Note de
présentation de l’ouvrage de Najib AKESBI
« L’économie
marocaine sous plafond de verre
Des
origines à la crise Covid-19 »
Le
nouvel ouvrage du professeur Najib AKESBI intitulé « « L’économie
marocaine sous plafond de verre. Des origines à la crise Covid-19 » comporte
188 pages et cinq chapitres avec une introduction et une conclusion générale.
L’idée
maîtresse de l’ouvrage est que l’économie marocaine souffre d’une série de
freins structurels de dimensions multiples qui l’empêchent d’emprunter le
sentier de l’émergence. Outre la nature des choix stratégiques fondant le
modèle de développement adopté depuis l’indépendance du pays, l’obstacle prépondérant
réside dans le système politique dominé par le Makhzen. D’où la méthodologie
dialectique adoptée par l’auteur liant l’économique au politique qui souligne
que la dimension économique de l’expérience marocaine ne pourrait être pleinement
saisie en dehors du système politique. p.7
A notre
avis, cette méthodologie s’inscrit dans la lignée analytique du matérialisme
historique selon laquelle l’analyse de toute structure passe par celle des rapports
entre structure et superstructure en vue d’une appréhension scientifique du
rapport entre les forces opérant dans l'histoire d'une période déterminée. En
situant son étude dans une perspective historique, l’auteur se donne pour
objectif de saisir la réalité en mettant l’accent sur les mouvements organiques
permanents qui sont les choix fondateurs et les politiques publiques y
afférentes tout en montrant que les mouvements de
conjoncture en l’occurrence la crise sanitaire du Covid-19 demeurent
tributaires de ces mouvements organiques, seuls aptes à faire l’objet d’une critique
historico-sociale, qui, elle, s'adresse aux vastes groupements, en l’occurrence
l’Etat-Makhzen, la classe bourgeoise et les institutions financières
internationales notamment le FMI et la Banque Mondiale.
Selon
l’auteur, les blocages structurels déjà soulignés par le rapport du
cinquantenaire publié en 2006 persistent et demeurent inébranlables. Il s’agit
de la faiblesse de la croissance et sa volatilité, la prépondérance du
secteur agricole largement tributaire des caprices climatiques et la léthargie de
secteurs hors- agriculture. D’où l’intitulé de l’ouvrage « L’économie
marocaine sous plafond de verre ».
Outre
son caractère dialectique, le processus de raisonnement de l’auteur suit une
logique démonstrative scientifique étayée à l’aide de statistiques officielles,
d’illustrations graphiques et de divers documents et études d’experts.
1.La
crise du Covid-19 est un moment révélateur d’une crise structurelle causée par
les choix fondateurs (chapitre 1)
Le
cheminement de l’analyse commence par démontrer que la crise Covid-19 ne fait
que révéler l’échec du modèle de développement adopté par le Maroc depuis
l’indépendance en ce sens que ladite crise est « un moment de
vérité »
En
effet, cette crise revêt un caractère généralisé et ne se limite pas au secteur
sanitaire. Outre le fait qu’elle s’avère à la fois une crise de l’offre par
l’insuffisance de la production des biens et des services, et de la demande du
fait de la faiblesse et des inégalités des revenus, elle met à nu les carences
manifestes relatives aux services publics dans tous les domaines et sur
l’ensemble du territoire national en ce sens qu’elle est à la fois « une
crise économique, multidimensionnelle et singulière ». p.37
L’échec
du modèle de développement dont cette crise est révélatrice puise son origine
dans les choix fondateurs et les politiques publiques y afférentes datant du
milieu des années 1960.
Dans le
chapitre 2, l’auteur s’attèle à mettre en évidence les choix fondateurs et les
politiques publiques menées durant le règne de Hassan II avant de consacrer le
chapitre 3 à l’analyse de la période correspondant au règne de Mohammed VI. Les
chapitres 4 et 5 porteront sur l’étude respectivement des résultats
opérationnels et des résultats fonctionnels matérialisant l’échec dudit modèle.
2.Les
choix fondateurs fixés de concert avec les institutions financières
internationales et les politiques publiques y afférentes (chapitre 2)
2.1- Les
choix fondateurs
Ces
choix qui portent les stigmates du Fonds monétaire international et de la
Banque Mondiale visent à instituer la primauté du marché et de l’initiative
privée, et, l’insertion de l’économie nationale au marché mondial. Ce qui va déterminer la trajectoire des
priorités sectorielles en ce sens que dans l’agriculture dominera le « modèle agro-exportateur » et
que dans l’industrie légère celui privilégiant « les segments de
sous-traitance internationale ».
Ces
choix sont faits dans le cadre d’alliances de classe du pouvoir avec les
« notables ruraux » bénéficiant de facilités fiscales et foncières,
et, avec la bourgeoisie traditionnelle disposant de forts privilèges de diverse
nature.
Les politiques publiques sont arbitraires du
fait du caractère autoritaire du régime politique et reposent sur un phénomène
pivot, celui de la rente multiforme.
2.2-Les
politiques publiques mises en œuvre sur la base des choix fondateurs
Celles-ci
s’articulent autour de quatre axes :
- Le
premier axe : la « marocanisation »
des entreprises étrangères, la privatisation des entreprises publiques et la concession
en gestion déléguée de services publics :
Concernant
la marocanisation des terres agricoles, elle a emprunté des voies légales ou illégales. Sur 1 017 000
d’hectares récupérés auprès des colons, 289 000 hectares ont été redistribués. Concernant
les 728 000 hectares restants, seuls 300 000 ha ont pu être récupérés et furent
confiés en gestion en 1973 aux deux sociétés publiques, la SODEA et la SOGETA,
avant d’être donnés en concession au capital privé entre 2005 et 2012, et dont seuls
100 000 ha ont été distribués en bonne et due forme, les 200 000 ha restants
demeurent entachés d’opacité prenant forme de passe-droit et de prébende
et profitant à une partie de l’élite bureaucratique. « En somme, une corruption érigée en système de
gouvernement ». p.47
Dans le domaine de
l’industrie et des services, le bilan global de la marocanisation, souligne
l’auteur, « n’en demeure pas moins décevant » du fait qu’il s’est
soldé par l’échec de création d’une classe moyenne d’entrepreneurs marocains au
profit du pouvoir
central marocain qui en fut le principal "marocanisateur" et des
grandes familles.
- Concernant la
privatisation des entreprises publiques, les résultats se sont avérés très modestes du
fait que le
« capitalisme de connivence » régnant fait que cette opération a fini
par consolider le pouvoir des oligarques notamment de l’ONA devenue Al Mada, de Ynna Holding, FinanceCom, les groupes Fahim,
Saham, Holmarcom, etc.
- Concernant le partenariat
public-privé (PPP) revêtant
le plus fréquemment la forme de la « gestion déléguée » au Maroc, il
s’est opéré via des concessions dont
les plus importantes comme celles relatives à la Lydec à Casablanca, à Redal à Rabat-Salé,
et à Amendis à Tanger-Tétouan ont « fait l’objet de transactions
purement politiques, au mépris des principes les plus élémentaires de
transparence » donnant lieu à des pratiques irrationnelles ( surévaluation des investissements réalisés et
des coûts de production enregistrés, fraude et évasion fiscales, prix des
services excessifs …).
- Le deuxième axe :
Les infrastructures publiques destinées à rentabiliser
les investissements privés
Tout au long des années 1960 et 70, l’État a
consacré en moyenne la moitié de ses investissements aux infrastructures. Les
investissements dans les infrastructures d’irrigation ainsi que les aides
publiques destinés à promouvoir essentiellement le modèle agro-exportateur ont
débouché sur la constitution de considérables fortunes privées en faveur
d’anciens et nouveaux « notables » via des transactions foncières
douteuses.
- Le troisième axe : Les politiques
macro-économiques (fiscales, budgétaires, monétaires…) ont servi de pompe qui
aspire les ressources des classes pauvres et moyennes pour les refouler vers
les classes possédantes sous forme de marchés publics, de subventions et de
dépenses fiscales jouant le rôle de redoutables leviers d’accentuation des
inégalités sociales et territoriales.
En usant d’une politique fiscale injuste et
régressive fondée sur la minimisation de l’impôt sur les entreprises moyennant
de forts privilèges pour le secteur privé, et, sur l’augmentation des taux
d’imposition indirecte, l’Etat a provoqué une crise de la dette mettant le pays
sous la tutelle des institutions financières internationales à partir de 1983
en lui imposant d’adopter la politique d’ajustement structurel dans le cadre de
l’idéologie néolibérale.
La réforme fiscale adoptée en 1984 n’a pas
ébranlé les fondements du système fiscal qui pour l’essentiel « est resté
complexe, incohérent, inefficace et très injuste », dominé par les impôts
indirects à raison de 60% alors que les impôts directs demeurent inégalement répartis
au seul profit du capital.
Les faveurs fiscales au profit de ce dernier ont
entrainé un manque à gagner conséquent pour l’Etat qui en 2021 est estimé à 29,5
milliards de dirhams, soit près de 2,6% du PIB et 11% de l’ensemble des
recettes fiscales.
Suite à la libéralisation des échanges, le
système fiscal devient inapte à assurer un financement suffisant des dépenses
du budget général de l’État, d’où l’effondrement à 60% du taux de couverture de
ces dernières par les recettes fiscales.
- Rentes
et marchés publics
En outre, les dépenses de l’État souffrent
d’une affectation inappropriée du fait que les principaux « blocs »
de dépenses sont problématiques :
-Une masse salariale incompressible et très inégalement
répartie
-Importance disproportionnée des
« dépenses diverses » sous forme de subventions octroyées aux
établissements publics en difficultés financières ;
-Caractère ruineux, inéquitable et inefficace
des « charges communes » prédominées par les subventions de la Caisse
de compensation en plus d’énormes opérations de détournement de fonds publics,
à travers des pratiques qui vont de l’exercice de la rente
« classique » aux manœuvres délictueuses, et en passant par les
trafics d’influence, la corruption ou le népotisme ;
-Poids du service de la dette atteignant 90
milliards de dirhams en 2022 (dont 29,1 milliards d’intérêts et commissions), soit
de 8% du PIB du pays et sera en grande partie versée à des institutions
financières et des banques du secteur privé ;
-Enfin les
dépenses d’investissement ainsi qu’une partie des dépenses de matériel et
divers profitent essentiellement aux groupes influents du secteur privé (du moins non financières)
sous forme de « commandes de l’État » et des marchés publics.
Ainsi, souligne l’auteur, la pompe aspirante et
refoulante fonctionne donc bel et bien à rebours, et marque fortement la
volonté de mettre les finances publiques au service des finances privées.
La dégradation de la situation économique et
financière va amener le pays à engager des politiques « d’ajustement
structurel ».
2.3- Les politiques d’ajustement structurel
Elles
s’articulent autour de deux volets, la réduction de la demande globale en vue
de rétablir les équilibres internes et externes (prix, budget, balance des
paiements…), et l’accroissement de l'offre à travers des restructurations de
l'économie.
-
Désengagement, déréglementation, dérégulation…
Outre
les privatisations, le désengagement de l’État s’est concrétisé sous diverses
formes telles que la réduction des transferts de l'État aux entreprises
publiques, la privatisation par « entente directe » du capital, la
cession au secteur privé de participations de l'État dans certaines grandes
entreprises notamment agro-industrielles, la gestion confiée au secteur privé de
certaines entreprises publiques opérant dans le transport en commun urbain, les
activités de pêche, l’hôtellerie. En même temps fut engagé un programme à moyen
terme de restructuration du secteur public financé par la Banque Mondiale et
ce, dans un double objectif de rationalisation de la gestion des entreprises,
d’une part, et de désengagement de l’État de la propriété du capital, d’autre
part. De même, le désengagement de l’Etat a pris la forme de dérèglementation,
de dérégulation des marchés de biens et de services notamment financiers et de
la libéralisation des prix.
La
mobilisation de l'épargne devait se faire via la réforme fiscale mais aussi via
la réforme du secteur financier axée sur la déréglementation monétaire
(désencadrement du crédit et libéralisation des taux d’intérêt), la
déspécialisation de l'intermédiation financière en optant pour la « banque
universelle » et la désintermédiation du financement.
-
Libéralisation des échanges et intégration à l’économie mondiale
La
libéralisation des échanges extérieurs s’inscrivait dans le vaste projet de
l’ouverture de l’économie nationale se traduisant par un démantèlement des
protections tarifaires et non tarifaires de l’industrie, la promotion des
exportations dès 1984 et adhésion du Maroc au GATT en 1987.
2.4-
Post-ajustement, ou la continuation de l'ajustement sans les programmes
d'ajustement
Dès le début de la décennie 1990, il s’est avéré que le coût social
de la politique d’ajustement structurel était très lourd (entre 1980 et 1988
37% de la population marocaine vivant en dessous du seuil de pauvreté, cette
proportion est de 47% en milieu rural).
La décennie 1990 restera marquée par l’échec de la politique des
barrages qui n’a pas pu libérer l’activité agricole des aléas climatiques
Les tentatives de faire aboutir quelques projets audacieux (« loi
d’orientation agricole », la stratégie du « Maroc compétitif ») n’ont
pas abouti exceptés quelques programmes d’infrastructures à savoir le Programme
d’électrification rurale globale (PERG), le Programme d’approvisionnement
groupé en eau potable des populations rurales (PAGER), le Programme National de Routes Rurales (PNRR).
3- Le
règne de Mohamed VI : Continuité et inflexions (Chapitre 3)
La
première idée que l’auteur développe dans ce chapitre est que le « pays
change de monarque mais non de régime ». p.70 Dans ce sens, l’auteur fait
ressortir que le libéralisme économique au Maroc subit de plein fouet le poids
des décisions monarchiques
La période d’ouverture politique
dont a fait preuve le nouveau roi au tout début de son règne fut très éphémère.
La nouvelle
Constitution, adoptée précisément dans le sillage du « printemps
marocain » en juillet 2011, consolide le « verrouillage
institutionnel » au profit de la « monarchie exécutive ». Les principaux
axes d’action stratégiques structurant de l’économie depuis le début des années
2000 s’inscrivent également dans une parfaite continuité par leur affirmation
de l’économie de marché et la promotion des exportations.
3.1. Les plans sectoriels : partiels et superficiels
L’adoption des plans sectoriels au début des années 2000 rompt avec
la planification nationale.
- Une myriade de
« plans-commandes », sans vision ni cohérence
La
démarche des plans sectoriels prive le décideur d’une vision d’ensemble. Outre leur incohérence temporelle, fait
remarquer l’auteur, ces plans sont élaborés le plus souvent par des organismes
étrangers et ne font l’objet d’aucun débat national. Ils se caractérisent
par des objectifs
illusoires et des résultats dérisoires.
L’auteur illustre ses propos par quelques
exemples. « Ainsi, on peut rappeler que la Vision 2020 projetait d’atteindre 20 millions de touristes en 2020,
alors qu’en 2019 (et pour ne pas retenir 2020, année exceptionnelle), on en
était encore à 12,9 de « visiteurs » dont près de 6 millions sont des
marocains résidents à l’étranger. Le Plan
Maroc Vert pour sa part avait promis en 2008 la création de 1,5 million
d’emplois, alors qu’entre 2000 et 2007, l’agriculture créait en moyenne 26 000
emplois, entre 2008 et 2019, elle a perdu globalement 277 100 emplois nets,
soit 23 092 emplois nets chaque année… ». p.75
Quant au Plan « industriel », il
projetait dans sa première version de 2005 de créer 200 000 emplois, chiffre qui
sera augmenté à 220 000 emplois dans la deuxième version de 2009. Or, les
statistiques officielles montrent qu’entre 2008 et 2014 précisément, le secteur
perdait en moyenne 20 000 emplois par an, soit près de 100 000 emplois en 5 ans...
Quant à la part de l’industrie de transformation dans le PIB, avec 171,7
milliards de dirhams en 2019 (sur un PIB de 1151,2 milliards), celle-ci atteint
à peine 14.9%.
3.2. Les « grands chantiers » :
Investissements massifs et hasardeux
L’auteur souligne que la politique des
« grands chantiers » s’inscrit dans la continuité de la politique
engagée dès les années 60 tout en prenant plus d’ampleur avec un taux
d’investissement de 30% depuis 2007 au lieu de 25% auparavant qu’en termes de
diversité et de grandes réalisations se traduisant par une évolution manifeste
de la configuration du pays.
L’analyse de l’auteur à ce niveau se limite aux
deux composantes les plus importantes des « grands chantiers » à
savoir le transport et les énergies renouvelables.
Excepté le port de
Tanger Med qui constitue une réussite exceptionnelle, les autres chantiers
(aéroports, autoroutes, transport ferroviaire, les énergies renouvelables) se
distinguent par leurs déboires patentes. Concernant l’élargissement du réseau aéroportuaire, leurs revers résident
dans la faiblesse du taux d’utilisation, leur surdimensionnement ou leur
sous-dimensionnement, leur non-intégration de la dimension environnementale,
etc. Quant au réseau autoroutier, l’auteur se demande « s’il est pertinent de
s’engager dans un programme aussi coûteux et aussi « sélectif »,
voire élitiste, alors que le réseau routier national « ordinaire »
reste insuffisant et souvent en bien mauvais état sachant que « sur les
1.800 km d’autoroutes, 1.000 km ne sont pas rentables ». Concernant le
transport ferroviaire, l’auteur montre le caractère irrationnel de la
« Ligne à Grande Vitesse », reliant Casablanca et Tanger sur 350 km
en 2h10 mn. Ayant coûté plus de 20 milliards de dirhams (financés aux trois
quarts par l’endettement), ce projet est impertinent dans le contexte d’un pays
où le PIB par tête se situe encore autour de 3000 dollars, et où le réseau
ferroviaire hérité de la colonisation n’a quasiment pas évolué en six décennies
d’autant plus que ce projet s’est révélé non rentable dans la mesure où les
Autorités ont fait le choix de « remplir la grande vitesse » avec des
« petits prix », et transférer les déficits inéluctables de l’Office
National des Chemins de Fer au budget de l’Etat faisant payer le contribuable à
la place de l’usager.
Concernant
l’opération des énergies renouvelables, elle fut entachée à son tour de graves
dysfonctionnements :
-Au regard des objectifs arrêtés pour 2020 déjà, la part des
énergies renouvelables par rapport au total produit ne dépasse guère 17,8% ;
-Des erreurs stratégiques soulignées selon l’auteur
par Saïd GUEMRA, expert dans le domaine, à savoir la négligence de l’efficacité
énergétique qui aurait pu se traduire par l’atténuation de 60% des GES (gaz à
effet de serre), l’adoption de choix technologiques économiquement désastreux (la
technologie CSP trop couteux par rapport à ceux de la technologie
photovoltaïque) donnant lieu à des déficits de l’Agence chargée du secteur
(MASEN) et à son endettement, l’interdiction de fait de l’accès de l’immense
majorité du secteur privé à la production des énergies renouvelables, sous la
pression des lobbies de l’ONEE et plus encore des grands groupes français
bénéficiaires des contrats de gestion déléguée dans les grandes villes du pays
et qui nourrissent leurs rentes. De tels « choix
arbitraires et malencontreux plus ou moins déterminés par des intérêts et des
conflits d’intérêts avérés, des bailleurs de fonds complices et prédateurs, des
marchés verrouillés par les ententes et la rente, un gouffre financier dont la
facture est en dernier lieu payée par le contribuable -une autre charge pour la
« Caisse de compensation bis » qu’on est en train de mettre en place ».
p.86
3.3. Les Accords de libre-échange en contradiction avec l’intérêt du pays
Ces accords de libre-échange (ALE) sont
l’apanage exclusif d’un cercle très restreint domicilié ou relié au Palais
royal. Les distorsions de tels accords ont engendré une détérioration de la
balance commerciale au point qu’en « 2019, le déficit commercial atteint un
total de117,3 milliards de dirhams avec les principaux partenaires,
l’équivalent de près de 11% du PIB pour la même année.
3.4. Initiative Nationale pour le Développement
Humain : dérives et maigres résultats
Lancée en 2005, l’INDH qualifiée de « chantier
du règne » a pour objectif de lutter contre
la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale.
Les deux premières phases de cette
opération ont donné lieu à de multiples dérives tels que le phénomène
d’instrumentalisation des associations « domestiquées » devenant « un
instrument de cooptation et de dépolitisation de la société civile », l’extraordinaire
concentration des projets sur l’agglomération Rabat-Salé au détriment des régions
défavorisées, les programmes ayant plus bénéficié aux ménages de la classe
moyenne qu’à ceux parmi les plus pauvres, etc.
La troisième phase lancée en 2019 n’a pas pu
remédier à un tel échec du fait que d’après l’enquête effectuée en 2019 par le Haut-
Commissariat au Plan, seuls 37% des
interrogés connaissent l’INDH, très peu de personnes bénéficient de cette
opération à cause du « clientélisme » entre autres.
– Les
résultats obtenus : Une économie sous plafond de verre (chapitre 4)
Dans ce
chapitre, l’évaluation des résultats opérationnels vise à « mesurer à quel
point et comment l’économie marocaine est une économie sous « plafond de
verre ». Cette mesure s’opère à travers quatre axes à savoir la production, la répartition,
l’extraversion et le financement.
4.1.
Production : Niveau, évolution, structure
Deux-tiers
de siècle après l’indépendance du pays, l’économie
marocaine présente toujours les traits d’une économie non-émergente. Avec un
PIB de moins de 120 milliards de dollars en 2019, et 112 milliards en 2020, le
Maroc se situe à plus de quatre fois moins que le PIB de la Thaïlande, et 14
fois moins que celui de la Corée du Sud, deux pays dont le PIB était pourtant
très proche de celui de notre pays, en 1960… Par tête d’habitant, le PIB du
Maroc atteint en 2019-2020 un niveau proche de 3 200 dollars, ce qui place le
Maroc au 144ème rang (sur 211 classés), dans la catégorie des pays « à
revenu intermédiaire, tranche inférieure ». p.p. 101-102
-Une croissance faible, qui s’affaiblit, et
reste volatile
Au cours
des 21èmes premières années du 21ème siècle, le taux de croissance
moyen s’est élevé à peine à 3,6%. Compte tenu de la croissance démographique,
celle du PIB par tête tombe à près de 2% seulement. En outre cette croissance
est volatile du fait qu’elle est sujette aux variations
du PIB agricole, lui-même encore fortement tributaire des aléas
climatiques.
-Des structures stagnantes et un déficit de productivité
Cette croissance faible et volatile génère des structures de
l’économie stagnantes.
Au niveau de l’agriculture, alors que la valeur ajoutée agricole tourne
autour de 15% du PIB depuis un quart de siècle au moins, la part de la
population rurale dans la population totale demeure élevée se situant à près de
37%, et à 40% par rapport à la population active, d’où le déficit flagrant du taux
de productivité.
Les industries de transformation ont perdu 4 à 5 points de PIB au
cours des 20 dernières années, se situant en 2019 à moins de 17% du PIB.
L’importance prise par le secteur tertiaire, soit plus de 56% du
PIB ne témoigne en
fait que d’une « tertiarisation prématurée » résultant de
l’hypertrophie de la production non marchande des Administrations publiques et de l’excroissance
d’activités hétéroclites, plus ou moins informelles.
4.2. Répartition :
Inégalités sociales et spatiales
- Niveau
des revenus et ampleur des inégalités
« Le
revenu total des ménages marocains est estimé en 2019 à 767 milliards de
dirhams, ce qui représente près de 67% du PIB de la même année répartis à
raison de 74% pour le milieu urbain contre à peine 26% pour le monde rural. Le
revenu annuel moyen par individu est de 21 515 DH au
niveau national, ce qui correspond à 1 793 DH par mois, soit 2 083 DH en milieu
urbain, et 1 297 DH en milieu rural ». p. 107. Il est à préciser que les
10% de la population les plus aisés en milieu urbain disposent d’un revenu
annuel moyen par tête supérieur à 48 440 DH, soit 72,4% de plus que celui des
10% des ménages ruraux les plus riches.
Ces inégalités se répercutent profondément sur
l’état désastreux de l’IDH au Maroc.
- Indicateur du développement humain (IDH) :
Un rang peu enviable
L’édition 2020 du rapport sur le développement
humain du PNUD nous apprend que l’DH du Maroc en 2019 a atteint 0.686, ce qui
le situe au 121ème rang sur 189 pays évalués et classés, et partant
parmi les pays dits « à développement humain moyen » sachant que le
pays classé premier (la Norvège) présente un IDH de 0.957, et la plupart des
pays dits émergents (Chili, Turquie, Malaisie…) ont des IDH compris entre 0.800
et 0.850. Ce sont principalement les progrès clairement insuffisants en matière
d’éducation et de revenu qui expliquent ce classement déplorable.
- Inégalités régionales : Concentration
spatiale
Outre leur caractère social, les inégalités sont
également d’ordre territorial. Ainsi, en 2019 la répartition du PIB estimé à
près de 1153 milliards de DH fait apparaitre que la seule région de
Casablanca-Settat s’accapare près de 32% du PIB global, et si on ajoute à
celle-ci la région de Rabat-Salé-Kenitra, on atteint presque la moitié
(47,1%). Autrement dit, sur 12 régions, deux s’accaparent presque la moitié, et
un tiers des régions s’octroie les deux tiers du PIB.
3.
Extraversion : Déficits et dépendance
L’ouverture de l’économie marocaine s’est
considérablement amplifiée durant les quarante dernières années étant donné que
son taux d’ouverture exprimé par le rapport du commerce extérieur (Importations
+ Exportations des biens et services) au PIB a atteint en fin de période près
de 87% se traduisant par des déficits énormes de la balance commerciale. En
effet, rapporté au PIB, le déficit commercial, qui se situait entre 7 et 9% au
cours des décennies 1980 et 90, a grimpé à près de 15% au cours de la première
décennie du XXIème siècle, et même à une moyenne de 19% au cours de la deuxième
décennie. Le taux de couverture des importations par les exportations s’est à
son tour fortement dégradé et tourne autour de 54% durant la dernière décennie.
- Structure : Diversification,
concentration et dépendance
Au
niveau des importations, on peut constater l’accroissement marquant de la part
des biens de consommation qui se situe à 23% depuis 2015. Les biens finis
d’équipement représentent près de 25% au cours de la dernière période. Les
demi-produits ont également vu leur part augmenter atteignant 22% environ en
phase avec des choix industriels soit de valorisation locale (engrais, matières
plastiques, papiers et cartons, ammoniac…), soit de sous-traitance
internationale (fils en métaux, câbles électriques, composants électroniques…).
Les produits bruts, essentiellement d’origine végétale (huile de soja, bois…)
et minérale (soufres bruts…) ont enregistré une baisse passant à moins de 5%.
La part de l’énergie et des lubrifiants a également fortement baissé en passant
à près de 16%.
Concernant
les exportations, elles connaissent une diversification de
« sous-traitance »
En ce
qui concerne les exportations, là aussi, le fait marquant apparaît au niveau
des biens de consommation dont la part est passée de 38%, grâce essentiellement
au développement des exportations des produits de textile et de cuir (vêtements
confectionnés, bonneterie, chaussures…) à moins de 15% suite à la crise de ce secteur
depuis le milieu des années 2000. Ce recul sera cette fois largement compensé
par l’essor des exportations de « l’écosystème Automobile » composé
par l’usine Renault à Tanger et celle de PSA à Kenitra. Les performances à
l’exportation de ce secteur, ainsi que, dans une moindre mesure, celles de
l’aéronautique et de l’électronique expliquent les progrès enregistrés au
niveau des « biens d’équipement » et des demi-produits (moteurs à
pistons, fils et câbles, circuits électriques, parties d’avions, composants
électroniques…). Il n’en demeure pas
moins que cette diversification des exportations, à travers l’essor de
« biens manufacturés », reste contenue dans les limites de la
« sous-traitance » et bornée par la logique des chaines de valeurs
internationales dans lesquelles elle s’insère.
Toutefois,
pour ce qui est des demi-produits, ils concernent pour les trois quarts plutôt
les dérivés des phosphates, précisément les engrais naturels et chimiques d’une
part, et l’acide phosphorique d’autre part. Quant aux phosphates
« bruts », ils représentent l’essentiel des « Produits bruts
d’origine minérale », avec une part qui ne dépasse guère 3.9% de
l’ensemble des exportations au cours de la période 2015-2019. Il est d’ailleurs
intéressant de noter que si l’ensemble des « phosphates et dérivés »
représentent 19% des exportations totales, témoignant d’un réel progrès dans le
processus de valorisation de la première richesse minière du pays.
Enfin,
les exportations agricoles et agroalimentaires ont au fil des années vu leur
part légèrement baisser, même si celle-ci semble s’être quelque peu redressée
au cours de la dernière période, pour se situer à près de 20%, perdant ainsi 5
points de pourcentage par rapport au niveau atteint quatre décennies plus tôt.
En
somme, le commerce extérieur s’est développé plus par ses importations que par
ses exportations du fait que l’économie du pays est restée fortement dépendante
d’importations « basiques » (Alimentation, énergie,
demi-produits …) ou liées aux équipements nécessaires aux investissements
réalisés, et d’autre part, le « modèle » de sous-traitance adopté a
certes généré un fort accroissement des exportations manufacturées, mais à
partir d’une valeur ajoutée locale qui reste encore insuffisante.
4.
Financement : Carence fiscale et piège de la dette
Si
l’économie marocaine est peu à peu devenue une économie d’importation, il nous
appartient à présent de montrer qu’elle est aussi une économie d’endettement.
Au niveau macro-économique d’abord, on peut constater que depuis au moins une
quinzaine d’années, précisément depuis que le taux d’investissement a été
fortement relevé (nous y reviendrons au chapitre 5), le taux d’épargne
nationale n’ayant guère suivi le mouvement ascendant en conséquence, il en a
résulté un déficit de financement global moyen de 5,2 points de PIB au cours de
la période 2008-2020.
L’auteur concentre à ce niveau son analyse sur
le financement public qui devient problématique du fait d’une « articulation
funeste entre l’incapacité de l’État à mobiliser des ressources
« propres » et sa propension à l’endettement ».
- Dégradation de l’autosuffisance fiscale :
celle-ci résulte d’une forte érosion de l’assiette fiscale consécutive aux innombrables
« niches fiscales » et à la baisse des recettes des droits de douane
résultant du démantèlement des protections tarifaires liés aux accords de
libre-échange. D’où les déficits budgétaires et un taux d’endettement élevé
devenus chroniques.
- Hausse des déficits budgétaires et de
l’endettement
En
effet, en dépit des politiques d’austérité récurrentes, ce sont les déficits
qui ont prévalu se situant en moyenne autour de 2.5% du PIB au cours des
décennies 1990 et 2000, puis ont presque doublé au cours de la dernière
décennie.
Depuis la
crise de 2008, l’endettement du pays a repris son ascension jusqu’à franchir le
seuil de 80% à partir de 2016, puis celui de 90% en 2020. En réalité, cette
évolution « quantitative » s’est également accompagnée d’une mutation
« qualitative » notable. D’une part, le désendettement des années
1990 et 2000 a d’abord été celui de la dette extérieure qui s’est effectivement
effondrée de 65% en début de période à moins de 19% en 2008. D’autre part, la
dette intérieure avait commencé à prendre de l’ampleur, dépassant à partir de
2001 –par un effet de ciseau- la dette d’origine externe et ce, suite à la
nouvelle politique étatique privilégiant le recours au marché monétaire et à
l’émission des bons du Trésor. Finalement, selon le HCP et Bank Al Maghrib,
à fin 2020, la dette publique globale atteint 92,5% du PIB, soit 1007 milliards
de dirhams. La dette du Trésor pour sa part atteint 76,4% du PIB et un montant
de 832 milliards de dirhams. Quant à la dette publique extérieure, elle s’élève
à 374 milliards de dirhams et 34,4% du PIB (dont 16 points reviennent aux
Établissements publics et relèvent de la dette garantie). Au demeurant, le
recours assez massif à l’endettement extérieur au cours de l’année 2020 a
sensiblement modifié le rapport entre dette intérieure et dette extérieure :
Alors que la première s’accaparait tout au long de la dernière décennie près
des quatre cinquièmes de la dette globale, elle n’en représente plus que moins
des deux tiers (63%).
Si l’on
sait par ailleurs que le niveau actuel d’endettement du pays représente plus de
4 années de recettes fiscales, et que depuis plusieurs années déjà, les
nouveaux emprunts programmés pour compléter les recettes du budget annuel
servent à peine à couvrir le service de la dette inscrit, côté dépenses, dans
le même budget, on prend la mesure du « piège de la dette » et,
au-delà, de l’impasse dans laquelle se trouvent les finances publiques,
aujourd’hui, et peut-être plus encore demain.
- Les résultats obtenus, témoins des paris
perdus (chapitre 5)
Dans ce
chapitre, l’auteur évalue les résultats fonctionnels, ce qui revient à mettre
en évidence les écarts entre les objectifs poursuivis et les résultats
effectifs. Il en découle que c’est la rente qui prédomine sur le marché, le
public sur le privé et l’import sur l’export.
5.1. Nous voulions
le marché, nous avons la rente !
Au lieu
d’une économie de marché, les secteurs clés sont dominés par « des
oligopoles, voire des monopoles, bénéficiaires de privilèges et de passe-droits
d’un autre âge » et où prévalent la rente et l’entente.
- La rente, encore florissante
L’auteur
précise que la rente prévalant au Maroc en citant A. KRICHEN « est le
revenu tiré de la possession d’une ressource rare : la proximité avec le
pouvoir politique ».
Cette
rente provient de l’agrément pour l’exploitation des services ou des ressources
naturelles et qui est octroyé sur
la base de critères multiples et variés (clientélisme politique,
népotisme « tribal », corruption pure et simple, gratification de
stars du sport ou de la chanson, services rendus à la nation pour les anciens
combattants…).
- Le
PPP, un « partenariat » par entente directe portant sur des concessions
en gestion déléguée de services publics communaux déjà examinés
auparavant.
-Le
foncier, source de rente et d’économie « de la rapine » : L’État
au Maroc a toujours usé du « foncier » comme un moyen de favoriser
ses dignitaires et sa clientèle politique en leur octroyant des centaines de
milliers d’hectares dans les deux milieux, rural et urbain.
- L’entente : elle est corollaire du
phénomène de concentration dans les divers secteurs de l’économie.
5.2. Nous voulions
le privé, nous avons le public !
La
mollesse du secteur privé fait que « le principal investisseur dans le
pays aujourd’hui encore n’est pas le secteur privé mais l’État et son imposant
secteur public ».
- Prépondérance des investissements publics…
A partir
de 2004-2005, l’investissement public s’est mis à augmenter fortement avec un taux
global à plus de 30% voire 35% durant certaines années alors que celui du secteur
privé tourne autour de 12 points. Il en découle que l’effort d’accumulation du
pays est à mettre à l’actif du secteur public à raison des deux tiers, le
secteur privé se contentant d’un tiers. Compte tenu de la part de l’investissement
direct étranger (autour de 3 points de PIB, ou 9 à 10 points de la FBCF), la
part du « privé marocain » tombe à un niveau proche du quart.
Au-delà de cette première
« anomalie », la problématique s’étend à la nature même des
investissements en question qui sont à la fois non-pertinents et faiblement
générateurs de croissance et d’emploi.
La
relation mise en exergue par la théorie économique la plus conventionnelle,
celle liant taux d’investissement et taux de croissance (Harrod-Domar, Solow,
Rostow…), fonctionne à rebours dans le cas de l’expérience marocaine. Dans ce
sens, le HCP a pu montrer que de manière générale les investissements réalisés
au Maroc ont des rendements marginaux faibles et décroissants. Ainsi, le
coefficient marginal du capital –appelé aussi ICOR- qui exprime le
rapport entre le taux d’investissement et le taux de croissance (plus ce ratio
est élevé et plus l’impact du premier sur le second est faible, et
inversement…), s’élève au Maroc à 7,2 sur les dix dernières années contre 2,9
pour la Corée du Sud par exemple. Ce qui implique par exemple qu’au moment où
un taux d’investissement de 32% génère au Maroc un taux de croissance d’à peine
un peu plus de 4%, en Corée du Sud, le même taux d’investissement générerait un
taux de croissance de 11%.
Quant à
l’impact sur l’emploi, une étude approfondie de la DEPF du Ministère des
Finances portant sur la période 2000-2017 a pu établir « une baisse
significative de l’élasticité croissance/emploi » : Pour chaque point
de pourcentage de croissance du PIB entre 2008 et 2017, l’emploi global n’a
progressé que de 0,12% en moyenne contre 0,33% entre 2000 et 2007. Avec une
élasticité croissance/emploi se situant à 0,16 sur la période 2006-2017, le
Maroc affiche la performance la plus faible par rapport à celles enregistrées
par les autres pays de l’Europe et de la région MENA. L’explication réside dans
le fait que l’investissement au Maroc se concentre dans les secteurs à faible
valeur ajoutée et peu créateurs d’emplois notamment celui du « bâtiment et
travaux publics » c’est-à-dire celui des « grands chantiers »
ayant plus de la moitié des investissements bruts réalisés, alors qu’il ne
représente que moins d’un dixième de la valeur ajoutée et 7 à 8% de l’emploi.
Cette
situation pose la question de la dimension financière. En effet, au vu de
l’immense effort d’investissement et de sa faible rentabilité, et compte tenu
de la chute du taux d’épargne et du rendement fiscal, l’État a recours à
l’endettement, notamment extérieur, d’où le risque d’une crise éventuelle de la dette.
5.3. Nous voulions
le « tout-export », nous avons le « tout-import » !
L’auteur
souligne le fait que l’ampleur prise par le « taux d’ouverture »
atteignant actuellement près de 87%, a produit déficits et dépendance. Outre le
fait que l’on soit restés dépendants d’importations « basiques »,
l’autre explication d’un tel état de fait est liée au modèle de sous-traitance
adopté, lequel promeut les exportations de produits industriels, mais à partir
d’importations conséquentes et donc d’une valeur ajoutée locale relativement
faible.
-
Quand le commerce extérieur plombe la croissance et l’emploi
En
effet, l’impact de l’ouverture la croissance serait même plus souvent négatif
que positif : Sur une vingtaine d’années, la « demande
extérieure » (solde du commerce extérieur) a impacté 9 fois négativement
la croissance, et lorsque celle-ci a agi positivement, l’impact a été très
faible (8 fois compris entre 0 et 0,5), en tout cas nettement inférieur à celui
de la demande intérieure (consommation et investissement).
L’impact
sur l’emploi n’est guère moins décevant, puisque l’expérience a montré que,
contrairement à ce qui était attendu, le « contenu en emplois » des
exportations est resté modeste et fort insuffisant pour compenser celui des
importations. Ainsi, selon une étude de la DEPF, portant sur la période
1999-2015, si le contenu en emplois des exportations est monté à 2,5 millions
de postes de travail au cours de la deuxième sous-période (2008-2015), le
contenu en emplois des importations pour sa part a grimpé à 3,2 millions de
postes, de sorte que le solde reste négatif, à raison de près de 700 mille
emplois.
- Tourisme, IDE, RME : Des résultats bien
en-deçà des attentes
Les
recettes du tourisme, rapportées au PIB, apparaissent en hausse sensible au
cours de la décennie 1996-2006, passant de près de 4% à plus de 8% entre le
début et la fin de cette période, mais depuis, la tendance semble s’être
inversée brutalement en 2008 et 2009 pour que tout au long de la dernière
décennie, jusqu’en 2019 (avant l’effondrement de 2020), les recettes du
tourisme apparaissent cantonnées dans une fourchette comprise entre 6 et 7% du
PIB.
Les flux des IDE également,
rapportés au PIB, s’ils apparaissent en progression notable par rapport aux
années 1980, leur évolution est fortement fluctuante au cours des années 1990
et 2000, et même en baisse tendancielle depuis 2008, date marquant la fin des
opérations de privatisation cantonnant les flux d’IDE au sein d’une
« bande » comprise entre 3 et 4% du PIB, ce qui d’ailleurs correspond
à un flux annuel moyen de 2,7 milliards de dollars pour la période 2010-2019.
Les transferts des RME
apparaissent par contre constituer des ressources relativement importantes et
parmi les plus stables. Pendant une trentaine d’années, elles ont le plus
souvent fluctué au sein d’une fourchette comprise entre 7 et 8% du PIB avant de
stabiliser en-dessous de 7% depuis 2011, voire 6% en 2018 et 2019. Cette
stabilité relative, fait remarquer l’auteur, « est en soi le témoignage
« vivant » de l’échec du « modèle » adopté qui n’a
« guère réussi à donner du travail et des conditions de vie décentes à un
très grand nombre de citoyens, que ceux-ci ont fini par quitter le pays… ».
Si la
responsabilité de l’échec de l’expérience marocaine est à mettre à l’actif de
l’Etat et des orientations de la Banque Mondiale et du FMI, note l’auteur, il n’empêche
que « la responsabilité
propre au secteur privé est lourde ». En atteste le faible taux des
exportateurs marocains réguliers qui d’après
les données du HCP (2019) atteint à peine 3,5%. En outre, ces exportations demeurent
fortement concentrées sur l’Union européenne et sur quelques
produits, plus « primaires » que manufacturés.
L’inexploitation du potentiel existant s’explique par
le peu de dynamisme des opérateurs locaux et que l’auteur a tenté d’illustrer
« à travers le cas des exportations des produits agricoles ». A ce
propos, relève l’auteur, le « démantèlement de l’ancien office des
exportations et la création de nombreux groupes privés n’ont pas permis -à
quelques exceptions près- de générer de nouvelles stratégies de diversification
de leurs produits et leurs marchés. Par leur comportement de se faire concurrence sur le même marché,
notamment en cassant les prix, ou en se partageant certains marchés et limiter
les quantités globales offertes, les exportateurs marocains ont affaibli leur pouvoir
de négociation « sur des marchés largement déterminés par les
« tailles critiques », les coalitions et les synergies qui en
découlent ».
La
faiblesse de l’esprit d’entreprise a fait qu’en général « les meilleures
performances à l’exportation sont ceux qui sont contrôlés soit par des firmes
multinationales (Automobile, aéronautique, électronique), soit par une entité
publique (phosphates, engrais, acide phosphorique) ».
La conclusion générale de cette étude fort
intéressante est que le mode de gouvernance au Maroc constitue une véritable
barrière à son émergence. Il en découle que « le préalable à toute réforme économique n’est autre
que politique » et « que tout projet de développement crédible n’aura
de chance d’évoluer favorablement que si, à tout le moins, il s’inscrit dans le
cadre d’un système politique qui conjugue légitimité des choix, plein exercice
des responsabilités et reddition des comptes ». p.183
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