La résilience de la grande transformation
sociale-démocrate en Suède : modèle d’encastrement du marché dans le
social, portée et limites
Introduction
La Suède a réussi à mettre en place un système que certains ont qualifié de troisième voie qui repose sur le principe de ré-enchâssement de l’économique dans le social tout en donnant à l’initiative privée les moyens de se développer. C’est le juste milieu qui s’exprime à travers un compromis dont l’ambition est « de réduire radicalement l’emprise du marché dans tous les domaines de la protection sociale tout en développant des secteurs marchands dynamiques »[1]. L’encastrement ne se limite pas au système de protection sociale mais s’étend au marché du travail dont le mode de régulation passe par les conventions et les accords collectifs qui sont le produit du rapport de négociation entre les syndicats des travailleurs et les associations des capitalistes. Le développement de l’économie sociale se manifestant sous plusieurs variantes dont le coopératisme incarne également une autre forme non négligeable de l’encastrement. Il s’agit de construire une société où l’économie est conçue non comme un objectif en soi mais comme un « moyen d’une profonde transformation sociale »[2].
Les socio-démocrates représentés par le
PSD (Parti Social-Démocrate) et épaulés par les syndicats des travailleurs sont
considérés comme l’acteur principal de la construction de ce modèle[3]
sachant que le système politique suédois est une monarchie constitutionnelle où
au terme d'un effacement progressif
de ses prérogatives à partir de 1914, le roi ne détient plus aucun pouvoir. Les
socio-démocrates se
revendiquent du réformisme socialiste et rompent avec toute conception
socialiste révolutionnaire[4].
Le modèle suédois va s’auto renforcer au
fur et à mesure de son évolution en mettant en action divers acteurs sous la
coupe de la mouvance de la social-démocratie. Ces acteurs ne se limitent pas
aux deux classes sociales principales qui sont les capitalistes agrariens et
industriels d’une part, et les travailleurs de l’autre, mais incluent les
intellectuels notamment les économistes suédois qui vont à chaque phase de
l’évolution du modèle suédois contribuer à façonner le régime de croissance à
travers leurs apports théoriques. Le rôle clé des sociaux-démocrates réside
dans leur capacité et leur habileté d’organiser les alliances institutionnelles
entre les classes sociales en présence à travers l’institutionnalisation de
l’économie au sens de K. Polanyi[5],
c’est-à-dire par le biais de modalités concrètes incarnées par les trois formes
d’intégration sociale qui sont l’échange, la réciprocité et la redistribution.
Comme on verra, cette dernière forme qui matérialise l’encastrement de
l’économique dans le social occupe une place centrale dans le modèle
social-démocrate suédois. Comme le souligne pertinemment Gunnar Myrdal, l’un
des acteurs majeurs ayant contribué à la construction de ce modèle[6],
« Une thèse essentielle sous-jacente à cette nouvelle phase de
mon travail était que des réformes égalitaires bien programmées seraient
préventives, prophylactiques et ainsi productives. Le fait qu'en Suède quarante
ans de réforme sociale, en accélération constante, n'aient pas arrêté la
croissance et le progrès économique, en dépit des avertissements permanents des
économistes plus âgés, mais qu'ils se soient soldés par un succès éclatant,
même en termes économiques, fournit maintenant rétrospectivement la preuve
concrète que nous avions raison, même si d'autres forces ont aussi participé à
cette évolution »[7].
A ce propos, Gunnar Myrdal semble se contredire dans la mesure où
dans ses approches méthodologiques, il reproche à la théorie économique
traditionnelle de séparer les problèmes de la production de ceux de la répartition.
Il commet la même erreur dans sa conception réformiste égalitaire fondée
uniquement sur la répartition. En voulant
transformer la société à travers la seule sphère de la redistribution du
revenu, la social-démocratie qui s’inspire largement de la pensée de Myrdal va
se buter contre l’hégémonie du capital qui, comme nous le verrons, va résister
à la masse des travailleurs dans leurs tentatives de socialisation des moyens
de production à partir des années 1960-1970 qui marquent l’essoufflement du
consensus social entre le capital et le travail. L’harmonie d’intérêts entre
les classes sociales soutenue par Gunnar Myrdal s’avèrera illusoire suite aux
revendications ouvrières d’une véritable démocratie industrielle qui ne peut se
réaliser qu’au niveau de la production de la valeur[8].
La social-démocratie surmontera cette crise en donnant un nouveau
souffle au consensus social entre les travailleurs et le patronat via de
nouveaux accords. Le capital en sortira gagnant tirant profit de la vague
néolibérale dont la social-démocratie ne sera pas complètement épargnée bien
qu’elle réussira à préserver l’Etat-providence qu’elle a instituée. C’est dire
que les limites de la social-démocratie résident dans son consentement à
l’économie de marché qu’elle considère comme compatible avec l’institution
d’une société égalitaire. Or, cette compatibilité bien qu’elle soit possible à
travers l’encastrement de l’économique dans le social, elle n’est que relative
dans la mesure où elle demeure soumise aux rapports fondamentalement
conflictuels et contradictoires entre les classes sociales. Pour Gunnar Myrdal,
l’Etat-providence est voué à se perpétuer dans le cadre d’une société
démocratique. A ce propos, écrit-il « Il était facile de prévoir que, dans
la mesure où des couches de plus en plus larges de la population recevaient
toutes la part de pouvoir politique qui leur revenait et devenaient de plus en
plus conscientes de la possession de ce pouvoir et des possibilités de
l'utiliser dans leur propre intérêt, elles exigeraient de l'État une
intervention redistributive sur une grande échelle. Aristote avait déjà prévu
ce développement »[9].
La démocratisation de la société serait ainsi le garant de l’Etat-providence et
donc de l’encastrement de l’économique dans le social. Si ce rapport entre la
démocratie et l’Etat-providence n’est pas dénué de tout fondement dans une
société capitaliste, il devient sujet à caution dans une société de marché au
sens de Polanyi où prédomine le fétichisme de la marchandise reléguant les
autres formes d’intégration, la redistribution et la réciprocité au second rang
comme dans la société néolibérale d’aujourd’hui où l’Etat-providence est
affecté par un « grand bond en arrière ».
Avant d’aborder les phases d’évolution
et d’auto renforcement du modèle suédois, il serait intéressant de nous
éclairer sur ses origines historiques étant donné qu’il constitue
l’aboutissement logique d’une série de faits politiques, économiques et sociaux
qui représentent autant de caractéristiques propres à la phase précapitaliste
de la Suède.
III.1.1-
Les origines historiques du modèle suédois
L’expérience de développement suédoise est érigée en modèle dès les
années trente. A la fin des années 1980 et le début des années 1990 qui
marquent la crise économique et financière de la Suède, le modèle est taxé
d’échec avant qu’il ne soit de nouveau mis au-devant de la scène.
Bon nombre de caractéristiques confèrent à ce modèle une certaine
originalité. En effet, la Suède, pays neutre au même titre que la Suisse, vit
en paix depuis 1814, date de la dernière guerre dans laquelle elle fut
entrainée par l’Angleterre contre la France de Napoléon. Elle a été épargnée de
toute guerre de religion et des soulèvements paysans massifs comme les
« jacqueries » du moyen-âge, de toute occupation étrangère et des conflits
de nationalités.
La Suède n’a pas connu le système féodal du continent européen
caractérisé par l’emprise des nobles et du clergé exploitant les paysans réduits
en serfs. Les communautés paysannes relativement émancipées y furent porteuses de
valeurs profondément répandues dans la population suédoise tels que
l’attachement à la nature, le respect de l'indépendance personnelle, un esprit
démocratique et communautaire faisant large place à des mœurs simples et
non-conformistes[10].
L’historien polonais Kasimir Musiał avance que le modèle nordique,
assimilé souvent au modèle suédois, renvoie à un imaginaire social européen
selon lequel les pays nordiques se spécifient par un esprit de modernisation et
de réforme fondé sur des méthodes pragmatiques et rationalistes guidées par le
progrès social. Cet esprit tire ses origines dans l’histoire politique et
sociale du pays. Plusieurs éléments concourent à créer les conditions
favorables à la construction de l’éthos de confiance collectif. Dans ce cadre,
le consentement populaire à l’impôt remonte à la Charte de 1319. La
représentation des paysans au parlement date du XVIe siècle et l’alliance de la
monarchie avec le peuple pour contenir les privilèges de l’aristocratie ont très
tôt créé un sentiment de communauté nationale, qui a permis d’éviter les bouleversements
révolutionnaires. L’idéal d’une société bien réglée, où chacun trouve sa place
et participe à l’organisation collective, est antérieure à l’avènement de la
social-démocratie. C’est dans cet esprit que l’État suédois avait affronté au
XIXe siècle la crise profonde affectant le monde rural. Alors que la population
devait doubler entre 1750 et 1850 – entraînant la division des terres et la
pauvreté, culminant avec la famine de 1867 –, une politique de développement
des infrastructures, des écoles et des instituts de technologie avait permis de
lancer l’industrialisation autour d’innovations techniques dont un certain
nombre de multinationales d’aujourd’hui sont les héritières. A l’instar des
autres pays nordiques, la Suède s’est distinguée dès la fin du XIXe siècle par
l’intérêt dévolu à la coopération et au mutualisme ainsi qu’à la modernisation
de l’agriculture précocement rationalisée et mécanisée et à l’attention
particulière accordée à la nature, c’est-à-dire à l’écologie. Ces acquis seront
renforcés avec l’accès au pouvoir de la social-démocratie durant les années vingt
et trente et qui seront davantage consolidés par les réformes sociales
introduites par les travailleurs[11].
Dans son livre « Sweden the middle way », le journaliste américain
Marquis Childs[12]qualifie
la Suède dès cette époque de pays où les réformes mises en place constituent un
Middle Way, une troisième voie entre capitalisme libéral et planification
soviétique et où les avantages du marché sont mis au service des fins communes
et donc du progrès social constituant le pivot de ce modèle.
La bourgeoisie s'est développée
lentement en Suède, de même que l'urbanisation, la population citadine
représente à peine 10% environ en 1850. En effet, la Suède n’a pas connu de
révolution bourgeoise comme la révolution française par exemple bien qu’elle en
ait subi l’influence en adoptant des réformes pacifiques[13].
C’est dans ce contexte que va voir le jour le parti social-démocrate en 1889
qui va être à l’origine de la construction du modèle suédois. D’où l’intérêt
fort primordial de comprendre pourquoi les socio-démocrates ont pris l’avantage
au sein du mouvement ouvrier en Suède comme ce fut le cas dans beaucoup de pays
industrialisés pendant certaines séquences de leur histoire comme l’Allemagne
ou l’Angleterre par exemple contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres
pays où la révolution socialiste a triomphé comme en Russie, en Chine et à Cuba
ou au Vietnam, en Yougoslavie et en Corée du Nord, fait analysé par Antonio
Gramsci dans son œuvre « Cahiers de prison» à travers son concept
d’hégémonie culturelle[14].
III.1.2-
L’auto renforcement du modèle suédois dans la mouvance de la social-démocratie
Le parti social-démocrate va se constituer en prenant appui sur la
classe ouvrière dont le processus de formation s’accélère parallèlement à celui
de l’expansion industrielle. En effet, bien que l'industrialisation de la Suède
ait été tardive, elle sera accélérée vers la fin du 19ème siècle
impliquant un accroissement important de la masse des travailleurs industriels
qui voient leur nombre passer de 90,000 en 1870 à 400,000 en 1900. En vue
d’améliorer leurs conditions de travail caractérisées par une exploitation
épouvantable, les travailleurs vont s’organiser. Toutefois, leur combat va se
focaliser sur la conquête du droit de participation au suffrage universel dont
ils étaient exclus et qui devient l’objectif principal du parti social-démocrate
dont la création fut l’œuvre de l’union de 69 associations ouvrières. Ce parti
adopte une vision qui prend sa source dans le programme de Gotha du parti
social-démocrate allemand[15]
de 1875 avant de s’en éloigner au fur et à mesure de l’évolution de ses pratiques
durant l’exercice de son pouvoir étatique finissant par rompre avec toute
optique socialiste révolutionnaire si on excepte la courte période du mouvement
ouvrier précité visant à instituer une démocratie industrielle pour arracher le
pouvoir au capital dans les années 1960-1970.
Cette orientation a conduit le parti social-démocrate suédois à
privilégier la voie réformiste visant à se pencher sur les problèmes quotidiens
des travailleurs et à conquérir le pouvoir au moyen des élections législatives,
ce qui va lui permettre d’accéder au parlement en 1897. Son militantisme
débouchera sur la fondation en 1898 de la Confédération générale du travail, la
L.O., d’où les rapports fortement étroits liant le parti social-démocrate et
les syndicats ouvriers. En même temps, il s’est produit un rapprochement entre
le parti social-démocrate et les mouvements populaires comme les coopératives
ou les mouvements d'éducation populaire et de tempérance, ce qui imprègne le parti
d'un moralisme humaniste à caractère religieux dans sa vision de la gestion de
la vie publique. Il est à souligner que ces mouvements populaires incarnaient à
l’échelle de la plupart des pays européens une forme de parade des franges
sociales les plus vulnérables et démunies notamment les forces ouvrières
industrielles cherchant à se protéger des conditions de misère imposées par la montée
en puissance de la société de marché aux 18èmeet 19èmesiècles.
Ce qui reflète déjà à notre avis une forme d’encastrement que tente d’opposer
cet élan associatif contre les forces mutilantes du marché en développant le secteur
d’économie sociale. Comme le soulignent José Luis Monzón Campos et Rafael
Chaves Ávila, cet élan coopératif s’est développé en lien direct avec la pensée
socialiste de Robert Owen et des anticapitalistes ricardiens tels que William
Thompson, George Mudie, William King, Thomas Hodgskin, John Gray et John
Francis Bray. De ce fait, « de 1824 à 1835, un lien étroit s’est
d’ailleurs tissé entre ce mouvement et les syndicats, qui, tous deux,
concrétisaient une même démarche des travailleurs et aspiraient à un même
objectif : l’émancipation des classes ouvrières »[16].
C’est dans le cadre de la recherche de cette émancipation que le
mouvement ouvrier suédois s’est mobilisé pour conquérir ses droits politiques
et sociaux en organisant des grèves générales en 1901 et 1909. Toutefois,
celles-ci se sont soldées par un échec patent qui allait pousser le parti
social-démocrate à focaliser son action sur la lutte parlementaire au détriment
de la mobilisation des travailleurs. Ce qui lui a permis de réaliser un notable
succès aux élections parlementaires de 1911 lui conférant 64 sièges au lieu de
34 auparavant, et, d’acquérir le suffrage universel en 1918. En dépit du succès
relatif du parti entre 1920 à 1932 accédant au pouvoir à de nombreuses reprises, il sera à chaque fois renversé par
des coalitions des partis bourgeois.
Deux évènements vont lui permettre de changer cette situation en sa
faveur qui sont la crise de 1929 et la réaction violente de la bourgeoisie en
1931.
En
effet, celle-ci en usant de la force armée pour saper le mouvement ouvrier
incita ce dernier à se révolter, ce qui porta le parti social-démocrate au
pouvoir en 1932. De par sa nature réformiste, celui-ci tout en répondant à
certaines revendications de la classe ouvrière a engagé une collaboration avec
le patronat qui voyait dans ce parti le meilleur partenaire pour résorber la
crise économique étant donné qu’il disposait de liens étroits avec le syndicat
des travailleurs. « Le parti social-démocrate va permettre à la machine
capitaliste de surmonter la crise, premièrement en se gagnant la popularité des
travailleurs par ses réformes sociales et en achetant ainsi leur accord au système,
deuxièmement en guidant le mouvement ouvrier vers la voie de la concertation
patrons/syndicats, et donc de la productivité »[17].
Le processus d’auto renforcement du
modèle suédois sera à mettre à l’actif du parti social-démocrate qui va accaparer
le pouvoir exclusif de gouverner de 1932 à 1976. Ce procès institutionnalisé comporte
plusieurs étapes dont chacune implique une configuration spécifique en fonction
de la nature des acteurs y intervenant et qui insufflent à chaque phase une
nouvelle dynamique qui répond aux exigences de la conjoncture historique. Comme
l’explique Aristote dont s’inspire K. Polanyi, l’économie n’a pas en elle-même
sa propre fin étant donné que les processus de production, de circulation et de
répartition des biens s’insèrent dans un réseau d’institutions qui en
déterminent les modalités et les finalités. Ce qui définit le concept
d’économie substantive[18] par opposition à l’économie
formelle. Le projet sociétal auquel aspire la social-démocratie se reflète dans
le mode d’institutionnaliser l’économie. Celui-ci tout en reconnaissant la
propriété privée des moyens de production et d’échange vise à construire un
Etat où l’encastrement de l’économique dans le social a pour objectif d’assurer
la reproduction sociale et donc le mode d’intégration sociale non seulement à
travers l’échange marchand mais aussi par le biais de la redistribution comme
forme de socialisation. On retrouve ici l’empreinte des idées réformistes
défendues par Gunnar Myrdal qui en tant qu’économiste institutionnaliste défend
dans ses ouvrages[19] le concept de l’Etat-providence et
considère les réformes sociales comme prioritaires dans tout processus de
développement. G. Myrdal qui adhère au parti social-démocrate en 1931 et qui
remplira des fonctions politiques clés dont celle de ministre du commerce et de
l’industrie (1945-1947) et président de la commission de planification de Suède
(1942-1946) soutenait une thèse opposée à celle d’autres économistes de son
époque selon laquelle toute politique redistributive constitue un obstacle à la
production et aux forces du marché aggravant ainsi la situation initiale
qu’elle était supposée améliorer. Contre cette analyse qu’il qualifie de statique,
G. Myrdal développe une approche dynamique qui, comme il a été souligné, repose
sur la causalité cumulative. A ce propos, écrit-il, « Dans une société
progressiste – caractérisée à la fois par des réformes de redistribution et par
un progrès économique, puisque ces deux types de changements sociaux se
renforcent mutuellement par voie de causalité circulaire –, l’amélioration du
sort des pauvres peut souvent s’accomplir sans impliquer de sacrifices
importants pour ceux qui bénéficient d’une plus grande aisance, et il arrive
parfois que cette amélioration ne soit pas seulement compatible avec la hausse
des niveaux dans toutes les catégories de revenus, y compris les plus élevées,
mais en soit même une condition»[20]. Dans le même sens, écrit-il « Mais c'est
là un point de vue absolument statique. Si nous cherchons à tirer la leçon de
ce qui s'est effectivement passé dans les pays riches qui ont, pendant la
dernière moitié du siècle, accompli de grands progrès sur la voie d'une
égalisation des chances, nous aboutissons, au contraire, à une théorie
dynamique : à savoir qu'une meilleure égalisation des chances a été nécessaire
pour stimuler et soutenir le progrès économique, aussi bien que pour assurer la
validité des postulats de la démocratie sociale »[21]. (1959, 142)
-
Le
processus institutionnalisé de l’Etat et de l’économie social-démocrate :
la phase embryonnaire de l’Etat-providence (1924-1945)
Mettant à profit le commerce
extérieur avec l’Allemagne nazie en lui exportant des armes et des matières
premières notamment le fer à partir de 1933, le parti-social-démocrate a pu
faire face à la grande crise économique des années 1930. Ce qui lui a permis de
réduire le nombre des chômeurs de 190000 en 1933 à 10000 en 1937 et en même
temps de mettre en œuvre des politiques sociales bénéficiant aux couches
populaires et à la classe ouvrière telles que la lutte contre le chômage, les pensions
de vieillesse, les allocations de logement, les congés payés. En contribuant à
améliorer le pouvoir d’achat et donc de la demande, ces politiques trouvent
leur source dans les propositions faites par les économistes de l’école de
Stockholm[22] qui, à la fin des années 1920 et donc même avant Keynes, établirent
une relation entre chômage et insuffisance de la demande. Ces théories
novatrices inspiraient fortement le parti social-démocrate dans la mesure où
elles confortaient sa vision du rôle économique de l’Etat en accordant la
priorité au plein-emploi au moyen notamment de politiques contracycliques, c’est-à-dire
de politiques qui consistent à relancer les dépenses budgétaires en période de
sous-emploi et à les réduire en période de contraction de la demande. Ces politiques ont participé à la
relance de l'économie pendant la crise des années 1930 et du même coup à
renforcer l’adhésion des couches populaires et ouvrières à la vision du parti
social-démocrate. Ce dernier définit le socialisme suédois comme « un
socialisme de gestion et de fonction et non de production » comme l’a bien
affirmé Olof Palme, le célèbre ex-premier ministre social-démocrate. L’objectif
de socialisation de l’économie est abandonné au profit de
l’institutionnalisation de la propriété privée des moyens de production et
d’échange et des accords de compromis entre la classe des travailleurs et celle
des capitalistes. La lutte des classes est bannie au profit de la recherche
d’un consensus général de tout le peuple suédois. Déjà lors des élections
législatives de 1928, le dirigeant du parti social-démocrate Per Albin Hansson
conçoit l’État comme le « foyer du peuple » au sens d’un espace public incarnant
la solidarité du peuple, ce qui constituera une caractéristique structurelle de
la Suède.
Une des formes de cette solidarité
fut la conclusion d’un compromis historique survenu en mai 1933 à travers
l’alliance entre les agrariens, c’est-à-dire les représentants des fermiers, et
les sociaux-démocrates. En vertu de cette alliance, les agrariens adhèrent aux
réformes sociales adoptées par les socio-démocrates pendant que ces dernies
accordent leur soutien aux prix agricoles et s’engagent à limiter les tensions
sociales. Cette alliance qui ne sera rompue qu’en 1957 a permis de procurer au
pays la stabilité politique nécessaire à la poursuite du processus
d’institutionnalisation du modèle suédois.
En effet, cette alliance a contribué
à la mise en place d’un autre pilier dudit modèle qui n’est autre que le processus
de concertation entre le patronat et les travailleurs incarné par l’accord de
Saltsjöbaden (1938). Cet accord fut conclu entre LO (Landsorganisationen i
Sverige), la confédération ouvrière, et SAF (Svenska arbetsgivarförening), la
confédération patronale. En résumé, cet accord donne le droit à l’employeur de
recruter ou de licencier un travailleur qu’il soit syndiqué ou non tout en
accordant au syndicat ouvrier le droit de recourir à la grève sous condition
d’un préavis de 8 jours et en rendant la conciliation obligatoire entre les
travailleurs et les employeurs.
Comme le souligne Vincent Simoulin,
cette première phase d’auto renforcement du modèle suédois constitue
« moins un moment de son réel développement (…) que de mise en place
des acteurs et institutions qui en permettront le développement »[23].
En effet, au vu de la modestie des
réformes sociales adoptées avant 1945 et des avancées du mouvement
d’encastrement, l’Etat-providence se trouve encore dans sa phase embryonnaire.
Toutefois, les alliances institutionnalisées entre les différents acteurs ainsi
que le rôle majeur dévolu aux intellectuels de l’école de Stockholm dans la
conception des politiques économiques et enfin la définition du rôle de l’Etat
comme l’incarnation de la solidarité populaire constituent les composantes du processus
institutionnalisé qui va permettre au modèle suédois de se développer en tant
que tel.
-
Le
processus de consolidation du modèle suédois : le développement de
l’Etat-providence à travers l’approfondissement du processus d’encastrement et
l’auto renforcement des rapports sociaux à partir de 1945
A partir de 1945, on assiste au
déclenchement d’un processus de consolidation de l’Etat-providence comme dans
les autres pays capitalistes industrialisés. Toutefois, si dans ces derniers
l’Etat-providence entre dans une phase de déclin à partir de 1975, en Suède
comme dans le reste des pays nordiques, outre le fait que l’Etat-providence
diffère qualitativement de celui prédominant dans les autres pays capitalistes développés
par son caractère universel et sa nature égalitaire, il se distingue aussi par
sa grande résilience face aux transformations qui vont se produire sous
l’influence de l’idéologie néo-libérale à partir des années 1980.
La grande transformation en Suède au
sens de Polanyi se traduit par une prompte modernisation. Elle sera
caractérisée par l’extension des services sociaux et la restructuration de
l’appareil productif via le consensus social travail-patronat, ce qui a permis
au pays de vaincre la pauvreté qui l’a caractérisé des décennies durant. Le
pays engage une politique de transformation des rapports sociaux visant à
réduire les inégalités sociales y compris celles relatives au genre. Cette
politique que nous qualifions d’auto renforcement se poursuivra au cours des
années quatre-vingt-dix à travers une stratégie fondée sur les industries
innovantes telles les nouvelles technologies de l’information. La Suède a
réussi à s’imposer comme un modèle de développement qui se distingue par son système
de protection social fondé sur le critère de résidence écartant toute
possibilité de discrimination sociale et dont le succès est assuré, entre
autres, par la priorité donnée à la recherche scientifique et technique,
l’ethos de confiance et la flexisécurité. Le système politique basé sur la
social-démocratie est sans doute un facteur majeur qui a contribué à ériger la
Suède en modèle réussi. Dans ce pays, l’Etat-providence a fait preuve d’une
solide résilience contrairement à la plupart des pays capitalistes développés
notamment anglo-saxons frappés par « le grand bond en arrière »[24]
et regagnés par l’expansion de la société de marché au sens de Polanyi
du fait que les tendances politiques récentes aient joué
en faveur de l’idéologie néolibérale. Il est à
souligner que la notion de modèle ne devrait pas renvoyer à un référentiel
rigide étant donné que le modèle a connu des mutations durant son parcours
d’adaptation. Celle-ci signifie que le modèle
économique et social se renouvelle grâce à sa capacité d’intégrer les enjeux de
chaque époque. Aujourd’hui, le modèle s’adapte en tenant compte des exigences
« d’ordre écologique – ou plutôt social-écologique, car l’écologie ne peut
plus être déconnectée des questions sociales, pas plus que le changement
climatique ou la pollution du bien-être personnel et collectif »[25].
Autrement dit, la réussite de la transition écologique du modèle suédois
demeure tributaire de sa capacité d’être soutenu par les citoyens et donc
d’être fondé sur l’ethos de confiance collectif « sans quoi les savantes
propositions techniques resteront probablement lettre morte. Or il y a un lien
profond, bien que tacite, entre modèle social, consentement à l’impôt et
efficacité de l’action publique »[26].
Dans ce qui suit, nous allons essayer de porter un éclairage sur
deux points. Le premier concerne le processus de construction du modèle en vue
de mettre en évidence ses éléments pivot et d’en pénétrer sa logique de
fonctionnement, le second
porte sur les mutations de ce dernier au début des années 1990 lui permettant
de dépasser ses crises momentanées faisant preuve d’une grande résilience.
III..2.1- Le processus de construction
du modèle suédois socio-démocrate fondé sur « l’interaction attractive »
de ses éléments constitutifs pivot
Le processus de construction du modèle
socio-démocrate suédois est fondé sur l’institutionnalisation de l’éthos de
confiance collectif. Tous les autres éléments constitutifs du modèle sont
imprégnés par ce principe pivot. Cet éthos de confiance n’aurait pas pu être consolidé
sans la nature profonde de l’Etat construit lui-même sur l’encastrement du
marché dans le social au sens défini par Karl Polanyi. C’est pourquoi l’intelligence
du modèle socio-démocrate ne peut se faire sans « comprendre
l’évolution des institutions pour saisir leurs effets de long terme sur la
société »[27].
Ce procès institutionnalisé de la confiance collective est le résultat de ce
que nous appelons l’interaction
attractive des composantes pivot du modèle à savoir le rapport capital-travail et un État social « universel » fondé sur le critère de résidence, le partage des risques via leur
mutualisation et un système très élaboré des assurances sociales. Le caractère
attractif de cette interaction est l’élément essentiel qui exprime la
solidarité et la coopération des partenaires économiques et sociaux sous
l’égide de l’Etat social. Cet éthos de confiance collectif est renforcé par la
dialectique entre des rapports sociaux fondés sur l’équilibre des forces
sociales et un auto renforcement permanent des forces productives entretenu à
la fois par de tels rapports et la place privilégiée accordée à la recherche
technicoscientifique motivée par l’esprit d’innovation.
III..2.1.1- L’auto renforcement des
rapports sociaux comme fondement de l’éthos de confiance
L’auto renforcement des rapports sociaux
fondant l’éthos de confiance collectif repose sur le fait que la
confiance dans l’Etat se mérite dans la mesure où elle tire sa force de
l’action publique qui elle-même tire sa légitimité de l’encastrement de
l’économique dans le social dont l’une des incarnations essentielles réside
dans l’enchâssement du marché de travail dans la société.
- La confiance dans l’Etat découle de l’action
publique
Comme il a été déjà souligné ci-dessus,
la confiance dans l’Etat tire ses origines dans le processus de la genèse du
modèle suédois qui trouve ses fondements historiques et sociaux dans la nature
du pouvoir en Suède se traduisant par l’alliance de
la monarchie avec le peuple en limitant les privilèges de l’aristocratie et en
permettant aux paysans de participer à la prise de décision à travers leur
représentation au parlement dès le 16ème siècle, Ce qui concourt au
raffermissement de la cohésion sociale créant ainsi un sentiment de communauté
nationale. La confiance dans l’Etat sera renforcée avec l’accès au pouvoir de
la social-démocratie à partir des années trente dans le cadre de la
construction de l’Etat providence qui continue à se consolider jusqu’à nos
jours. En effet, comme le souligne DENIS DELBOURG, « les
sociaux-démocrates, formant leur premier cabinet avec Hjelman Branting en 1920,
abandonnent la lutte des classes[28]
en 1928 au profit d’un projet national qui d’emblée repose sur une répartition
des rôles entre l’État, les employeurs, et les syndicats de travailleurs.
L’État est un État- providence, qui offre aux individus tout au long de leur
vie les services et les prestations qui les rattachent à une communauté
protectrice et égalitaire. Les grandes entreprises privées, sources de la
richesse nationale, sont libres de gérer leurs affaires, et opèrent dans un
environnement libéral. Le dialogue entre les employeurs et les puissants
syndicats de travailleurs est mis à l’abri de l’intervention du législateur :
les uns achètent la paix sociale, les autres la garantie de leur pouvoir de
négociation au profit de leurs membres. Cette répartition des rôles est
consolidée par les fameux accords de Saltjöbaden[29]
en 1938. Dans l’après-guerre, l’État et le secteur public, dont les dépenses
finiront par atteindre 70 % du PIB, assument de plus en plus de prestations et
de services qui pourvoient aux besoins de chacun à tous les âges de la
vie » [30].
Cette confiance dans l’action collective est à
la base de la légitimité de l’État social, du consentement à l’impôt, de la
culture d’adaptation au changement, et de l’apaisement des relations sociales.
L’interaction attractive de ces éléments fonde une sorte de culture spécifique
au modèle de société nordique.
Le rapport capital-travail repose sur la
concertation tripartite entre l’Etat, le patronat et les syndicats. En Suède,
dès 1938, une rencontre entre les trois parties a eu lieu pour se concerter sur
les politiques économiques et sociales. A partir de cette date, les syndicats
ont commencé à jouer un rôle très important dans la conduite de ces politiques.
Ce rôle majeur tire sa force du taux de syndicalisation relativement très élevé
en Suède comme dans les autres pays scandinaves et nordiques notamment le
Danemark, la Norvège et la Finlande comme il ressort du tableau suivant.
Proportion de salariés membres d'un syndicat
dans les pays de l'OCDE
en 1999 – 2006-2018
Sources :
Pour les
années 1999 et 2006, OCDE : http://stats.oecd.org/et ETUI –
worker participation : http://fr.worker-participation.eu/
Pour
2018 : © Statista 2021Date de
publication 2020 Région Monde, OCDE Période d’enquête 2018
Les pays
nordiques se caractérisent par leur système d’assurance-chômage dit gantois par
référence à la ville belge de Gand. Ce système institué dans la ville belge de
Gand en 1900 prévoyait la création d’un Fonds du chômage géré paritairement par
des délégués des syndicats et des représentants de l’autorité communale. Ce
fonds était alimenté par les cotisations des travailleurs qui s’y affiliaient
ainsi que par une intervention de la commune. Il versait aux travailleurs une
assistance en cas de chômage. Ce système
a donné naissance à un « syndicalisme de services » dans lequel
les syndicats, outre le fait de défendre les intérêts collectifs de leurs
membres, ils mettent en place une stratégie de recrutement et de
fidélisation de leurs adhérents en leur offrant une grande variété de
services : services d’information et de conseil sur le droit du travail,
services d'assistance juridique gratuite, services financiers, aides sociales
complémentaires ou encore services de loisirs. Ce système qui fut abandonné par
bon nombre de pays européens y compris la Belgique elle-même est toujours
adopté dans les pays nordiques exceptée la Norvège, ce qui explique le fort
taux de syndicalisation dans ces pays affichant en moyenne près de 70% des
salariés. En effet, comme il ressort du tableau précédent, les pays nordiques
occupent les premiers rangs. En 2018, l’Islande affiche le taux le plus élevé
avec 91,8%, suivie du Danemark, de la Suède, de la Finlande, de la Belgique et de
la Norvège avec respectivement 66,5%, 64,9%, 60,3%, 50,3% et 49,2%.
La base angulaire de l’apaisement des relations sociales est
constituée par le dialogue social. D’où l’esprit du consensus traduisant
« la capacité des Suédois de résoudre leurs différends par la voie du
dialogue avant qu’une des parties ne proclame le conflit social »[31].
Toutefois,
cette affirmation est à nuancer. En effet, l’économie suédoise étant
fondamentalement capitaliste dominée par une vingtaine de gros monopoles (dont
Volvo (voitures), ASEA (constructions électriques, Ericson (téléphone), Electrolux
(appareils ménagers) à caractère impérialiste[32],
ne peut mette un terme à la lutte des classes. Le consensus travail-capital
n’est pas intangible. Il demeure soumis à l’influence du rapport des forces en
fonction de la conjoncture économique, politique et sociale comme le prouvent
les conflits opposant ces deux parties à travers l’évolution de la formation
sociale suédoise qui ne sont que le reflet de ses contradictions économiques et
politiques.
Il est à noter toutefois que cet esprit consensuel risque d’être
perturbé au cas où les partis libéraux accèdent au pouvoir comme ce fut le cas
en 1976-1982. Le modèle de règlement des conflits de travail fut ainsi ébranlé
au cours des années 1970 suite aux hausses des prix du pétrole, de l’inflation
et d’un endettement accru. Cette crise a
conduit à une rupture politique se traduisant par l’accès au pouvoir d’une
coalition de droite en septembre 1976. La domination de la droite quoique de
justesse a remis en question l’équilibre entre les partenaires sociaux. A fin
avril 1980, un écart important sépare les revendications salariales de la
principale organisation syndicale la LO[33],
des offres de l’organisation patronale, la SAF[34].
Selon la LO, le standard de vie des travailleurs était menacé, alors que les
patrons redoutaient une baisse de la compétitivité des entreprises[35].
Le règlement du conflit le 11 mai 1980 ne fut possible que sous pression du
gouvernement.
Cette situation de turbulence demeure rarissime vu l’hégémonie
relative du parti social-démocrate (PSD) et le rapport étroit liant
exclusivement le PSD à la principale centrale syndicale des travailleurs LO.
D’autant plus que la puissance des syndicats en Suède tire sa force, outre le taux
de syndicalisation ouvrière fort élevé, du principe de la non concurrence entre
les syndicats selon lequel un lieu de travail comporte un seul et même
syndicat. Ce qui prémunit les syndicats de toute divergence possible
susceptible de les fragiliser dans leur rapport de force face aux organisations
patronales. La puissance des syndicats découle également de la place névralgique
qu’occupe la négociation entre les partenaires sociaux du fait que le mode de
régulation du marché du travail dominant réside dans les accords collectifs
portant sur un sujet précis comme le salaire minimum par exemple et dans les
conventions collectives qui elles traitent des droits collectifs relatifs à
plusieurs sujets pouvant former une règlementation spécifique à un secteur
professionnel.
A notre avis, les conventions collectives constituent une modalité
d’encastrement de l’économique dans le social en ce qu’elles incarnent un mode
de régulation néocorporatiste encadrant le marché du travail, ce qui représente
une forme de socialisation de ce marché. Ce dernier obéit à certaines normes et
institutions garantes d’autres logiques que le seul mobile du gain. La
législation liée au marché du travail fondée sur les accords collectifs résulte
du rapport de négociation travail-capital qui laisse moins de place aux seules
forces du marché. Au cours
des années 1950 et 1960, les relations entre l’organisation du patronat SAF et
la LO ont été fondées sur un consensus suivant lequel les inégalités de
salaires devaient être réduites et l’augmentation des salaires devait se faire sans
détériorer la compétitivité internationale de l’industrie fondée sur les
exportations. En effet, selon ladite théorie scandinave de l’inflation
développée par les économistes Edgren, Faxen, Odhner au cours des années
soixante, en vue de préserver la compétitivité-prix et la compétitivité-coût,
les prix des biens industriels suédois ne doivent pas excéder les prix des
concurrents étrangers, ce qui implique que le taux de croissance du salaire
moyen nominal dans l’industrie suédoise ne doit pas augmenter plus que la somme
des gains de productivité dans l’industrie et des hausses des prix des pays
concurrents. En outre, la réduction des inégalités des salaires entre les
ouvriers suédois reposait sur le consensus que les hausses de salaires dans les
services soient égales aux hausses de salaires dans l’industrie.
L’encastrement
du marché dans le social se retrouve à un autre niveau, celui de la protection
sociale.
-L’encastrement du marché dans le social
via notamment la redistribution en « nature »
Dans sa typologie des régimes sociaux, le sociologue danois Gösta
Esping Andersen[36]
catégorise la Suède comme étant un État providence social-démocrate
(social-democratic welfare regime) qui se distingue par sa politique de «
démarchandisation » (« decommodification ») dont le but stratégique est de
libérer les travailleurs de la pesanteur du marché. Il s’agit d’une politique
contre le marché (politics against markets) dont les dispositifs sont conçus en
vue de protéger la classe ouvrière et la classe moyenne en général des
retombées négatives du marché. Nous retrouvons cette idée chez le sociologue
suédois Walter Korpi[37]
qui soutient que le rapport entre le réformisme social-démocrate et l’État-providence
s’exprime dans les modalités dont use ce dernier pour protéger les intérêts de
la classe ouvrière et de la classe moyenne. La consolidation de la politique
sociale a pour implication une institutionnalisation des solidarités au sein du
mouvement ouvrier.
Cet encastrement signifie dans la réalité une réduction de
l’emprise du marché. Celle-ci se concrétise par le fait que l’Etat social
permet à tous ceux qui résident en Suède quelque-soit leur origine ou
nationalité d’avoir accès à diverses prestations indépendamment de leur pouvoir
d’achat. En Suède et contrairement à d’autres pays européens, le principe
adopté est de prendre en charge toutes les prestations sociales d’une manière
collective donnant aux résidents le droit d’en bénéficier sans discrimination
aucune et généralement indépendamment de leurs revenus. Ce principe d’un
système unifié et universel distingue l’Etat socialdémocrate suédois de l’Etat
social libéral prévalant dans d’autres pays où le social est plutôt soumis à
des modalités marchandes et où le citoyen se trouve confronté à des systèmes de
protection sociale ambivalents faisant large place au mobile du gain et donc à
la violente action du marché risquant d’exclure du champ de la protection
sociale toute une frange de la population.
L’étendue des prestations couvertes par ce champ en Suède traduit
l’idée de Polanyi selon laquelle le travail, la terre et l’argent sont
réencastrés dans le social. En effet, comme le souligne pertinemment Wojtek
Kalinowski « En somme, si le «point de départ» de l’État social suédois a été
le même que dans d’autres pays européens – un patchwork de politiques
d’assistance et de «bonnes œuvres » pour les pauvres «méritants », des
solutions marchandes pour les classes aisées, des formes d’entraide au sein de
la classe ouvrière –, le «point d’arrivée » est tout autre : un système unifié
et inclusif, présent dans tous les domaines de la vie sociale et fondé sur des
règles d’accès uniformes et transparentes. Dans les années 1980, à l’apogée de
cette longue offensive sociale, les différentes solutions privées avaient
quasiment disparu du paysage des services sociaux. Pour financer une offre
publique en expansion continue, les prélèvements obligatoires ont augmenté
fortement tout au long de la période, le taux d’imposition marginal atteignant
les 90-95% dans les années 1970-1980 pour les tranches de revenus les plus
élevées. La forte progressivité de l’impôt et le rôle accru des transferts
sociaux ont concouru à réduire les inégalités de revenu pendant toute cette
période, ce qui facilitait la tâche d’un État social unifié : l’offre des
services sociaux proposés par l’État est susceptible de satisfaire d’autant
plus la grande majorité de la population que les inégalités de revenu sont
réduites »[38]. La
protection sociale englobe la petite enfance, l’école, les services à la jeunesse, la santé publique, le logement
social, les soins des personnes âgées etc. La redistribution « en
nature » dont use l’Etat social-démocrate suédois s’avère plus efficace en
matière de réduction des inégalités sociales que la redistribution en argent.
Ainsi en est-il de l’étendue des prestations offertes qui sont financées essentiellement
par l’impôt et avec des frais à la charge des utilisateurs très limités. Dans
ce cadre, L’Etat a procédé à la généralisation des crèches publiques à partir
des années 1970, ce qui s’est traduit par l’amplification de la mixité sociale augmentant
l’égalité des chances pour l’ensemble des enfants quelque-soit leur milieu
social. Il en est résulté à la fois un accès plus important des femmes au
marché de travail et une nette amélioration des capacités cognitives et
scolaires des enfants entrainant plus de mobilité sociale. L’école devient un
moyen de promotion sociale pour tous comme le montrent les enquêtes PISA
mettant en évidence que les écarts de performance entre les élèves sont plus
réduits que dans d’autres pays comme la France par exemple. La redistribution
en « nature » s’étend à d’autres domaines comme la santé, le logement
rétrécissant ainsi les différences des conditions sociales entre les riches et
les moins nantis.
Le
graphique 1 ci-après donne un aperçu sur l’ampleur qu’a pris la protection
sociale en Suède traduisant l’effet de l’encastrement du marché dans le social.
Source : Jean-François Vidal, « Crises et
transformations du modèle social-démocrate suédois », Revue de la régulation [En
ligne], 8 | 2e semestre / Autumn 2010, mis en ligne le 07 décembre
2010, consulté le 25 janvier 2022. URL :
http://journals.openedition.org/regulation/8931 ; DOI :
10.4000/regulation.8931
Comme il ressort de ce graphique, l’évolution des
dépenses publiques de l’État providence suédois a suivi une courbe ascendante
notamment à partir de 1960. En effet, entre 1913 et 1950, les dépenses
publiques se sont accrues presque au même rythme que la moyenne des pays
européens. Par contre, entre 1960 et 1990, elles ont augmenté plus vite en
Suède que dans le reste des pays européens en raison notamment de
l’accroissement des emplois dans la production de services non marchands
d’éducation et de santé. L’’emploi dans les administrations publiques a atteint
35 % de l’emploi dans l’ensemble de l’économie au début des années 1990,
ce qui était la proportion la plus élevée en Europe. Le financement de l’État-providence
s’est fait grâce à la part élevée de l’impôt sur le revenu en Suède comparativement
aux autres pays européens. Grâce aux prélèvements nettement progressifs jusqu’aux
années 1980, les inégalités de revenus y étaient fortement réduites.
Il
devient évident que l’encastrement du marché dans le social à travers le
système de protection unifié suédois permet non seulement d’éviter l’effet
destructeur du mobile du gain sur le tissu social mais aussi de raffermir
l’esprit des solidarités sociales et donc de renforcer l’éthos de confiance
collectif. C’est en ce sens que Karl Polanyi considère à juste titre que
« le marché autorégulateur » est un mythe car ce dernier appelle
forcément l’institutionnalisation de régulations publiques sous forme de
nouvelles modalités non-lucratives et donc non-marchandes telles que la
redistribution en nature ou la réciprocité qui viendraient contrecarrer les
implications négatives du marché sur la cohésion sociale.
Les régulations publiques comme formes de
protection du tissu social contre les effets destructeurs du marché revêtent
diverses modalités. Outre le système de protection sociale, la société établit
des normes et des institutions pour encadrer le marché du travail comme nous
l’avons vu plus haut concernant les relations capital-travail via notamment les
conventions collectives. La conception substantive de l’économie nous permet
ainsi de mieux pénétrer les logiques de fonctionnement d’une formation sociale.
A côte de l’échange marchand fondé sur le mobile du gain sur lequel se focalise
la théorie économique conventionnelle néo-classique notamment, il existe
d’autres formes d’échange dont les mobiles sont non-lucratifs tels la
redistribution et la réciprocité basés sur l’intérêt collectif ou combinant
intérêt individuel et altruisme. Par conséquent la conception substantive ouvre
la voie à une économie plurielle où coexistent et interagissent plusieurs
formes d’échange marchands et non-marchands. Il en résulte un processus de
socialisation complexe au sens défini plus haut par Edgar Morin et conformément
à l’esprit du paradigme socio-écologique et dialogique. En effet, le mouvement
de mise en place du « marché autorégulateur » en tant qu’utopie
libérale et tendance au désencastrement du marché est contrecarré par un
mouvement de ré-encastrement du marché dans la société à travers un processus
dialectique. Ce double mouvement est synthétisé par Laville
(2004) en ces termes « un premier mouvement exprime la tendance au
désencastrement d’une économie restreinte à un « marché autorégulateur » et à
une seule forme d’entreprise, un second mouvement lui répond, il exprime la
tendance inverse au ré-encastrement démocratique de l’économie s’exprimant à
travers une approche plurielle de celle-ci »[39]avant
d’ajouter dans « cette perspective théorique, la sociologie économique ne se
résume pas à une sociologie des marchés, elle peut être appréhendée comme la
perspective sociologique appliquée à une économie plurielle avec marché dans
laquelle l’économie ne se résume pas à la seule économie de marché et dans
laquelle le marché ne se réduit pas à un marché autorégulateur »[40].
La question pertinente posée à ce propos par Laville porte sur les institutions
appropriées à mettre en place pour assurer cette pluralisation de l’économie en
vue de répondre à la demande sociale. A ce niveau, il est incontestable que la
Suède a su adopter un modèle d’encastrement de l’économique dans le social qui
a fait ses preuves et que beaucoup de pays développés lui envient. C’est un
modèle que les pays en mal de développement comme le Maroc devraient prendre
comme une source d’inspiration.
Il est vrai que le modèle suédois connait des tendances qui
puissent paraitre inquiétantes quant à l’avenir. En effet, comme le fait
remarquer à juste titre Wojtek Kalinowski[41],
la conception solidaire socio-démocrate ayant prévalu jusqu’à présent se trouve
aujourd’hui menacée. Déjà auparavant lors de l’accès au pouvoir de la nouvelle
droite travailliste de 2006 à 2014, il y a eu des réductions dans la protection
sociale conformément aux recettes libérales pratiquant la flexibilité du travail
et la baisse à la fois des salaires d’entrée et des protections sociales sous
prétexte d’inciter au travail les catégories éloignées du marché du travail,
ainsi que la diminution de l’investissement social dans le logement, dans les
infrastructures, dans la formation, etc. Les pratiques mises en œuvre se sont
traduites par une segmentation croissante du marché du travail entre les
qualifiés et les moins-qualifiés dans la mesure où les restructurations des
entreprises en augmentant la productivité et l’innovation ont rendu plus
difficile l’accès au travail des ouvriers peu qualifiés.
Les recettes libérales reposent sur le principe que les droits à la
protection sociale devraient profiter à ceux qui participent au travail. C’est
le principe de réciprocité selon lequel la légitimité d’un Etat social
universel redistributif profitant à tous exige le plein emploi en vue de
prouver que tous les citoyens y contribuent. Or pour les libéraux, ce principe
fut violé par les socio-démocrates au cours des années 1990 et 2000 en
maintenant des centaines de milliers d’exclus du marché du travail dans le
système d’assurances sociales. Toutefois, les libéraux ont échoué à baisser le
taux de chômage atteignant 8,7% à la fin de leur mandat en 2014, taux qui sera
réduit à 6,7% en mai 2017 grâce aux socio-démocrates. C’est dire que la
politique socio-démocrate, consistant à investir dans la formation permettant
aux travailleurs d’acquérir de nouvelles compétences pour retrouver le marché
du travail dans de meilleures conditions au lieu de maintenir les activités à
bas salaires, s’avère plus efficace que celle prônée par les libéraux.
L’encastrement
du marché dans le social en Suède est soutenu en plus de la prépondérance de
l’Etat-providence par la priorité octroyée au plein emploi.
-
Des
politiques actives d’emploi
Comme il ressort de l’histogramme suivant relatif au quatrième
trimestre de 2006, les performances de la Suède en matière de taux d’emploi
sont impressionnantes. Elles sont classées parmi les plus élevées des pays
développés.
Taux d'emploi
(en % de la
population, quatrième trimestre 2006)
Source :
Eurostat
En ce qui concerne le taux d’activité global des
15-64 ans hommes et femmes confondus, la Suède se situe parmi les trois
premiers avec 73,2% juste derrière le Danemark avec 77,9% et les Pays-Bas avec
75% sachant que la moyenne européenne est de 64,9%.
En ce qui concerne le taux d'activité des
seniors (55-64 ans), la Suède se classe en tête du peloton avec 69,4 % devançant
de loin le Danemark qui vient au 2ème rang avec 61,2%, se situe à
peine à peu plus de 40%.
Comme le souligne le Sénat français dans son
rapport de 2007, ce qui est remarquable à ce niveau est que « ce taux très
élevé concerne presque autant les femmes que les hommes : à la différence
de ce qui est constaté dans la plupart des autres pays, il existe très peu
d'écart entre le taux d'activité des femmes seniors et des hommes du même âge.
Si
l'on examine le critère de l'âge de sortie du marché du travail,
la Suède se situe là aussi dans le peloton de tête, avec un âge moyen
de 63,7 ans en 2005, contre environ 61 ans dans l'Union
européenne et 58,8 ans en France »[42].
Taux d’emploi par
sexe
2014
2020 Moyenne européenne 27 pays à compter de 2020 67,5 71,7
Allemagne
76,7 78,3 Pays-Bas
75,4 80,0 Suède 80
80,8 Islande
84,9
82,3 Suisse 81,1
82,5 |
Source : Eurostat (europa.eu)
consulté le 8/1/2022
Ces statistiques montrent que la Suède se place toujours parmi les
trois pays les plus performants en taux d’emploi en 2014 et 2020, dépassant de
loin les moyennes européennes.
Ces
performances sont le résultat de politiques actives faisant de l’emploi un
facteur de cohésion sociale. La question posée à ce niveau consiste à décrypter
ces politiques pour en comprendre la logique et la portée.
-
Des
politiques au service du plein emploi
Les tentatives des socio-démocrates au pouvoir de 1920 à 1923, et,
de 1924 à 1926, pour endiguer le chômage atteignant 20% notamment via les
grands travaux et les projets d’accroissement des prestations sociales avaient
échoué à cause en partie de la conjoncture déflationniste entrainée par une
grave récession internationale en 1920-1921 mais surtout à cause de
l’opposition de l’orthodoxie libérale encore très dominante à cette
époque. De retour au pouvoir en 1932,
les socio-démocrates ont adopté un plan de grands travaux et d’augmentation des
prestations sociales pour accroitre le taux d’emploi tout en mettant en place
des « fonds d’investissement » alimentés par les excédents des
profits dégagés par les entreprises et destinés à financer les investissements
sur l’initiative de la Banque centrale. Ces actions s’inspiraient de l’école de
Stockholm[43].
En effet, sous l’influence des économistes de cette école et dans
un cadre institutionnel caractérisé par des rapports étroits entre le parti
social-démocrate au pouvoir et le syndicat des travailleurs LO, le régime de
croissance repose sur une politique anticyclique via les relances budgétaires
dans les phases de récession et l’accumulation des excédents dans celles
d’expansion partant d’une conception inspirée de la convergence de la théorie
marxiste de la sous-consommation et la théorie keynésienne de l’insuffisance de
la demande globale. Ce régime de croissance sera prolongé après la seconde
guerre mondiale avec comme objectif de lutter contre l’instabilité inhérente au
capitalisme et assurer le plein emploi en proposant de promouvoir la demande
globale au moyen de la consommation publique notamment via les grands travaux,
les prestations sociales et le contrôle du financement de l’investissement par
l’Etat sachant que ce dernier est défini par Per Albin Hanson, le dirigeant du
parti social-démocrate en 1928 comme la « maison du peuple » dans le
cadre d’une vision qui conçoit l’Etat comme un champ public où prévaut la
solidarité entre tous les citoyens. L’alliance entre le parti social-démocrate
et les agriculteurs nouée en 1933[44],
d’une part, et, le consensus conclu entre le patronat et le syndicat LO en 1938,
d’autre part, constituent le volet institutionnel dans lequel s’expriment les
rapports de force entre les acteurs en présence qui fondent et façonnent le
régime de croissance. Il en est de même du poids que constitue chacune des deux
fractions du capital au sein du patronat (la SAF), celle des industries
domestiques orientées vers le marché intérieur et celle des industries
exportatrices. Tels sont les acteurs qui vont définir le régime de croissance
durant sa période d’émergence (1889-1945) et qui vont contribuer à poser les
fondements de l’Etat-providence suédois qui sera développé davantage par la
suite et surtout entre 1945 et 1970.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, une commission présidée
par Gunnar Myrdal continuait à défendre les mêmes préceptes en vue de lutter
contre l’instabilité inhérente au capitalisme et assurer le plein emploi en
proposant de promouvoir la demande globale via la consommation publique, les
prestations sociales et le contrôle étatique du financement de l’investissement.
Bon nombre des recommandations de cette commission fondées sur un dirigisme
économique accentué ont été adoptées durant les décennies postérieures.
Toutefois, entre 1945 et 1975, un nouveau régime de croissance va
voir le jour. En effet, Le modèle de croissance de Rehn/Meidner, deux
économistes de la LO fut adopté au Congrès de ce syndicat des travailleurs tenu
en 1951. Il est à souligner que sa caractéristique essentielle réside dans la
combinaison d’un taux de productivité élevé et d’une égalité des rémunérations
du travail. Celle-ci s’obtient à travers une centralisation des négociations
salariales de manière de réduire les écarts entre les rémunérations des
travailleurs des entreprises moins performantes et celles des travailleurs des
entreprises plus productives. Ce qui conduirait les entreprises peu rentables à
améliorer leur taux de productivité pour s’aligner sur leurs concurrentes qui
sont plus performantes au risque d’être évincées du système productif. Des taux
de productivité élevés engendrent des profits plus substantiels et par
conséquent des taux d’imposition plus élevés, ce qui permettrait, d’une part,
de financer des politiques actives d’emploi en vue de résorber le chômage des
travailleurs ayant perdu leur travail auprès des entreprises défaillantes, et,
d’autre part d’assurer l’universalité des prestations sociales et donc de
renforcer l’Etat-providence. Ce régime de croissance fut favorisé par
l’attitude des acteurs en présence. L’institutionnalisation de la
centralisation des négociations salariales répond à la fois à l’objectif de
l’Etat social-démocrate de limiter la hausse des salaires et l’inflation et à
celui des entreprises notamment exportatrices d’augmenter leur compétitivité et
leur développement à l’international via leurs filiales installées à l’étranger.
Les politiques actives du marché du travail prenaient plus
d’ampleur en Suède que dans les autres pays développés. Il s’agissait de
formations, d’aides à la mobilité, à la création d’emplois dans les
entreprises, des travaux d’intérêt général, de recrutements dans la fonction
publique. Un ouvrier qui perd son emploi dans le secteur privé est
immédiatement pris en charge par une agence locale pour être formé et trouver
un autre emploi. Au cas où le chômeur rencontre des difficultés à être embauché
par une entreprise privée, il est recruté par la fonction publique. Ces
politiques actives d’emploi incarnaient une première forme de la
« flexicurité » permettant aux travailleurs d’acquérir de nouvelles
compétences plus adaptées au marché du travail. Elles étaient financées grâce à
des politiques budgétaires expansives ayant un effet multiplicateur au sens
keynésien[45].
La
politique de réduction des inégalités de salaires s’est traduite non seulement
par l’élimination des emplois peu productifs et des industries moins
compétitives, mais aussi par un accroissement de la consommation de masse et
donc du niveau de vie des citoyens.
Grâce
à ces politiques, le taux de chômage ne dépassait pas 2% alors que la moyenne
des pays développés se situait aux environs de 6%. La crise économique de
1991-1992 en Suède avait mis fin à cette période de plein emploi. Le taux de
chômage oscillera après cette période entre 6 et 8% en général.
Toutefois, la Suède enregistre une réelle performance au niveau du
chômage de longue durée. En 2014-2015, elle occupe la troisième place avec des
scores respectifs de 1,4 et 1,5 juste derrière la Norvège et l’Islande avec
respectivement 0,8 et 1 et 0,6 et 0,5. Ce qui signifie que le délai du retour
d’un chômeur à l’emploi est relativement très cours par rapport aux pays
membres de l’Union Européenne[46].
Comme l’écrit Emile Bourdu, « En Suède, la logique d’activation
du marché de l’emploi fait système avec une stratégie globale d’investissement
dans le capital humain, avec des partenaires sociaux puissants qui veillent à
sécuriser les trajectoires professionnelles des individus tout en assurant la flexibilité
nécessaire aux entreprises »[47].
Une
autre forme d’encastrement dans le social réside dans la place occupée par
l’économie sociale comme nous allons le voir dans ce qui suit.
III.2-
L’économie sociale, une économie alternative en tant que forme d’encastrement
de l’économique dans le social et dans le politique
L’économie sociale constitue une autre forme d’encastrement de
l’économique dans le social dans la mesure où ses finalités ne résident pas
dans la maximisation du taux de profit et dans l’accumulation du capital
contrairement aux entreprises capitalistes.
Bien que les entreprises d’économie sociale puissent dans certains cas
dégager un surplus financier, celui-ci serait destiné à servir comme un moyen
pour assurer l’activité qui comporte plusieurs fonctions[48].
La première est sociale consistant à servir les intérêts de la collectivité, la
seconde est économique se matérialisant à travers la production des biens et
services au profit de la communauté et la dernière est politique se concrétisant
par l’inscription de l’action de l’entreprise d’économie sociale dans le champ
public en tant qu’acteur participant au débat critique et au façonnement des
politiques publiques au nom de l’intérêt général.
III.2.3.1-
Le développement du coopératisme en tant que contre-mouvement au capitalisme
L’histoire du capitalisme en tant que système inégalitaire est
accompagnée par celle du coopératisme comme un mouvement anti-systémique visant
soit à construire une société fondée sur la propriété socialiste des moyens de
production et d’échange comme ce fut le cas des socialistes dits utopistes
inspirés par la pensée de Karl Marx comme Proudhon, Saint-Simon et Charles
Fourrier au 19ème siècle - ce dernier est allé très loin mettant en
place un mode concret d’organisation coopérative par la création des premiers
phalanstères[49], soit
comme un mouvement visant à servir de contrepouvoir à l’entreprise capitaliste
comme ce fut le cas du mouvement dit « Le Sillon » fondé en 1894 par Marc
Sangnier en France dont le but est de mettre en place des groupements
coopératifs principalement d’ouvriers défendant les intérêts de ces derniers[50].
Le Front populaire en France a à son tour placé les idéaux coopératifs au
centre de sa politique en créant une série de coopératives au cours des années
1950 comme moyen de reconstruire une société juste.
De nos jours, le mouvement coopératif continue à faire partie des
structures économiques et sociales de tous les pays qu’ils soient capitalistes
développés, émergents ou en mal de développement ou des pays à orientation
socialiste comme la Chine ou Cuba par exemple. Dans les sociétés capitalistes,
comme le soulignent Stéphane Jaumier et Vincent Javicoli[51],
en citant les auteurs Cornforth, Thomas, Lewis & Spear[52],
le recours aux formes coopératives gagne en importance dans les périodes de
crise majeure.
Le coopératisme est porteur de valeurs que l’Alliance Coopérative
Internationale (ACI)[53]
définit comme « la prise en charge et la responsabilité personnelles et
mutuelles, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité »[54]
elles-mêmes déclinées en sept principes définis comme les « Principes de
Rochdale » par référence à la coopérative fondée par des tisserands en
1844 au nord-ouest de l’Angleterre sous le nom de « Rochdale Society of
Equitable Pioneers »[55].
D’aucuns pensent que l’économie sociale et notamment l’entreprise
coopérative pourrait constituer l’organisation du futur de par le fait que le
« paradigme économique de la coopération est un modèle fondé sur des
valeurs et des mécanismes collectifs de contribution au bien commun » et
qu’il « repose sur l’hypothèse forte que l’entreprise a un rôle à jouer
dans le développement de l’ensemble de l’environnement dans lequel elle
opère »[56].
Cette
thèse ne nous parait pas utopique comme cela pourrait sembler à première vue.
En effet, les expériences et les pratiques des coopératives d’aujourd’hui nous rendent
compte de l’étendue des possibilités que cette organisation de demain serait
capable d’offrir dans un monde où le marché laisse apparaitre des signes
d’essoufflement en tant que forme de socialisation inégalitaire, mutilante et
destructrice et qui est en crise structurelle depuis le début des années 1980
et dont l’intensité fut dévoilée par la pandémie du Covid-19. Comme le font remarquer
Michel Aglietta et Étienne Espagne, cette pandémie « a mis à nu
l’impuissance des régimes de croissance financiarisée, d’obédience néolibérale,
à répondre à des crises sociales, sanitaires et environnementales d’envergure
mondiale. Le réchauffement climatique en cours fait partie d’un problème encore
plus large de viabilité des interactions entre l’environnement naturel et la
logique capitaliste qui domine aujourd’hui les sociétés »[57].
III.2.3.2-
Les mécanismes collectifs des coopératives de contribution au bien commun et
leur système de valeurs fondé sur la citoyenneté et la plus-value sociales
La montée de l’idéologie néolibérale exacerbe le comportement
individualiste faisant de l’individu un égoïste guidé par la rationalité du
marché fondée sur l’objectif d’utilité « le plus souvent mesurée à l’aune
des seuls avantages pécuniaires ». Ce qui implique une forte
désintégration de la solidarité familiale et de la cohésion sociale. La liberté
elle-même s’en trouve appauvrie en se définissant par le seul critère du niveau
de la richesse de l’individu[58].
Contrairement à l’idéal néo-libéral, le mouvement coopératif porte
un système de valeurs fondé sur la participation citoyenne, le bien commun de
la collectivité, le sens de la responsabilité collective et la priorité
accordée aux besoins sociaux. Dans ce sens, le Bureau International du Travail
décrit le coopératisme spécialisé dans les services sociaux comme une « école
de démocratie pour la société civile qui fait naître des activités
d’auto-assistance, propose des prestations à un prix abordable, contrôlé par
les usagers et enraciné localement » [59].
Les entreprises d’économie sociale d’aujourd’hui, notamment les
nouvelles coopératives se présentent comme une alternative capable d’apporter
des réponses concrètes aux « nouveaux besoins sociaux relationnels et
culturels en rapport avec le milieu dont l’État et le marché ne peuvent donner
une réponse adéquate »[60].
Cette aptitude leur est conférée grâce à leurs caractéristiques en tant
qu’organisations se distinguant par la nature continue de leur processus de
production des biens et services, leur degré élevé d’autonomie, leur niveau
élevé de prise de risque économique et un pourcentage modéré d’emplois
rémunérés. En outre, elles se caractérisent par une initiative relevant d’un groupe
de citoyens membres de l’entreprise d’économie sociale, un pouvoir de décision indépendant
de la détention du capital, une dynamique participative de tous les acteurs
liés à l’activité, une limitation de la distribution des bénéfices et un engagement
décisif au service de la communauté. De telles caractéristiques qui les
diffèrent de l’entreprise capitaliste leur permettent de faire face aux
multiples crises propres au système capitaliste.
III.2.3.3- Les entreprises d’économie
sociale en tant qu’écosystème anti-crise
En effet, le fait que les parts sociales de ces entreprises ne
soient pas cessibles sur un marché quelconque, qu’elles disposent de réserves
financières qui sont reconstituées en raison du libre arbitre quant à la
redistribution du surplus financier ou non, qu’elles ne soient pas
délocalisables en raison de leur ancrage au territoire local leur confère une
souplesse de gestion qui les rend plus résilientes face aux crises cycliques
qui touchent les entreprises capitalistes.
En
outre, le fait que ces entreprises poursuivent des objectifs sociaux telles que
l’insertion professionnelle et la satisfaction des besoins sociaux de leurs
membres leur permet d’adopter des mesures favorisant une gestion flexible du
temps de travail, du système de rémunération de manière de préserver la
stabilité de l’emploi et d’éviter l’exclusion sociale.
La résilience des entreprises d’économie sociale est renforcée par
la confiance dont elles disposent auprès du public qui de ce fait manifeste
toute forme de soutien à leur égard via ses apports financiers et sa
participation bénévole à leur gestion.
Par ailleurs, lors de la crise financière de 2007-2008, il s’est
avéré que les entreprises d’économie sociale ont été mieux préparées pour se
prémunir de ses effets dévastateurs. N’étant pas impliquée dans le système
financier international, « l'économie sociale a apporté la preuve de sa
capacité à réaliser une innovation sociale et à satisfaire à des besoins
sociaux en déployant ses propres modes alternatifs de financement solidaire,
tels que la banque éthique, les monnaies sociales[61]
ou les coopératives de crédit, qui non seulement allouent des crédits, mais qui
nourrissent également la confiance dans ses services financiers »[62].
En atteste la résilience des coopératives face à la faillite ayant frappé bon
nombre d’entreprises capitalistes durant la crise 2008-2012 en Europe par
exemple. A ce propos, Zevi et al soulignent le fait que les coopératives œuvrant
dans certains pays européens tels que la France, l’Espagne ou l’Italie ont pu
surmonter les conséquences de ladite crise en réussissant à maintenir leurs
activités et leur niveau d’emploi contrairement à la plupart des entreprises
privées traditionnelles. Les mêmes tendances sont corroborées par l’étude de la
CICOPA[63]
de 2009. A titre d’exemple, en 2010, selon les chiffres de
Creditreform-Datenbank, seul 0,1 % des entreprises coopératives allemandes ont
fait faillite, soit le nombre de faillites le moins élevé parmi l’ensemble des
autres types d’entreprises en Allemagne.[64]
III.2.3.4-
L'économie sociale comme alternative aux entreprises capitalistes favorisant un
développement endogène innovateur[65]
Le rapport de José Luis Monzón et Rafael Chaves sur l’économie
sociale dans l’Union Européenne souligne le rôle primordial du coopératisme et
de l’économie sociale en général dans le processus de développement à la fois endogène
et innovateur.
Concernant
le développement endogène, ledit rapport montre la capacité des coopératives
qu’elles soient agricoles, de crédit ou d’insertion par le travail de dynamiser
les régions rurales, de réhabiliter les zones industrielles en déclin et les
espaces urbains dégradés, et de réduire le déséquilibre entre les territoires
etc. Ce qui corrobore la thèse de l’économiste suédois Gunnar Myrdal selon qui
l'économie sociale promeut des processus de développement et d'accumulation au
niveau local (spread effects) et minimise les effets d'involution (backwash
effects). Grâce à ses propriétés fondées sur l’esprit de coopération,
l’économie sociale permet de contrecarrer les forces du marché qui comme l’écrit
G. Myrdal « jouent dans le sens de l’inégalité »[66].
En effet, de par sa logique de distribution du surplus privilégiant
la constitution de réserves, l’économie sociale est plus disposée à réinvestir
ses excédents et donc à assurer la reproduction élargie de ses activités
enracinées dans le territoire local. En mobilisant les acteurs et les
ressources locaux, elle est plus apte à répondre aux besoins de la communauté
et donc de consolider le tissu productif territorial. Ce qui procure à la
communauté le renforcement ce que Putnam appelle le capital social par lequel
il désigne « les
caractéristiques de l'organisation sociale, telles que les réseaux, les normes
et la confiance, qui facilitent la coordination et la coopération pour un
bénéfice mutuel »[67]. Selon lui, des
corrélations montrent, au niveau agrégé d'une région, d'un État ou
d'une nation, qu'un « stock » élevé de capital social est
toujours associé à de meilleures performances sociales, politiques ou
économiques.
Quant à son rôle en matière d’innovation sociale, l'économie
sociale, note ledit rapport, occupe une large place dans la conduite des mutations
de la société européenne. Son enracinement profond dans la communauté lui
permet de mieux cerner les nouveaux besoins et concevoir les réponses dans le
cadre d’un esprit créatif. « Dans le sillage de la crise de l'emploi en
Europe, les entreprises d'insertion sous leurs multiples formes juridiques
(entre autres, les coopératives sociales italiennes) ont par exemple apporté
une réponse imaginative, avant les politiques publiques actives pour l'emploi,
aux problèmes d'insertion professionnelle auxquels étaient confrontés un grand
nombre de travailleurs. (…). Parmi les exemples d'innovation sociale, on peut
citer les initiatives économiques lancées par les citoyens et visant à corriger
le déséquilibre du commerce international entre les pays riches et pauvres,
comme les organisations spécialisées dans le commerce équitable. L’innovation
sociale des coopératives se retrouve également au niveau du développement
durable et donc écologique comme nous allons le voir à travers le mouvement
coopératif en Suède.
III.2.3.4- Le mouvement coopératif en Suède
en tant qu’une autre forme d’encastrement de l’économique dans le social
Comme nous l’avons souligné, la Suède a connu un intense mouvement
de coopératives dès le 19ème siècle, Aujourd’hui, elle figure parmi les
pays de l’Union Européenne les plus représentatifs de l’économie sociale sous
toutes ses formes à savoir les coopératives, les mutuelles et les associations.
A ce propos, fait remarquer le rapport de José Luis Monzón et Rafael Chaves que
« l’économie sociale en Europe est extrêmement importante, en termes tant
humains qu’économiques, puisqu’elle fournit un emploi rémunéré à plus de 14,5
millions d’Européens, soit quelque 6,5 % de la population active de l’UE-27, et
environ 7,4 % dans les 15 « anciens » États membres. Dans des pays tels que la
Suède, la France, l’France, la France et les Pays-Bas, elle représente entre 9
% et 11,5 % de la population active. Ces chiffres mettent en lumière le fait
qu’il s’agit d’une réalité qui ne peut et ne doit pas être ignorée par la
société et ses institutions »[68].
Ainsi, la Suède procure un emploi rémunéré à 176816 dans le secteur des
coopératives, à 15825 dans celui des mutuelles et à 314568 dans celui des
associations en 2009-2010 selon le même rapport[69],
soit au total 507209 emplois rémunérés, ce qui représente 11,16% de l’emploi
rémunéré total, soit le taux le plus élevé au sein des 27 pays de l’union
européenne sachant que le taux moyen pour ces derniers est de 6,53%[70].
Le même rapport souligne que la Suède a enregistré le deuxième taux de
croissance le plus élevé après Malte dans ce groupe de pays en ce qui concerne
l’évolution du nombre des emplois rémunérés fournis par le secteur de
l’économie sociale, soit 146,58% entre 2002-2003 et 2009-2010 alors que ce taux
n’est que de 26,79 pour le même groupe de pays, celui de Malte est de 604,62%[71].
Ce dernier taux s’explique par le fait que l’économie sociale à Malt était peu
développée en 2002-2003.
Selon
le même rapport, l’économie sociale en Suède se présente comme suit (*)[72] :
(*)
Source : Gordon Hahn (Serus).
(1)
Source : Cogeca. Agricultural Cooperatives in Europe.
(2)
Source : Euro Coop. Analyse statistique 2010.
(3)
Source : Rapport d’évaluation de Cooperatives Europe, 2009.
L’habitat
coopératif une forme de logement solidaire incarnant l’encastrement de
l’économique dans le social[73].
Dans la plupart des pays capitalistes développés, une bonne partie
des citoyens à faibles revenus souffre de la crise du logement. En 2016, 3,8
millions de français sont mal-logés[74]
à cause de la crise économique et de la hausse des prix des logements estimée à
plus de 140% depuis 1998[75].
La crise de 2007-2008 a suscité l’intérêt de développer l’habitat coopératif en
France et dans d’autres pays y compris les Etats-Unis[76]
La Suède et le Norvège ont été des pionniers dans le domaine de l’habitat
coopératif qui y a vu le jour dès le début du 20ème siècle pour lutter
contre toute pénurie de logements et contrecarrer la spéculation. C’est
pourquoi ces deux pays ont aujourd’hui une avance considérable par rapport à d’autres
pays capitalistes européens. En Norvège, 650 000 habitants, soit 15% du parc
national, sont logés dans des habitats coopératifs. En Suède, le parc
coopératif couvre 700 000 logements, soit 17% du parc national, la ville de
Stockholm compte à elle seule 27% de logements coopératifs.
En Suède, outre le fait que
l’habitat coopératif se caractérise par sa vocation de promouvoir un habitat
solidaire et non spéculatif, il se donne pour objectif de protéger
l’environnement s’inscrivant dans une vision écologique de durabilité[77].
La Suède dispose également d’un
entrepreneuriat coopératif très actif dans les deux domaines de l’agriculture
et de la sylviculture. Les agriculteurs suédois sont
généralement membres de plusieurs coopératives. Ils sont cultivateurs,
producteurs laitiers, sylviculteurs et sont ainsi membres à la fois de
l'organisation agricole qui compte parmi ses membres l’ensemble des
coopératives sectorielles (agricoles, forestières, laitières et celles des cultivateurs).
Les coopératives jouent un rôle primordial dans la réalisation de la sécurité
alimentaire placée au cœur de la nouvelle stratégie de l’Etat qui entend
améliorer le taux d’autosuffisance en nourriture qui se situe à 50%. Cette
mission est facilitée par l’implication des institutions scientifiques en plus
d’un entrepreneuriat coopératif dont les principes de base reposent sur la notion
de la propriété partagée – où tous les propriétaires ont une relation
transactionnelle avec la forme de collaboration/la coopération – et sur la
transparence/le contrôle[78]. Cette
stratégie est conçue à son tour sur une base écologique où les coopératives et
les centres de recherche scientifique contribuent activement à la mise en place
d’une vision soucieuse de la durabilité.
A ce propos, la production durable est intimement associée à la
consommation durable. En effet, Coop est une coopérative constituant une chaîne
de supermarchés coopératifs aux mains de 3,5 millions de Suédois, soit un tiers
environ de la population suédoise. Ces consommateurs-coopérateurs jouent un
rôle clé dans la mise en place d’initiatives et de règles de fonctionnement
veillant au respect des normes bioalimentaires et donc écologique[79].
Nous venons de voir que la société suédoise s’est autorenforcée
grâce à une série de réformes et d’institutions sociales qui ont pour effet de
fonder les rapports sociaux sur la base d’un ethos de confiance collectif où
l’encastrement de l’économique dans le social joue un rôle central. Mais la
dynamique de développement d’une formation sociale ne peut se comprendre sans
la prise en considération des forces productives qui comme l’a démontré Karl
Marx opèrent dans un rapport dialectique avec les rapports sociaux. Ceci nous
amène à aborder la question des forces productives comme une forme d’auto
renforcement de la formation sociale suédoise et comme un facteur de
consolidation de l’éthos de confiance collectif.
III.2.1.3- L’auto renforcement des forces productives
comme fondement de l’éthos de confiance
Les forces productives se résument dans
le capital humain, c’est-à-dire le travail sous toutes ses formes, qualifié et
non qualifié, et, l’ensemble des capitaux mis en œuvre dans le processus de
production des biens et services. Le progrès technique joue un rôle déterminant
dans la création de la valeur ajoutée via notamment les dépenses en recherche
et développement. L’infrastructure scientifique et technique en est le support.
La Suède a fondé son développement à la
fois sur des investissements massifs dans le capital humain et la
recherche-développement. La productivité en est largement tributaire. Celle-ci
contribue de manière active à la prospérité de la nation en procurant à ses
habitants un niveau de vie élevé et croissant. Comme le fait remarquer
pertinemment Michael Porter le bien-être des habitants qui constitue l’objectif
principal économique d’une nation « ne dépend pas de la notion vague de
« compétitivité », mais de la productivité de l’exploitation des
ressources nationales (en main d’œuvre et en capital) » avant d’ajouter
(…) « Non seulement, une forte productivité dégage de hauts revenus, mais
en plus elle permet aux citoyens d’opter pour plus davantage de loisirs plutôt
que de longues heures de travail. Elle crée par ailleurs le revenu national sur
lequel sont prélevés les impôts qui financent les services publics augmentant
ainsi encore le niveau de vie du pays. Leur forte productivité permet aux
entreprises d’un pays de satisfaire à des exigences élevées en matière sociale
– santé et sécurité, égalité des chances, respect de l’environnement -, ce qui
améliore le bien-être national »[80].
C’est dire que l’auto renforcement des forces productives contribue à raffermir
l’ethos de confiance collectif surtout dans un pays qui donne la priorité à la
protection sociale et à une répartition
-
La formation et l’éducation comme deux composantes
essentielles des forces productives
La formation continue des travailleurs constitue un volet
primordial en matière d’investissement dans le capital humain, l’éducation en
est le deuxième. Les deux volets comptent parmi les facteurs déterminants du
succès du modèle suédois. A ce propos, soulignent à juste titre Lefebvre Alain
et Méda Dominique que les politiques actives du marché du travail n’auraient
pas produit les résultats très performants en matière d’emploi sans l’existence
d’un contexte qui valorise en permanence la qualification de la main d’œuvre
par l’investissement dans le capital humain. Seule la qualification de la
main-d’œuvre « est susceptible d’accompagner le processus de montée en
gamme permettant aux entreprises de conserver une avance technologique et de
développer des produits à forte valeur ajoutée, moins sensibles à la
concurrence des pays à bas salaires. L’investissement dans la qualification de
la main-d’œuvre à toutes les étapes du cycle de vie permet non seulement aux
entreprises de s’adapter aux évolutions de la division internationale du
travail mais aussi aux salariés de trouver ou retrouver rapidement un emploi,
d’autant qu’un grand soin est également apporté à la qualité des appariements
grâce à l’intervention des partenaires sociaux dans les différentes
institutions concernées par les transitions. Dans un monde où le risque
principal est devenu celui de ne pas disposer d’un niveau minimal de
qualification, la stratégie consistant à faire en sorte que le plus de
personnes possibles accèdent à ce niveau constitue un facteur essentiel de
réussite. »[81].
Eviter
le risque du manque de qualification est sans doute un facteur de cohésion
sociale et du renforcement de l’ethos de confiance collectif.
-
Le
volet de la formation
La formation continue revêt plusieurs formes, formelle, informelle
ou non formelle à chaque étape de la vie : périodes d’études, d’inactivité,
d’activité productive ou encore de chômage. En 2010, 25 % des Suédois de 25 à
64 ans ont indiqué avoir suivi un enseignement ou une formation au cours des 4 semaines
précédentes, proportion très largement supérieure aux 9 % observés dans la
moyenne des pays européens et aux 5 % relevés en France (enquête communautaire
sur les forces de travail, Eurostat). En 2020, la Suède enregistre le meilleur
score avec 28,6 % suivi de la Suisse et de la Finlande avec respectivement 27,6
% et 27,3%[82].
En
2011, 24 % de la population suédoise en âge de travailler s’était arrêtée à la
fin de la scolarité obligatoire, contre 30 % en Europe. En 2019, cette
proportion est de 6,5 %, la moyenne européenne étant de 10,5 %.[83]
Le
système d’éducation et de formation suédois repose sur la scolarité obligatoire
de 7 à 16 ans, le second cycle du secondaire, l’enseignement supérieur, la
formation professionnelle initiale pour les jeunes jusqu’à 19 ans et la
formation pour adultes. Cette dernière, dont l’offre est développée et
diversifiée, s’appuie sur une longue tradition remontant au XIXe siècle, avec
les mouvements d’éducation populaire. L’enseignement et la formation sont
financés par les communes, les entreprises et l’État.
-
Le
volet de l’éducation
Au niveau de l’éducation, la Suède se situe parmi les pays les plus
performants en la matière. A titre d’exemple, les données d’Eurostat montrent
que concernant les diplômés au niveau doctorat, sciences, mathématiques,
informatique, ingénierie, industries de transformation et de production, par
sexe - pour 1000 habitants âgés de 25-34 ans, la Suède réalise un score de 1,4
docteur en 2013 au même titre que la Suisse et le Royaume-Uni et un peu moins
que la Slovénie avec 1,7 qui arrive au premier rang. En 2019, la Suède occupe
la troisième place avec 1,2 docteur pour 1000 juste derrière le Royaume-Uni et
la Suisse avec respectivement 1,6 et 1,8[84].
Grâce
à ses performances en matière d’investissement en capital humain à travers la
formation continue et le système d’éducation notamment dans les sciences et
technologies (scitech) et dans les technologies de l’information et de la
communication (TIC), la Suède a pu réaliser des gains de productivité substantiels
notamment depuis 1992 et a réussi de se doter d’une base industrielle assez
solide relativement comparable à celle de l’Allemagne. L’industrie suédoise est
dominée par un nombre important d’entreprises globales tels que Atlas Copco,
SKF, Electrolux, Volvo et Saab-Scania. Ces grands groupes largement contrôlés
par de grandes familles possédantes fondent leur dynamique sur
l’innovation.
-
L’innovation, un facteur de productivité et un
trait essentiel du modèle de développement suédois
Depuis les années cinquante, le développement d’une nation est
devenu de plus en plus tributaire de la capacité de ses entreprises d’acquérir de
nouveaux avantages concurrentiels non seulement dans les industries classiques
déjà existantes mais aussi dans les nouvelles industries. Ce qui devrait se
traduire par un accroissement continu de la productivité et le plein emploi.
Sans gain de productivité, l’économie demeure prisonnière d’industries peu
diversifiées et sans avantages concurrentiels conséquents, ce qui risque
d’entrainer une baisse des salaires réels et un taux de chômage plus ou moins
élevé. Grâce à l’innovation et aux gains de productivité, un certain nombre de
pays développés et émergents sont sortis gagnants après la seconde guerre
mondiale[85].
Parmi ces pays figurent « la Suède et la Suisse, qui sont
demeurées deux nations commerçantes de premier plan » et « servent
aujourd’hui de pays d’origine à un nombre considérable de multinationales,
malgré l’exiguïté de leur marché intérieur, malgré une politique de salaires
élevés et, pour la Suède, malgré la mise en œuvre d’un système extrêmement
proche du socialisme (en termes de prestations sociales et de répartition des
revenus), si on le compare aux systèmes adoptés par les plus grands pays industrialisés ».[86]
Grâce à ses performances en tant que pays fortement innovateur, la
Suède se révèle comme un modèle d’avantage concurrentiel[87].
De ce point de vue, il ressort de l’analyse de M. Porter qu’au lendemain de la
seconde guerre mondiale et de la décennie qui lui est postérieure, « les
Etats-Unis, la Suisse et la Suède sont les premiers gagnants »[88]. Les entreprises globales suédoises se
caractérisent par une forte des plus fortes concentrations dans le monde. En
1987 la Suède présente un taux de concentration des exportations très élevé
dans la mesure où vingt de ses multinationales contribuent à plus de 40% de
exportations. A la même date, les dix-sept premières multinationales suédoises
participent pour un tiers à l’emploi industriel, et pour 60% aux dépenses de la
recherche-développement dans l’industrie[89].
Avec une dépense représentant 3,17 % du PIB en 2010, la Suède est
un des pays au monde qui investissent le plus en R&D. La part la plus
importante de cette dépense est à mettre à l’actif des grandes entreprises
privées permettant à la Suède de dépasser l’objectif de l’Union Européenne fixé
en 2020 à 3% dans le cadre de sa stratégie de croissance.
Comme
il ressort du tableau suivant, la Suède se classe toujours parmi les pays les
plus performants en R§D. Elle se situe souvent en tête du peloton non seulement
au niveau européen mais même au niveau des pays de l’OCDE comme la Corée du Sud
ou le Japon.
Le
classement de la Suède parmi les pays les plus performants en R§D[90]
(Dépense
intérieure de R&D en % du PIB)
Année |
2010 |
2014 |
2018 |
2019 |
Suède |
3,17 (3) |
3,10 (4) |
3,32 (2) |
3,39 (2) |
Japon |
3,11 |
3,37 (2) |
3,22 (3) |
3,20 (3) |
Corée du Sud |
3,32 (2) |
4,08 (1) |
4,52 (1) |
4,64 (1) |
Autriche |
2,73 |
3,08 |
3,09 |
3,13 |
Finlande |
3,71 (1) |
3,15 (3) |
2,76 |
2,80 |
Belgique |
2,06 |
2,37 |
2,86 |
3,17 |
Eurostat, Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) consulté le 12/02/2022
Grâce à la priorité accordée à la recherche et développement, à
l’acquisition des compétences et à la formation continue ont su acquérir des
avantages concurrentiels dans les industries les plus sophistiquées.
L’analyse accomplie par Michael Porter dans son ouvrage précité
permet de rendre compte des performances industrielles réalisées par la Suède
entre 1978 et 1985. L’auteur dégage cinq grappes compétitives
principales :
- la
première qui est la plus importante en termes d’exportations avec 20,50% des
exportations suédoises, concerne le matériel du transport et de la logistique
(les avions de 12 à 15 tonnes, les voitures du tourisme, les camions et les
bateaux, les moteurs, les machines associées et les moyens de production
spécialisés) ;
- la
deuxième classée au second rang en termes d’exportations avec 17% du total des
exportations, regroupe les industries des produits forestiers (bois de
construction, pâte à papier et papier, les machines de fabrication du papier,
divers équipements associés et les produits chimiques associés à la pâte à
papier et au papier) ;
- la
troisième en termes d’exportations avec 12,5% est celle des métaux ferreux et
des produits métalliques (les équipements et les produits d’extraction, les
fours électriques industriels, les laminoirs et les rouleaux, les machines et
les outillages liés à la transformation des métaux) ;
- la
quatrième en termes d’exportations avec 2,5% des exportations suédoises et 2,8%
des exportations mondiales de la grappe, concerne l’industrie de la santé
(prothèses auditives et orthopédiques) ;
- La
cinquième est celle des télécommunications avec une part de 3,7% dans l’ensemble
des exportations suédoises et de 5,5% dans le total des exportations mondiales
de la grappe.
D’autres
grappes présentent un intérêt indéniable telles que la production et la
distribution de l’énergie (les équipements de transmission d’énergie à longue
distance associés aux ressources hydroélectriques de la Suède et aux industries
métallurgiques et de pâte à papier à caractère énergivore), la fabrication des
produits alimentaires et des produits associés comme les machines de
conditionnement et d’autres machines liées à ce secteur, la production des
semi-conducteurs et des ordinateurs, l’électroménager (Electrolux), le mobilier
(IKEA, entre autres) et les cristaux (ORREFORS, KOSTA-BODA)[91].
La Suède détient d’autres industries mais dont les parts de marché à
l’exportation sont relativement négligeables telles que les produits chimiques
et les semi-conducteurs/ordinateurs.
En dépit de ces performances, l’étude de M. Porter rend compte
d’une perte relative des avantages concurrentiels entre 1978 et 1985. Ce qui va
contribuer en partie à l’éclatement de la récession de 1991-1992 et que la
Suède réussira à surmonter en
retrouvant le sentier de la croissance tout en consolidant son socle industriel
et en maintenant son système de protection sociale et son ethos de confiance
collectif. De même, elle réussira à surmonter la crise de 2008 plus rapidement
faisant preuve davantage de résilience comparativement à d’autres pays
développés.
III..2.2- La résilience du modèle socio-démocrate face à la crise et sa
capacité d’adaptation au changement
Au cours des années 1980, la Suède s’est trouvée confrontée à une
situation d’instabilité et de remise en question qui a débouché sur l’adoption
durant les années 1980 de mesures de libéralisation économique et notamment de
dérèglementation du système financier. Celle-ci a engendré une grave récession
qui a duré de 1991 à 1992 avant que le pays ne renoue avec la croissance en
1993 tout en continuant à consolider ses avantages concurrentiels grâce
notamment à l’action de l’Etat et au rétablissement du dialogue entre les
entreprises représentées par la SAF et les syndicats des travailleurs.
III.2.2.1- La crise de 1991-1992
La perte des parts de marché et l’inflation rampante découlant des
deux chocs pétroliers conjuguées à une augmentation non maîtrisée des dépenses
publiques dans un contexte international caractérisé par la stagflation, le
gouvernement a adopté des mesures de libéralisation dans le sillage des
politiques de dérégulation entreprises dans la plupart des pays capitalistes au
cours des années 1980 conformément aux recettes préconisées par l’école de
Chicago et le Consensus de Washington.
Une première vague de réformes libérales dans les années 1980
consistaient à déréguler l’accès aux crédits et à introduire la concurrence au
niveau des transports ferroviaires tout en décentralisant l’organisation
administrative qui sera renforcée en 1991. A partir de 1991, la libéralisation
des services publics s’est étendue à d’autres activités tels que les
télécommunications, la poste, l’électricité, le transport aérien, les établissements d'hébergement pour
personnes âgées dépendantes (EHPAD), les écoles maternelles les taxis. Si
l’objectif des réformes relatives à la gestion publique visent à préserver un
État-providence universel fut atteint, la dérégulation du système financier a
par contre engendré une grave crise économique et sociale.
Comme l’explique Vidal, la dérèglementation du système financier
suédois a entrainé un accroissement des crédits et l’endettement des ménages
pour subvenir à leurs besoins en biens et services de consommation. De même, les
entreprises se sont endettées pour financer l’investissement en logements. Ce
qui a impliqué une baisse du taux d’épargne des agents privés. Les banques
suédoises ont financé les crédits octroyés au moyen d’emprunts à l’étranger à
des taux d'intérêt relativement bas. Les facilités de crédit ont boosté la
demande de logements provoquant une bulle immobilière se traduisant par une
augmentation des prix de 38% entre 1989 et 2002. Suite à une augmentation du
taux d’intérêt en Allemagne contrainte de financer sa réunification par le
recours aux emprunts, la Suède fut obligée de répercuter cette augmentation sur
son taux d’intérêt pour maintenir la parité de sa monnaie, ce qui a mis fin à
la bulle immobilière en maîtrisant l’évolution des prix. Pour éviter la faillite
des banques, l’Etat a adopté un plan de sauvetage moyennant un accroissement de
la dette publique contribuant au creusement du déficit budgétaire qui atteint
en 1993 atteint 13% du PIB. La récession a touché l’ensemble des secteurs et
notamment celui de la construction entraînant une augmentation du taux de
chômage passant de 2% à 10%. Comme le fait remarquer Vidal, « cette crise
n’est pas identique à celle des subprimes aux États-Unis, bien qu’elle soit le
résultat de l’éclatement d’une bulle immobilière : en Suède, il ne s’agissait
pas de prêts accordés à des ménages pauvres et les pertes sur les prêts
hypothécaires des ménages sont restées finalement assez faibles »[92].
Un
autre facteur de cette récession fut la dégradation de la compétitivité des industries
suédoises. Comme il ressort du graphique ci-après, la baisse des parts de
marché entre 1975 et 1993 s’est traduite par une détérioration du solde
extérieur courant devenu quasiment négatif durant cette période.
Grâce aux mesures prises par l’Etat notamment la dépréciation de la
couronne fin 1992, à l’essor du commerce international et à la réhabilitation
du dialogue social entre le patronat (la SAF) et les syndicats des travailleurs
et au succès des réformes structurelles adoptées par l’Etat, la Suède a pu
sortir de la crise et retrouver une nouvelle dynamique se traduisant par un
solde commercial excédentaire entre 1993 et 2009 et même jusqu’à présent comme
nous le verrons.
Source :
Vidal op. Cité p.10
De même pour compenser les pertes d’emploi, l’Etat a dû encourager
les créations d’emplois dans le secteur public moyennant une forte augmentation
des dépenses publiques comme nous pouvons le constater à travers le graphique
suivant. C’est ce explique que l’emploi dans les administrations
publiques a atteint 35 % de l’emploi dans l’ensemble de l’économie au
début des années 1990, ce qui était la proportion la plus élevée en Europe. Le
financement des dépenses publiques et donc de l’Etat-providence est assuré par l’impôt
sur le revenu dont la part est notoirement élevée en Suède comme nous aurons
l’occasion de le voir en examinant la réforme fiscale par la suite.
Source :
Vidal op. Cité
Toutefois, le pays n’a pas pu assurer le plein-emploi comme c’était
le cas avant la crise comme il apparait à travers le graphique ci-après. Entre
2000 et 2005, le taux de chômage varie entre 5% et 7%. En 2021 il a été de
7,5%, Toutefois comme il a été souligné ci-dessus, le taux de chômage de longue
durée en Suède demeure sensiblement faible par rapport aux autres pays
européens et ce, grâce à la flexisécurité fondée sur la formation continue dans
le cadre d’une politique active de l’emploi comme nous l’avons vu.
Source :
Vidal op. Cité
III.2.2.2
-Le renouveau du modèle suédois comme
mode d’adaptation aux mutations de la société
Les politiques de libéralisation au cours des années 1980 et 1990
n’ont pas ébranlé le processus institutionnalisé de l’Etat-providence. La crise
de 1991-1992 provoquée par la dérèglementation financière a conduit l’Etat à
adopter une série de réformes structurelles ayant abouti à la mise en œuvre d’un
nouveau régime de croissance. Le caractère social-démocrate de la Suède demeure
enraciné dans le cours de son évolution lui permettant de se doter davantage de
résilience et ce, en dépit de l’accès intermittent des partis bourgeois au
pouvoir.
III.2.2.2.1-
Les réformes structurelles dans le cadre du maintien de l’Etat-providence
social-démocrate et de l’éthos de confiance collectif
Les réformes structurelles ont concerné
divers domaines englobant la restructuration-privatisation des entreprises
publiques, la décentralisation administrative, la
refonte de la procédure budgétaire, la redéfinition du rôle de la Banque
Centrale, le rétablissement du consensus entre les syndicats des travailleurs
et le patronat, la réforme de la retraite et la réforme fiscale.
III.2.2.2.1.1-
La restructuration-privatisation des entreprises publiques
Comme il a été souligné, une première
réforme a consisté à rationnaliser la gestion de certains secteurs dans le but
de lutter contre les déficits publics. Il s’agit de restructurer un certain
nombre d’entreprises publiques relatifs au transport ferroviaire et aérien, les
télécommunications, l’électricité, les postes.
En 1988, l’Etat a scindé l’entreprise nationale de transports ferroviaires en deux
entités distinctes, l’une étant chargée de la gestion des infrastructures, et
l’autre du service de transport tout en les soumettant à la concurrence à
partir de 1990. Toutefois, même si le réseau ferroviaire est devenu accessible
à des concurrents de la société nationale, celle-ci conserve le monopole du
transport des voyageurs sur les grandes lignes.
Suite à la libéralisation
des télécommunications en 1993, il s’est avéré difficile de maintenir dans ce
secteur une véritable concurrence, ce qui a poussé l’Etat à entreprendre des mesures
correctrices par la suite. La Suède est l’un des pays européens dans lesquels
les tarifs téléphoniques sont les plus faibles.
Comme dans le transport
ferroviaire, la production et la distribution d’électricité ont été scindées à
partir de 1996, et soumises l’une après l’autre à un régime de concurrence. Les
prix de l’électricité sont fixés en fonction de l’offre et de la demande dans
le cadre d’un marché commun aux pays nordiques. Cette libéralisation de
l’électricité a eu pour conséquence que les prix ont fortement subi des
fluctuations provoquées par les aléas climatiques.
Comme dans le cas des
transports ferroviaires, la compagnie nationale des transports aériens contrôle
les trois quarts du marché.
Concernant la poste, la réforme de la
Poste s’est traduite par l’élimination de nombreux bureaux. L’envoi et la de
lettres et paquets est confiée à des petites ou grandes surfaces, des marchands
de bureaux, ou des stations d’essence.
III.2.2.2.1.2-
La décentralisation administrative
Dans le même objectif de rationalisation de la gestion des finances de
l’Etat et d’amélioration de l’efficacité des prestations publiques, l’Etat a
procédé à la décentralisation administrative en dotant les comtés et les
municipalités de moyens humains et financiers substantiels et d’une véritable
autonomie. Désormais, ils sont plus impliqués dans la gestion directe d’une
multitude de prestations (école, santé, etc.) à l’adresse des citoyens donnant
à ces derniers plus de de transparence et donc plus de confiance dans l’action
des autorités administratives. Dans ce sens, ils
se voient attribuer le pouvoir de recueillir la majorité des impôts, prélevés à
la source, dont le produit ne va à l’État qu’au-dessus d’un certain seuil.
En vue d’alléger les effectifs du secteur public, le statut de la
fonction publique est annulé au profit du droit commun, ce qui signifie que les
droits et les obligations des employés de l’administration centrale et des
collectivités locales relèvent des conventions collectives. De ce fait, on a assisté à une diminution significative des
effectifs au niveau de l’administration centrale depuis 1990. Cette baisse fut
compensée par une forte augmentation du nombre d’employés dans les
collectivités locales. En 2008, celles-ci concentrent 75% de l’emploi public
total. En dépit de la dérégulation des services publics ou de leur
privatisation, le secteur public demeure puissant reflétant l’image d’un État
actionnaire réputé pour son caractère économique transparent et exemplaire.
III.2.2.2.1.3-
La refonte de la procédure budgétaire
De même, l’Etat a procédé à une refonte de la procédure budgétaire.
Celle-ci consiste en l’adoption par le parlement d’un plafond annuel réception de
dépenses, rapporté à une prévision triennale, avec la contrainte de dégager un
excédent moyen de 2 % du PIB sur l’horizon d’un cycle. Les dépenses sont
structurées sous forme de 27 programmes pour être soumises au vote du
parlement. Le budget fait l’objet d’un audit efficace relayé par le vote d’une
« revue budgétaire de printemps » avant d’être mis en œuvre par quelques
centaines d’agences, « qui reçoivent des enveloppes mais restent juges,
une fois les orientations fixées par le gouvernement, du choix et de l’emploi
des moyens pour atteindre leurs objectifs. L’attribution des crédits est passée
d’une logique bottom-up, où chaque service demandait pour l’exercice un montant
précis que lui accordait le ministre des Finances, à une logique top-down, où
le ministre des Finances répartit aujourd’hui le budget selon les priorités
politiques du gouvernement. Cela a permis une meilleure maîtrise de la dépense
publique. En outre, ce ne sont plus les recettes qui s’adaptent aux dépenses
mais l’inverse. Le plafonnement des dépenses est réalisé d’abord de façon
globale puis selon 27 « secteurs » (défense, éducation, justice, culture…). Les
excédents budgétaires ont permis à la Suède d’effacer progressivement sa dette
depuis 1995 alors que celles de l’Allemagne, de la France et de l’UE ont eu
tendance à augmenter depuis le début des années 2000 donnant naissance à une
grave crise de la dette[93].
Ce qui fait dire à Willem Adema, spécialiste des questions sociales à l’OCDE
que cette maîtrise budgétaire donne à la Suède « les moyens de soutenir
son économie et de préserver son modèle sociale ». Le même esprit de rationalisation régit les finances des
collectivités locales et ce, depuis l’an 2000.
De 2016 à 2019, le budget de la Suède est excédentaire enregistrant un
surplus exprimé en pourcentage du PIB respectivement de 1%, 1,4%, 0,8% et 0,6%[94].
III.2.2.2.1.4-
La redéfinition du rôle de la Banque Centrale
Au niveau de la politique monétaire, la Banque centrale, dont le
rôle auparavant était de réguler l’octroi du crédit aux entreprises en fonction
des besoins d’investissement, voit son rôle focalisé sur une politique de
« cible d’inflation » adoptée par la plupart des pays capitalistes
développés au cours des années 1980-1990. L’objectif est de fixer un plafond
annuel de hausse des prix de 2%. Pour ce faire, la Banque centrale devrait
maîtriser l’écart entre le taux d’inflation cible et la variation escomptée des
prix et ce, par le biais de la variation du taux d’intérêt directeur. Les
variables déterminantes à cet égard sont les prix des matières premières, les
salaires, la productivité du travail, le taux d’utilisation des capacités de
production. « La Banque centrale agit sur les prix non pas en
contrôlant l’augmentation de la masse monétaire, mais par les variations du
taux d’intérêt. Le flottement du taux de change permet en principe de fixer le
taux d’intérêt en fonction de l’objectif interne de lutte contre
l’inflation »[95].
Toutefois, la Banque Centrale peut toujours recourir à d’autres mesures pour
soutenir la croissance et la compétitivité, voire le cas échéant en procédant à
une dépréciation de la Couronne. Cette éventualité est assurée par le fait que
la Suède a refusé d’adopter l’Euro comme monnaie nationale par la voie du
referendum organisé en 2003 et ce, en dépit qu’elle soit devenue membre de
l’Union Européenne à partir de 1995.
III.2.2.2.1.5-
Le rétablissement du consensus entre les syndicats des travailleurs et le
patronat
De même, on a assisté à la reconquête par les syndicats des
travailleurs de leurs droits en réussissant à inverser la tendance libérale à
la décentralisation tentée par le patronat durant les années 1970 et 1980 en
vue d’affaiblir le poids de négociation du collectif des salariés[96].
En effet, à l’instar des autres pays capitalistes, la Suède a connu à partir de
la fin de la décennie soixante, des mouvements de contestation des travailleurs
revendiquant des augmentations des salaires et une stabilité de l’emploi. Les
tensions entre les partenaires sociaux ont donné lieu aux grèves des mineurs en
1969. Le syndicat des travailleurs LO réussit à obtenir des droits comme la
représentation des travailleurs au sein du conseil d’administration des entreprises,
la sécurité de l’emploi à partir de 1973 et la codétermination à partir de 1976
qui permet aux syndicats d’avoir accès à toutes les informations disponibles et
de négocier avec le patronat toute modification affectant leur situation avant
sa mise en œuvre. Le syndicat LO défend lors de son congrès de 1976 de mettre
en place des fonds salariaux qui seraient alimentés par une taxe de 20% sur les
profits des entreprises et gérés par les travailleurs en vue d’avoir des
actions dans le capital de celles-ci. L’objectif serait de faire avancer la
démocratie industrielle et de promouvoir les investissements. Cette proposition
fut sévèrement critiquée par le patronat qui la considérait comme une tentative
de nationalisation déguisée et contraire à la logique des accords de
Saltsjöbaden de 1938. Ces
tensions ont conduit à l’affaiblissement du consensus suédois. La
tertiarisation de l’économie suédoise rapide a accru de façon massive le nombre
de cols blancs, ce qui a favorisé l’essor du syndicat des employés et des
cadres (la TCO : Tjänstemännens Centralorganisatio) moins intéressés par
la question de la compétitivité des industries exportatrices. De ce fait, la
période allant de de 1973 à 1977 a été marquée par une forte poussée des
salaires entrainant une baisse de la rentabilité et la compétitivité des
entreprises suédoises et donc une diminution de l’investissement des
entreprises. Pour redresser la compétitivité des entreprises, la coalition des
partis bourgeois (droite et centre droite) au pouvoir de 1976 à 1982 tout en
mettant en échec la tentative de créer les fonds salariaux et donc le processus
de démocratisation industrielle engagé par le mouvement ouvrier , vont recourir
à une série de dévaluations entre 1977 à 1982. La politique qui sera menée par
la suite par les sociaux-démocrates de retour au pouvoir à partir de 1982 fera
de la baisse des salaires le moyen d’améliorer la compétitivité des
entreprises. En effet, sous l’influence de ses conseillers d’obédience
néo-classique, les sociaux-démocrates vont adopter paradoxalement une politique
économique de nature hybride s’inspirant à la fois de la stratégie néo-libérale
des conservateurs britanniques et de la stratégie de type keynésien des socialistes
français. Il s’agit de réaliser le plein emploi sans inflation et ce, en
boostant la croissance et les profits au détriment des salaires et en faisant
recours à la dévaluation de la couronne, ce qui est très favorable aux
industries notamment exportatrices.
La décision du gouvernement social-démocrate prise le 26 octobre
1990 de demander l’adhésion à l’Union Européenne va jouer un rôle décisif dans
le façonnement de sa politique économique. A cette fin, il pratique une
politique d’austérité qui va susciter la crainte des suédois de voir leur
modèle sociétal disparaitre. Conjuguée à la crise économique de 1991-1992,
cette décision d’adhésion à l’UE va entrainer la deuxième chute de ce parti aux
élections de septembre 1991 au profit d’une coalition bourgeoise.
Toutefois, la crise de 1991-1992 et l’ampleur prise par le taux de
chômage ayant atteint 10% ont contraint les partenaires sociaux de rétablir le
consensus pour que de nouveau les négociations soient traitées à la fois au
niveau national, de la branche et de l’entreprise avec une priorité conférée à
l’échelle nationale. Dans ce cadre fut conclu l’« industriavtalet »
concernant l’industrie manufacturière, l’agriculture et la sylviculture, une
sorte de reconduction des accords de Saltsjöbaden de 1938. Les négociations qui
seront conduites dans ce cadre se feront dorénavant sur la base des conventions
collectives en veillant à limiter les grèves et le lock-out et d’ajuster les
salaires en fonction de la compétitivité de l’industrie manufacturière y
compris les salaires des employés du secteur tertiaire.
III.2.2.2.1.6-
La réforme de la retraite[97]
Une autre réforme est celle de la retraite entreprise en 1998 qui
désormais repose sur un système mixte de répartition et de capitalisation et
qui fut érigé en modèle par la Banque mondiale. Le nouveau système permet de
prolonger la durée de la vie active et par conséquent d’augmenter les
allocations. Les droits de chaque cotisant sont réévalués chaque année en
prenant en compte le volume des cotisations versées, de l’espérance de vie et de
la date choisie par l’intéressé pour la liquidation de sa pension. La règle
adoptée consiste à assurer l’équivalence en
termes actuariels entre les cotisations versées et les pensions reçues, sauf
pour les pensionnés les moins nantis qui perçoivent une pension complémentaire
de solidarité.
III.2.2.2.1.7-
La réforme fiscale
Une autre réforme structurelle est celle portant sur la fiscalité
adoptée en 1991 s’inscrivant dans le cadre de la stratégie de contenir les
dépenses publiques suite à la crise financière susmentionnée.
A titre de rappel, à la fin du 19ème siècle, la pression
fiscale en Suède était très élevée aussi bien pour les contribuables que les
entreprises. En vue de booster l’investissement des grandes entreprises très
productives, une première réforme adoptée en 1938 a octroyé à celles-ci des
faveurs fiscales et ce, au-dépens des petites et moyennes entreprises. Une
autre réforme intervenue en 1947 a consisté à augmenter l’impôt sur le revenu
ainsi que les taxations sociales et de santé. Dans les années 1970 et 1980, les
coûts de production en Suède se sont élevés et la fiscalité a été critiquée
comme étant trop lourde pour les PME.
Au fil des réformes, l’entreprise suédoise a pu bénéficier d’une
nette baisse de la pression fiscale. Depuis la réforme de 1991, le système
fiscal revêt une structure duale concernant la taxation des revenus et du
capital. En effet, l’Etat a établi au départ un taux forfaitaire de 30% et qui
a été incessamment revu à la baisse pour être fixé en 2021 à 20,6% alors que
les salariés sont sujets à un taux progressif qui en 2021 varie entre 30% et
55% en fonction du niveau du revenu[98].
Le fisc a procédé à l’élargissement de l’assiette fiscale de la TVA et à la
création de nouvelles écotaxes sur le carbone, le soufre et les oxydes d’azote instituant
une fiscalité verte dans le cadre de sa stratégie de transition écologique.
Cette restructuration des impôts a eu pour effet, d’une part, de
reporter la pression fiscale sur les consommateurs dont font partie les travailleurs
via la TVA, et, d’autre part, d’augmenter le taux d’épargne des entreprises
suite à la mise en place d’un taux forfaitaire passant de 30% en 1991 à 20,6% en
2021 alors qu’il était de 52% à la fin des années 1980. Ce qui permet aux
entreprises d’améliorer leur taux d’investissement et de promouvoir
l’innovation. S’il est vrai que l’impôt sur les salaires ne représente qu’un
faible pourcentage du PIB, soit 5,64% en 2020 (voir tableau ci-après), il
n’empêche qu’il est relativement élevé par rapport à la moyenne de l’OCDE qui
est de 0,46. En outre, le coin fiscal qui mesure la part de l’impôt d’un
salarié moyen par rapport au total des coûts qu’il représente pour l’employeur
est assez élevé en Suède, soit 42,07 excédant presque de 8 points la moyenne
de l’OCDE qui est de 34,62 en 2020 (voir tableau ci-après relative à la
structure comparative des recettes fiscales en 2020). Par ailleurs, même si les
entreprises sont moins taxées par rapport aux travailleurs et aux personnes
physiques d’une manière générale, elles subissent plus de pression fiscale
(49,1% des profits) par rapport à la moyenne des entreprises des pays de l’OCDE
(41,6%) comme il ressort de la comparaison internationale de la fiscalité des
entreprises ci-dessous.
Comparaison
internationale de la fiscalité des entreprises
Source
: Doing Business - Dernières données disponibles.
Structure
comparative des recettes fiscales 2020
(En
% du PIB sauf pour le coin fiscal mesuré en % du coût de la main d'œuvre)
Source : OCDE https://data.oecd.org/fr/tax Statistiques des recettes publiques 2021 Tableau confectionné par
nous sur la base des données de l’OCDE
*Les données relatives à
la moyenne OCDE portent soit sur l’année 2020 pour les recettes fiscales et le
coin fiscal, soit sur l’année 2019 pour le reste des impôts y compris les
cotisations de sécurité sociale. ** Le
coin fiscal désigne le rapport entre le montant
des impôts payés par un travailleur salarié moyen (célibataire dont la
rémunération équivaut à 100 % du salaire moyen) sans enfant et les coûts
totaux de main-d'œuvre qu'il représente pour son employeur. Le coin fiscal
moyen permet d'évaluer l'ampleur de l'effet dissuasif exercé par l'impôt sur
les revenus du travail sur l'emploi. Cet indicateur est mesuré en pourcentage
du coût de la main-d'œuvre.
Il est à souligner que la pression fiscale suédoise est parmi les
plus élevées de la planète. En 2020, les recettes totales des administrations
publiques représentent en Suède 50% du PIB, soit le troisième rang après la
Finlande et la Belgique avec respectivement 51,9% et 50,1%[99].
L’ampleur
de la fiscalité qui pèse à la fois sur les travailleurs et les ménages explique
le fait que la Suède finance ses prestations sociales davantage au moyen de
l’impôt que des contributions sociales dont la part demeure relativement faible,
alors que d’autres pays comme la France par exemple puise leur financement en
la matière essentiellement dans les charges sociales prélevées à la fois sur
les travailleurs et les entreprises.
Il en découle qu’en Suède il y a une forte socialisation de l’impôt
dans la mesure où il sert à financer la protection et les prestations sociales
dans une optique fondée sur la citoyenneté.
Ces
réformes ne peuvent être considérées comme une rupture avec le modèle
social-démocrate d’État-providence qui reste intact dans ses fondements. Elles
« correspondent plutôt à une nouvelle organisation de ce modèle, avec en
ligne de mire ce qui pourrait être considéré en France comme un paradoxe : le
maintien des protections sociales et l’attachement à une logique de
marché »[100].
En effet, la Suède se distingue toujours par son système de
protection sociale fondée à la fois sur les deux principes d’universalité et
d’égalitarisme qui tous les deux sont liés à la citoyenneté par opposition à
d’autres systèmes de type « conservateur et corporatiste » comme en France
par exemple cultivant « les distinctions de statut et la hiérarchie entre
individus » ou de type libéral anglo-saxon reposant sur la responsabilité
individuelle, avec des transferts sociaux faibles et conditionnés par le niveau
de ressources. Le caractère universel du système suédois apparait à travers le
critère utilisé par Algan et Cahuc selon lequel la part de la population en âge
de travailler éligible aux allocations de maladie, de chômage et de retraite s’élève
en 1990 à 90 % en Suède, 75 % au Royaume-Uni, 72 % en Allemagne, 70 % en France
et 54 % aux États-Unis. De même, ces deux auteurs montrent que le rapport entre
les allocations sociales de base auxquelles tout le monde a droit et les
allocations maximales qui mesure l’égalitarisme du système de protection
sociale se situe en 2002 à 0,82 pour la Suède qui occupe le deuxième rang juste
derrière le Danemark avec 0,99 largement devant le Royaume-Uni (0,64),
l’Allemagne (0,56), la France (0,55) et les États-Unis (0,23). Plus le ratio
est élevé, plus les prestations sont égalitaires[101].
Un autre domaine d’égalitarisme est celui de
l’égalité entre hommes-femmes où la Suède a été en avance par rapport aux
autres pays capitalistes développés. Les femmes ont obtenu le droit de vote dès
1919, ce qui fait de la Suède un des pionniers dans ce domaine. L’égalité
professionnelle du genre fut parmi les priorités de l’Etat social-démocrate dès
1960. Pour ce faire, nombre de dispositions
ont été adoptées tels que l’obligation des aux
entreprises de plus de dix salariés de se doter d’un plan pour l’amélioration
de l’égalité des sexes, des politiques visant à garantir des places aux femmes
au sein des crèches, des mesures en matière de congé parental (les congés
parentaux suédois atteignent jusqu’à quinze mois pour le couple marié ou en
concubinage, à prendre avant les huit ans de l’enfant, dont cinq mois réservés
au père). Aujourd’hui, le taux d’activité des femmes est quasiment égal à celui
des hommes. Il existe une quasi-parité à l’Assemblée et dans le gouvernement. En
2012, Les performances de la Suède en matière d’égalité homme-femme sont, après
la Norvège, parmi les meilleures d’Europe. En 2020, la Suède occupe la
troisième place avec 80,8 juste derrière la Suisse et l’Islande avec
respectivement 82,5 et 82,3[102].
Ce qui renforce la cohésion sociale et l’ethos de confiance collectif. Ce qui
renforce la cohésion sociale et l’ethos de confiance collectif. Ce qui renforce
la cohésion sociale et l’ethos de confiance collectif. Dans son rapport portant sur « La
confiance envers le gouvernement », l’OCDE classe la Suède au premier rang
devant la Norvège et la Finlande[103]
et bien loin d’autres pays développés comme la France ou le Japon par
exemple.
Si les changements structurels engendrés par les réformes
postérieures à la crise de 1991-1992 n’ont pas remis en cause la nature
socio-démocrate de l’Etat-providence en Suède, qu’en est-il du modèle de
croissance ?
III.2.2.3-
Le renouveau du modèle de croissance de
la Suède
Le
modèle de croissance a évolué en Suède selon les époques et en fonction des
configurations-recompositions des acteurs[104].
A titre de récapitulation, pendant la genèse du modèle suédois (1889-1945), le
régime de croissance adopté fut celui de l’école de Stockholm précitée faisant
de la demande effective le moteur de la croissance et ce, dans cadre
institutionnel bâti sur une coopération entre le syndicat des travailleurs et
le patronat d’une part, et, entre le parti des agrariens (devenu aujourd’hui le
parti du centre) et le parti social-démocrate.
La seconde période (1945-1975) fut marquée par un nouveau régime de
croissance dit de Rehn-Meidner qui prône la conjonction des gains de
productivité et la réduction des inégalités des salaires favorisant ainsi le
plein emploi, la consolidation de l’Etat-providence et un développement
important des exportations dans un climat de coopération entre le patronat, les
syndicats des travailleurs et la dominance du parti social-démocrate.
La
troisième période (1976-1982) fut marquée par l’ascension au pouvoir de la
coalition bourgeoise constituée des partis de droite et du centre. Celle-ci
tout en préservant le régime de croissance de Rehn-Meidner et les fondements de
l’Etat-providence, va s’opposer au mouvement ouvrier de la LO visant à instituer
un processus de démocratisation industrielle notamment via la loi de
codétermination votée par le congrès dudit syndicat en 1976 comme il a été
précisé auparavant.
La quatrième période (1982-1991) fut marquée par la mise en œuvre
par les sociaux-démocrates, d’un régime de croissance d’inspiration
néo-libérale en contradiction avec les régimes de croissance antérieurs. Il
consiste de booster la demande globale via l’endettement des agents privés et
la hausse de la valeur des actifs. Le surendettement des ménages et des
entreprises a débouché comme nous l’avons vu sur la crise du système financier
et de l’immobilier dont la sortie avait nécessité une intervention massive de
l’Etat voire même la nationalisation de certaines banques mises en faillite.
En vue de relancer son économie sur une base plus solide et de
veiller à préserver son système institutionnel d’encastrement de l’économique
dans le social et donc de l’Etat-providence universel, la Suède adopte après la
crise de 1991-1992 un nouveau régime de croissance qui s’inspire de la théorie
dite « l’effet Kalecki-Verdoorn » selon laquelle il existe une
corrélation positive entre l’augmentation de la production et l’amélioration de
la productivité globale des facteurs de production[105].
En effet, dans le cas de la Suède, il s’agit d’une croissance intensive fondée
sur une accélération des gains de productivité. D’après les données de l’OCDE,
la productivité mesurée en termes de PIB par heure travaillée en dollars USA à
prix constant et en PPA (parité en pouvoir d’achat) 2015 a évolué comme suit
entre 2002 et 2020 :
La
productivité en termes de PIB par heure travaillée en dollars US à prix
constant et PPA 2015
Entre
2002 et 2020
Source :
Statistiques OCDE (oecd.org)
Données extraites le 05 Mar 2022, 22h16 UTC (GMT), de OECD.Stat Analyse structurelle Base de
données STAN
Le graphique ci-dessous en bleu montre que la productivité par
heure travaillée (productivity by hour worked) est plus élevée en Suède à raison
de 8% que dans les pays les plus performants de l’OCDE entre 2000 et 2019. Le
PIB par habitant est comparable à celui de ces pays. Ce qui corrobore l’effet
de Kalecki-Verdoorn.
Graphiques
comparant la productivité et le PIB par habitant, l’indice de GINI des
inégalités de revenu et l’émission de CO2 en Suède et la moyenne des pays de
l’OCDE entre 2000 et 2018-2019
Source :
OCDE STAT consulté le 06/03/2022
La croissance intensive de la Suède s’explique par la mobilisation de facteurs qualitatifs du fait que
le pays, comme nous l’avons vu, investit énormément dans la recherche et le
développement, dans la formation du capital humain et dans le renforcement des
institutions, ce qui favorise l’investissement. Au vu de la taille limitée du
marché intérieur de la Suède, les débouchés extérieurs y créent un cercle
vertueux de la croissance intensive. En
effet, à partir de 1993, on assiste à un accroissement vertigineux des
exportations dont la part dans le PIB passe de 30% en 1992 à 60% en 2007 comme
l’illustre le graphique ci-après.
Suède, parts
de la consommation publique, de l’investissement privé hors logements, de
l’investissement en logements et des exportations, en % du Pib
Source : Jean-François Vidal Op. Cité p.17
Cette tendance croissante des exportations se poursuit et permet à
la Suède de dégager un excédent de son compte de transactions courantes comme
il ressort des données de l’OCDE ci-après :
Solde
du compte des transactions courantes de la Suède donnes trimestrielles
(Du
4ème trimestre 2019 au troisième trimestre 2021 en millions de
dollars US)
Données extraites le 06 Mar 2022,
19h33 UTC (GMT), de OECD.Stat
Les politiques macroéconomiques favorisent le développement des
exportations. En pratiquant un taux directeur bas, la banque centrale incite
les banques à octroyer plus de crédits stimulant l’activité économique. De
même, l’adoption d’un taux de change relativement modéré favorise les
exportations. En effet, grâce à ses investissements
dans la recherche et développement et du taux directeur extrêmement bas, la Suède exporte de plus en plus de produits à forte valeur ajoutée,
tout en restant un important exportateur de produits
forestiers et de minerais de fer. En dégageant un solde
extérieur excédentaire, la Suède renforce son autonomie économique.
Grâce à ses performances économiques, elle fait
montre d’une forte résilience face aux crises économiques et pandémiques. C’est
ce qui ressort d’une étude de l’OCDE datant de décembre 2021 selon laquelle « l’économie suédoise a rattrapé son niveau d’avant la pandémie et va
de l’avant, avec une croissance prévue du PIB de 4,3 % en 2021 et de 3,4 % en 2022, alimentée par la levée
des restrictions liées à la COVID-19 et un rebond continu de la consommation et
de l’investissement, avant de s’assouplir à 1,6 % en 2023. La demande est soutenue par
la baisse du chômage et la hausse de l’emploi et des salaires. L’inflation
devrait atteindre un sommet en 2022 avant de retomber vers la cible de 2
% »[106].
Cette forte résilience s’est déjà vérifiée lors de la crise de 2008.
La Suède s’est vite relevée de cette grave dépression à la différence de la
plupart des pays européens. En 2011, la croissance suédoise (3,9 %) est plus de
deux fois supérieure à celle de la France (1,7 %) et de 0,9 point supérieure à
celle de l’Allemagne (3 %). La même année, le FMI classe la Suède au 8e rang
mondial en termes de PIB par habitant, devant l’Allemagne et la France qui sont
respectivement aux 19e et 20e rangs. En 2011, le classement des compétitivités
nationales du World Economic Forum (WEF), qui évalue le potentiel des économies
à atteindre une croissance soutenue à moyen et long terme, place la Suède en 3e
position derrière Singapour et la Suisse.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la Suède dispose
d’une forte cohésion sociale et soit capable de consolider l’Etat-providence.
Car, comme le soulignent à juste titre Algan, Cahuc te Zylberberg
« Rétablir la confiance, c’est améliorer à la fois le bien-être et les
performances économiques. La confiance des élèves conditionne leurs résultats
scolaires et leur insertion sociale, celle des salariés accroît leur motivation
et leur productivité. La confiance des citoyens garantit l’efficacité des
politiques publiques et leur disposition à financer l’État-providence[107].
III.2.3- La capacité du modèle à relever le défi de
la transition écologique
La Suède compte parmi les pays dont la transition écologique est
prioritaire. Le paradigme écologique y occupe une place centrale. L’écologie vise
à la fois de protéger la nature en réduisant les émissions des gaz à effet de
serre (GES) et d’améliorer la compétitivité des entreprises vu que les énergies
renouvelables peuvent être moins coûteuses par rapport à certaines énergies
comme le nucléaire.
III.2.3.1-
La mise en place d’une taxation verte
La Suède a depuis longtemps mis en place une taxation énergétique
(taxes sur le fuel en 1929 et sur l’électricité en 1951). L’objectif de ces
taxes était alors purement financier. Ce n’est qu’après les deux chocs
pétroliers des années soixante-dix que la taxation énergétique a été mise en
place pour inciter à réduire la consommation d’énergie fossile. En 1991, le
gouvernement a créé une « écotaxe » sur les émissions de CO2 conformément aux
propositions de la commission de la fiscalité environnementale mise en place en
1986. La Suède conjugue une taxe carbone, qui incite à l’utilisation d’énergies
non carbonées, avec une taxe sur l’énergie, qui incite à réduire la
consommation d’énergie. Cette réforme s’est intégrée à la réforme fiscale de
1991 déjà examinée. Pour assurer la compétitivité des entreprises, la fiscalité
environnementale comportait deux niveaux de taxation, le premier niveau élevé
concerne les ménages et les services, et le second niveau plus faible
s’applique aux entreprises sujettes à la compétition internationale. Une
deuxième commission a été mise en place en 1995 afin d’améliorer le
fonctionnement du marché du travail, compte-tenu de la forte hausse du chômage
dans les dernières années, et d’envisager le transfert de la taxation du travail
vers la fiscalité verte. En 2001, le programme « Green tax shift » a donc
cherché à mettre en œuvre une fiscalité verte plus incitative tout en
maintenant constante la pression fiscale globale. Il s’est traduit par une
réduction de l’impôt sur les revenus faibles et moyens et par une baisse des
charges patronales, compensées par une augmentation des recettes de la taxe
carbone et des taxes sur l’énergie. Par ailleurs, les industries
électro-intensives sont dispensées de payer la taxe sur l’énergie. Au total,
les taxes environnementales en Suède représentent 2,8 % du PIB en 2010, ce qui
est proche de la moyenne européenne. La Suède a diminué d’environ 15 % ses
émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2009. La contraction des
émissions est identique en Europe, mais moins importante en France (-9 %). Il
est toutefois diffcile de faire la part des choses entre la baisse
structurelle, indéniable, et l’effet conjoncturel lié à la crise économique de
2008-2009. En 2009, la Suède avait l’empreinte carbone par habitant la plus
faible de l’UE :
7,0
tonnes en 2010 et 6,4 tonnes en 2009 (Grosjean et Debroux, 2012, p.5). La
France se situait à un niveau proche de la Suède en 2009 ; l’Allemagne, en
revanche, avoisinait le seuil des 10 tonnes par habitant (OCDE). Graphique 29 -
Emissions de CO2, en kt (base 100 en 1990) Source : OCDE. “Nous avons réduit
nos émissions de gaz à effet de serre de près de 20 % entre 1990 et 2009, alors
que notre PIB a crû de 50 % sur la même période ». Susanne Akerfeldt,
directrice adjointe des Impôts au ministère des Finances en Suède. In Le Monde,
31 octobre 2012. La taxe carbone a par ailleurs favorisé le développement des
énergies renouvelables, perceptible entre 1970 et 2010 (cf. graphique 30). Sur
cette période, Grosjean et Debroux (2012) précisent en effet que « le recours
aux produits pétroliers s’est contracté de 47 % alors que l’utilisation des
biocombustibles (déchets et tourbe inclus) a augmenté de 230 %. Grâce au
développement du nucléaire et de l’hydroélectricité, la production électrique a
augmenté de 131 % sur cette même période ».
III.2.3.2- La mise en place de « l’initiative dite une Suède sans fossile »
C’est pourquoi les entreprises suédoises se trouvent à l’avant-garde de cette transition au même titre que l’Etat et les collectivités locales qui sont partenaires dans le cadre de l’initiative dite « une Suède sans fossile »[108]. A ce propos, Svante Axelsson, le représentant du gouvernement suédois au sein de ladite initiative souligne que l’objectif de 100% d’énergie renouvelable est fixé pour 2040 car « L'énergie nucléaire coûte trop cher », estime-t-il en insistant sur le fait que c'est l'impératif de compétitivité qui commande la transition énergétique. A cet effet, les entreprises suédoises issues de 9 branches essentielles d'activité du pays, de la sidérurgie à l'aviation en passant par les mines et la construction représentent 32 % des émissions de GES (gaz à effet de serre) ont adopté une feuille de route pour atteindre cet objectif.
Concernant la production d’électricité, la Suède a déjà réalisé des
progrès importants étant donné que les combustibles
fossiles (charbon, fuel, gaz) n'y interviennent plus aujourd'hui qu’à raison de
2 %.
Pour la fourniture d’énergie utilisée dans l’aviation, la Suède
mise sur son « capital vert », c’est-à-dire ses ressources
forestières très abondantes et les déchets du secteur du bois (papier, meubles)
pour développer massivement les biocarburants au profit de ce secteur ainsi que
d’autres secteurs tels que les industries minières en accélérant la transition
des machines vers les biocarburants et dans le génie civil et le secteur de
construction.
D’après le rapport « Panorama de l'environnement 2015 de
l’OCDE » [109],
avec un peu plus de 5 tonnes de CO2 équivalent par habitant mesurant les
émissions de gaz à effet de serre, la Suède enregistre la seconde meilleure
performance en 2012 juste après la Turquie qui se classe en tête, alors que
l’Australie, le Luxembourg et les Etats-Unis se classent parmi les plus
polluants avec des émissions de GES se situant entre 20 et 24 Tonnes CO2
équivalent par habitant.
Le même rapport de l’OCDE note que la Suède est parmi les pays
membres ayant réduit leurs émissions et intensités de GES. Elle a réussi à les
diminuer à raison de 21% entre 1990 et 2012 (voir tableau 1.1 du même rapport
p.21). En 2018, la Suède émet 50919780 tonnes CO2 équivalent pour une
population de 10183175, soit 5 TCO2 équivalent[110].
Par ailleurs, la Suède vient d’adopter le 27 janvier 2022 une
solution mise en avant par le producteur d’électricité nucléaire suédois SKB
garantissant la sécurisation des déchets pour cent millénaires alors qu’aucun
des 38 pays détenant des centrales nucléaires dans le monde (soit 400 centrales
au total) ne tient un système « définitif » de stockage du
combustible radioactif usagé. D’après la ministre sociale-démocrate du climat
et de l’environnement suédois, « C’est le résultat de quarante ans
de recherche et qui sera sans danger pendant cent mille ans. La Suède deviendra
un leader mondial avec la Finlande »[111] qui entreprend la construction d’un projet comparable.
Conclusions : portée et limites du modèle suédois du point de vue de l’encastrement de l’économique dans le social
Le modèle suédois a évolué à travers le
temps. Cette évolution s’est faite sous l’influence d’une conjonction de
facteurs à la fois internes et externes.
Le rapport de force entre le patronat et
les travailleurs a joué un rôle déterminant quant aux changements ayant affecté
le modèle suédois. Entre 1936 et 1970, le consensus entre les deux partenaires
sous la coupe du parti social-démocrate dominant a permis une consolidation de
l’Etat-providence sur la base du principe d’universalité et du critère de
résidence qui est supérieur à celui de citoyenneté. A partir des années 1970,
le mouvement syndical engage une bataille dans l’objectif de réaliser une
démocratie industrielle à travers les fonds salariaux en vue de se frayer le
chemin vers une participation directe à la prise de décision au sein des
organes de direction des entreprises dans le cadre d’une vision qui se
rapproche du système socialiste d’autogestion. Toutefois, la montée des partis
libéraux au pouvoir entre 1976 et 1982 puis entre 1991 et 1994 et les
politiques inspirées du néolibéralisme au cours des années 1980-1990 avec
l’appui des socio-démocrates eux-mêmes, conjuguées au processus d’accélération
de la mondialisation du capital notamment financier vont faire basculer le
rapport de force au profit du patronat. Ce qui aboutit à la remise en cause des
conquêtes ouvrières en particulier au lendemain de la crise financière de
1991-1992. Les cinq fonds salariaux régionaux ayant été mis en place en 1984
furent supprimés par la droite en 1991. Bien que le consensus patronat-syndicat
soit rétabli au cours des années 1990 et que l’Etat-providence à caractère
universel soit maintenu, il n’empêche que le modèle suédois ait subi des changements
structurels importants sous le poids du pouvoir des groupes d’intérêt qui sont les firmes multinationales et les
partis bourgeois empêchant toute nouvelle tentative d’institutionnalisation
d’une démocratie industrielle de la part des travailleurs. Cela démontre, comme
l’affirme Rudolf Meidner lui-même, « le caractère
illusoire d'un État-providence sans conflits de classes »[112].
C’est dire les limites de la social-démocratie et de la troisième voie fondant
son projet de transformation sociale sur la seule sphère de la redistribution
alors que le problème central se situe au niveau de la sphère de production. L’idée
de l’harmonie des intérêts défendue par Gunnar Myrdal selon laquelle « il
existe un large accord de fait entre tous les partis politiques (…) pour
propager des réformes nouvelles et toujours plus radicales pour redistribuer
les revenus à mesure que leur niveau s'élève »[113]
ne résiste pas à la réalité des faits.
Contrairement la « convergence des attitudes et des idéologies » à
laquelle croyait Myrdal, on assiste plutôt à une tendance ascendante des partis
bourgeois et conservateurs même dans les pays nordiques défendant le
néo-libéralisme. Ainsi, en dépit
du fait qu’il reste toujours dominant, le parti social-démocrate voit sa
position régresser au fil du temps comme il ressort du tableau ci-après
retraçant les résultats des élections législatives depuis 1970 à 2018.
2018 |
8 |
28,26 |
4,41 |
5,49 |
8,61 |
19,84 |
6,32 |
17,63 |
1,53 |
87,18 |
Vänsterpartiet (V) — le Parti de gauche ; Miljöpartiet de gröna (MP) —
le Parti de l’environnement Les Verts ; Socialdemokraterna (S) — Parti
social-démocrate suédois des travailleurs ou sociaux-démocrates suédois ; Centerpartiet (C)
— le parti du Centre ; Liberalerna (L) — les
Libéraux ; Moderaterna (M) — les
Modérés ; Kristdemokraterna (KD)
— les Chrétiens-démocrates ; Sverigedemokraterna (SD) — les
Démocrates de Suède qui est un parti d’extrême-droite raciste dont le slogan
est la Suède pour les suédois.
Lors des dernières élections de septembre 2018, le parti social-démocrate réussit à maintenir sa position de premier parti mais il a enregistré le score le plus faible depuis 1920 avec 28,4 % le contraignant à gouverner au sein d’une coalition avec les libéraux, les centristes et les verts au niveau d’un premier gouvernement entre 2019 et octobre 2021 avant qu’il ne gouverne tout seul mais en minoritaire depuis novembre 2021.
Ce déclin relatif est dû à plusieurs facteurs qui ont
engendré de nouveaux clivages sociaux se traduisant par l’apparition de
nouveaux partis politiques tel que le parti populiste anti-immigration
« Les Démocrates de Suède », le parti des verts et le parti chrétien
ou par de nouvelles alliances entre les différents partis constituées en
fonction de nouveaux enjeux tels que l’adhésion à
l’Union européenne ou les réformes relatives à l’Etat-providence à travers le
système de protection sociale. Il en est résulté une remise en cause du modèle
des cinq partis politiques avec une dominante sociale-démocrate ayant prévalu
dans les pays nordiques de la fin du 19ème siècle-début du 20ème
siècle jusqu’aux années 1980[114]. Comme le
souligne Marie Demker, ce modèle à cinq-partis typique consiste en une classe
ouvrière divisée en deux : un groupe radical/révolutionaire et un groupe
modéré/réformiste, ainsi qu’en une bourgeoisie divisée en trois : les
agrariens, les libéraux et les conservateurs[115]. Si comme le souligne Lipset et Rokkan, l’existence de plusieurs
partis politiques en Europe traduit des clivages issus du besoin de contrôler
le projet national ( le conflit entre la culture du sujet et celle du dominant
(centre et périphérie), et le conflit entre l’Eglise et le gouvernement), et,
du besoin de contrôler l’économie nationale : le conflit entre l’économie
primaire et secondaire (intérêts agraires et urbains), et le conflit entre les
ouvriers et les employeurs/propriétaires, il serait donc logique, fait
remarquer Marie Demker, de s’interroger sur la nature des nouveaux clivages
apparus entre les partis politiques traduisant de nouveaux conflits sociaux à
partir des années 1970-1980 en Suède comme dans les autres pays nordiques.
Certes l’ancienne dimension gauche-droite fondé principalement sur
le clivage travailleurs/employeurs prévaut toujours dans la détermination des
choix des électeurs en Suède comme dans les autres pays nordiques. A cela
s’ajoutent d’autres dimensions. Ainsi, l’adhésion de la Suède à l’Union
Européenne implique une divergence entre les partis eurosceptiques et ceux
europhiles. De même, l’intensification des flux migratoires intervient comme générateur
de différenciation qui fait que certains partis notamment « Les Démocrates
de Suède » se démarquent des autres par leur caractère raciste. A tous ces
facteurs de clivage partisan vient s’ajouter la question de l’Etat-providence
qui devient un enjeu électoral entre les différents partis. Il est à souligner
que la révolution sociale favorisée par le développement des télécommunications
et donc par les réseaux sociaux en rendant possible l’accès à l’information en
temps réel facilite aux nouveaux partis et notamment ceux de nature populiste
d’influencer l’opinion des électeurs pour les faire adhérer à leur cause. C’est
dire que tous ces nouveaux clivages traduisent les divergences idéologiques des
différents partis qui forment désormais deux principaux blocs, celui des partis
de gauche et celui des partis de droite et qu’illustre le tableau
suivant :
Les forces en présence et leur idéologie
Le déclin relatif du parti social-démocrate et de la gauche en général a eu un impact sur certains aspects de l’Etat-providence. S’il est vrai que le fondement de légitimité de la social-démocratie constituée par le trio composé d’une croissance économique dynamique, une fiscalité efficiente et un système de redistribution universaliste est sauvegardé, traduisant la résilience de l’Etat-providence suédois, les nouveaux clivages partisans imposent une certaine adaptation du système de solidarité que comporte cet Etat. Dans ce sens, la gestion des prestations publiques y compris les politiques du chômage[116] se trouvent désormais soumises à certains principes libéraux du nouveau management public au nom de la liberté de choix pour les bénéficiaires ou les tentatives de privatisation des écoles. Certes, les pays nordiques se distinguent toujours par des niveaux de générosité des prestations comparativement élevés. Certains secteurs comme celui de la famille voyant même leur couverture améliorée (congés parentaux, crèches). Cette plus grande liberté de choix dans des parcours individuels souvent contraints en matière de santé ou de scolarité n’est pas en soi une mauvaise chose, mais elle a ouvert des pans entiers de la protection sociale et de l’éducation à des opérateurs privés sous contrat, la plupart du temps avec l’assentiment des partis sociaux-démocrates eux-mêmes qui pouvaient en attendre un moyen d’améliorer l’efficacité – et donc la légitimité – des services publics.
Compte tenu de ces mutations, il semble que le devenir de
l’Etat-providence en Suède comme dans le reste des pays nordiques dépendra de
l’évolution du rapport de force entre les acteurs politiques en présence. Tant
que les syndicats des travailleurs et les partis de gauche préservent leur
espace de pouvoir, l’Etat-providence continuera de se renforcer, dans le cas
contraire, il risque de perdre de sa substance. En effet, les formes
institutionnelles sont fortement façonnées par les conflits entre des groupes d’intérêts
idéologiquement divergents, ce qui est susceptible d’impacter le produit des
politiques sociales et des droits sociaux en termes de redistribution des
revenus.
Toutefois, il est à souligner qu’en dépit de ce déclin relatif de
la social-démocratie, elle s’efforce de faire preuve de plus de résilience
quant à ses principes de solidarité investissant davantage dans la protection
sociale chaque fois qu’elle est au pouvoir[117].
Le combat mené par la classe ouvrière sur laquelle s’appuie la
social-démocratie y joue un rôle déterminant en tant que garant de
l’encastrement de l’économique dans le social non seulement à travers le
système de protection sociale mais aussi via les conventions collectives.
Celles-ci, comme nous l’avons souligné auparavant, constituent une autre forme
non moins importante de l’encastrement de l’économique dans le social dans la
mesure où elles matérialisent un mode de socialisation du marché du travail qui
n’obéit pas aux seules forces du marché mais se trouve soumis à une régulation
dictée par le rapport de négociation travail-capital.
Par ailleurs, par l’ampleur qu’il prend de plus en plus au sein de
la société suédoise, le coopératisme en tant qu’une autre forme d’encastrement
du marché dans le social et un moyen d’intégration sociale non marchande
pourrait constituer un modèle de développement alternatif libérateur face aux
forces du marché d’essence inégalitaire. Même un grand économiste tel que Léon
Walras, théoricien de l’équilibre général des marchés et un des fondateurs de
la pensée économique libérale au 19ème siècle, ne manque pas de souligner
l’intérêt de l’économie sociale estimant que les coopératives de production à
son époque remplissaient une fonction importante pour résoudre les conflits
sociaux en assumant «un rôle économique de grande envergure, non pas en
éliminant le capital, mais en rendant le monde moins capitaliste, et un rôle
moral non moins fondamental consistant à introduire la démocratie dans les
rouages des processus de production»[118].
Le rapport de force entre les classes sociales décidera de
l’évolution future dans un monde où le fétichisme de la marchandise ne cesse de
creuser les inégalités sociales sous le poids de l’hégémonie culturelle bourgeoise
en crise.
Face
à cette hégémonie, le développement de la Chine en tant que nouvelle puissance
porteuse d’une idéologie communiste anti-bourgeoise pourrait jeter les bases
d’une nouvelle voie de développement fondée sur de nouvelles formes
d’intégration où l’encastrement
de l’économique à la fois dans le social et dans le politique prendrait le
dessus. L’étude de l’expérience chinoise nous permettra de nous éclairer sur
cette question d’un intérêt capital pour le devenir des formations sociales.
[1] Wojtek Kalinowski « le modèle suédois » Et si la
social-démocratie n’était pas morte ? Editions Charles Léopold Mayer Paris 2017 document PDF p.10
[2] Ibid.
[3] La domination du Parti
social-démocrate suédois des travailleurs, le SAP, sur le paysage politique national, est une
des spécificités de la Suède. Depuis 1917, le SAP domine les élections
générales sans exception. Il a même réussi à obtenir la majorité absolue en
1940 et 1968 Le SAP a dirigé en maître quasiment tous les gouvernements formés depuis
1920 et surtout depuis 1932 sauf pour les périodes allant de 1976 à 1982 puis de
1991 à 1994 et de 2006 à 2014. Cette caractéristique a fait du SAP le parti
politique le plus populaire au monde occidental. Toutefois, cette image se
trouve en déclin depuis les années 1990 comme nous allons le voir sachant que
lors des élections législatives de 2018, le PSD n’a réussi à obtenir que 28,6%
des votes l’obligeant à faire une coalition avec les libéraux, les centristes
et les verts pour écarter le parti d’extrême droite raciste et anti-immigration
« Les démocrates de Suède » de plus en plus progressant dans les
suffrages.
[4] L’hégémonie
sociale-démocrate ne se limite pas au domaine proprement politique. Elle
s’étend à la principale centrale syndicale LO. Ce qui explique le fait que l’on
retrouve en règle générale les mêmes personnes à la tête des sections locales
de LO et du parti. Cette hégémonie sociale-démocrate au sein du monde syndical
ouvrier a persisté durant la période de la guerre froide, mettant à l’écart
tous les courants révolutionnaires des postes de dirigeants de LO. A cet effet,
et dès les années 1940, un système discret de surveillance a été établi par les
sociaux-démocrates dans tous les lieux de travail pour empêcher les communistes
d’infiltrer les instances des sections locales. Ce système ne fut aboli qu’à la
fin des années quatre-vingt.
[5] Karl Polanyi
« La grande transformation » (première édition 1944), Gallimard,
Paris, 1983 et Karl Polanyi « L’économie comme procès
institutionnalisé », in C.H. Pearson et ARENSBERG, K. Polanyi « Les
systèmes économiques dans l’histoire et la théorie » (première édition 1957),
Larousse, Pris, 1975
[6] En 1932, Gunnar
Myrdal (1898-1987) est conseiller du ministre des Finances social-démocrate. Il
devient ensuite successivement sénateur et président de la Commission du Plan.
Après 1945, il occupe le poste de ministre du Commerce et de l’Industrie. A ces
postes, il promeut une planification exempte de bureaucratie, en favorisant
l’adoption de règles négociées par les entreprises, les syndicats et les
pouvoirs publics. Il est, avec Erik Lindhal, la principale figure de «
l’école suédoise » (ou « école de Stockholm ») qui jouera un rôle central dans
l’évolution du modèle suédois comme nous le verrons. Durant tout son parcours
intellectuel et politique, Myrdal se préoccupe de la question relative à la
réduction des inégalités. Approché par la Fondation Carnegie en 1938 alors
qu’il enseigne à Harvard, il jette la lumière sur les origines de la question
raciale aux Etats-Unis à l’aide du concept de «la causalité cumulative »
ou circulaire qu’il formule en ces termes : « La discrimination engendre la
discrimination ». Il adoptera le même concept dans son approche de la
problématique de la pauvreté, notamment dans son livre « Le Drame
de l’Asie. Une enquête sur la pauvreté des nations (1968) ». En tant
qu’économiste grand défenseur de l’Etat-providence notamment à travers son
livre « Planifier pour développer. De l’Etat-providence au
monde-providence (1960) », il obtient en 1974 le prix de la Banque Centrale de Suède,
l’équivalent du prix Nobel, conjointement avec Friedrich Hayek, son opposant ultra-libéral.
[7] Gunnar Myrdal «
Crises et cycles dans le développement de l’économique », in « Procès de
la croissance : à contre-courant » 1978, p. 19 (trad. française de Against
the Stream. Critical Essays on Economics, 1973)
[8] La théorie de
la valeur-travail développée par les économistes classiques tels Adam Smith et
David Ricardo montre que la valeur, c’est-à-dire la richesse, est créée par le
travail. Karl Marx développera davantage cette théorie et en fait la pierre
angulaire de son approche du système capitaliste. Les rapports sociaux se
nouent au niveau de la sphère de production où se forme la valeur et qui
détermine la sphère de répartition ou de circulation de la valeur. C’est
pourquoi toute transformation radicale de la société devrait s’opérer au niveau
de la production. Cette approche s’oppose à la théorie néoclassique
conventionnelle de la valeur-utilité faisant dépendre la valeur de la loi de
l’offre et de la demande et donc des tendances du marché. Cette théorie conduit
à une vision étriquée de la réalité qui nie les rapports contradictoires des
classes sociales. En misant sur l’harmonie des intérêts entre le collectif du
travail et celui du capital, la social-démocratie est victime de la même
conception illusoire des néo-classiques.
[9] Gunnar MYRDAL « Planifier
pour développer : de l'État-providence au monde-providence », traduit de
l'anglais par R. Baretje, Paris, 1963 Éditions ouvrières p.45
[10] Le
non-conformisme de la société suédoise apparait par exemple dans la part des
foyers légalisant leur union. Ainsi, en 1930, cette part représente 47% des
ménages contre 62% en 1960, ce qui prouve que la tradition paysanne se montrait
plus libérale en matière sexuelle que la société moderne bourgeoise.
[11]Une longévité au
pouvoir du parti social-démocrate seul ou en coalition est un facteur de
stabilisation et de succès. Ce dernier a
réussi à dominer la scène politique en gouvernant le pays de 1932 à 1976, de
1982 à 1991, de 1994 à 2006 et de 2014 à nos jours.[11]C’est
dire que le modèle suédois fut l’œuvre de la gauche réformiste qui a réussi à
faire de l’économie un instrument de la grande transformation sociale et non un
objectif en soi.
[12]Marquis
Childs « Sweden: The Middle Way »
Published
December 1st 1961 by Yale University Press
[13] La voie
pacifique des réformes est illustrée par exemple par le fait qu’en 1865, le
parlement passe d’un statut fondé sur les ordres (noblesse, clergé,
bourgeoisie, paysan) à celui d’un parlement élu bien que seulement 9.5% de la
population avait accès au droit de vote.
[14] Antonio Gramsci
avait élaboré le concept « d’hégémonie culturelle » pour souligner
que dans
les pays capitalistes avancés, la société bourgeoise s’exprimait beaucoup plus
fortement que dans la Russie tsariste et que, par conséquent, le mouvement
révolutionnaire devait surmonter beaucoup plus d’obstacles. Cela nécessitait la
construction patiente d’une hégémonie culturelle du mouvement socialiste au
sein de la société, pour contrer l’hégémonie bourgeoise. Gramsci soutenait qu’à
l’Ouest, le chemin vers la révolution socialiste serait plus long et plus complexe
qu’en Russie et qu’il fallait donc mener une « guerre de position » contre le
capital plutôt qu’une « guerre de mouvement » comme l’avaient fait les
bolcheviks en Russie. Cette hégémonie culturelle bourgeoise explique la
domination de la pensée réformiste et donc de la social-démocratie dans les
pays occidentaux
en plus de la déviation des partis communistes européens comme le PC italien
qui sous l’influence du stalinisme s’est ralliée à la thèse de Staline adoptée
à partir de 1935 justifiant la constitution d’un front populaire avec la
bourgeoisie et qu’il était possible pour les socialistes d’accéder au pouvoir
par la voie parlementaire contrairement à la thèse de Lénine et de Trotsky
défendant la formation d’un front unique de la gauche pour renverser
l’Etat bourgeois. Cf. sur ce point Massimo Amadori
« L’héritage
révolutionnaire d’Antonio Gramsci » Resistenze Internazionali, section italienne d’Alternative
Socialiste Internationale Marxisme.be 23 janvier 2021
L’héritage
révolutionnaire d’Antonio Gramsci - Marxisme.be consulté le
18/04/2022
[15] Le premier
programme du parti social-démocrate d'Allemagne, adopté lors de l'unification
entre partisans de F. Lassalle et K. Marx. Programme de Gotha du parti social-démocrate
allemand Mai 1875 in « La social-démocratie allemande : programme de Gotha
(marxists.org »)
[16] José Luis
Monzón Campos et Rafael Chaves Ávila « L’ÉCONOMIE SOCIALE DANS L’UNION
EUROPÉENNE » Rapport d’information élaboré pour le Comité économique et
social européen par le Centre international de recherches et d’information sur
l’économie publique, sociale et coopérative (CIRIEC) Edition Union européenne
2012 LEconomie_sociale_dans_lUnion_Europeenne (1).pdf
[17] Colette
Chatillon « Social-démocratie : la Suède » Dossier réalisé par
le Centre de Formation Populaire (CFP) février 1978 document PDF p.16
[18] Le qualificatif
substantif désigne que l’économie « tire son origine de la dépendance de
l’homme par rapport à la nature et à ses semblables pour assurer sa survie. Il
renvoie à l’échange entre l’homme et son environnement naturel et social »,
ce qui permet d’étudier les phénomènes économiques pour toutes les formations
sociales quelque-soit leur système économique. Par contre l’économie au sens
formel se limite à la société de marché. Le sens formel dérive du caractère
logique de la relation entre fins et moyens. Ce sens renvoie à une situation
bien déterminée de choix, c’est-à-dire entre les usages alternatifs des
différents moyens par suite de leur rareté. K.
Polanyi « L’économie comme procès institutionnalisé » op. Cité p.239
[19] Gunnar Myrdal « 1960, Beyond the Welfare State, Gerald Duckworth
& C°, London. Trad. française, « Planifier pour développer. De
l’Etat-Providence au monde-providence » Economie et Humanisme, Les
Editions Ouvrières, 1963.
[20] Gunnar Myrdal
« Théorie économique et pays sous-développés » Présence africaine,
1959 p. 142
[21] Ibid.
[22] Ce groupe,
parfois qualifié d’ « École de Stockholm » ou d’ « École suédoise des finances
publiques », comprenait notamment Knut Wicksell (1851-1926), Gustav Cassel
(1866-1945), Eli Heckscher (1879-1952), Bertil Ohlin (1899-1979, prix Nobel en
1977), Erik Lindahl (1891-1960) et Karl Gunnar Myrdal (1898-1987, prix Nobel en
1974). Tous ne sont pas favorables aux sociaux-démocrates et Bertil Ohlin
consacrera même une partie importante de sa vie à l’activité politique à la
tête du Parti libéral. C’est essentiellement Karl Gunnar Myrdal et Ernst
Wigforss (le principal idéologue et économiste du Parti social-démocrate dans
les années 1930 et le ministre des Finances de 1932 à 1949), qui vont jouer le
rôle de passeur entre ce groupe d’économistes et ce parti.
[23] Vincent
Simoulin « LE « MODÈLE SUÉDOIS » : SUCCÈS PERSISTANT, RECOMPOSITIONS
ACTORIELLES ET RECONFIGURATIONS INTELLECTUELLES » Presses Universitaires
de France | « Cahiers internationaux de sociologie » 2005/2 n° 119 | pages 289
à 309 Article disponible en ligne à l'adresse :
https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-desociologie-2005-2-page-289.htm
p.294
[24] Par référence à
l’ouvrage de Serge Halimi « Le grand bond en arrière – comment l’ordre
libéral s’est imposé au monde » Edition Fayard nouvelle édition 2006
[25] Wojtek Kalinowski « le modèle suédois » Et si la
social-démocratie n’était pas morte ? Editions Charles Léopold Mayer Paris 2017 document PDF p.14
[26] Ibid.
[27] Idem p.15
[28] L’abandon de la
lutte des classes signifie ici l’option pour un projet de société fondé sur la
social-démocratie qui écarte tout engagement révolutionnaire en privilégiant le
consensus entre le patronat et les syndicats des travailleurs. Dans les faits,
la lutte des classes ne peut être niée étant donné qu’elle est le moteur de
l’histoire comme le démontre Karl Marx et le prouve l’histoire des mouvements
sociaux dans toutes les formations sociales au cours de leur évolution. Cette
loi sociale se vérifie même en Suède dont l’évolution montre que les syndicats
des travailleurs entrent en conflit avec les associations des capitalistes
comme nous allons le voir notamment durant les années soixante-dix et
quatre-vingt.
[29] Saltsjöbaden est une localité
touristique appartenant à la commune
de Nacka, dans
le comté de Stockholm, dans la province de Södermanland, en Suède.
[30]DENIS
DELBOURG « Le modèle suédois et son inscription dans l’espace
européen » Revue Sociétal N° 52 g 2e trimestre 2006Sociétal N° 52 2e trimestre 2006 p.96
[31] Wojtek Kalinowski « le modèle suédois » Et si la
social-démocratie n’était pas morte op. Cité p.57
[32] Le caractère
impérialiste du grand capital financier suédois constitue une modalité du
déploiement des firmes suédoises pour faire face à la concurrence internationale.
Beaucoup de ces grandes firmes ne conservent dans le pays que les bureaux
d'étude, les laboratoires, les services de recherche et les services
administratifs et comptables, et transfèrent à l'extérieur toute la production
(en Afrique du Sud, au Chili, au Brésil ou au Libéria, en Russie etc.). Ces
gros monopoles pèsent de leur poids au sein de de la Confédération du Patronat
(SAF). Les familles Wallenberg, Wehtje, Johnson, Bonnier et Brostrom
constituent les 5 doigts de la main de fer du grand capital financier suédois).
La propriété privée des moyens de production et d’échange constitue la forme
dominante de l’économie nationale. Le secteur économique d'Etat est assez
insignifiant, Il fournit une part négligeable du produit national total et
occupe peu de salariés dans l'industrie et le commerce. Le secteur coopératif
demeure relativement faible et intervient dans l'industrie alimentaire et la
transformation du bois.
[33] Les unions
ouvrières se formèrent tôt en Suède, dès le début du développement industriel. En
1880, on y comptait déjà des syndicats et des fédérations de syndicats. Ces
unions se propagèrent rapidement, et en 1898 elles se groupèrent en une
organisation centrale nationale, LA CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL DE SUEDE,
appelée LO (Landsorganisationen i Sverige) qui représente les travailleurs
manuels. Il existe deux autres syndicats, la Confédération Générale des Cadres,
la TCO, qui regroupe les travailleurs non manuels et intellectuels dits cols
blancs et la Confédération Générale des travailleurs intellectuels de Suède, la
SACO, qui représente les salariés titulaires d’un diplôme universitaire.
[34] En 1902, les
patrons formèrent la CONFEDERATION DES EMPLOYEURS SUEDOIS, appelé SAF (Svenska
Arbetsgivareforeningen).
[35] Ce différend
provoque des lockouts et des grèves qui s’amplifient au début de mai,
atteignant des proportions inédites dans ce pays depuis 1909. Toute
la Suède est affectée par ces turbulences qui ont touché près de 1 million
de travailleurs, soit le quart de la main-d’œuvre à l’échelle nationale et dont
la majeure partie était issue du secteur privé menant à une paralysie des
activités économiques dans différents secteurs, comme le transport national et
l’industrie.
[36] G. Esping-Andersen, Politics Against Markets. The
Social Democratic Road to Power, Princeton University Press, 1985, cité par
Jenny Andersson in « Qu’est-ce que c’est ce modèle suédois ? Débats
constitutifs pour comprendre l’histoire de la social-démocratie suédoise, son
modèle et son évolution jusqu’aux élections de septembre 2010 »,
Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 13, janvier-avril 2011,
www.histoirepolitique.fr p.4
Dans
un autre ouvrage « Les trois mondes de l’Etat-providence » G. Esping-Andersen développe une typologie des Etats-providence
modernes qui repose sur trois modèles principaux :
-
le modèle « libéral », où les Etats-providence sont dominés par
l’assistance sociale, fondée sur l’évaluation des besoins. Les indemnités sont
très modestes et sont versées principalement aux bas revenus, alors que le
« progrès de la réforme sociale a été rigoureusement borné par les normes
traditionnelles, libérales, de l’éthique ouvrière ». Les règles
d’attribution sont strictes et souvent associés à des stigmatismes. Il en
résulte un « régime qui minimise les effets de la démarchandisation,
enferme effectivement le monde des droits sociaux et érige un ordre de
stratification dont les éléments sont une égalité relative (de pauvreté) parmi
les bénéficiaires de l’Etat-providence, une protection sociale de marché
différenciée parmi les majorités et un dualisme politique de classe entre les
deux catégories ». Ce modèle est dominant dans les pays anglo-saxons.
-
le modèle des Etats-providence conservateurs et « corporatistes » où
l’assurance sociale est obligatoire et les droits sont assez importants. Ce
modèle, d’origine bismarckien, « a été amélioré pour s’adapter à la
nouvelle structure de classe postindustrielle », alors que « l’obsession
libérale de rendement du marché et de la marchandisation n’est jamais
prééminente ». L’attribution des droits n’est pas contestée, mais ces
droits sont différenciés et liés à la classe et au statut. Ces régimes
« sont également modelés par l’Eglise et, par là même, fortement liés à la
préservation des valeurs familiales traditionnelles ». L’assurance privée
joue un rôle marginal, mais l’impact de l’Etat-providence sur la répartition
est négligeable.
- le modèle
« social-démocrate » où « les principes d’universalisme et de
démarchandisation des droits sociaux ont également été étendus aux nouvelles
classes moyennes ». L’Etat-providence « encourage une égalité des
plus hauts standards et non une égalité des besoins minimaux ». Les services
et les indemnités sont élevés. « Ce modèle neutralise le marché et par
conséquent établit une solidarité globale en faveur de l’Etat-providence et la
politique d’émancipation du régime [… ] concerne aussi bien le marché que la
famille traditionnelle ». Ce modèle s’est surtout développé dans les pays
scandinaves.
Gøsta Esping-Andersen « « Les trois mondes de l’Etat-providence. Essai sur le
capitalisme moderne » 2007 Edition PUF
[37] W. Korpi, The
Democratic Class Struggle, London, Walter Kegan, 1983. Cité par Jenny
Andersson, « Qu’est-ce que c’est ce modèle suédois ? Débats constitutifs pour
comprendre l’histoire de la social-démocratie suédoise, son modèle et son
évolution jusqu’aux élections de septembre 2010 », Histoire@Politique.
Politique, culture, société, n° 13, janvier-avril 2011,
www.histoirepolitique.fr p.4
[38]
Wojtek Kalinowski « Le modèle suédois » op. Cité p.p. 81-82
[39] LAVILLE, J.-L.,
2004, « Encastrement et nouvelle sociologie économique : de Granovetter à
Polanyi et Mauss », dans : M. LA ROSA et J.-L. LAVILLE, (dir.), « La
sociologie économique européenne. Une rencontre franco-italienne »,
Sociologia del Lavoro, supplément spécial au n° 93, pp. 1 cité par Andreia
Lemaître « Organisations d’économie sociale et solidaire. Lecture de
réalités Nord et Sud à travers l’encastrement politique et une approche
plurielle de l’économie » Thèse présentée en vue de l’obtention du grade
de docteur en sciences politiques et sociales (développement-population-environnement)
de l'Université catholique de Louvain et du grade de docteur en sociologie du
Conservatoire national des arts et métiers à Paris Mars 2009 UCL Presses
universitaires de Louvain p.62
[40] Idem p.20
[41] Wojtek Kalinowski op. Cité p-p. 131-135
[42] MM.
Alain VASSELLE et Bernard CAZEAU, Sénateurs N° 377 SÉNAT SESSION EXTRAORDINAIRE
DE 2006-2007 Annexe au procès-verbal de la séance du 11 juillet 2007 RAPPORT
D’INFORMATION au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité
sociale (Mecss) (1) de la commission des Affaires sociales (2) sur la
protection sociale et la réforme des retraites en Suède. Document PDF, www.senat.fr/rap/r06-377/r06-377_mono.html#toc41
[43] L’« École de
Stockholm » dite aussi l’ « École suédoise des finances publiques » se
composait essentiellement de Knut Wicksell (1851-1926), Gustav Cassel
(1866-1945), Eli Heckscher (1879-1952), Bertil Ohlin (1899-1979, prix Nobel en
1977), Erik Lindahl (1891-1960) et Karl Gunnar Myrdal (1898-1987, prix Nobel en
1974). Tous n’étaient pas d’obédience social-démocrate. Bertil Ohlin était même
un membre actif dans la direction du Parti libéral. Les deux économistes qui
assuraient la liaison entre le parti social-démocrate et l’école de Stockholm
étaient Karl Gunnar Myrdal et Ernst Wigforss (le principal idéologue et
économiste du Parti social-démocrate dans les années 1930 et le ministre des
Finances de 1932 à 1949).
[44]En vertu de
cette alliance, le parti agrarien adhère à aux réformes sociales initiées par
le parti social-démocrate qui en échange s’engage à soutenir les prix agricoles
et à limiter les conflits sociaux.
[45] Le
multiplicateur de Keynes se formule comme suit : ∆ Y =
1/1-c (∆I), ce qui
signifie que l’accroissement de l’investissement (∆I) entrainé par
un accroissement de la dépense budgétaire (demande autonome exogène au
fonctionnement normal du circuit économique) implique un accroissement du
revenu (∆Y). Le petit c qui est inférieur à 1 représente la
propension du revenu à consommer, avec c = c/y
(consommation / revenu).
[46] Statistics
| Eurostat (europa.eu) consulté le 10/02/2022
[47] Emilie Bourdu
(ouvrage collectif sous coordination) « Les transformations du modèle
économique suédois » La Fabrique de l’industrie, Laboratoire d’idées
Paris, Presses des MINES, 2013 p.72
[48] Il est vrai que
certaines études ont montré le risque de glissement de certaines entreprises
d’économie sociale vers le statut d’entreprises à caractère hybride voire
capitaliste comme dans le cas des NGC (New Generation Co-ops) datant du début
des années 1990, les NGC, principalement concentrées dans le nord-ouest des
États-Unis et un peu au Canada. Celles-ci œuvrant dans la transformation de
produits agricoles cherchent à maximiser la valeur ajoutée. Basées sur un
engagement financier très important des membres, elles ont de singulier d’opérer
par un aménagement des principes coopératifs qui les situent pour certains dans
les formes hybrides d’entreprises du fait que le nombre de votes est fonction
de la mise de fonds, les ristournes sont distribuées selon la mise de fonds,
et, qu’i est possible, sous certaines conditions, de vendre les parts sur un
marché secondaire. Cf. sur ce point Alain
Gagnon et Jean-Pierre Girard avec la collaboration de Stéphan Gervais « Le
mouvement coopératif au cœur du XXIème siècle » Presses de l’Université du
Québec 2001
[49] Il construit
alors de vastes ensembles accueillant environ quatre cents familles chacun et
dans lesquels celles-ci disposent Il construit alors de vastes ensembles
accueillant environ quatre cents familles chacun et dans lesquels celles-ci
disposent d’espaces privatifs et d’infrastructures collectives entretenues par
chacun. Selon Fourier, mettre en commun les efforts de chacun permet d’élever
le niveau de vie et d’assurer l’égalité de tous. Le phalanstère est ainsi le
premier modèle de coopérative d’usagers : le bien-être n’est possible que s’il
est partagé.
[50] Dans ce cadre,
furent créées dans les années 1920-1940 les auberges de jeunesse ainsi que de
nombreuses institutions sociales, coopératives d’usagers, fonctionnant sur le
même principe que les phalanstères. L’enjeu est alors pour les fondateurs du
mouvement de développer un modèle d’organisation permettant de corriger la
perte de valeurs éthiques et morales de l’époque. La société coopérative est
présentée comme une entreprise humaine dans un Capitalisme humain.
[51] La coopérative
et ses engagements : de la responsabilité au militantisme, par Stéphane Jaumier
et Vincent Javicoli in Vassili Joannidès et Stéphane Jaumier (sous la
direction) « L’entreprise coopérative L’organisation de demain ? » PAGE EDITEUR
Lentreprise_cooperative_Lorganisation_de demain (1).pdf p.39
[52] Cornforth C.,
Thomas A., Lewis, J. & Spear R. (1988) Developing successful worker
co-operatives (Développer des coopératives de travailleurs prospères), Sage,
Londres.
[53] L’Alliance
Coopérative Internationale est une organisation non-gouvernementale fondée en
1895 pour coordonner à travers le monde l’activité des coopératives, les servir
et les représenter.
[54] Cf. Vassili
Joannidès et Stéphane Jaumier (sous la direction) « L’entreprise
coopérative L’organisation de demain ? » PAGE EDITEUR
Lentreprise_cooperative_Lorganisation_de demain (1).pdf p.29
[55] Trois de ces
principes sont considérés comme centraux : 1. la propriété des membres, 2. le
fonctionnement démocratique, et 3. l’intérêt des membres. Les quatre principes
restants considérés comme subordonnés sont : 4. l’autonomie et
l’indépendance, 5. l’éducation, la formation et l’information, 6. la
coopération entre coopératives, et 7. l’engagement envers la communauté.
[56] Vassili
Joannidès et Stéphane Jaumier (sous la direction) « L’entreprise
coopérative L’organisation de demain ? » op. Cité p-p.237-238
[57] Michel Aglietta
et Étienne Espagne « V/ Et maintenant, quel Green New Deal ?
Perspectives pour une écologie politique » in « L’économie mondiale
2021 » CEPII © Éditions La Découverte, collection Repères, Paris, 2020
p.71
[58] Alain Gagnon et
Jean-Pierre Girard avec la collaboration de Stéphan Gervais « Le mouvement
coopératif au cœur du XXIème siècle » op. Cité p.10
[59]BUREAU
INTERNATIONAL DU TRAVAIL « Recommandation 127. Recommandation concernant le
rôle des coopératives dans le développement économique et social des pays en
voie de développement », Genève. Bureau, 1999, p. 52 Cité par Alain Gagnon et
Jean-Pierre Girard p.16
[60] GHILARDOTTI, F.
(1999) Intervention au colloque « L’entrepreneuriat coopératif dans
l’Europe de l’an 2000 » Actes, Istituto Luzzatti, Rome, 1999 p. 44. Cité
par Alain Gagnon et Jean-Pierre Girard p.15
[61] La première
vague des monnaies sociales remonte à 1832-1834 avec l’expérience de Robert
Owen en Angleterre. La vague contemporaine concerne beaucoup de pays, quelques
milliers de « communautés », plusieurs centaines de milliers de personnes. Le
développement des monnaies sociales est inhérent à celui de l’économie sociale.
Il constitue le ferment d’une « radicalisation de la démocratie » en ce
qu’il représente la restitution d’un pouvoir de contrôle et de définition de la
monnaie aux citoyens eux-mêmes. Les monnaies sociales sont, dans ce cadre, des
monnaies locales qui ne sont émises ni dans une logique politique ni dans une
logique lucrative, mais dans une logique citoyenne. Emises par une association
ou coopérative, leur but réside dans la localisation des échanges au sein
d’espaces communautaires ou territoriaux, la dynamisation des échanges à
l’intérieur de ces espaces et la transformation de la nature de ces échanges. Cette
dernière consiste à transformer le statut des échangistes, transformer la
relation établie entre eux, éloigner les échanges du marché. Pour plus de
précision, cf. Blanc, J. (2007 ) « Les monnaies sociales : dynamique et
logiques des dispositifs ». Revue internationale de l'économie sociale,
(303), 30–43. https://doi.org/10.7202/1021546ar
[62]Rapport de José
Luis Monzón et Rafael Chaves « L’ÉCONOMIE SOCIALE DANS L’UNION
EUROPÉENNE » Union européenne, 2012 p.96
[63] La CICOPA est
l’organisation internationale des coopératives industrielles et de services.
Elle rassemble 51 membres issus de 35 pays, affiliant 65.000 coopératives
qui emploient plus de 4 millions de personnes. C’est une organisation
sectorielle de l’Alliance Coopérative internationale (ACI) depuis 1947 et
possède trois organisations régionales : CECOP (CICOPA Europe), CICOPA
Américas, et CICOPA Asia-Pacific.
[64]Idem p.98
[65]Rapport de José
Luis Monzón et Rafael Chaves, op. Cité p-p. 99-104
[66] A ce propos,
écrit Gunnar Myrdal « Que ce soit dans les pays sous-développés ou
développés ou entre les pays, « le problème de l'égalité atteindra une
importance politique suprême » (1978d, 23) prévoit Myrdal, qui ajoute que
le problème des taudis des quartiers noirs ne sera pas réglé par la croissance.
Gunnar Myrdal « Against The Stream » 1973
[67] Robert D. Putnam 1995a, Bowling
Alone « America’s declining social capital » Journal of democracy 6
(1) p.67
[68]Rapport de José
Luis Monzón et Rafael Chaves « L’ÉCONOMIE SOCIALE DANS L’UNION
EUROPÉENNE » Comité économique et social européen Union européenne, 2012
p.51
[69] Idem Tableau
6.1 - Emploi rémunéré dans les coopératives, les mutuelles et les associations
dans l’UE (2009-2010) p.52
[70] Idem Tableau
6.2 - Emploi rémunéré dans l’économie sociale par rapport à l’emploi rémunéré
total dans l’UE (2009-2010), en milliers p.53
[71] Idem Tableau
6.3 - Évolution de l’emploi rémunéré dans l’économie sociale en Europe p.54
[72] Idem L’ÉCONOMIE
SOCIALE EN SUÈDE Tableau 6.19 p.76
[73] L’habitat
coopératif est une forme d’économie sociale et solidaire. Elle repose sur le
principe que la propriété est partagée collectivement par le biais de la
coopérative qui possède l’immeuble. Les habitants détiennent des parts sociales
de la coopérative. Ils ont une double qualité locataires-propriétaires. La
valeur des parts qu’ils possèdent dans la coopérative est déconnectée de la
valeur de leur logement et il devient impossible de spéculer sur la revente.
Une personne possède une seule voix, quel que soit le nombre de parts sociales
qu’elle possède, chaque coopérateur est au même niveau d’égalité et ne supporte
pas plus que le coût de son logement.
[74] Sans logement,
logées dans un habitat insalubre ou en grande précarité, selon le Labo de
l’économie sociale et solidaire « L’habitat coopératif une forme de
logement solidaire » publié le 17 mars 2016, consulté le 16/04/2022.
[75] Idem
[76] Selon le même
Labo d’économie sociale et solidaire, aux Etats-Unis, les Community Land
Trust (CLT), organisations communautaires à but non lucratives, sont venues
faire face aux saisies immobilières engendrées par la crise de 2007-2008. Leurs
terrains sont destinés à la construction de logements à la portée des petites
bourses et qui doivent être maintenus à des prix abordables. Instrument pour la
protection des quartiers contre la gentrification et le déplacement des
populations, les CLT permettent de donner le pouvoir à des communautés qui en
ont historiquement été privées. Modèle adopté dans les années 1960 par les
Américains, - on en compte aujourd’hui plus de 250 sur le territoire- les
Community Land Trust s’exportent petit à petit en Europe comme par exemple la
CLT Homabaked sur le quartier ouvrier d’Anfield à Liverpool au Royaume-Uni.
[77] En Suède les
deux grandes coopératives d’habitation HSB RIKSFORBUND et RIKSBYGGEN proposent
à la vente et à la location des maisons coopératives ainsi que des services de
construction, de développement et de gestion dans toute la Suède. Dans le cadre
de sa stratégie du développement durable, la
coopérative RIKSBYGGEN a utilisé un nouveau type de béton avec un impact
climatique significativement plus faible (30 % d'émissions de C02 en moins). Il
a également introduit des applications de mobilité pour le partage de voitures
et de vélos, des systèmes de gestion des déchets intelligents et réutilise les
anciennes batteries de bus pour le stockage de l'énergie solaire. Dans la même
optique, la coopérative HSB RIKSFORBUND a lancé en 2016 un projet portant sur dix
ans dit Living Lab. Il s’agit d’un laboratoire conçu sous forme d’une maison
partagée où les étudiants de l’Université de technologie CHALMERS dans la ville
suédoise de Göteborg disposent de leurs propres chambres et partagent les
espaces communs et où ils mènent ensemble des recherches pour la découverte de
meilleures pratiques de construction durable. A cet effet, le dispositif
d’équipement compte deux mille capteurs pour mesurer la consommation d’énergie
et d’eau, la pression de l’air, les émissions du CO2 et de nombreuses autres
variables. Le projet intègre les objectifs de développement durable (ODD) de
l’Organisation des Nations Unies.
[78] En effet,
Lantmännen est une coopérative qui regroupe 25 000 agriculteurs suédois et
qui ne se limite pas à la collecte et au commerce des céréales récoltées. Sa
force réside dans le fait que les céréales sont transformées dans ses propres
boulangeries. Toute la plus-value revient donc à l'agriculteur. Outre
l’agriculture et l’industrie alimentaire, Lantmännen, qui existe depuis plus de
cent ans, est aussi active dans le secteur de la construction de machines via
une collaboration avec Volvo et dans les énergies renouvelables. Les bénéfices
qui sont réalisés dans toutes ces branches, ainsi que les investissements
effectués dans la coopérative reviennent directement aux cultivateurs membres.
La clé de répartition est basée sur les transactions que chaque coopérateur
traite avec Lantmännen.
[79] Créée en 1899,
Coop Suède a été la première chaîne de supermarchés à instaurer un label
d’ingrédients. Elle a aussi introduit en Europe le principe de la pyramide
alimentaire inspiré du modèle américain. Elle a été la première à imposer une
limite d’âge pour la vente de tabac
[80] Michael E. Porter
« L’avantage concurrentiel des nations » InterEditions 1993 p. 6
[81] Lefebvre Alain,
Méda Dominique, 2008, « Performances nordiques et flexicurité : quelles
relations ? », Travail et Emploi, n°113, Janvier-mars, p. 136.
[82] Cet indicateur
mesure la proportion de personnes âgées de 25 à 64 ans qui ont indiqué qu’elles
ont participé à un enseignement ou à une formation formelle ou non formelle au
cours des quatre semaines précédant l’enquête (numérateur). Le dénominateur est
la population totale du même groupe d’âge, à l’exclusion des non-réponses à la
question de «formations et enseignements suivis». L’enseignement et la
formation des adultes couvrent à la fois les activités d’apprentissage formel
et non formel, à la fois générales et professionnelles. L‘enseignement et la
formation des adultes font généralement référence aux activités d’apprentissage
après la fin de l’enseignement initial. Les données proviennent de l’Enquête
sur les forces de travail de l’UE (EFT-UE), d’après Eurostat consulté le 10/02/2022.
[83] Statistics | Eurostat (europa.eu) consulté le
10/02/2022
[84] Statistics | Eurostat (europa.eu) consulté le
10/02/2022
[85] Cf. à propos
l’ouvrage de Michael Porter consacré à « L’avantage concurrentiel des
nations », op. Cité
[86] Idem p.304
[87] Selon
la définition donnée par Michael Porter, un pays possède un avantage
concurrentiel de dimension internationale lorsque ses exportations constituent
une proportion significative durable des exportations mondiales, elles sont
destinées à plusieurs pays, et/ou lorsque le pays en question est pourvoyeur
d’investissements directs à l’étranger comportant un savoir-faire et des
compétences qui lui sont propres. Idem
p.305
[88]Idem p.306
[89] Regeringens
Proposition, 186-1987 cité par Michael Porter op. Cité p.345
[90] D’après
Eurostat, la
recherche et le développement expérimental (R&D) comprennent des travaux créatifs
entrepris sur une base systématique de sorte à accroître les connaissances, y
compris les connaissances de l'homme, de la culture et de la société. Ce stock
de connaissances est utilisé pour inventer de nouvelles applications. Les
dépenses de R&D incluent toutes les dépenses pour la R&D réalisée dans
le secteur des entreprises (BERD) sur le territoire national et pendant une
période donnée, sans tenir compte de la source des fonds. Les dépenses de
R&D du secteur des entreprises sont indiquées en pourcentage du PIB
(intensité de R&D).
[91]
Michael Porter, op. Cité p-p. 345-350
[92]
Vidal Jean-François, 2010, « Crises et transformations du modèle
social-démocrate suédois », Revue de la régulation, 2e semestre/Automne 2010 :
Varia.
[93] En 2020, la
dette de la Suède s’élève à 111 Milliards d’euros exprimée en valeur de marché
de la dette brute des administrations publiques, ce qui la classe bien loin
derrière la France, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne avec respectivement 2454
Mds, 2370 Mds, 1818 MDS et 1292 Mds d’euro d’après Eurostat dernière mise
à jour le 22/10/2021 consulté le 18/02/2022
[94] Eurostat dernière mise
à jour le 22/10/2021 consulté le 18/02/2022
[95] Jean-François
Vidal Op. Cité
[96] A partir des
années 1970, l’organisation patronale, la SAF, a fait pression pour obtenir une
décentralisation des négociations salariales, ce qui rendait plus improbable
l’ajustement des salaires aux conditions de la croissance macroéconomique et de
la compétitivité de l’industrie. Au cours des années 1980, la SAF a de plus en
plus critiqué le modèle suédois, notamment la fiscalité et la centralisation
des négociations salariales. La SAF et les syndicats de salariés de la
construction mécanique ont décidé de privilégier les négociations au niveau de
la branche. Dans le secteur tertiaire abrité de la concurrence internationale,
les revendications des « cols blancs » ont contribué à l’accélération de la
hausse du salaire moyen de 1987 à 1990. En 1990, la SAF a décidé de mettre fin
aux négociations salariales négociées au niveau national.
[97] Pour une analyse approfondie de la réforme de la retraite, cf. RAPPORT D’INFORMATION N° 377 DU SÉNAT FRANCAIS SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2006-2007 Annexe au procès-verbal de la séance du 11 juillet 2007 II-LE FINANCEMENT DES RETRAITES : LA RÉUSSITE EXEMPLAIRE DE LA RÉFORME DE 1998 p-p. 30-58
[98] Il est de 30% pour les revenus de allant de
0 à 401 100 couronnes (0 à 41 210 euros); de 50% pour les revenus allant de 401
100 à 574 300 CZK (41 210-59 005 Euro); de 55% pour les revenus supérieurs ou
égaux à 574 300 CZK (59 005 EUR).
[99] Eurostat consulté le 21/02/2022
[100] Emilie Bourdu
(ouvrage collectif sous coordination) « Les transformations du modèle
économique suédois » op. Cité p.88
[101] Algan Yann,
Cahuc Pierre, 2007, La société de défiance, Éditions Rue d’Ulm/Presses de
l’Ecole Normale Supérieure p.49
[102] Eurostat Emploi
et activité par sexe et âge - données annuelles dernière mise à jour le 02/02/2022 consulté
le 18/02/2022
[103] OCDE (2022),
Confiance envers le gouvernement (indicateur). doi: 10.1787/2f40018e-fr
(Consulté le 18 février 2022). La confiance dans le gouvernement se réfère à la proportion
de personnes qui déclarent avoir confiance dans le gouvernement national.
L'échantillon est conçu ex ante pour être représentatif au niveau national de
la population âgée de 15 ans et plus. Cet indicateur est mesuré en pourcentage
des répondants à l'enquête.
[104]Cf. sur cet
aspect relatif aux reconfigurations des acteurs au cours de l’évolution du
modèle suédois, l’article fort intéressant de Vincent Simoulin « LE
« MODÈLE SUÉDOIS » : SUCCÈS PERSISTANT, RECOMPOSITIONS ACTORIELLES ET
RECONFIGURATIONS INTELLECTUELLES » Presses Universitaires de France | «
Cahiers internationaux de sociologie » 2005/2 n° 119 | pages 289 à 309 https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-de-sociologie-2005-2-page-289.htm
[105] L’effet Kalecki-Verdoorn peut se formuler comme suit : p = a +
b*Q avec p représentant la productivité des facteurs de production, a le
coefficient de Verdoorn et Q la croissance de la production
[106] Etude économique de la Suède - 16 juillet 2021
www.oecd.org/economy/sweden-economic-snapshot/
Consulté le 06/03/2022
[107] . In Algan,
Cahuc et Zylberberg, Cahuc Pierre, Zylberberg André, 2012, La fabrique de la défiance…
et comment s’en sortir, Albin Michel 2012, p.177.
[108] Lancée par 400
collectivités locales et compagnies privées, cette initiative s’inscrit dans le
cadre du plan climat approuvé par le parlement en 2017 se donnant pour objectif
d’atteindre la neutralité carbone en 2045, ce qui lui donnera une avance sur les
autres pays de l’Union Européenne qui fixe cet objectif pour 2050.
[109] OCDE
(2016) « Panorama de l'environnement 2015 : Les indicateurs de
l’OCDE » Editions OCDE Paris voir graphique 1.1 Intensité d’émissions de
gaz à effet de serre, par habitant, 2012 p.21
[110] (Données
extraites le 08 Mar 2022 19:27 UTC (GMT) de OCDE stat.
[111] Jean-Baptiste
François, « La CroixL’HEBDO »
28/01/2022
www.la-croix.com/Monde/Suede-adopte-stockage-dechets-nucleaires-cent-mille-ans-2022-01-28-1201197366
[112] MEIDNER, R. (1980), « Our Concept of the Third Way »,
Economic and Industrial Democracy, vol. 1, 343-369. Cité par Louis GILL “Myrdal
et la « troisième voie ».” 1990, article publié dans l'ouvrage sous la
direction de Gilles Dostaler, Diane Éthier et Laurent Lepage, « Gunnar
Myrdal et son œuvre », pp. 143-157. Montréal : Les Presses de l'Université
de Montréal ; Paris : Économica, 1990, pp. Collection : Politique économique —
Les grands penseurs. Document PDF.
[113] MYRDAL, G.
(1963b), Planifier pour développer. De l'État-providence au Monde-providence,
Paris, Les Éditions ouvrières p.76 cité par Louis Gill article précité p.22
[114] Cf. à
ce sujet l’article intéressant Marie Demker « ESSOR ET DÉCLIN DU MODÈLE
NORDIQUE À CINQ PARTIS » De Boeck Supérieur | « Revue internationale de
politique comparée » 2006/3 Vol. 13 | pages 469 à 482 ISSN 1370-0731 ISBN
2804151638 DOI 10.3917/ripc.133.0469 Article disponible en ligne à l'adresse
: https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politiquecomparee-2006-3-page-469.htm
[115] Idem p. 472
[116] A ce propos, il est à
noter que les incitations à rechercher activement un emploi
ou une formation ont augmentée, les pénalités également, et ce régime s’est
étendu progressivement aux bénéficiaires de l’assistance sociale avec une
autonomie croissante des autorités locales. Le durcissement de ces politiques
reflète bien une évolution idéologique mais qui peut s’appuyer sur la
résurgence de normes anciennes encadrant strictement l’aide sociale.
[117] Dans ce sens, le parti social-démocratie a procédé aux revalorisations de prestations qui avaient été réduites lors de la mandature précédente des partis bourgeois. Ainsi les allocations familiales ont été remontées de 1050 à 1250 Couronnes/enfant par mois en 2018. Le plafond de revenu pour percevoir 80 % du salaire précédent est passé de 18 000 à 25 000 Couronnes/mois pour un travailleur mis au chômage et de 28 000 à 30 000 en cas de maladie. La plupart des pensions ont été revalorisées de 300 Couronnes par mois.
[118] MONZÓN, J.L.
(1989): Las cooperativas de trabajo asociado en la literatura economica y en
los hechos, Madrid: Ministerio de Trabajo y Seguridad Social cité par José Luis
Monzón et Rafael Chaves « L’ÉCONOMIE SOCIALE DANS L’UNION
EUROPÉENNE » Rapport d’information élaboré pour le Comité économique et
social européen par le Centre international de recherches et d’information sur
l’économie publique, sociale et coopérative (CIRIEC) LEconomie_sociale_dans_lUnion_Europeenne
(1).pdf p.16
Enregistrer un commentaire