d’un pays à l’autre, selon le niveau de
développement. Aux USA par exemple, c’est une attribution du ministère du
travail. Parfois cela peut-être une institution ou un organisme indépendant
reconnu par les partenaires sociaux pour son objectivité et outillé pour la tâche
dans certaines régions du monde.
Un tel indice servira par exemple à Bank Al Maghrib
à l’instar d’autres banques centrales dans le monde par exemple pour élaborer son
propre indicateur d’« inflation sous-jacente » pour cibler désormais des
prix au lieu des agrégats monétaires de naguère. Cependant l’exclusion des variations
des prix des carburants et des denrées alimentaires de base en limite la
pertinence, l’alimentation représentant près de la moitié des revenus modestes
outre les charges de transport dans le cas du Maroc. La
forte poussée inflationniste en cours à l’échelle de la planète, constituera un
test du niveau d’ efficacité d’un tel ciblage par l’autorité monétaire.
D’économique le phénomène de la hausse des
prix devient éminemment politique et de tout temps, dans le sens où il fait
appel à un suivi global et organisé par les pouvoirs publics. Un tel évènement
ne peut être laissé au simple jeu des marchés des biens et des services et
encore moins aux interventions d’opérateurs économiques locaux et
internationaux dont le métier est non seulement d’anticiper mais aussi de
spéculer sous couvert du simple « business as usual ».
Passé inflationniste
Le pays n’est pas à sa première inflation et
une génération de décideurs et de banquiers actuels fut témoin des écueils et
difficultés éprouvés naguère pour parvenir à stabiliser progressivement le
fragile équilibre économique général du pays. Par le passé, et dans des
circonstances mondiales presque similaires de Guerre d’invasion du Kippour 1973
et de hausse du prix de pétrole, la spirale inflationniste n’avait alors épargné
que peu d’activités, induisant parfois d’importantes transformations notamment sur
les niveaux des coûts, des salaires et des revenus à travers le monde.
Ce fut le
premier grand « choc pétrolier » international avec un triplement du prix
du baril de pétrole, à l’initiative d’un cartel de pays exportateurs de pétrole
(OPEP), une structure intergouvernementale constituée en 1960. En perturbant l’approvisionnement
des grands pays industriels qui avaient fait bloc derrière la partie israélienne
lors du conflit armé, il a mis fin aux prix bas imposés par un marché
international jusque-là dominé par les seules grandes compagnies pétrolières
américaines et européennes. Avec une insertion structurelle dans l’échange international peu différente de celle d’hier, on peut
rappeler par exemple que le Maroc avait été à son tour affecté par le cycle inflationniste
jusqu’à être contraint de tripler le prix fob de ses phosphates. Avec une élasticité-prix
autrement différente de celle des produits énergétiques et dans un contexte de
début de récession internationale, pareille décision aura eu d’importantes
répercussions négatives sur les équilibres économique et financier du pays.
L’augmentation
rampante actuelle de prix est à la fois le résultat d’offres réduites de matières
premières et de biens intermédiaires ainsi que des fortes liquidités résultant de
nombreux grands programmes publics de sortie de pandémie ici et là, en soutien
tant à la consommation et à la production. Au tableau de bord de l’économie mondiale,
la production de la grande usine chinoise en particulier enregistre une somme d’incertitudes
appelées à durer tant sanitaires, économiques que politiques interagissant sur
les décisions de production, d’investissement et de consommation du Reste du
monde à court et à moyen terme. Un tel climat favorise des hausses de prix bénéficiant
à la chaîne des intermédiaires et des nombreux « traders ».
Insuffisante anticipation.
En
dépit de diverses alertes signalant un retour d’instabilité des prix au niveau international
depuis l’année dernière, l’option privilégiée par exemple tant par la Réserve américaine
(Fed) que par la Banque centrale européenne déjà depuis plusieurs années a été maintenue,
consistant en aides aux marchés tant par des crédits massifs que par des achats
de dettes des grandes entreprises internationales en se préoccupant peu du
niveau général des prix et de l’économie réelle à proprement parler. L’attitude
optimiste de certaines grandes banques de la planète quant à la courte durée de
l’actuel processus inflationniste qu’elles voudraient transitoire n’est plus
d’actualité, car Il y a divers indicateurs de hausse de prix dans les tuyaux
des différents marchés mondiaux qui portent à penser qu’une ample et longue détérioration
économique est à redouter avant de connaitre quelque retour au calme.
D’ailleurs, à cet égard, au cours des six
dernières décennies par exemple, aucune baisse notable des prix n’avait été enregistrée
par le simple effet des seuls taux des grandes banques centrales. Ceci est
conforté par l’attitude pessimiste des grands fonds d’investissement
américains, qui font la pluie que le beau temps, faisant savoir que la
récession est au bout du mouvement des taux d’intérêt officiels. En témoigne l’inversion
récente des courbes taux des emprunts américains d’État à court terme et de ceux
à dix ans qui n’est pas de bon augure pour l’évolution économique et financière.
L’actuelle inflation peut paraitre certes moins structurelle que celle d’avant,
en raison de la faible indexation des salaires et de projections
inflationnistes à long terme relativement réduites, mais un recul de l’activité
ne pourrait être évité et non sans aggravation du chômage.
Difficile
éventuel « atterrissage en douceur »
Les
dernières analyses des milieux financiers anglais, suite aux conclusions pertinentes,
en particulier d’un Charles Goodhart de la London School, paraissent
pertinentes pour considérer que l’évolution des contextes économiques
internationaux depuis l’apparition du virus du covid 19 a été mal approchée par
les autorités monétaires américaines. En effet, cette pandémie encore inachevée
parait constituer une sorte de ligne de démarcation entre les forces
déflationnistes des dernières décennies et la poussée inflationniste en cours depuis
et partie vraisemblablement pour quelques longues années. La phase actuelle correspondrait
notamment à une réduction du nombre des demandeurs d’emplois combinée à un vieillissement
accentué par un recul du taux d’activité des populations en Amérique du nord et
en Europe ainsi qu’ en Chine. L’aggravation des tensions internationales ne ferait
qu’amplifier les risques d’un large dysfonctionnement des chaines de production,
de fourniture et de transport antérieurs. Toutes choses étant égales, ces risques
et incertitudes vont peser à leur tour sur les divers coûts.
Aussi
un éventuel « atterrissage en douceur » prôné dans certaines
enceintes financières internationales ne parait ni pertinent ni réaliste et
doit inciter les divers décideurs nationaux à ne compter à court et à moyen terme
que sur leurs propres ressources et sur l’action stabilisatrice de leurs
pouvoirs publics aussi limitées soient-elles. La guerre d’Ukraine, par le genre
de coalitions formées de puissances pour ou contre, renvoie le monde à
l’ancienne confrontation Est- Ouest aussi dangereuse que celle des années 60 du
siècle dernier, avec cette particularité de fortement perturber également
le commerce international. Outre le grand nombre de victimes et de réfugiés,
les destructions et dégâts causés au pays envahi n’augurent dès lors ni d’une
sortie rapide ni facile d’un pareil conflit, ne pouvant déboucher que sur une
division du travail marquée par un haut niveau de méfiance et basée sur la
puissance et le commerce des armes. /
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